Pour un conte — Kerguelen (& Stendhal)

Beurk les enfants. Vraiment, la pire crainte de Prudence, se retrouver en cloque et devoir s’occuper d’une armée de marmots. Parce que bon, suffisait pas de les mettre au monde, fallait se montrer « responsable » genre veiller sur eux, leur apprendre des trucs, pouvoir les protéger… s’inquiéter à chaque fois que l’un d’eux éternue. Bref, un véritable enfer. Surtout que si on ne faisait pas ce qui était jugé nécessaire, on se retrouvait avec l’étiquette du mauvais parent sur le front. Elle détestait pas les enfants de base, même si bon elle avait plus tendance à leur parler comme à des adultes… et faire des trucs d’adultes (genre leur montrer des serpents mortellement dangereux en cas de morsure comme avec Nymeria). Aussi pour leur sécurité (et s’éviter les foudres des parents) elle essayait de pas trop les approcher. Tout ça pour dire que si un jour elle se retrouvait avec des lardons entre les pattes… ce serait plus accidentel qu’autre chose… ou si l’autre parent n’avait pas voulu les récupérer, mais peut-être que son point de vue là-dessus changerait avec le temps.
M’enfin là c’était différent, parce qu’après Hedwige, il y avait Kerguelen qui venait de mettre bas… et que bon c’était compliqué d’éviter un peu ses amies. Surtout la deuxième. La Licorne avait ainsi repoussé l’échéance, profitant un peu de ses rencontres ou réfléchissant à certains mystères avant de finalement se décidé à rendre visite à Kerguelen. Après tout, cette dernière avait toujours été présente pour elle, c’était la moindre des choses que de lui rendre la pareille…

La nouvelle maman ne fut guère difficile à trouver.
Un sourire aux babines, elle s’approcha de la grise, sa queue nattée se baladant doucement.

« — Pas trop ennuyant de resté coincée ici avec des marmots ? »

Ça avait l’air en tout cas… m’enfin plus que quelques mois à tenir, fallait voir le bon côté des choses. Prudence sortit de sous sa cape un livre qu’elle avait récupéré à la bibliothèque. La reliure était plutôt usée, de même que la couverture et les pages sentaient le vieux livre. M’enfin c’était ce qu’il racontait le plus important, nan ? Un recueil de contes divers, de quoi occuper Kergu… et probablement les petits si ils pouvaient comprendre les histoires déjà.
La Nakhus tendit le livre à sa comparse.

« — J’t’ai apporté un bouquin, pour t’occuper. »

De quoi se changer les idées.

Prudence fut surprise par le contact de son amie, refermant sa patte sur Kerguelen pour la serrer un peu plus contre elle. Elle ne sentait plus comme avant. Mais ça s’arrête bien vite, quand l’un des gosses se met à crier… ah. Donc être parent c’était vraiment se retrouver esclave des petiots ? Su-per.
Un sourire gênée vint étirer les babines de la Licorne.

« — Oh euh non, je ne suis pas très douée pour faire la lecture. »

Elle n’aimait pas vraiment ça d’ailleurs… préférant de loin la lecture en solitaire. Essayant de se montrer tant bien que mal enthousiaste, la disciple de Moiro conserva son expression joviale.

« — Mais je peux rester un peu pour te tenir compagnie. »

La Nakhus s’installa à proximité de son amie sans pour autant entrer en contact avec elle ou les enfants. Les enfants c’était si fragile… mieux valait ne pas prendre de risque. Alors qu’elle lissait les pans de sa cape pour conserver une allure impeccable, Peter en profita pour sa faufiler, s’approchant de la grise.
Il ne leur ferait rien.

Le serpent continuait de s’étendre. Bien moins grand que ceux de son espèce, Peter n’en restait pas moins un mamba, ayant ainsi une certaine longueur. Prudence observa la réaction de son amie, se demandant si au-delà du frisson il y aurait autre chose. Une vive réaction, un rejet pour protéger les gamins. Le reptile ne mordait pas les loups et quand bien même, ses projets étaient minuscules et dépourvus de venin le rendant quasiment inoffensif.
Mais Kerguelen se contenta de comparer le serpent au forgeron.

