« Un dernier regard »

Le monde entier était plongé dans le silence, il n'y avait que le bruit de la fontaine, douce et paisible qui se déversait continuellement dans ce petit puis de roche et qui emplissait le temple d'une agréable partition. A côté de la pierre froide, baignée dans l'aura rosâtre que dégageait le liquide divin, le corps d'Anianka dormait lui aussi. Le regard posé sur les somptueuses courbes de sa déesse, elle semblait l'admirer éternellement. L'éclat flamboyant de ses prunelles s'était éteint mais à travers son visage calme se dégageait encore une douceur charmante. Comme si d'un moment à l'autre un sourire étirerait ses babines, comme si elle rêvassait éveillée et qu'on attendait le prochain battement de ses paupières. Mais sa poitrine.. Elle aussi était figée. Le jour dehors s'était levé pour éclairer chaleureusement l'entrée, mais la prêtresse était déjà partie. Sa dernière lune s'était levée et disparaissait dans la lumière de l'astre du jour, au même rythme que ses pensées s'envolaient et se dispersaient comme sur des cendres sur lesquels on aurait soufflé.

Oh Akira.. Cela fait si longtemps que tu m'attends maintenant. Nous allons pouvoir attendre les autres ensemble, patiemment.

Elle avait bien survécu, Anianka. Elle s'était battu toute au long de sa vie pour se protéger, pour protéger ses proches et ses enfants. La malédiction ne lui avait pas rendu la tâche facile mais malgré tout elle avait réussi à changer de comportement. Par amour pour se progéniture elle avait fait passer leurs besoins avant les siens. Mais malgré cela, malgré la dureté de son éducation pour les préparer à la vie et les rendre forts ils finissaient tous par tomber. Akira, Méridor, Vénuve, Isrâ...  Trop s'en était allé, formant des trous de plus en plus profonds dans sa poitrine. Quand bien même cela avait été difficile pour elle de garder la tête froide elle le faisait pour eux. Et quel déchirement ça a été de les voir s’entre-tuer. Car chaque coups qu'ils se portaient résonnaient en échos sur son esprit et son corps à elle. Tant de coups assénés qui aujourd'hui l'ont finalement assassiné. Elle aurait voulu faire plus pour les aider, Anianka, mais son temps était passé et elle n'en avait plus la possibilité. C'était déjà trop tard.

Mais il en restait. Elle n'avait pas tout perdu. Mildred, Rhaegar, Elely, Maxim.. Et c'est pour eux qu'elle partait avec cette expression sereine et fière. Pour que leur cœur restent forts, pour que jamais ils ne se séparent ni ne baissent les bras. Pour qu'ils se souviennent d'elle comme d'une mère aimante et d'un modèle de détermination sans failles. Pour qu'ils sachent qu'à jamais elle les soutiendrait et qu'elle était fière de leur parcours.

N'oubliez jamais, mon sang, ma chair, mes bébés.. N'oubliez jamais que vous êtes des rois. Là où je vais je serais en paix en sachant que vous êtes encore debout. Faites plus que je ne l'aurai jamais fait : vivez.

Ce rp est daté quelques temps après la mort d'Isrâ. Seuls Moiro, ses proches et ses enfants peuvent y intervenir tant qu'elle n'est pas enterrée.

Ça ne pouvait pas être pire.
C'était ce qu'elle s'était dit, après la mort d'Isrâ.

Elle ne savait plus quoi faire tandis que le monde partait en cendres et en lambeaux. Elle ne savait plus où aller et vers qui.
Chaque fois qu'elle avait eu la sensation d'y être presque , d'avoir recollé les morceaux... Tout s'effilochait de nouveau.
Quand ensemble dans le Nord elles avaient été, Maxim, Elely, elle et leur mère, il avait manqué ces fuyards de Méridor et Rhaegar et Isrâ était resté derrière.

En sécurité, elles pensaient. Souffrant, en réalité.

Puis elles avaient fini par quitter ces contrées glacées, tout cela pour retrouver la route de leur aîné et les nouvelles sombres qu'il apportait avec lui.
Elle ne l'avait pas supporté et avait fui encore pour décharger ses émotions.
Avant de se résoudre à retrouver la trace des éléments manquants malgré tout et y parvenant presque.

