Rituel de la Pleine Nuit - Orage - Susie

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Loin de partager l'excitation de Paquot, Susie était anxieuse. Cherchant à se détourner de ses habitudes d'automutilation, ne souffrant que trop pour s'infliger volontairement cette nouvelle blessure qui tendait à cicatriser, la grande louve s'était tourné vers un autre vice : le rhum. Elle espérait être ainsi suffisamment désinhibée pour être en capacité de prendre de la distance, et pouvoir appréhender la situation avec une capacité d'action, si ce n'était celle de la réflexion.

Pourtant, elle ne pouvait être qualifiée de sereine, Susie, lorsqu'elle se retrouva sur un Navire bourlingué par les vagues, tentant de garder le contrôle de son grand corps dégingandé, constatant avec horreur que la barre faisait des tours en roue libre.
Et, pour couronner le tout, puisque les choses peuvent toujours être pires qu'elles ne le sont, un éclair finit d'empirer la situation, frappant l'un des mats qui s'échoua sur le pont. Non seulement perdait-elle un moyen de propulsion, non seulement son véhicule se voyait d'autant plus abîmé, mais en plus craignait-elle que Navire ne s'offense sous le coup de cette blessure - elle avait eu vent, par son père, de certaines péripéties qui témoignaient d'un caractère difficile de cette entité magique lorsqu'on ne la soignait pas.
- Et merde.
Son familier n'aurait pas dit mieux.

L'adrénaline la dégrisa totalement, ou presque : trop absorbée par l'urgence de la situation, la pirate en oublia que ce n'était qu'une épreuve.
Et c'était bien mieux comme ça, puisque devant la menace pour sa vie - ou pire, d'une blessure qui lui vaudrait une nouvelle souffrance chronique - elle se voyait obligée de penser vite, et surtout, d'agir rapidement.
Il n'était pas question de reproduire le tort qu'elle avait eut face à Céto : foncer tête baissée face au danger.

- J'commence par où ?
C'était la façon qu'elle avait de se canaliser : se parler à elle-même. Ça ne lui était jamais arrivé, auparavant : tout comme le fait de devoir s'éviter le naufrage, après tout.
Et, courant vers la barre de sorte à y apposer ses lourdes pattes avant, elle poursuivit son monologue, malgré son essoufflement.
- Prio : redresser la barre !
Il fallait absolument reprendre le contrôle de Navire. La louve ignorait encore pourquoi celui-ci se retrouvait dans tel état : se laissait-il complètement aller, était-il inconscient ou, au contraire, était-ce là le témoignage d'une émotion violente ? C'était un mystère qu'elle résoudrait ultérieurement : il lui fallait pour le moment s'accorder un délai supplémentaire en empêchant cette fichue barre de tourner à vau-l'eau.

Pourtant, avant même d'user de sa force brute pour dompter la barre, faudrait-il qu'elle parvienne à stabiliser son propre corps : les deux postérieurs sur un plancher glissant dont le mouvement était soumis à la houle, les deux antérieurs sur un agrès lui aussi soumis aux caprices de l'Océan.

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- Fais chier !
Un juron qui ne signifiait pas l'abandon pour autant. Elle tenterait, encore et encore, de maîtriser ce grand corps qui lui portait tant préjudice, et qu'elle avait sans doute trop longtemps cherché à cacher, plutôt que de le travailler pour en faire un réel atout.
Cette fois, Susie état bien décidée à faire fi de ce que la nature - et les gènes de son père - lui avait offert : ses deux queues. Avant de se redresser, elle s'assura d'apposer celle-ci à plat derrière elle, de sorte à se stabiliser au mieux. Elle se concentra, aussi, davantage sur ses antérieurs : leur positionnement et la façon dont ses muscles se contractaient sous cet effort, la posture debout étant loin d'être naturelle.

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Se redresser, c'était fait ! Et il semblait bien que c'était là la bonne technique, puisque malgré les bourrasques et l'eau baignant le plancher, la posture de la pirate était relativement fixe : si ses antérieurs glissaient bien évidemment, ses queues permettaient de les caler suffisamment pour qu'elle puisse tenir une position verticale.
Il sembla même à la louve être en mesure d'apprécier le vent lui fouettant le visage et les fines particules d'eau de mer mouillant son pelage. Si la sensation était douloureuse, elle était également grisante ! Et, quelque-part, cette épopée répondait à son besoin d'aventure, même si au creux de son estomac ses tripes se nouaient sous l'effet de la peur.

