Lumière et rochers | Désastre

Helga

C’était un beau matin de printemps pour aller cueillir des plantes. Helga était sortie avant l’aube, pour grimper les montagnes, et apprécier le lever du soleil depuis les flancs de roche. Elle avait failli ne pas arriver à son joli promontoire à temps, en plus ; elle ne grimpait plus aussi vite que dans sa jeunesse. Ses cheveux bouclés grisonnants attachés en chignon -bien que quelques mèches dans son cou étaient trop longues pour y adhérer- elle regardait le soleil se lever et projeter ses lumières roses et oranges sur les montagnes.

Il n’y avait rien de plus, pensait-elle, que les lever et couchers de soleil en montagne. Les formes de la roche et de la neige brillaient au soleil , et elle regrettait de ne pas en savoir plus sur les choses qui avait conduit à l’apparition de ces géants de pierre et de terre. Quand elle était enfant, un loup lui avait expliqué que les montagnes étaient des vestiges de collisions entre des grands morceaux de Terre, qui bougeaient infiniment lentement sous leurs pattes. Si lentement, que cela avait pris des milliers de générations des vies de loups pour qu’elles apparaissent. Elle doutait donc que qui ce soit aurait pu voir cela se produire, et même si elle avait été là, elle n’aurait jamais pu comprendre ce qu’il se passait, si c’était aussi lent. Peut être que parfois, quand elle sortait dans les plaines, elle marchait sur des endroits qui deviendraient des montagnes dans le futur très, très lointain !

Le soleil avait quasiment fini de se lever, et les oiseaux qui habitaient les pins de montagne chantaient. Helga laissa son regard se perdre au loin sur le paysage qui se déroulait comme une carte à ses pieds. Est-ce que ça faisait ça, de voler ? Il faudrait qu’elle demande à quelqu’un qui avait des ailes. Sa sacoche de cueillette restait oubliée, poser sur un petit rocher près d’elle, pendant qu’elle contemplait le monde.

Arrachée à ses rêveries, Helga tourna la tête, surprise. Elle n’avait pas du tout entendu Désastre arriver, pensant entièrement à autre chose.

« Bonjour Désastre ! Comment vas-tu ? »

Il lui parla de plantes, et pendant un instant, elle afficha une grande confusion. Des plantes ? Son regard tomba sur sa sacoche, et cela lui revint. Elle devait faire la cueillette ! Elle avait prévu de trouver au moins des orties, des myrtilles et des framboisiers sauvages.

« Ah oui ! Je n’ai pas commencé ; j’étais venue pour regarder le soleil se lever, c’est si beau vu d’ici ! On voit toute la Rougelande, et même la mer, là-bas au loin ! Et puis le Marais de Kiro aussi, par contre la Griffe d’Aka… je ne la vois pas.»

Elle laissa de nouveau son regard se perdre sur le paysage. C’était si beau, si petit vu d’ici ! Elle n’arriverait pas à reconnaitre un loup d’ici : il ne serait pas plus qu’un petit point noir dans la verdure. Elle se tourna de nouveau vers Désastre, et se releva en s’étirant un peu.

« Si tu veux m’aider je serais ravie ! Mais j’avoue que c’était plutôt une excuse pour me balader en montagne: il nous reste beaucoup de feuilles de framboisier, et pas mal de feuilles d’ortie fraiches. Je viens en chercher pour les sécher, pour l’hiver, mais ça ne presse pas. »
Elle lui sourit. Il se gardait bien occupé, le fils de l’ancienne Alpha, mais il était un très bon soigneur, et bien qu’il ne parle pas beaucoup il était d’une compagnie agréable.

« Et toi ? Fais te de l’escalade ? Je ne t’ai pas entendu venir par le sentier, tu as pris la façade rocheuse ? »
Ce serait tout à fait digne d’un disciple de Kiro, Helga pour sa part n’en avait pas la forme.