Un contact fugace échangé avec Méridor au cœur des cendres et des flammes.

Puis la piste d'Isrâ qui lui paraissait plus proche que jamais après tous ces mois d'absence et de séparation.

Trouver son corps inanimé en conclusion à tout le chemin parcouru avait été le coup fatal à un cœur déjà trop abîmé.

Ça ne pouvait pas être pire, se disait-elle en disparaissant encore comme la poussière qu'elle était, fuyant le moment où elle devrait retrouver Elely, Maxim et Anianka pour leur annoncer le drame.

À Méridor aussi, il lui faudrait le dire...

Et tous ces poids étaient bien trop lourds pour des épaules qu'elle n'avait jamais eu très larges.
Mais elle ne pouvait pas errer pour toujours, pas encore, elle ne pouvait pas prendre le risque de voir les derniers éléments de sa famille se dissiper à nouveau.

Ça ne pouvait pas être pire, se répétait-elle en posant les pattes sur l'Ile aux Roses.
Les émotions qu'elle ressentait en venant ici gonflaient toujours comme une bulle qui oscillaient entre la joie, la tendresse, une nostalgie à lui serrer la gorge et des souvenirs plus sombres de déception, honte et désespoir.
Mais ça restait chez elle. Chez eux.
Et malgré ces vents contraires, ce qui pointait toujours le plus haut était la mince sensation de joie et d'apaisement au cœur d'une marée noire.

Elle s'approcha du temple à pas silencieux, soucieuse de ne pas déranger la quiétude du lieu, cœur battant.
Comment se présenter face à sa mère, face à Anianka la Prêtresse des Roses en apportant tellement de déceptions ?

L'odeur qui s'immisça dans ses narines la surprit un peu et la fit hésiter, sans pour autant la faire reculer.
Une fragrance à la fois familière et lointaine. Teddy venait sans doute lui rendre visite, à sa mère comme à Moiro.

Elle s'avança au bon moment pour entendre l'écho de ses mots finir leur vie dans ses oreilles.

Ses pattes s'arrêtèrent en même temps que son cœur.

Après un premier déni déjà vécu, elle serait incapable d'un deuxième.
Cette fois, à l'inverse, c'est un peu trop vite que son cerveau comprit tout.

Son souffle se bloqua dans sa gorge, incapable de dépasser ses crocs pour rejoindre l'extérieur. Tout en elle s'était figé et seuls ses yeux suivaient la scène devant elle comme dans un songe absurde.

Ça ne pouvait pas être pire, avait-elle asséné à son propre esprit, et pourtant ça l'était.

Mildred se mit à trembler. Elle se rappela le départ de son père -parti mourir par sa faute- et le corps d'Isrâ -sans doute mort aussi par la faute de leur absence.
Elle ne pouvait pas...
Les larmes se mirent à dévaler ses joues sans qu'elle ne les ait senties s'accumuler.
Elle ne pouvait pas aller la voir.
N'était même pas sûre de pouvoir si elle avait ordonné à ses pattes d'avancer. Il lui avait déjà fallu tant de temps pour se décrocher du corps d'Isrâ, et elle sentait... Elle savait que si elle allait s'allonger près d'elle, elle ne se relèverait plus jamais.

Un sanglot se mêla à un hoquet douloureux, elle se mit à reculer.

Pourquoi elle ? Pourquoi elle partait maintenant ? Est-ce que c'était encore de sa faute ? Est-ce qu'elle considérait pouvoir les abandonner parce qu'ils n'étaient plus assez bons à ses yeux après avoir perdus tous les autres ?
Est-ce qu'elle avait été une telle déception ?
Est-ce qu'elle aurait pu mieux faire et y changer quelque chose, au lieu d'être comme chaque fois un fardeau ?

Ses yeux brouillés ne voyaient plus que la scène en tâches floues et elle abandonna toute idée de dignité ou de discrétion en faisant volte face pour courir, courir loin, courir avant que quelqu'un d'autre de sa famille ne sache et ne la croise, courir avant que sa présence ne porte encore malheur à quelqu'un qui croiserait son triste sillage.

Tu sèmes la mort, Mildred.
Tu sèmes la mort.