Il était maintenant question de dompter cette barre qui pensait pouvoir n'en faire qu'à sa tête sans en subir les conséquences. Mais c'était mal connaître Susie.
- À nous deux, l'bout de bois !
Un bout de bois finement ouvragé auquel l'Océan avait insufflé une bonne dose de magie, mais un bout de bois tout de même.

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Susie ne se serait jamais imaginé qu'il était si dur de manier une barre lors d'une tempête. Pourtant, ce constat n'était pas surprenant : après tout, c'était contre l'Océan lui-même qu'elle menait aujourd'hui ce bras de fer. Comment, alors, pourrait-elle procéder pour décupler sa force ? Une fois encore, il lui fallait faire usage de ses méninges plutôt que de se contenter de l'évidence.
Elle évinça l'idée foireuse d'user de ses dents aiguisées: tout ce qu'elle y gagnerait, ce serait de se péter un croc, ou pire, la nuque. Aussi, ses deux queues et ses antérieurs étaient hors jeu, occupés à conserver tant que faire se pouvait sa posture érigée.
Ce fut finalement la métaphore qui lui avait traversé l'esprit plus tôt qui fut à l'origine d'une épiphanie.
- Un putain d'bras d'fer !
Jeu qu'elle se plaisait à pratiquer, non seulement parce qu'elle était plus forte que la majorité de ses adversaires, mais aussi parce qu'elle avait fini d'acquérir la meilleure des techniques pour la mettre à profit : le hook.
- Poignet au contact, épaules au dessus des pattes, pattes au corps, on tire et on pousse !
Et, tout en se parlant, elle s'exécuta pour corriger la posture de la partie haute de son corps. Ses carpes vinrent enserrer les prises du gouvernail, quand les muscles de son dos se tendirent pour l'élever encore davantage et la rapprocher de la barre. Enfin, elle ajusta sa force, jusque-là dirigée de façon anarchique, pour la concentrer en un mouvement complexe de courts va et vient.

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Voyant le gouvernail ralentir sa course effrénée sous l'effet de ses efforts, la pirate sur fit la réflexion qu'elle devrait sans doute faire usage de ses méninges plus souvent à l'avenir. Elle constata aussi que le combat n'était pas gagné d'avance : si elle voulait mettre la suite de son plan à exécution, il fallait qu'elle s'assure une maîtrise parfaite de Navire - ou au moins de sa barre. Conservant la posture précédemment acquise, Susie fit pivoter son corps et tourna ses épaules dans la direction inverse à celle de la rotation qu'avait adopté le gouvernail plus tôt. Se faisant, elle utilisa la force de son épaule et le poids de son corps pour arriver à ses fins.

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Prendre Navire en patte était maintenant chose faite, et Susie parvenait, lentement mais sûrement, à prendre la direction de l'Île repérée plus tôt.

Toutefois, avoir un coup de pouce dans cette épopée ne serait pas de trop. Pour cela, deux options s'offraient à la pirate : réparer le mât brisé pour pouvoir s'aider davantage du vent, ou bien faire appel à Navire lui-même.
La louve n'avait pas de suite écarté la première option. Toutefois, elle ne voyait pas comment elle pouvait s'y prendre dans l'immédiat. Certes, elle aurait pu se libérer en fixant le cap, à l'aide de son bandana par exemple. Mais ce défi titanesque lui demandait de trouver le moyen de redresser le mât de façon suffisante à pouvoir le fixer de nouveau à un pont endommagé. Elle n'avait ni suffisamment de force, ni suffisamment de pattes, ni suffisamment d'imagination pour pouvoir prétendre à faire tout cela en même temps, à elle seule, qui plus est alors qu'une tempête faisait rage et que le pont glissait comme jamais - le bon combo pour passer à travers le plancher, tout ça.
Par contre, elle pouvait s'en servir pour faire une promesse à Navire.
- HÉ NAVIRE ! MEC ?! T'ES LÀ ?
Il était difficile de se faire entendre dans le capharnaüm créé par le vent et la marée. De fait, Susie avait hurlé, voire s'était littéralement époumoné, et elle pouvait sentir sa gorge et ses poumons la brûler - surajoutant à cette douleur continue qu'elle était, cependant, parvenue à oublier jusque-là sous l'effet de l'adrénaline. Dans une grimace, elle se racla la gorge, avant de s'adresser de nouveau au bateau. Se faisant, elle tapa de sa patte encore valide contre le pont dans un mouvement agacé, surtout dans l'espoir que celui-ci permette d'attirer l'attention de Navire, voire de le sortir d'une éventuelle inconscience.
- ÉCOUTE ! ON S'CONNAIT PAS BIEN, MAIS J'TE JURE QU'ON PEUT FAIRE UNE SUPER ÉQUIPE ! ALORS, STEPLÉ, UN PTIT COUP DE POUCE LÀ ? T'ES PAS EN SUPER FORME, MAIS PROMIS, J'TE BICHONERAI UNE FOIS À TERRE !
Après tout, elle désirait si fort avoir son propre bateau ! Elle désirait tant mener cette vie à voguer… Prendre soin de son bâtiment serait donc un engagement qu'elle ne négligerait pas.

