Je t'attendais [Ft Anita ]

La plupart du temps, Anita profitait de son temps à la Moere les quatre pattes au sol.
Les ailes sagement rangées le long des flancs et son corps agile en communion avec le lieu, elle parcourait les racines et les berges sans se presser, grimpait à quelques arbres pour emprunter des ponts aériens, s'allongeait sur une souche ou un rocher surplombant une mare pleine de vie.
C'était ainsi qu'elle appréciait le mieux les heures au sein de la Moere, comme avant.

Car c'était sans ailes qu'elle y avait grandi et appris à l'aimer, sans ailes qu'elle avait pourtant réussi à voler entre ces cimes et ces branches tortueuses.

Il lui arrivait quand même de temps en temps de se hisser le long de l'un des plus hauts troncs pour aller percer le sommet du feuillage et, là, étendre lentement ces ailes qui naquirent ici.
En pleine chute libre, avant de s'écraser au sein du marais.
Les membranes goutaient alors l'air puis s'en gonflaient comme voiles au vent, et Anita s'envolait à la guise d'un courant chaud et se laissait porter pour quelques virevoltes au-dessus des marais.

Et il s'agissait là de l'un de ces jours où les claquements discrets de ses ailes se mêlaient au sifflement du vent.
Les yeux mi-clos, la Prêtresse alternait les chutes à peine contrôlées pour se laisser ensuite planer et les voltiges plus sportives qui electrisaient son corps d'un sentiment palpitant.
Mais comme d'habitude, quand pointait au milieu des autres arbres la silhouette reconnaissable de l'Arbre avec une majuscule...

Anita entamait alors sa descente en cercles de plus en plus serrés jusqu'à traverser les branches.
Mais cette fois-ci, elle ne fut pas seule à son arrivée en son royaume. A quelques mètres de là se tenait Litchi, qui avait bien grandi depuis le jour où l'enfant lui avait demandé à devenir son apprentie.
Un sourire releva les commissures de l'Alpha et plissa ses yeux dans une expression rieuse qui lui était coutumière.

— Litchi ! Où en es-tu de ton recensement de toutes les espèces de serpents ?

Elle lui fit un clin d'œil et ponctua sa taquinerie d'un rire léger.
La fille de Perrine n'était qu'une enfant lorsqu'elle annonça ce projet fou, elle était maintenant une adolescente qui avait sans doute tout un tas d'autres choses en tête - et un corps qui s'était développé, aussi.

La Prêtresse ne put que se joindre au rire de la jeune louve quand elle eut sa réponse. Bon, elle s'en était doutée : si la volonté de l'enfant avait trahi son attraction pour la faune de la Moere et l'avait brièvement passionnée comme pour tant d'enfants, ce n'était pas un projet qui avait survécu à sa croissance.
Plutôt, c'était une autre facette de la rose qui s'était consolidée et affirmée. Elle était aussi dynamique et vivante que lors de ce premier moment passé ensemble et elle ne s'était pas égarée de son envie de s'intéresser davantage à cet endroit comme à celui qui en était le maître. Kiro. Et elle avait été le voir pour s'y confronter.
Anita écouta son récit explosif le sourire aux lèvres et les yeux pétillants. Nul doute ; c'était bien là une attraction digne de l'Anaconda à laquelle elle avait eu le droit.

Un avant-goût de sa future épreuve, sans doute. Au moins, au vu des yeux exaltés de Litchi et de l'excitation qui parcourait son corps, cela lui avait permis de confirmer son orientation, pour le plus grand plaisir d'Anita.
Il ne faisait plus aucun doute pour elle qu'elle porterait bientôt un glowstick jaune.
Mais avant cela...

—  Quelle aventure extraordinaire ! Je suis ravie que tu t'en sois sortie en un seul morceau, sinon j'aurais du m'expliquer avec ta mère.

L'hybride marqua une courte pause, juste le temps de hausser les sourcils pour appuyer sa plaisanterie.