« Merci beaucoup Désastre! »

Elle sourit et se redressa pour prendre sa besace. En route alors !  Elle prendrait pour sa part plutôt les parties plus herbeuses et plates, pas les rochers, ne divergeant que lorsqu’elle voyait une plante qui l’intéressait. Elle l’écouta parler de l’escalade et sourit en piquant les oreilles en avant. C’était toujours si agréable lorsque quelqu’un parlait de quelque chose qu’il aimait, qui le passionnait.
Elle allait lui proposer une course : elle prendrait les sentiers, et il pourrait prendre les rochers, et ils verraient qui arrivait le premier à un petit endroit, un peu plus haut, plein de grands pins – lorsqu’il lui parla de la carte. Son visage légèrement surpris se teinta de tristesse, et elle mit la patte dans son sac, ouvrant une poche qu’elle avait cousu à l’intérieur pour en sortir le rouleau de parchemin qui était la carte, et la regarda tristement sans l’ouvrir.

« … Je me suis toujours dit que je le ferais demain… et à chaque fois …. A chaque fois il y avait quelque chose. Quelqu’un tombait malade au mauvais moment …. Quelqu’un accouchait en catastrophe alors que ce n’était pas prévu … des herbes cruciales manquaient … »

Elle laissa sa voix s’effacer, la légère brise lui remuant ses mèches grisonnantes autour de son visage. Elle n’avait qu’un an de plus que Dés’ pourtant, elle avait l’air si vieille maintenant… Lui avait encore la force d’escalader une façade de roche ; Elle avait du mal à monter en montagne le long de chemins battus par de nombreuses pattes avant elle. Qu’est ce qui avait creusé cette différence ? Surement pas seulement ces 12 cycles de lune ?  

« Mais il y avait des jours, aussi, ou j’aurais pu y aller » concéda-t-elle. « Il y avait des jours ou il faisait beau, ou j’aurais pu découvrir le monde, et finir cette carte … Mais … »

Mais elle avait préféré rester dans sa tanière, ses pattes sur ses oreilles, à pleurer, parce que la louve qu’elle aimait bien avait décidé d’avoir des bébés avec quelqu’un d’autre qu’elle.
Mais elle avait préféré prendre les gardes de soigneuse des autres pour oublier.
Mais elle avait mangé des fruits fermentés et avait couru dans la Rougelande, pour oublier l’espace de quelques instants qu’elle ratait sa vie.

« Mais je n’ai jamais trouvé le courage d’y aller. »

Elle aurait pu être une louve forte, qui fermait la porte sur sa tristesse et passait à autre chose, vivait sa vie. Mais elle n'était pas de celles là: Elle avait langui dans sa tristesse jusqu'à qu'elle devienne une amie qu'elle avait peur de quitter. Elle serra ses babines en regardant le petit morceau de parchemin dans sa patte, sans même l’ouvrir. Ces dernières années étaient passés comme toujours la même journée, toujours la même tristesse, dont elle refusait de se sortir. Et elle n’avait surement pas, comme Désastre, des amis proches, qui mettraient une patte sur son épaule pour lui demander comment elle allait. Après tout, elle l’avait caché de tout le monde. Mais qui soignait la soigneuse ?
Elle regarda le bord des rochers. Pendant un instant, le désir de jeter ce petit morceau de parchemin, sur lequel elle avait passé toute son adolescence, sa jeunesse, sa passion, la traversa comme une flèche. Se débarrasser de ce petit morceau de souvenir de qui elle était plus jeune, de cette joie qui n’existait que devant les yeux des autres. Peut-être qu’un jour, elle trouverait le temps, cependant. De plus, bien que Désastre lui eût proposé de l’aider, elle avait bien vu qu’il faisait un tas de choses, et elle n’avait pas voulu le déranger.

Elle resta là un instant, à regarder le rouleau dans sa patte, puis redressa la tête vers Désastre.
« Est-ce que tu as déjà abandonné quelque chose que tu voulais vraiment faire ? »

Elle écouta sans parler l’histoire de Désastre. Son histoire la touchât car elle se voyait dans une histoire similaire. Elle aussi, avait eu un parent seulement, et un parent qui ne la comprenait pas, ou plutôt qui ne la voyait pas. Après la mort de sa mère, son père Athelstan les avaient oubliés, elle et ses frères, puis avaient eu d’autres enfants, Solelio et Elvazio, qui s’étaient ajoutés à la fraterie. Cependant, là où elle avait eu du réconfort dans ses frangins et demi-frangins, Désastre n’en avait pas eu. La mère de Désastre, à l’inverse, avait eu l’air d’être tout le temps à le surveiller, lorsqu’elle était vivante, il était quasiment impossible de voir elle sans son fils, ou l’inverse. Mais malgré leurs deux approches très différentes, au final, ils avaient tous les deux pas eu le parent aimant, acceptant qu’ils auraient sans doute aimé.