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C'était peine perdue...
Le gémissement de Navire amena Susie à la sombre conclusion que celui-ci était bien présent et conscient, mais qu'il était sans doute plus impuissant qu'elle-même. Tenant toujours la barre, la femelle échappa un râle douloureux, tant par la déception qu'il portait que par cette gorge qu'il vint irriter encore un peu plus.
La mer était déchaînée, le mât irréparable, mais Navire avait besoin d'elle.
Et ce n'était pas parce-qu'il ne pouvait pas activement faire équipe avec elle qu'elle ne tiendrait pas promesse.

Celle qui, pour un instant, était à la fois Capitaine et tout un équipage, réalisa que cette épreuve lui demanderait d'utiliser ses méninges en plus de ses muscles.
- OK.
Le ton était déterminé face à tant d'adversité. La femelle avait, pour une fois, l'occasion de prouver sa valeur, et elle ne laisserait pas filer sa chance.

L'idée de se rendre plus visible, de sorte à alarmer les éventuels habitant de la terre qu'elle discernait, lui traversa l'esprit. Toutefois, elle ne voyait pas bien comment elle pouvait s'y prendre : même si elle avait eu de quoi faire du feu, celui-ci n'aurait sans doute pas pris par telle tempête. En plus, elle doutait que son petit foulard rouge suffise, d'autant plus qu'il pourrait être bien plus utile ailleurs.

Le regard sans pupille se posa sur le mât. Il fallait à tout prix éviter que ses morceaux fassent bélier contre la coque.
Et pour cela, il fallait que Susie puisse lâcher la barre.
Un nouveau grognement se perdit dans le cri du vent.
Elle allait devoir se mettre à la cape.
Ça ne voulait pas dire que ses manœuvres précédentes avaient été menées en vain, non. Elles lui avaient permis de reprendre contrôle de la barre, ce qui était nécessaire pour la suite. Pourtant, la pirate avait l'impression de faire un pas en arrière. Pour mieux sauter, ou pour mieux tomber ? Il n'y avait pas le choix, de toutes façons, il était ici question de vie ou de mort.
- On y va !
D'abord, virer de bord sans toucher aucun des réglages de voile. Ainsi le foc se retrouverait à contre.

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La proue avait touché terre.
La proue avait touché terre !!!

Il avait fallut un moment à Susie pour réaliser ce que cela signifiait vraiment. Elle était en toute relative sécurité, bien qu'épuisée, bien que perdue, et Navire aussi ! Ici, elle pourrait s'employer à le réparer, à le bichonner...
- Mec, on l'a fait !
Pourtant, c'est subitement que son excitation la quitta.
C'était quoi ces machins ? On la regardait, là, non ?

Elle n'eut pourtant pas l'occasion de s'y attarder. Soudain, ce fut la douleur, le froid et l'humidité qui sa saisirent de son corps musculeux plus que l'épuisement. Quoique, si, elle était épuisée.
Et agitée.
C'était quoi ce bordel ?
Ah oui. L'épreuve. La picole.
Mais... Ces yeux ?
Si Susie n'était pas une lumière, elle était bien moins idiote que ce que la majorité voulait bien croire. Et l'idée de ces ombres ne la quitterait pas de si tôt. C'était un mystère à résoudre.

Comme Paquot parla, le regard perplexe de Susie se posa sur la silhouette de son roi.
- Celle que l'Océan voit en successeure de... ? Il déconnerait pas plein pot, l'Océan ?
Elle n'était pas faite pour ça ! Elle... C'était Astrid, le rat de Bibliothèque, la Sorcière, pas elle !
Mais elle n'avait pas pu s'exprimer à voix haute, et déjà était-il parti...

- Bordel de merde.