A la recherche du temps perdu [PV Desiré]

-Iris-

Il faisait chaud. Très chaud. Heureusement, le pelage court d'Iris lui permettait de rester au frai à l'ombre, mais les chaleurs soudaines le fatiguait. Il avait du alléger sa routine d'entraînement du jour en vue de sa ronde du soir, de peur d'être épuisé. Il s'était alors allongé sous la cime d'un arbre, et avait posé la tête sur ses pattes. Il ne s'était pas endormi, l'esprit encore trop occupé par ses pensées.

Depuis qu'il s'était battu contre son double chez Aka, bien des choses avaient changé. On pourrait parler de son corps, qui s'était musclé et couvert de quelques cicatrices en plus, de ses épaules plus carrées, de ses pattes toujours aussi longues, mais plus épaisses. Ou encore de son visage, de sa coupe courte qui faisait ressortir sa mâchoire, de son regard un peu plus doux. On aurait pu remarquer le sourire qui flottait parfois sur ses babines, lorsqu'il passait devant un miroir qu'avant il détestait, ou bien son rire plus franc, ses passions plus dévorantes, sa vie plus remplie. Mais le plus gros changement avait été intérieur. Il était heureux.

Pourtant, il était encore loin de vivre paisiblement. Il gardait éloigné les pensées sombres qui lui murmuraient que quelque chose n'allait pas, qu'il n'était pas normal, que ce qui lui arrivait n'était qu'une première étape vers la folie. Son identité avait été secouée en son coeur, et même s'il essayait de le cacher, tout débordait, et il se doutait qu'il ne pourrait plus se cacher très longtemps. Chaque conversation, chaque fois qu'elle était mentionnée était un rappel de ce qu'il avait été, de ce qu'il aurait du être. Souvent, il s'enfuyait pour profiter de son bonheur, seul. Mais les autres lui manquaient.

Et celui qui lui manquait le plus était probablement Désiré. Il s'était demandé quelque fois quand est-ce qu'il serait prêt à le revoir, mais à chaque fois la peur l'avait pris. Ce jour là pourtant, alors que le soleil était haut, il se surprenait à ne plus avoir peur. Il avait appris à être heureux, comme il se l'était promis lorsqu'il était misérable, à repousser  les autres pour ne pas leur faire de mal. Il voulait se redonner une chance.

Il s'était levé, et était revenu vers le Castel. Une piste fraîche du jeune loup l'avait guidé jusqu'aux falaises, où le vent soufflait et il faisait plus frai. La mer en contre bas lui faisait de l'oeil, et il avait fomenté l'idée de proposé au loup beige une baignade, s'il le voulait bien. Allait-il le repousser ? Les doutes perduraient, encore. L'aimait-il encore ? La douleur aussi. Car Désiré était tombé amoureux d'Iris, mais il n'était plus celle qu'il avait été. Il faudrait recommencer, depuis le début peut-être, pour retrouver leur amitié. Iris le voulait bien. Lorsque la silhouette du loup beige se laisse voir, l'etelkru s'approche, sans chercher à se cacher. Tête basse, regard plus doux, il le salue, cherchant ses yeux :


Et dans ces mots, comme s'ils s'étaient quittés hier, une certaine émotion se love cependant. Il était heureux de le revoir. Ils avaient du temps à rattraper.

-Iris-

Desiré se retourne, et Iris peut voir la surprise se peindre sur son visage. Il avait toujours été un livre ouvert sur ses émotions, pour le meilleur et pour le pire. Et aujourd'hui ... Aujourd'hui serait un jour du meilleur. Le loup a à peine le temps de se redresser que déjà, il vient l'enlacer, la queue agitée et un énorme sourire sur ses babines. Lui sourit également, avant de reposer doucement sa tête sur l'épaule de son ami. Comme si l'année qui s'était écoulée n'avait rien voulu dire, comme s'ils s'étaient vus hier. L'étreinte dure un peu, et Iris en profite. Cela faisait longtemps qu'il n'avait pas eu de tel contact, et il l'appréciait. Il chuchote :


Cependant, toute bonne chose avait une fin. Il s'écarte, presque avec tendresse, le regard engageant, avant de s'assoir. Un silence passe, alors qu'il ne peut plus s'empêcher de sourire tant il était heureux de revoir Désiré. Mais ses doutes l'assiégeait, en bruit de fond : allait-il espérer quelque chose, après tout ce temps ? Il savait qu'aujourd'hui, encore plus qu'il y a un an, il ne pouvait donner suite à ses sentiments. L'amour était une chose complexe, et il avait bien assez à penser sans se rajouter encore des difficultés.