Lorsqu’il se retourna vers elle, sa prestance lui inspira la force, la motivation. Est-ce que ce n’était vraiment pas trop tard ? L’hésitation naquit en elle : c’est vrai qu’elle n’avait rien d’autre à faire aujourd’hui : elle n’était pas de garde, les herbes n’étaient pas une besogne urgente… Pourtant, elle se sentait toujours retenue, au fond d’elle. Mais se sentirait-elle un jour prête ?
Elle se redressa et lui fit un sourire, timide, mais heureux.

« D’accord»

Mais elle pencha la tête vers la vue sur les terres, et sembla dubitative.

« Mais comment ? Je sais que tu sais voler, mais moi … non » dit-elle, avec un petit rire, en plissant ses yeux. Tu lui avais sans doute déjà expliqué ce qu’était Quetzalcoatl, mais Helga n’imagine pas que tu puisses la porter : elle n’a jamais vu ta forme de serpent ailé, et la voit plutôt de la taille d'une des vipères que portait son frère Salazar.

Elle lâche un petit « Oh ». Il devait être super grand alors, pas du tout comme elle pensait ! Elle l’écouta, impressionnée. Il avait porté Dough ? Dough étant très grand, par rapport à elle il devait faire le double de son poids

Elle secoua la tête. Non, elle ne parlait pas le serpent. Elle ne parlait pas aux animaux du tout, ils auraient sans doute que des choses tristes à dire, lorsqu’ils étaient autour d’elle, surtout quand elle activait son pouvoir.
Elle fit un sourire plus sincère, plus fort à Désastre.

« Je suis prête ! »
Puis regarda ébahie alors qu’il se transformait en Quetzalcóatl. Il était si grand ! Et si beau ! Elle n’avait jamais vu un serpent avec des plumes avant, mais qu’est-ce que c’était gracieux ! Elle comprenait maintenant pourquoi il allait danser pour Kiro, cela devait être véritablement incroyable à voir. Elle repositionna sa besace sur son épaule en travers de son cou pour éviter qu’elle ne s’envole, monta derrière la tête serpentine, et s’agrippa, en serrant les crocs.
Alors qu’elle avait qu’une envie tout à l’heure -de savoir ce que ça faisait de voler- maintenant que cela se réalisait, elle avait un peu peur quand même. Elle ferma ses yeux en attendant qu'il décolle, regardant un peu a traver un oeil un tout petit peu ouvert.

Elle ouvrit ses yeux en grand de peur lorsqu’il sauta du bord dans le vide, se retenant de crier pour ne pas aggraver la situation. Mais un instant plus tard, ils ne tombaient plus, et elle vit sous ses yeux le sol se dérouler au loin, comme une carte peinte des plus belles couleurs au-dessus de laquelle ils évoluaient. Le bruit de la brise était très fort lorsqu’on avait la tête dans le sens du vol, même si elle avait parlé serpent, cela l’étonnerait qu’on ait entendu sa voix pas très grave et pas très forte par-dessus le son de l’air à travers lequel ils filaient.

Elle porta son regard sur la montagne, et avec satisfaction, réalisa qu’elle reconnaissait les chemins qu’elle avait emprunté toute sa vie, même d’ici dans les cieux. C’était si bizarre, de les voir d’en haut, tels qu’ils étaient tracés dans la terre et la roche : comme d’un pinceau indécis. Elle ne s’était jamais imaginée que ce chemin là passait si proche de l’autre … ni que l’angle de celui-là était si grand…

Tirée de ses idées, elle vit un petit plateau en haut de montagne, dont Désastre-Quetzalcoatl se rapprochait un peu. Elle ‘n’avait jamais réussi à arriver jusque-là, même plus jeune et plus en forme : en hiver, c’était hors de portée à cause de la neige friable et des rochers dangereux ; en été, c’était une pente trop abrupte pour qu’elle l’escalade elle-même, elle n’avait vu que les chamois de montagne faire preuve de ce genre de courage.
Elle tira doucement sur une des plumes de Déasastre pour lui indiquer la façade rocheuse et herbeuse, d’où elle voyait quelques plantes qui se pouvaient être intéressantes.

