Treize battements de coeur † Libre

Des battements de cœurs et puis plus rien.
La mort est venue cueillir sa tante Hedwige il y a de ça quelques jours déjà. Elle est venue la chercher en pleine nuit, perturbant ce tempo qui tous les tenait vivant, posant un doigt sur le muscle qui maintenait toute vie pour l'ordonner au repos éternel. Elle s'était ainsi endormie un soir, pour s'endormir toujours. Elle les avait bercée d'un bonne nuit, qui prit une tournure d'adieu.
Bonne nuit. Miraj trouvait ces derniers mots beaux et ne regrettait rien.
Pour Neiter, ce fut le choc et la tristesse. Pour toutes ses amies-soeurs, ce dût l'être.
Pour nous ?
Elle s'était affichée la mine grave, sérieuse, pleinement consciente de ce que représentait la mort. Elle n'était pour elle une fatalité ; elle ne pouvait l'être, lorsqu'on connaissait la suite, lorsque comme elle l'on avait vieilli aussi longtemps dans l'Au-Delà qu'au cours de sa petite vie.

Il est vrai.
Cette année marquait l'égalité entre sa morte existence et son existence vivante.
Est-ce pour cela, qu'Hedwige était partie ? Peut-être aurait-elle dû y revenir, Miraj, et sa tante à sa place se serait sacrifiée. D'Hedwige, l'acte ne l'aurait étonné.
Elle était amour, et l'amour pouvait mener au sacrifice.

« Cette fleur t'ira mieux, ma tante ! »

C'est une page du cahier enchanté, permettant les origamis animés, que Miraj avait arraché pour la plier comme l'autre âme lui avait jadis appris, formant une fleur vibrante qu'elle posa au pied de la stèle faite. Elle lui sourit et se détourne, s'en allant vivre ailleurs.
Pour un mort, Miraj n'avait jamais comprit que l'on se laisse aussi mourir : ce fut le fléau de sa propre famille, d'ainsi se laisser choir dans le désespoir.
C'est pour cela que nous deviendrons plus mémorable que tout autre de notre sang.
Elle continue à marcher tête haute, les cheveux détachés pour mieux profiter d'une brise d'été, que l'orage persistant ne laissait pleinement exister. Tant mieux. Ce n'était guère sa saison préféré, l'été.
Miraj n'aimait le soleil.

Inversement, elle se plaisait à recevoir compagnie sur son Royaume.
Il nous vient quelqu'un.

Et à ce quelqu'un elle se présenta, se laissant porter par ses fines et longues pattes qui ne la rendait pour autant plus grande qu'une louve standard. Elle avançait tête haute, le regard brillant d'inquisition, pour qui aurait ainsi foulé son Royaume. Elle n'était de particulière méfiance, quand bien même nombreuses étaient les choses qui pouvaient menacer sa petite vie. Les prédateurs ou les ennemis de son Oncle en étaient des exemples ; et nombreux étaient les ennemis de son Oncle, justement.
Mais lui, en était-il un ?
Miraj se stoppe à proximité de celui parvenu jusqu'à elle.
Son expression garde un instant la même gravité.
Il ressurgissait soudain un fragment du passé.
Devions-nous nous en saisir ou le laisser s'en aller ?
Il ne se passe qu'une seconde supplémentaire avant qu'un sourire ne vienne prendre ses lèvres pour mieux les étirer. Elle ouvrit la gueule sur ses crocs fins et longs, dans un piaillement enjoué qui alla jusqu'à plisser ses yeux en deux fentes lumineuses.

« OH, mon Chauve-Sourire ! »

Elle s'exclame et soudain s'approche pour venir presser son torse contre le sien, sa longue queue venue sinuer dans son dos. Elle laisse transparaitre l'émotion qui la saisie, d'ainsi le revoir ! Bien des années sont passées et elle pensait les chances qu'il lui revienne aussi grande que la visite de l'une de ses tantes, qui jamais ne lui parvint.
Nous ne somme louve que l'on peut faire tomber dans l'oubli
depuis que nous sommes en vie.

« En ce jour, je ne t'attendais plus ! J'aurais fait amener pour toi quelques fraises, si ta visite m'avait été prévenue. »

Elle rit d'une façon légère, dans un plaisir véritable que de le revoir. Puis à cette gorge déployée, se succéda un peu plus de sérieux :

« Mais dit-moi ! Qu'est-ce qui t'occupa si longtemps et si loin de ma plage ? »

Si elle avait tant grandit que changé, lui semblait être resté le même loup, encore peu touché par la vieillesse, et pas plus atteint par sa condition.

Nous sommes Majesté !
Il le reconnait.
Cela lui fait entrouvrir la gueule pour mieux souffler un petit rire, enchanté d'être ainsi reconnu par celui qui l'avait si longtemps quitté. Si les années l'avaient marquées jusqu'à faire d'elle l'adulte que l'on aurait point souhaité la voir devenir, il semblait que le temps épargna le mâle de la vieillesse. Elle ne le trouvait pas plus changé que cela.

