Saut de l'ange [Bastille solo]

Défi:

Résumé:

Deux petits yeux fatigués émergèrent d’une sombre crevasse dans la montagne. Un bien modeste bien qu’efficace nid pour ce jeune loup solitaire qui avait élu domicile dans ces monts escarpés et pas toujours très accueillants. Voilà déjà un moment qu’il avait élu domicile ici sans grande conviction, s’imaginant trouver peut-être quelconque civilisation, un signe de vie, quelque chose. Bastille avait quitté sa famille en quête d’aventure, de rencontres, il espérait qu’il finirait par apprendre des choses sur ce monde, sur ceux qui l’entoure, et sur lui également. Mais jusqu’ici, il n’avait croisé que deux loups isolés qui ne lui avait pas apporté grand-chose. Pourtant l’un lui avait bien évoqué un clan, un groupe de loups qui vivaient ici, pourquoi ne les avait-il jamais croisés ? Était-ce par pure malchance ou est-ce que ce jeune loup lui avait menti par peur qu’il se fasse attaquer si on le pensait seul ? Il ne savait même pas s’il était encore capable de parler tant il n’avait pas dit un mot depuis des mois.

Bastille réprima un râle de frustration, pas le premier et certainement pas le dernier. Peut-être que le monde entier le fuyait, peut-être que sa mère avait raison. Sans doute était-il cette erreur, cette tare de la nature qu’elle avait tant décrit les rare fois où il la voyait et où elle daignait lui accorder la parole. Au fond elle se transformait peu à peu en un lointain souvenir et ce n’était pas plus mal comme ça. Mais malgré tout, Bastille ressentait à fur et à mesure cette peur qui se développait dans son thorax. Cette peur étrange et pourtant bien réelle qu’aucune relation n’existait entre lui et un autre loup.

Cette peur qu’il disparaisse si personne n’était là pour lui rappeler qu’il existait.

La nuit étoilée était la seule témoin de sa présence. Par les chaleurs actuelles, il ne sortait que la nuit et passait ses journées au frais dans sa grotte à dormir et à grignoter les restes et les os des maigres proies qu’il parvenait à capturer. Il avait progressé à la chasse il est vrai, mais sans mentor difficile d’éviter les erreurs de débutant qui vous suivent par la suite et qui vous handicapent.

Il se promena un instant dans les montagnes, gravissant les quelques rochers qui se présentaient devant lui avec élégance, son corps svelte et féminin lui accordant une bonne agilité. Il mangeait peu, certes, mais à sa faim, il n’était donc pas pour autant maigre. Ses muscles restaient entretenus par l’exercice qu’il s’accordait tous les jours durant ses quêtes de nourriture, sa seule occupation au final. Il avait déjà fait le tour de la plupart des terres du coin sans grand succès et s’était installé ici dû à l’abondance de gibier et à la présence de nombreuses crevasses faisant des nids faciles. Certes la zone était dangereuse, le terrain n’était pas toujours très praticable, mais Bastille en tirait au maximum les avantages. Durant sa quête du jour, Bastille constata que le sol était par endroit humide et boueux. Les pluies avaient beau se faire rare en cette chaude saison, elle n’était pas pour autant absente, et la précédente semblait avoir laissé des séquelles sur le sol devenu plutôt glissant. Le jeune loup ne s’en méfia pas plus que ça, continuant et sauté sur les rochers, humant les horizons, trébuchant de temps à autre sur une trace de boue avant de poursuivre son cheminement.


Son objectif semblait s’approcher de plus en plus : l’odeur d’une petite proie chatouilla de plus en plus ses narines. Au fur et à mesure que Bastille s’en approchait, il ralentissait le pas jusqu’à ce qu’il soit si discret que ses coussinets frôlaient à peine le sol. Il avait tout de même pu apprendre les bases de la chasse en autodidacte à force d’erreurs répétées.  

Il se tapit derrière un rocher, ses yeux azurs brillants balayant la zone de laquelle semblait émaner cette douce odeur de gibier. Et il fut récompensé par sa patience quand un petit mulot s’échappa timidement d’un petit trou sous une grosse roche. Le petit animal était méfiant, conscient que n’importe quel prédateur pouvait bondir sur lui à tout moment. Mais après avoir jaugé la zone sans détecter la présence du loup au pelage rouge, il commença à gambader, probablement à la recherche lui-même de nourriture. Bastille attendit le bon moment, un moment toujours assez difficile à capter car il n’y en a pas forcément. Cependant, il semblerait que ce soit son jour de chance, car le petit rongeur s’approchait dangereusement de lui sans se douter de quoique ce soit. Un petit sourire en coin, Bastille s’écrasa encore plus sur le sol, prêt à bondir.

