Et si seulement j'avais pu te dire ce que j'avais sur le cœur
Pu tenir les propos qui résonnent à l'intérieur
Les mots qu'on chuchote sur le pas d'une porte
La vie était un peu comme la mer. C'est la pensée qui lui venait, ce soir-là, alors que le couchant embrasait ses longs cheveux de feu et dessinait plus nettement la raie orangée de son dos. Là-bas, au pied des falaises, l'océan allait et venait. Tantôt haut, tantôt bas, sans jamais s'arrêter. L'existence était un peu comme ça, quand on y songeait. Certaines périodes le voyaient plus bas que terre, puis il remontait la pente et laissait un peu ses démons de côté pour se sentir plus à sa place. Et puis tout recommençait. Au moins avait-il durant cette dernière année le sentiment d'avoir fait son possible pour devenir un membre plus émérite des Etelkrus. Son corps qui avait toujours eu l'air un peu gringalet l'était moins ; sous son pelage s'étaient dessinés quelques muscles, qui certes n'égalaient pas ceux de sa soeur ou des braves combattants que l'on enscençait. Mais lorsqu'il voyait son propre reflet, cela lui suffisait.
Il faisait des offrandes ou des visites à Dairo presque chaque jour, participait aux patrouilles et aux chasses. Au début, il avait dû se faire violence pour ne pas se sentir ridicule. mais il avait fini par trouver en lui la même détermination que celle qui l'avait mené jusqu'au glowstick orange, et s'était battu. Il avait réussi à devenir un chasseur correct. Il avait récolté une cicatrice sur le flanc en chassant un puma de leurs terres - pas seul, bien-sûr, mais c'était mieux que rien. Son poitrail s'était fait plus carré, ses épaules aussi. Il avait appris à courir plus vite, à bondir plus loin, à frapper plus fort.
Oh, bien-sûr, le loup qu'il était n'avait pas tellement changé. Il s'était passionné par l'étude des plantes et des petits animaux, pour pouvoir les représenter au mieux grâce à son don. Il hésitait même à demander conseil à leur alpha Holly, mais la crainte qu'elle trouve sa demande complètement loufoque n'était pas entièrement effacée. Il croisait Anita souvent, et il s'en satisfaisait jusque là. Sa compagnie illuminait les journées durant lesquels il pouvait passer un moment avec elle, et il avait constaté que quelque-chose en lui s'était apaisé. Il ne ressentait plus la même douleur à la voir - peut-être parce qu'elle ne s'affichait jamais avec compagne ou compagnon, et qu'il se jetait sur l'idée qu'elle préférait peut-être juste la liberté, qu'il n'était pas si misérable au fond. Ce n'était pas facile.
Mais il avançait. Petit à petit.Ah, si seulement je m'étais rappelé
Que la vie n'a pas de temps pour les regrets
Ah, si j'avais l'audace
Des plus grands combattants
Le vent qui soufflait en haut des falaises, par intermittence, gonfla ses cheveux en une brève bourrasque. Il cligna des yeux, alors que sa truffe s'emplissait des parfums iodés qu'il transportait. Il se sentait étrangement calme, alors qu'il aurait dû être si nerveux. Il avait enfin osé proposer à Anita de se voir simplement pour discuter, pour se promener ensemble, pas pour une patrouille ou une mission quelconque. Il n'avait pu s'empêcher de remarquer l'air préoccupé qu'elle et Holly avaient souvent affiché ces derniers temps - plusieurs événements étaient venus troubler l'harmonie de la meute, et leur poids paraissait lourd à porter. Il avait rangé très loin au fond de son coeur la pensée que de toute façon il n'était personne pour pouvoir songer à ce qu'une promenade avec lui soit réconfortante, et il l'avait simplement... invitée ? Il se rendait le soir au temple de Dairo, et les falaises offraient un agréable point de rencontre. Surtout par un si joli soir d'hiver.
J'aurais conquis ton âme
Oh mon amant j'aurais
J'aurais fait tout cela, et bien plus encore
Je t'aurais dit "je t'aime" jusqu'aux aurores
Il ne savait pas trop ce qu'il espérait de cette rencontre, mais il s'était convaincu qu'il était temps de mettre définitivement ses doutes de côté pour simplement lui dire ce qu'il ressentait. Il caressait l'espoir que même si ce n'était pas réciproque, elle reste sympathique. Après tout, cette déclaration n'était pas une demande de quoi que ce fut en retour. Pourquoi était-ce si compliqué de dire cela ? N'était-ce pas si simple pourtant, d'aimer ?
J'aurais brisé le verre de mon silence
Je l'aurais façonné dans un mur de faïence
Ça paraît si facile, posé sur ce papier
Ça paraît si fragile