La maison de papa [PV Grimalk]

Il n'obtient pas de réponse immédiate, ne peut que la voir se contracter un peu plus quand il se tient au-dessus d'elle.
C'est l'occasion, pour lui, de se tenir au plus proche de son visage toujours masqué. Et les éclats d'émeraude qu'il n'a jusqu'alors que brièvement perçus se font plus concrets, plus précieux, devenant bijoux entiers contenus dans ses yeux.
Des yeux qui roulent et s'égarent au rythme de son souffle court, et... Soudain, ils ne sont plus errants : il en croise les pupilles, ils s'ancrent quelques secondes alors que la louve semble reprendre ses esprits.

Tout ça lui paraît trop familier.
Et Grimalk de froncer les sourcils quand il est brusquement presque certain de comprendre et reconnaître, reliant le comportement de Blizzard a ce que lui-même subit parfois. La désorientation, le regard absent et hagard, la lutte intérieure contre un ennemi que personne d'autre ne peut voir ni sentir.
C'est cette fois la respiration du mâle qui se suspend un peu quand se fige son regard doré sur les prunelles vertes aux mots de cauchemar, alors qu'elle est pourtant bien éveillée.

Pourrait-elle être atteinte de ce même mal, elle aussi ?

Le moment se rompt quand d'un seul coup elle se relève et affirme aller mieux, et prend à peine le temps de réajuster le morceau de squelette sur son visage pour bondir encore.
Les sourcils du mâle se fronçent davantage et monte une protestation.

— Attends !

Mais il a à peine le temps de laisser jaillir ce mot que la louve a déjà repris son rôle de cerf fuyant à travers champ.
Un soupir sec quitte sa gueule alors qu'il lui emboîte le pas, fermement décidé à la rattraper et à l'arrêter.

Mais plus pour jouer ou obtenir son prix ; ces objectifs maintenant relégués à l'arrière plan de ses pensées.
Il s'intéresse maintenant à autre chose, et réponses il obtiendra.

Il ne lui faut que peu de temps, cette fois, pour tomber à nouveau. Le cerf n'a pas retrouvé toute sa splendeur en repartant bondir dans les champs - désormais, il est à terre et la trop grande tête en os s'est pour de bon désolidarisée de la petite louve qui l'a emprunté. Le subterfuge est révélé, la proie cachait un prédateur.
D'apparence pourtant bien moins dangereuse qu'un cervidé adulte ne le serait s'il se battait pour sa vie.
Grimalk n'est pas long à s'arrêter à ses côtés, ses yeux rencontrent la tête de Blizzard tournée vers lui et sa gueule déclarant sa victoire dans un sourire, pour un bref moment il s'empare de son regard vert qu'il a tant désiré mieux voir.
Mais puisque c'est chose faite, et puisque ses pensées s'étaient tournées vers autre chose qu'il n'oublie pas et qui s'est érigé en besoin pressant de réponses, il balaye le jeu d'un mouvement d'oreille et rapproche plutôt son visage grave du sien.

— Que s'est-il passé, quand tu disais faire un cauchemar ?

Il veut savoir.
Il croit comprendre, il a besoin de confirmer.

Si son regard à lui est fixe, pressant, celui de la petite louve demeure troublé - il s'égare, il flotte entre deux réalités sans parvenir à choisir l'une ou l'autre.
L'attente tend encore davantage les muscles de Grimalk penché sur elle, affamé d'obtenir une réponse, et la frustration fait monter une envie de gronder qu'il retient de justesse. Cette pression, il la redirige plutôt vers la terre, dans ses articulations qu'il contracte et ses griffes qu'il enfonce dans le sol.
La gueule de Blizzard s'entrouvre - et enfin, après encore de longues secondes d'hésitation de sa part, elle finit par articuler quelques mots. Les oreilles de Grimalk se dressent et ses yeux la fixent plus intensément encore - si c'est seulement possible. La louve parle de glace, d'une autre louve dénommée Susie, d'un jeu. Puis d'un accident. D'y retourner dans sa tête, de temps en temps.

Lentement, Grimalk détend peu à peu sa posture rigide et penchée vers elle pour lui laisser à nouveau plus d'espace. Les lèvres de la louve sont relevées d'un sourire - elle sourit beaucoup, énormément, même - mais son attention est toujours divergente. Le mâle laisse un léger soupir s'échapper d'entre ses crocs. Ce qu'elle a, ce n'est pas ce qu'il a cru de prime abord. Et ça diminue grandement la frénésie passagère qui s'est emparée de lui, qui lui donnait presque envie de la secouer pour qu'elle s'explique enfin, lui qui a pensé pour quelques longs instants avoir trouvé situation égale à la sienne chez une autre.
Pour autant, ce qu'elle décrit... Si lui n'y est pas en proie, il a déjà entendu des histoires de tels cauchemars.

— Tu as failli mourir ?

Son ton est redescendu sur des notes basses et graves, débarrassée de l'urgence pressante qui s'y était infiltrée auparavant. Et sans aller jusqu'à y trouver de la compassion, il y avait tout de même au fond de sa voix une compréhension.

Toujours plongée dans des souvenirs flottants, la louve reste encore un long moment dans le silence. Mais cette fois-ci, Grimalk ne s'énerve pas : l'attente est identifiée comme étant dans le processus, et il n'y a plus d'urgence. Plus rien d'autre qu'une forme de curiosité, subsidiaire à l'intérêt qu'il lui a subitement portée, et qui le motive assez pour prêter oreille attentive aux mots de celle qui s'égare dans son esprit.
Le premier mouvement de lèvres ne donne rien, le second trouve encore naissance dans un sourire moins naïf avant qu'elle ne parvienne enfin à parler.
Le ton qu'elle emprunte, la tristesse lointaine dans son regard en disent plus que les mots qui ne semblent peindre qu'une réalité lointaine et presque détachée de cet accident qu'elle mentionne.

A cela, Grimalk ne répond rien. Il demeure en présence silencieuse, proche d'elle, sans réellement savoir quoi lui dire de plus sans faire s'effondrer les barrières qu'elle semble avoir dressées en son esprit. Il en est capable, mais n'a aucun intérêt à le faire.
Tout ce dont elle a l'air d'avoir besoin... C'est de repos, et plus de l'agitation qu'ils ont semé dans les champs en se chassant comme proie et prédateur.
Le mâle brun se rapproche d'un pas et vient glisser son museau sous la mâchoire de la louve blanche, l'aidant d'un geste ferme mais attentif et mesuré à ramener son poids sur ses pattes.

— Viens. Tu devrais rentrer.

Sa voix grave ne s'élève pas très haut, assez calme pour presque se fondre dans la mélodie ambiante des champs.
Puis proposant son épaule solide contre la sienne plus frêle, il attend qu'elle ne lance le mouvement.
Il l'accompagnera si elle le nécessite, et fera en sorte qu'elle ne s'effondre plus le temps de se remettre.