Son regard se fait curieux. Qu'avait-il fait, depuis tout ce temps ? Il voulait tout savoir, tout.

-Iris-

Désiré n'avait pas changé, malgré l'âge qu'ils prenaient tous les deux. Il fait quelques tours sr lui-même, comme pour mitiger son énergie -il en avait toujours énormément eu- avant de finalement s'assoir pour faire face à Iris. Ce dernier le détaille, il n'en avait pas eu l'occasion depuis longtemps. Contrairement à lui, son corps n'avait pas tellement changé, à part pris en maturité. Mais Désiré était un Corps : il n'avait pas besoin d'un physique de guerrier, contrairement à Iris qui s'orientait vers la voie de Bouclier.

D'ailleurs, il le lui confirme : il est bien devenu Corps, un métier qui lui va bien. Kiro semble être sa voie, même s'il n'arbore pas encore la lumière jaune, et dans l'ensemble, il avait l'air satisfait de sa vie. La question lui est retournée, et Iris se ferme légèrement. Forte. Il avait beau se raisonner, la dissonance était toujours un peu douloureuse, et venant de la gueule de son -meilleur- ami, elle faisait encore plus mal. Il entr'ouvre les lèvres, comme pour le rectifier. Cela semblait si simple, si naturel, et pourtant ses doutes sont encore trop grands. La peur, la terreur même de se retrouver enfermé chez les panseurs, qu'on lui dise qu'il était fou, qu'il était malade était telle qu'il doutait même de l'acceptation du loup beige, qui pourtant avait toujours été ouvert. Il referme la gueule.


Le goût est amer dans la gueule d'Iris. L'impression de se trahir, de mentir à Désiré alors que pourtant il s'était promis de revenir plus vrai. L'impression, aussi, de se trahir lui-même, de creuser sa propre tombe, et elle lui est insupportable. Il y avait une raison pour laquelle Iris était devenu un peu plus solitaire, ces derniers temps : chaque interaction était l'occasion de voir à quel point il avait changé, et à quel point rester celle qu'il avait été était difficile. Il avait l'impression de devoir contenir la mer entière dans un bocal fissuré, et il n'en pouvait plus. Il n'en pouvait plus.


Un instant suspendu, et l'effroi le frappe d'un coup. Il avait entendu sa propre voix comme jaillir sans qu'elle ne soit de son fait. Elle avait résonné dans les airs, mais il n'était pas bien sûr de l'avoir vraiment dit. La pression monte, d'un coup, comme une bouffée de chaleur et il se fige, le regard dévié, fuyant le regard de Désiré. Il n'avait pas dit ça, non c'était pas possible. Si ? Déjà, il cherche comment revenir en arrière, mais en même temps, en même temps, en avait cruellement envie et besoin, de continuer, de le dire à voix haute, de l'avouer. Le secret avait été gardé trop longtemps.

-Iris-

Le temps est comme ralenti, et Iris sent chaque battement de coeur remonter le long de sa gorge, pulser à l'arrière de sa langue. Il l'avait dit, il le sait, car en face, l'attitude de Désiré change. Il se calme, devient plus sérieux, et Iris lui en est reconnaissant. L'angoisse le prends aux tripes, il a peur, peur que son ami ne le croit pas, le pense fou, prévienne sa mère, sa fratrie, les panseurs et l'oblige à vivre comme avant. Mais peut-être ... Peut-être que c'était pour le mieux ? Les doutes reviennent, l'emportent, et il se sent comme noyé, la gorge serrée, incapable de respirer.