— Bon, par-contre, si t'as déjà réussi son premier parcours ça veut dire que celui de ton épreuve sera autrement plus difficile... Alors je sais pas ce que t'en dis mais je pense qu'il va falloir s'y mettre dès maintenant pour être à la hauteur, non ?

Anita se redressa, une lueur flamboyante au fond des yeux et un rictus de défi sur les lèvres. Litchi avait demandé à être son apprentie et elle comptait bien ne pas tarder plus longtemps pour préparer la future jaune.

— Puisque t'as déjà de l'expérience de l'endroit... On va y rester pour voir comment tu t'en sors. Suis-moi, m'oblige pas à t'attendre et... ne tombe pas.

Et sans l'attendre, après un clin d’œil malicieux et une langue qui sortit brièvement de ses crocs pour la narguer, Anita fit volte face pour se mettre à courir dans la Moere. Elle voulait de la vitesse, de l'adrénaline, sentir l'air brûler le fond de sa gorge et ses poumons ?
Ça tombait bien, ça plaisait aussi à Anita.
Au rythme d'un cœur qui se mit à battre plus vite entre ses côtes, la Prêtresse de Kiro commença à prendre de la vitesse - pas trop quand même, le temps de voir à quel niveau la rose s'adapterait - et à s'enfoncer dans les marais, ses yeux bondissant de tronc en rocher pour trouver des itinéraires dignes d'un challenge.
Sans prévenir, elle bifurqua vers un premier obstacle : un éboulement de rochers mousseux, humides et traîtres, prêts à se déloger au moindre faux pas.

D'une détente des postérieurs, elle gagna le milieu de la butte formée par le tas de cailloux et enchaîna les foulées expertes pour avaler toute la hauteur avant de sauter de l'autre côté.

• • • • •

Le cross des marais - Pour chaque obstacle, un lancer de dés Réussite en AGI à effectuer

RC - Excellent ! Litchi franchit l'obstacle avec fluidité, une experte.
RS - Bien, c'est pas encore parfait mais l'obstacle est passé sans trop de difficulté
ES - Oups ! Le terrain est pas simple et les pièges sont nombreux : la chute est pas passée loin, Litchi a perdu du temps et ce fut laborieux, mais elle est parvenue à passer quand même.
EC - Complètement raté. Litchi est bloquée : Anita doit s'arrêter pour venir l'aider.

Un regard en arrière, quelques mètres après avoir franchi l’éboulement, lui permit de s’assurer que Litchi commençait bien. La louvette ne déclencha pas de catastrophe en faisant tomber un caillou qui aurait pu amener tout le reste de la pyramide instable à s’effondrer et elle vit émerger le bout de ses oreilles roses dans un délai raisonnable.
Comme promis, Anita ne s’était pas arrêtée : elle n’était pas repartie à grande vitesse, certes, mais elle voulait voir ce que Litchi avait dans le ventre et combien d’énergie elle avait à revendre. Il lui faudrait lutter, en plus des obstacles, à ne pas se laisser distancer lors de la course dans la jungle. Pas question donc de faire de pauses hors en cas d’urgence.

Déjà les yeux vifs de la Prêtresse sondaient à nouveau la zone pour trouver la prochaine épreuve de sa jeune apprentie.
Pourquoi pas ce vieux tronc étroit et probablement moisi par endroits ?
Oui, ce serait parfait. L’écorce était noire d’avoir longuement pourri au-dessus d’une mare vaseuse, souvent creuse d’avoir été dévorée par des insectes. Si la force et la vitesse étaient mal dosées, une patte pouvait facilement faire voler en éclat le bois abîmé et passer à travers.
Pire encore, ce qu’il restait du tronc pouvait se briser net et faire chuter dans l’eau boueuse.

Adoptant cette fois un trot, Anita s’engouffra sur le tronc tombé et le traversa sans encombre, déjà prête à reprendre le galop une fois la terre ferme regagnée, mais les oreilles orientées vers l’arrière pour suivre la progression de son élève grâce aux sons.