Au moment opportun, il contracta ses muscles pour sauter sur le mulot mais ceux-ci se bloquèrent instantanément quand une ombre gigantesque apparue, surgissant d’un rocher un peu plus loin et s’écrasant sur la proie. Bastille se tétanisa. Ses muscles était toujours contracté comme si cette fois-ci, au lieu d’être prêts à le faire bondir, ils le suppliaient de ne pas bouger d’un poil. Devant lui, la bête qui venait de lui voler sa proie et qui commençait à la dévorer sans pitié avait l’air très peu amicale. Très vite, elle fut rejointe par un groupe d’animaux similaires qui la bouscula en grognant et en cherchant à voler quelque bout de chair du repas désormais en miette. Leurs silhouettes amaigries laissaient penser qu’elle ne mangeait pas autant à leur faim de Bastille le faisait... Peut-être même que ces animaux serait prêt à dévorer le jeune loup s’il se faisait prendre ?

Il frissonna et eu un réflexe de recul. Un réflexe malheureusement fatal : en reculant, il écrasa une branche sèche qui craqua lourdement sous son coussinet turquoise. Une façon très clichée de se faire repérer, mais ça ne pardonne pas. Les effrayants prédateurs levèrent tous la tête en sa direction, furieux. Tout s’est alors mis à aller très, très vite. Bastille prit ses pattes à son cou et démarra au quart de tour dans un sprint fulgurant. Le souffle court, il enjamba un maximum les rochers et fila le plus loin possible sans jamais se retourner. Mais le bruit derrière lui était là pour lui rappeler qu’ils étaient bien derrière et qu’il était loin d’être tiré d’affaire : les pattes des créatures martelaient le sol et il pouvait presque sentir leur souffle furieux au creux de ses oreilles. Perdu pour perdu, il tenta d’user une partie de son souffle pour crier à l’aide. Peut-être était-ce le bon moment pour qu’une de ses semblables vienne à son secours.

Rien.

L’endurance du jeune loup était mise à lourde épreuve et rapidement il perdit de l’avance. La boue qui jonchait le sol et les rochers le faisait d’autant plus perdre de la vitesse, il trébucha à de nombreuse reprise jusqu’à ce qu’une des créatures se faufile sur son flanc droit et lui bondisse dessus pour lui infliger une profonde entaille à l’épaule. Hurlant de douleur, Bastille réussi à repousser l’animal d’un coup de flanc et tenta de dévier sa course sur la gauche. Il continuait de courir pour leurs échapper mais tous le rattrapaient de plus en plus, assénant toujours plus de coups de griffe violant sur son flanc. La situation ne pouvait pas être pire, jusqu’à ce qu’il arrive sur un cul de sac. Le bord de la falaise était juste en face de lui et il se retrouva obligé de s’arrêter. Très vite, il fut encerclé par le groupe de prédateurs affamés, tout crocs dévoilés. Tétanisé, Le loup au pelage roux ne sut que faire et il n’eut pas tellement le temps de réfléchir. Il sentait les bêtes prêtent à lui bondir dessus à tout instant et à le mettre en pièce. Ses plaies le brûlait affreusement, rendant la réflexion encore plus difficile. Pourtant il devait trouver une issue maintenant sinon c’est la mort qui l’attendait. Il ne pouvait pas se battre contre eux, la fuite était sa seule option.

Il regarda rapidement autour de lui, devant, derrière lui... Là ! Tout en bas de la falaise, il apercevait un petit bout d’eau à travers les feuillages. Avec un peu de chance, s’il sautait, sa chute serait ralentie par les branches et il finirait dans un étang assez profond pour qu’il puisse s’en sortir. Les chances de ne pas s’en sortir était élevées, mais il n’avait plus le choix.

D’un coup d’un seul, il détourna les talons, prit une micro seconde pour calculer sa trajectoire et fit le grand plongeon. Tout sembla se ralentir d’un coup, il sentit presque les griffes de l’animal affamé lui effleurer l’épaule avant qu’il ne plonge de plus en plus vite dans le vide.