« — Je crois que Fergus serait plus du genre à se servir de Peter comme d’un cure-dent… ou d’un amuse-gueule. »

Un personnage quelque peu grossier sur les bords, mais il faisait du bon travail, elle devait le reconnaître.

« — À mon avis ce serpent râle un peu trop. »

Prudy leva les yeux au ciel de manière exagérée. Peter aimait beaucoup siffler pour tout et rien, quand il faisait froid, quand il avait fait ou quand il était en période de mue. Un excellent râleur.

Hum l’histoire de sa rencontre avec Peter ? Ce n’était rien de très … excitant fallait pas se le cacher. M’enfin si c’est ce qui intéressait son amie.

« — J’étais assez casse-cou gamine. Les animaux vénéneuses ou avec de longues griffes je trouvais ça super cool, du coup j’aimais bien explorer. Je l’ai trouvé en retournant une pierre. Il était tout petit à l’époque, il a essayé de me mordre, mais je n’ai rien senti. »

L’absence de crocs descends pour cette espèce de serpent était plus qu’handicapante. Au moins, Peter avait-il pu profiter des chasses de Teddy pour se nourrir.

« — Puis il est resté à mes côtés depuis. »

Le regard se pose sur le reptile. Ils n’étaient pas des combattants tout deux, simplement deux curieux. Prudence fixa un instant les petits de Kerguelen.

« — Et leur père, comment as-tu su que … ce serait le bon ? »

Quitte à parler de rencontres.

Oh l’envie de se frotter aux dinos… une parmi tant d’autres. Y’en avaient des dangers qui l’intéressaient Prudence, sinon sa vie serait bien bien fade. Un sourire mystérieux vint étirer les babines de la Licorne.

« — J’aime tout ce que les autres considèrent comme dangereux. T’imagines pas tout ce qu’on apprend en étudiant le comportement des prédateurs, c’est fascinant… et ça peut te sauver la vie. »

La Licorne coinça son museau au creux d’une de ses pattes, lui permettant ainsi d’avoir une posture idéale pour écouter. Ça ressemblait aux histoires à l’eau de rose qu’on trouvait à la bibliothèque.

« — Des années ? Je sais pas si j’aurais été si patiente dis donc… Doit être vraiment très particulier ce Lestat. »

La disciple de Moiro ne le connaissait que de réputation… de même qu’Ajani. Les mâles ne couraient pas les galeries Nakhus fallait bien se l’avouer. Enfin c’était loin de déplaire à Prudy, une meute dirigée uniquement par des louves ça avait vraiment un p’tit charme.
Lorsque Kerguelen évoqua leur souhait commun de fonder une famille, un sourcil se hausse. La famille que devait représenter les Nakhus ne suffisait pas ? C’était pour ça que la plupart du monde avaient des enfants ?

« — Tu n’as connu que lui ? Très franchement je ne sais pas comment tu fais, je pense que je devrais être certaine d’avoir trouvé la bonne louve pour ne pas draguer ailleurs. »

Prudy lui faudrait un sacré déclic ou une louve vraiment spéciale… Le regard se baisse sur les deux boules de poils qui s’agitent. On dirait de gros vers. Avait-elle été comme ça aussi à la naissance ?

« — Et vous… prévoyez de rester ensemble jusqu’à la fin de vos jours ? »

Genre un seul et unique amour ?

Des papillons dans le ventre ? Prudence inclina son museau, intriguée. Ce genre de sentiments, elle ne les avaient jamais ressenti. Vu, oui, l’amour que s’étaient portés ses parents fut un exemple suffisant.
Mais le ressentir c’était différent.
En entendant Kerguelen étaler ses sentiments, la Licorne ne put s’empêchée de ressentir un pincement au coeur en pensant à Violette. Lui qui avait de toute évidence… quelques émotions naissantes pour la sans-oreilles.
Et lui a-t-il l’impression d’être détruit à défaut d’avoir les papillons ?

« — Je n’ai jamais aimé, pas comme toi avec Lestat en tout cas. Papillonner, comme tu le dis si bien, ça évite justement tout engagement et … les complications. »

Le regard se pose sur les louveteaux.
Le genre de complication que Prudence ne souhaitait pas. Conservant le silence un instant, la cornue finit par se relever.

« — Bien, je vais te laisser te reposer. »

Sa truffe vint toucher celle de la grise, avant de prendre congé.