Nul besoin de tourner la tête vers la scène pour comprendre que cette fois, Litchi fit face à un peu plus de difficulté : un juron et le son de l'écorce qui éclate furent des indices bien suffisants qui amenèrent d'ailleurs un sourire amusé sur les lèvres d'Anita.
La Prêtresse ne s'arrêta pas tout de suite : elle avança encore de quelques foulées puis se posta sur un rocher un peu en hauteur pour faire volte-face et de là, à demi camouflée par la végétation, observer comment son élève se tirait de ce mauvais pas.
Il n'y eut pas longtemps à attendre : la jeune louve ne s'était pas formalisée du léger contre-temps et de la boue glanée au passage et avait déjà repris sa progression le long du tronc, déterminée à en venir à bout.

Le sourire de l'hybride se fit plus large et après un signe de tête qui était davantage pour elle-même que pour la louve rose, elle tourna sur elle-même d'un geste vif pour aussitôt repartir dans sa course sans que Litchi ne puisse se rendre compte de rien.
Sa foulée se refit rapide et fluide en quelques secondes et sans tarder ses yeux se remirent à inspecter la zone pour trouver une prochaine épreuve.
Ah ! Il y avait un peu plus loin un enchevêtrement de racines de toutes tailles, certaines plus épaisses que d'autres, qui s'enroulaient et s'entremêlaient dans un réseau complexe et dense. Typiquement le genre de passage qu'habituellement on évitait pour préférer un passage dégagé, mais pour le bien de l'exercice, Anita voulait voir à quel point la future disciple de l'Anaconda avait la capacité de se mouvoir comme un serpent à défaut d'avoir choisi de les étudier.
Sans ralentir, elle rejeta la tête en arrière pour aboyer un encouragement dans la direction de la rose.

— Allez, on faiblit pas ! Il va falloir ramper et pas se coincer !

Et avec un enthousiasme qui ne faiblissait pas, l'Alpha se jeta au sol pour glisser dans le mélange de boue et de vase et tortiller son corps agile à travers le réseau de racines.

Cette fois-ci, pas de déconvenue particulière pour son élève. Elle s'engagea sur l'obstacle avec ce même enthousiasme qui l'animait depuis le début, pour le plus grand plaisir d'Anita, et elle se faufila à travers le réseau des racines serrées les unes contre les autres.
De rapides coups d'œil vers l'arrière, la Prêtresse put superviser la progression de son élève : parfois fastidieuse, mais dans l'ensemble efficace.
Et chaque fois que Litchi s'extrayait de l'obstacle qu'elle venait de vaincre, elle semblait encore plus déterminée à se donner dans l'exercice.

Bien.

C'était une mentalité que Anita aimait, et elle allait continuer de l'exploiter. Elle ne laisserait pas la jeune louve la rattraper : elle l'amènerait au bout et au bord de l'épuisement, elle la forcerait à se confronter avec ses propres limites.
Sans prévenir Anita bondit sur un côté en direction d'une nouvelle épreuve.
Cette fois, ce qui les attendait ne demanderait pas que de l'énergie et de la volonté, mais un bon degré de légèreté aussi : une mare les attendait, sur laquelle reposaient de larges feuilles similaires à des lotus, étendues sur la surface de l'eau stagnante.

À première vue, les feuilles étaient épaisses et formaient de larges plateformes. Mais il ne fallait pas s'y laisser prendre : un coup de patte trop appuyé, et le végétal céderait.

Prenant son élan, Anita s'engagea sur le chemin fragile, sélectionnant par la force de l'habitude les appuis les plus sûrs et appuyant juste la force nécessaire à se déplacer sur les feuilles qui ne supportaient pas longtemps le poids d'un corps avant de couler.

