L'art de plaire | ft. Anita

Même si elle n'avait plus rien à y chercher, Anita était tout de même souvent présente dans la lande. En tant que terre frontalière, elle prenait régulièrement le temps de la survoler ou de la parcourir comme n'importe quelle autre patrouille le ferait, aux aguets.
Il y avait parfois de jolies rencontres à y faire, aussi.
Mais aujourd'hui ce ne serait pas un solitaire en quête d'un nouveau foyer qui se présenterait à elle, mais un disciple de l'Anaconda qui avait déjà sa place.
Et un fils, même.

Anita interrompit sa marche lorsque la voix l'interpella et attendit que Zen la rattrape, oreilles hautes et curieuses.
Elle haussa un sourcil et plissa l'autre quand il déclama la raison de cette discussion qui s'entamait et qu'elle surprit, surtout, un air sérieux qu'elle n'avait pas l'habitude de lui voir.

— Ah oui ? Je t'écoute.

Sa voix à elle était intriguée.
Si elle n'avait encore jamais échangé plus que quelques banalités avec Zen au détour d'un couloir du Castel elle le savait néanmoins haut en couleurs - comme tout disciple jaune se devait pratiquement de l'être - et elle hésitait encore sur la tonalité de ce qui allait suivre.

Sa requête de haute importance était-elle une sorte de plaisanterie rondement menée ou avait-il un problème, peut-être même une urgence, à lui confier ?

Malheureusement pour Zen, Anita n'était pas la personne la plus apte à relever les sous-entendus qui se cachaient sous ses phrases. Elle se fit pourtant attentive à ses moindres mots, mais ce qui ressortit était avant tout ce qu'il lui disait bien littéralement. Que sa meilleure amie avait une place importante dans sa vie.
Et cela était une explication suffisante pour l'Alpha sans avoir besoin de se questionner sur la nature de cette amitié et ce vers quoi elle pourrait déboucher.
Oh, elle n'y était pourtant pas ignorante : sa propre sœur et Holly étaient passées d'amies soudées et toujours fourrées ensemble à couple romantique.
Mais depuis les choses avaient changé, beaucoup d'années étaient passées, et de ces hauts et ces bas Anita avait surtout mémorisé que l'amour blessait davantage que l'amitié.

Aussi préféra-t-elle volontiers ne voir que le plus heureux dans ce que Zen lui disait, tout comme elle trouva logique et gentil de vouloir faire plaisir à son amie.
Elle pencha la tête sur le côté face au loup gris, pensive vis à vis de sa demande.

—  Mhh... T'as pas simplement essayé de lui dire ? Si vous êtes de bons amis, t'as rien à lui prouver, tu sais.

C'était ce pour quoi les amis étaient faits : pouvoir passer des moments ensemble sans se soucier de devoir répondre à une quelconque attente.
La certitude d'être reçu avec un sourire et un éclat dans le regard.

— Moi aussi j'ai un ami un peu difficile à comprendre.

Différent et unique.

— Pour autant, je ne sais pas si c'est en cherchant à l'impressionner que vous renforcerez votre lien. Pourquoi ne pas juste passer du temps avec elle à partager les choses qu'elle aime pour lui montrer ton affection ?

L'hybride finit par s'asseoir.

La perspective de simplement poser des mots sur l’affection forte qu’il lui portait ne sembla pas être sa solution préférée - Anita pouvait le comprendre en soit, révéler la force de sentiments était un exercice difficile pour certains. D’autres appelaient même cela faire preuve de vulnérabilité, ce que la louve avait bien du mal à comprendre. Il fallait au contraire un certain courage pour assumer la pleine puissance des mots et accepter de partager ce qui pouvait être difficile à formuler au lieu de le garder pour soit.
Oreilles toujours droites, elle attendit la suite de ses réactions et demeura appliquée à essayer de suivre et retenir toute information qu’il lui livrait pour le conseiller au mieux.
Le passage sur l’ambiguïté de leur relation lui fit relever une commissure dans un sourire malicieux, et la suite alluma un éclat dans ses yeux, comme si la réponse s’était d’elle-même profilée dans cette suite de questionnements.

— Oh ! Dans ce cas, pourquoi ne pas lui demander de t’enseigner une partie de ce qu’elle connait ? Ce sera l’occasion de passer encore du temps ensemble et de partager quelque chose qui est important pour elle. Ça lui montrera aussi que tu t’intéresses à ce qu’elle fait, reconnaît sa valeur et voudrait bien apprendre d’elle pour lui rendre un peu la pareille ?