Elle descendit de son dos -pouvait-on vraiment appeler cela un dos ? Il n’était que dos et ventre, dans ce cas là- et sentit la terre sous ses pattes. C’était solide et dur, et elle se sentit un peu plus lourde. Ah, c’était dommage qu’elle ne puisse pas voler elle aussi !
Elle sortit son parchemin de sa sacoche, et un morceau de charbon juste à côté. Elle l’aiguisa rapidement avec une pierre tranchante qu’elle ramenait avec elle, et nota attentivement toutes les plantes du lieu sur la carte tournant avec attention la tête vers Désastre lorsqu’il sifflait, même si elle n’arrivait pas à comprendre les intonations de ses sifflements. Juste avant de partir, elle en profita pour enfoncer un tas de feuilles de framboisier dans sa sacoche en souriant à Désastre-serpent. Deux missions en une !

Puis elle revint vers lui, et ils repartirent dans les airs. Plusieurs fois, ils visitèrent des recoins des monts célestes qu’elle n’avait jamais pu trouver, et elle les marqua sur la carte, détaillant de plus en plus les montagnes. C’était formidable, de voir son travail avancer entre ces pattes et les écailles et plumes de Désastre. Cette chose qu’elle avait laissé de côté si longtemps, maintenant, elle trouvait plein d’énergie et de courage pour le remplir !
Le soleil passa midi, lorsque, posée sur une autre façade rocheuse, elle annotait la dernière partie des montagnes.

« Parfait ! Toutes les montagnes ont été documentés ! »

Elle montra la carte à Désastre-Quetzalcoatl pour illustrer son propos : elle n’était pas sure qu’il comprenait lorsqu’elle parlait, mais surement la carte lui dirait quelque chose. Elle la regarda de nouveau, son cœur se serrant un peu de joie : elle aurait bien serré la carte contre elle, si elle ne risquait pas de la salir.

Que faire maintenant. Elle regarda le grand serpent en souriant, en prenant l’air de quelqu’un qui pose une question, et fit passa sa patte par-dessus les autres terres qui n’étaient pas documentés. Ils avaient encore toute l’après-midi. Si lui avait du temps, ils pourraient peut-être changer de lieu, de documenter autre chose ? S’il n’était pas trop fatigué, aussi. Cela devait être éprouvant, quand même, de la porter ?

Elle lui sourit de nouveau lorsqu'elle comprit qu'il disait oui, en lui permettant de remonter sur son cou à plumes. Elle qui s'était réveillée triste comme d'habitude, se sentait maintenant légère, sans inquiétudes, comme si le poids de vivre s'était envolé. Il ne restait que l'émerveillement vis-à-vis de ce monde quasiment infini, qui s'étirait sous leurs pattes & écailles. Peut être était-ce l'air frais des cieux, ou l'aide d'un ami, ou la possibilité de réaliser un projet d'une vie à la fin d'une vie. Elle gribouilla dans un coin de la carte avec son fusain: MERCI. Elle l'écrit en majuscules, en espérant que comme ça, il le verra mieux avec ses yeux de serpents.

Elle lui montre d'une patte le coin de la carte ou elle a écrit son remerciement, avant de remonter sur son cou. Ils étaient en direction des terres anciennement Lazulis. Peut être que là bas, ils trouveraient des nouvelles choses, des herbes qu'ils pourraient ensuite tester ensemble, pour essayer de soigner des loups avec des maladies qui jusque là, étaient incurables.

Avec des amis, tout était possible dans la vie.

[finito pour moi dans ce sujet, on peut en lancer un autre chez les Lazulis, ou juste s'arrêter là, comme tu préfères ? =D ]

[Conclure me va bien, merci pour le topic]