Le schéma établi se poursuivit : Anita se retournait d'un geste rapide après chaque petite épreuve pour vérifier comment s'en sortait son apprentie, et celle-ci était toujours affairée à le franchir avec le sourire et une flamme déterminée dans le regard.
Cette fois ne fit pas exception quand l'adolescente aux couleurs fruitées s'elança sur les végétaux devenus plates-formes instables et bien que certains percèrent la surface pour couler, la plupart soutinrent son appuis juste assez longtemps pour qu'elle puisse passer sans encombre et la rejoindre.

Cette fois-ci, Anita était restée plus longtemps immobile à la fin de l'obstacle. Juste assez pour pouvoir accorder à Litchi un clin d'œil, un sourire et un hochement de tête satisfaits avant de repartir à toute allure de toute la force de ses longues pattes.
Qu'elle tienne encore un peu, l'exercice commençait à amorcer sa fin.
Elle n'allait pas la ménager pour autant : puisque la louve faisant preuve d'un enthousiasme à toute épreuve, la Prêtresse était prête à voir un peu où se situaient ses limites. Pour les cerner et mieux les travailler.

Sa course la mena cette fois-ci vers un endroit de la Moere où le relief avait scindé la terre en deux niveaux : elles couraient sur le plus bas, tandis qu'un mur de terre et de roc mêlées se dressait devant elles.

— On escalade !

Et sur cette instruction aboyée en hâte, l'hybride s'elança à l'assaut du flanc de terrain - plus petit qu'une falaise, mais pas si éloigné dans l'idée.
Un mélange de racines, mottes de terre et rocher constituaient de quoi se hisser jusqu'en haut : en somme, beaucoup d'aides et d'asperités qui en faisaient un objet relativement simple à escalader, mais avec l'épuisement et la jeunesse de son apprentie, des erreurs pouvaient néanmoins arriver.

Parvenue en haut en quelques secondes - et sans les ailes, évidemment - l'Alpha s'immobilisa à nouveau pour se pencher par-dessus le rebord et superviser la progression de la fille de Perrine.

Toujours emplie de hargne et de motivation, Litchi ne laissa aucune fatigue transparaître quand elle s'attaqua à l'escalade. Perchée depuis sa hauteur, Anita put suivre toute la scène et quand enfin son apprentie parvint en haut, essoufflée mais armée du même sourire et de la même envie au fond des yeux qu'au début, elle ne manqua pas de la féliciter.

— Eh bien, je dois dire que pour une première séance tu m'as donné un beau spectacle !

D'une patte qu'elle posa sur les épaules de la rose elle mit son compliment en emphase.

— Bon, il y a du travail bien sûr. Et heureusement, sinon je ne servirais à rien. Mais je pense qu'on va pouvoir te préparer à briller pour Kiro.

Son sourire se fit plus ferme. Si l'apprentie qu'elle allait présenter à l'Anaconda marquait les esprits, la Prêtresse n'en serait que plus fière. Elle comptait faire d'elle une discipline pleine et entière du Dieu Serpent.

— Nous nous retrouverons à intervalles réguliers pour travailler, sois en forme et continue de travailler tes acquis même les jours où nous ne nous voyons pas. Et si tu manques une séance, eh bien... Tant pis, tu prendras du retard, c'est toi qui voit.

L'Alpha haussa les épaules. Elle était moins stricte envers ses apprentis que ne l'avaient pu l'être Pepper ou même sa mère : non pas qu'elle n'y accordait pas d'importance, mais elle estimait que si ses élèves désiraient réellement progresser, la rigueur naitrait d'elle-même.

— En attendant tu as bien mérité un peu de repos. C'est important aussi, pour laisser à ton corps le temps d'assimiler les progrès.

Au vu du caractère de la jeune Litchi, elle se sentit obligée de préciser.
Et sur ces paroles, elle invita l'adolescente à la suivre pour regagner le Castel, où sa famille serait certainement heureuse d'apprendre le déroulement du début de son mentorat et où elles pourraient partager un bon repas.