C'est la patte de Désiré qui vient le tirer des profondeurs où il tombait. Il relève les yeux, croise le regard de son ami, celui qui lui avait manqué si longtemps. Il avait toujours été gentil, Désiré. Il ne mentait pas, voulait son bien, et il l'avait attendu. Alors, lorsqu'il lui dit qu'il pouvait lui faire confiance, Iris le croit. Sa gorge se dénoue, juste assez pour y laisser passer l'air, et il expire, libérant son corps de l'apnée inconsciente où il s'était abandonné. La patte sur la sienne l'encourage, et il décide d'abandonner ses peurs, ou plutôt d'y aller malgré elle. Il ferait un pas de plus vers le courage, il serait digne de la lueur rouge sur son épaule.


Un silence. C'était difficile à expliquer. Il ouvre la gueule, cherche ses mots d'une patte frémissante, comme pour lui donner de l'inspiration. Mais une fois qu'il avait commencé, il trouvait ça plus facile de continuer. Il fallait juste ... Essayer. Essayer, et prier pour que Désiré ne cherche pas à l'interner après ça.


Il fronce les sourcils, grimace sous l'effet de ses propres mots. Tout était désordonné, rien ne sortait comme il le voulait. Surtout, on avait l'impression qu'il hésitait, qu'il n'était pas sûr, alors que ces dernières semaines lui avait donné raison : c'est comme ça qu'il voulait vivre. C'était son bonheur à lui, c'était celui qu'il était. Il ouvre la gueule, encore, cherchant toujours ses mots et se maudissant de ne pas y avoir réfléchit avant.


Ses mots s'arrêtent, alors que sa gorge se serre de nouveau. Mais cette fois, ce n'est pas la peur qui l'empêche de continuer, ni la méfiante vis à vis de la réaction de Désiré. Non, cette fois, c'était une vague de ce bonheur, de cette euphorie puissante, qui se mêle à l'angoisse de la réaction de son ami, mais qui éclate alors que le secret d'Iris est révélé. Pour la première fois, il touche de la patte l'espoir de pouvoir vivre comme il était. Ses yeux s'humidifient légèrement, et il les baisse, pudique. Il ne savait pasquelle était la suite, maintenant. C'était une expérience nouvelle, et il se sentait à la merci du monde. Heureusement, le monde était représenté par Désiré, alors il gardait l'espoir que tout allait bien se passer.

-Iris-

Le temps était long, quand on était en danger. Iris devait se faire violence pour ne pas céder à son instinct de survie qui lui criait de s'enfuir, ou bien d'agresser Désiré de mots, ou encore de se rétracter pour faire croire à une mauvaise blague. La tête baissée, attentant son jugement, Iris relève les yeux pour observer la réaction. A la manière d'un louveteau qu'on gronde, il reste figé, à observer. Il voit d'abord une certaine surprise, qui l'horrifie d'un souffle avant qu'il ne comprenne qu'elle n'était que naturelle. Normal, normal, normal, il a besoin de se le répéter pour empêcher son coeur de s'emballer et son souffle de se perdre.

Leurs regards s'accrochent, chargés en émotion. Iris, concentré de peurs, de vulnérabilité, de défiance aussi. Et lui ... Ce qu'il y lisait était quelque chose qu'il reconnaissait. Quelque chose qu'il avait vu dans les yeux d'Anita, de sa mère, de son frère lorsqu'il parlait de sa femme. De l'amour. De l'acceptation. Et les mots viennent confirmer ce qu'il avait lu dans le regard : il était content qu'Iris soit heureux. L'émotion submerge le loup bleu, qui baisse la tête, ploie le dos alors que son coeur se soulève d'un poids énorme. Ses pattes se mettent à trembler, légèrement, et il ne trouve plus rien à répondre.

A la place, il laisse la pression contracter ses muscles, pour soudainement aller au contact de Désiré, et le serrer dans ses bras. Un bref sanglot, court mais humide, secoue ses épaules, alors qu'il s'autorise à se montrer vulnérable, à laisser échapper un peu de ses peurs, de tout ce qu'il avait retenu pendant ces si longs mois. Les larmes coulent, véritable flot qu'il ne cherche pas à arrêter, alors qu'il laisse échapper de sa voix étranglée :


Il le serre un peu plus fort, contre lui, comme s'il allait s'envoler ou s'enfuir.