« Nous aurions pu, si ces fruits n'avaient eu à ce point besoin de cet insupportable soleil. »

Sous l'orage permanent, les ombres étendues sur l'Atoll ne permettait aux baies de rougir, la maigre luminosité ne permettant que de les voir pousser et surgir de leurs fleurs. Il était nécessaire de traverser la mer pour joindre le continent et retrouver le sucre et le goût des fruits muris. Ce n'était donc plus un met qu'elle prenait plaisir à consommer ici.
A son explication, sa patte se porta à sa poitrine et elle battit de ses longs cils.

« Oh ! Tu as donc prit ta vie en main, et voilà que s'écoule en t'attendant une partie de la mienne. »
Elle a un sourire, et des yeux qui s'arrondissent de curiosité.
« Et cette louve ! As-tu fini de l'aider ? J'eus aussi connaissance d'une louve se faisant soutenir par un prince Etelkrus. »
Ça lui fait émettre un rire élégant et fluet.
Quelle coïncidence !
A la question qui se porte sur elle, Miraj ne peut que s'enjailler.

« Moi ? Je ne saurais quitter mon Royaume, désormais qu'il est si bien établi ! »

Elle tourne sur elle-même, pour marquer qu'ici est chez elle.

« C'est ici que bien des amis, ainsi que mon mari, me rendent visite. Et quand bien même mon Oncle s'est absenté, j'eus l'allégresse de le soutenir dans son projet, et profite depuis de l'obscurité qu'il m'offrit ici. »

La louve secoua la tête.

« Ne crois cependant pas que je ne suis pas parti ailleurs, non non non ! J'ai visité quelques terres autres, mais le voyage ne me goute que peu. »

Lorsqu'on observa de L'Au-Delà le monde et ses petites vies, l'on finissait par perdre attrait de la découverte. Elle ne s'enthousiasmait que des sensations que pouvaient lui apporter le vent, le sol ou la température, plus que de la vision d'une jolie vue.

Au bord de ses babines, toujours ce même rire, cette note fluette avec laquelle elle initie ses réponses.

« Quel dommage ! Nous aurions pu finir lié par le sang que je partage avec elle. »

Il aurait été sauveur de sa tante, et par cette condition serait sans doute devenue celui qu'elle aime, si lui ne l'aimait pas déjà. Elle se plait à penser que si, à quoi bon s'évertuer autant à aider, sinon.
Il complimente ensuite ce royaume sur lequel elle règne, beau et formidable, sien tant il lui est adapté.
Il n'y de place pour les mots,
De ceux qui sont sots.

« Je l'aime ainsi ! Ma voix y prend d'autant plus d'importance. »

C'est presque une petite mélodie que chante ses lèvres, dans son contentement et sa joie.
Elle ne pouvait avoir qu'éloges pour tel endroit !
Comme elle ne pouvait qu'en avoir pour son roi.

« Oh, cela fait bien des années que nous le sommes ! Il est enfant d'une reine Etelkrus, et parfait son entrainement avec celle qui gouverne avec elle. »

La fierté se fait entendre dans son ton, alors qu'elle tourne autour de lui, queue relevée et port de tête altier.

La nièce de Mildred.
Cette dénomination fait remonter sur ses babines un très long sourire qui s'ouvre sur ses dents chiroptères, remonte ses pommettes et plisse ses yeux.
Il y a le reflux d'une sœur,
A la même place dans notre cœur.

« Elle est tout ce qu'elle me reste aussi ! Mais longue est-elle, à me visiter, comme difficile est-elle à trouver. J'eus cependant possibilité de la croiser, quand n'est jamais venue l'autre tante... »

Un rire fluet se joue en note au bout de sa gueule. Il ne lui apprenait point la situation de son sang éparpillé, de ceux qui avaient égrainés la volonté d'une moitié d'âme et n'avait guère aidé à forgé l'autre, bien plus attaché à son Oncle.
Le plaisir fut grand, à l'appréciation de son Royaume.
Il ne pourrait point être autre !
Baigné de l'obscurité offerte par son Oncle, percé des structures qu'elle érigea avec Maman et qu'elle occupait avec son Roi, gardé au plus naturel pour ce qui était du reste.
Une longue langue de sable qui couronnait une dense jungle dans laquelle elle ne s'était que bien peu avancée, ayant toujours préféré garder les yeux sur la mer.

Qu'il connaisse aussi son Roi lui exagéra la joie sur son visage.

« C'est exact ! Tu as rencontré bien des loups qui m'entourent, Chauve-Sourire ! »

Cela nous donne une idée.
Aime-t-il toujours autant jouer ?

« L'on pourrait s'amuser à nouveau, qu'en dis-tu ! Si tu devines le nom des loups qui me sont chers, j'irais jusqu'au continent te cueillir quelques fraises. »

Oui oui oui, c'est ce qu'elle ferait !
Elle se retourne sur le ventre, soutient sa tête de ses pattes glissées en dessous.