S’intéresser aux centres d’intérêt d’un ami était après tout l’une des meilleures preuves d’affection que l’on pouvait démontrer. Et s’il s’agissait d’une guerrière renommée quand lui avait d’autres qualités et un rôle différent, d’après ce qu’il semblait dire… Ce serait un échange de compétences auquel ils pourraient procéder.
Anita pencha un peu la tête sur le côté, son sourire plus large.

— Qui est cette formidable amie qui prend si bien soin de tes arrières, par ailleurs ?

La question était peut-être indiscrète et Zen l’esquiverait peut-être, mais Anita avait toujours été curieuse et prompte à s’immiscer dans les zones d’ombres.

Au vu de l'expression de son visage, Zen ne semblait pas tout à fait convaincu. Curieux. Anita était perplexe : le loup gris souhaitait communiquer à une amie chère l'affection qu'il lui portait et lui montrer qu'elle pouvait compter sur lui, mais il n'avait pas l'air enchanté de découvrir son monde et de sortir de sa zone de confort pour apprendre d'elle ?
Elle ne tarda cependant pas à obtenir réponse quand le Corps révéla qui était cette louve qui occupait tant ses pensées. Et en effet, elle la connaissait bien.
L'Alpha leva un sourcil amusé, sourire au coin des lèvres, face aux évidentes différences entre Sakura et Zen. Peut-être comprenait-elle un peu mieux pourquoi il n'était pas partant pour partager tout le quotidien de la guerrière, lui qui était plus... délicat.

Ce qu'elle ne comprenait toujours pas, en revanche, c'était sa gêne évidente vis à vis de l'affection qu'il lui portait et qu'il souhaitait tenir pour secrète.
La louve fronça un peu les sourcils et pencha la tête sur le côté.

— De toute façon ce n'est pas à moi de lui dire, mais... Pourquoi tant de retenue ? Elle mérite de savoir que tu tiens à elle. On est toujours heureux d'apprendre de la bouche de nos amis que l'on compte pour eux.

Même si les gestes et le langage non verbal pouvait parfois suffire, même si certaines choses se sentaient sans avoir besoin de s'exprimer... Cela ne faisait jamais de mal non plus de se le voir confirmer par des paroles claires qui ne laissaient pas de place au doute.

Le regard de Zen se fit fuyant et Anita en suivit la direction, un peu par réflexe, nez levé vers le ciel elle aussi. Il ne trouvait donc pas la force de confier ses sentiments, chose que la louve pouvait comprendre, quelque part, tout en trouvant cela dommage.
Puis... Au fur et à mesure de ses paroles et de son éclaircissement général de la situation, l'Alpha finit par avoir un début de révélation qui alluma un éclair de compréhension dans ses yeux violet.

Peut-être que quand il parlait de tout cela, de ce qu'elle avait assimilé comme une amitié forte et un amour général, il lui confiait finalement qu'il pensait à elle d'une manière... Différente. D'un pan de l'amour qui, encore une fois, semblait bien plus difficile à gérer et générait davantage de troubles que la facilité d'un amour sans jalons définis.
Anita soupira et offrit un regard compatissant à Zen.


— Oh. Je crois que je comprends un peu mieux ton... Problème.

Elle avait hésité sur le dernier mot, peu certaine de la façon de résumer ça - encore une fois, Anita avait une relation particulière à toutes ces questions.
Et surtout, surtout, elle considérait malgré tout que cela ne devrait l'empêcher en rien d'exprimer la force de ses sentiments, quels qu'ils soient. Cela ne voulait pas dire les imposer à Sakura - simplement lui laisser savoir sans ambiguïté, plutôt que de chercher toute sa vie à le lui faire comprendre et à espérer dans l'ombre.

— En tout cas, je ne reviens pas sur ce que j'ai dis. Tu devrais lui dire un jour ce que tu ressens, même sans rien attendre en retour. Les non dits finissent toujours par blesser.

Sans même s'en rendre compte, un air plus grave s'éteint peint sur ses traits. Mais elle le balaya bien vite d'un nouveau sourire alors qu'elle se pencha vers Zen, l'œil pétillant.

— Et je persiste : avec ses amis, on fait en sorte de s'intéresser à leur monde ! Alors si tu cherches simplement à continuer à passer de bons moments avec elle, laisse-la t'apprendre ce en quoi elle excelle sans chercher à tout prix à la surpasser.

La louve ponctua sa remarque d'un clin d'œil appuyé. Chacun son domaine, après tout.