« Elle est bête à cornes mais point de leur taille, et féline seulement d'yeux.
Elle aide et offre, beaucoup !
Vois-tu de qui il s'agit ? »

Elle ne délivrait que peu d'indices, lui en donnerait s'il ne trouvait guère celle qu'elle décrivait en ces quelques mots.

« Ce n'est point un problème, de faire quelques mauvaises rencontres, quand persistent les bonnes ! »

Son timbre, parfois, se rappelle au chaos des notes de son violon. Elle y passe des émotions contraires, persiste toujours l'amusement et survint parfois une note d'amertume, une pointe de peine, un soupçon de nostalgie.
Au fond, ce ne fut jamais celles-ci qui impactèrent sa vie. Il y eut toujours l'Oncle pour lui donner raison.

Quand place est prise pour le jeu et première devinette donnée...
Chauve-Sourire ne fit point long, pour trouver telle réponse !

Elle étira ses pattes avant et l'applaudit avec effusion, son sourire grand sur sa gueule fine.

« Bravo ! Elle m'est chère, pour être petite sauveuse et mentor. »

Elle se roule, cette fois sur le dos, pour s'amuser telle l'enfant à le regarder à l'envers.

« Fils d'Alpha,
Aux allures de Roi,
Son nom est une fleur,
La rose sa couleur. »

Il fut de son clan, bien que plus jeune.
Des bleus brillants elle le détaille avec curiosité.
Lui aussi, l'aurait-il rencontré ?

A nouveau ses coussinets s'entrechoquent, en des applaudissements enthousiastes qui félicitent Chauve-Sourire pour l'efficacité de sa pensée.

« Encore ! Un dernier. Lui ne m'est point cher, mais puisque nous évoquions ces quelques mauvaises rencontres... »

Son Oncle fut bien aimable, de faire disparaitre ce loup bien loin de son regard ! Lui qui s'en prit tant à elle qu'à la rose fleurissant au bout de sa queue, faisant fi de toutes les manières pour toucher à l'enfant qu'elle se trouvait être encore. Un individu si hostile sur sa plage ! Non non non !
Elle secoue la tête et énonce :

« Rustre individu,
A la langue peu pendu,
Il arbore des cornes rondes d'un ancien temps,
Lumière et savoir lui sont absents. »

Que son Oncle l'eut fait disparaitre rendait sans doute sa connaissance plus difficile, mais qu'importe ! La difficulté était aussi un jeu.
Son sourire s'étendit et releva ses pommettes, quand ses deux pattes, elles, soutenaient sa tête.

C'est toute une vie, qui passa sur le visage de son interlocuteur. Elle l'observa d'yeux ronds, que ne venaient couvrir parfois qu'un battement de cils blanc.
Floyd.
Ce nom lui fit pencher la tête, dans une hésitation qui se marqua un instant. Et la lumière cessa d'être, dans ses yeux clairs...
Elle l'observa silencieux.
C'est un nom presque oublié,
Floyd.
Un souvenir effacé.
Une attention presque marquée.
Nous éveillâmes l'intérêt,
Nous le croyons ?
Nous étions alors solitaire, en déperdition.

« Floyd, ça ne m'est point inconnu... Mais... »

Mais... Mais !
La lumière éclate à nouveau au fond de ses iris et la voilà en mouvement, poupée réanimée.

« Fenouil était la bonne réponse ! »

Non non non, elle ne pouvait lui accorder d'autre nom !
Son sourire s'étire et montre ses dents si fines. En son royaume, elle prend alors d'une patte tendue deux coquilles Saint Jacques, qu'elle vint placer à l'arrière de ses oreilles pour se donner allure de ce loup.

« C'est à cela, qu'il ressemblait. »

Elle en rit, d'une cristalline façon.
Ce pleutre que son Oncle avait fait disparaitre, pour s'en être prit à elle !
Bien fait pour lui.

C'est une petite moue qui passe sur le visage de Miraj, alors qu'elle laisse choir les coquillages jusqu'alors tenus au-dessus de ses oreilles. Il ne connaissait donc point de Fenouil !
Nous lui faisons confiance,
Il ne dit de mensonge.
Elle redresse son museau et penche la tête, alors qu'un petit soupire passe ses babines. Lui devrait-elle vraiment des fraises ? Qu'à cela tienne !
Une note fluette succéda au soupire, alors que s'illumina son visage d'une clarté en contraste avec l'obscurité de l'endroit.

« Très bien, je te concède cette victoire ! Allons donc tout de suite les ceuillir. »

Elle est d'enthousiasme débordant, lorsqu'elle s'approche de la mer pour y plonger ses pattes. Elle sait où se trouve le niveau le plus bas, les courants à ne point emprunter à cette heure-ci. Ainsi purent-ils donc joindre le continent et son soleil en déclin, qu'elle n'appréciait toujours pas, pour quérir ces petits fruits sucrés qu'elle se fera plaisir de lui donner.
Et de manger, elle-aussi.