Il ferma les yeux. Tout était silencieux pendant un court instant puis le premier choc arriva. Il heurta une première branche de plein fouet qui lui coupa le souffle. Fort heureusement Bastille avait une chance incroyable : les branches étaient souples et il put résister aux chocs suffisamment longtemps, jusqu’à ce que son corps soit plongé dans un amas d’eau tiède qui stoppa complétement sa chute. Il sentit le sol frôler son corps, comme quoi le plan d’eau ne devait pas être si profond, pourtant il était immergé actuellement et devait à tout prix remonter au plus vite. Ses muscles étaient si abîmés et douloureux qu’il n’arriva pas à bouger un seul membre. Il se concentra au maximum pour ne pas paniquer et puisa dans ses dernières réserves d’énergie : d’un coup de patte arrière il se propulsa à la surface. Sa tête enfin sortie de l’eau, il prit une grande bouffée d’air frais avant de battre des pattes de toute ses forces vers la rive. A peine sortit de l’eau, il s’effondra sur le sol et disparu dans l’obscurité la plus totale.



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Bastille ouvrit lentement un œil. Rien que cet effort lui semblait être insurmontable tant la douleur était présente partout dans son corps. Il avait la sensation d’avoir dormit pendant des années.

Le jeune loup parvint à lever doucement et légèrement la tête. La lune brillait haut dans le ciel, il avait probablement dû dormir toute la journée et une partie de la nuit. Ses yeux balayaient la zone pour vérifier l’absence de danger, puis il constata ses blessures. Une grande partie de son flanc droit était totalement lacéré et tâché de sang et d’autres blessures plus superficielles jonchaient le reste de son corps, principalement causées par le passage à travers les branches. Ses muscles le faisaient souffrir mais sa patte droite était particulièrement douloureuse. Il tenta de se lever avec difficulté, d’abord les pattes arrière qui tremblaient beaucoup puis les pattes avant. Sans surprises, la patte avant droite refusa de se poser au sol, la douleur était insupportable. Il grimaça. Il n’avait aucune compétence en guérison et ne savait pas du tout comment il allait se soigner. Il se sentait très faible et pourtant il devait absolument retourner à son abri. C’est le seul lieu sûr qu’il connaisse et là où se trouvait toutes ses réserves. Dans cet état il n’était sûrement pas prêt de chasser de nouveau alors il allait devoir taper dedans. Au fond de lui il savait que s’il remontait là-haut, il pouvait à tout moment retomber sur ces créatures qui pouvaient finir ce qu’elles avaient commencé, mais encore une fois c’était la seule option qui se présentait à lui. Ici, il n’avait aucune ressource et il était à la merci de tous. Il ne tiendrait pas deux jours.

Pas de temps à perdre. Malgré sa terrible envie de dormir, il se fit violence et commença à boîter en direction de la montagne pour grimper de nouveau. Il sentait que s’il s’endormait maintenant, il ne se réveillerai peut-être jamais. L’ascension sera peut-être longue dans cet état, mais au moins il ne risque pas de somnoler.

Il espérait déjà fortement atteindre la planque en vie... Mais après quoi ?

Chaque pas était une lutte perpétuelle et son estomac était complétement vide à cause de son évidente chasse non fructueuse de la veille. La lutte contre le sommeil n’en était que plus pénible et difficile. Il devait absolument se mettre quelque chose dans le ventre, n’importe quoi.

Lors de son enfance, il avait plusieurs fois entendu sa mère parler de loups complétement fous qui ne se nourrissaient que d’herbes car ils respectaient trop toutes espèces animales pour manger de la viande. Bastille avait trouvé à cette époque l’idée assez curieuse, mais en l’état actuel des choses, l’option semblait tout à fait envisageable. Lorsqu’il commença sa pénible ascension, il constata quelques feuilles qui poussaient du dessous des rochers. Elles ressemblaient plus ou moins à des feuilles de salades, quoi de plus inoffensif ? Alors Bastille décida de tenter le coups, quitte à déjà frôler la mort à chaque seconde.

Il planta ses crocs au plus proche de la base de la plante et tira d’un grand coup pour arracher les racines de la prétendue salade. Le jeune loup orange mâchouilla alors la feuille en grimaçant légèrement de dégoût. Certes le repas était plutôt amer mais il était mangeable, dans sa situation c’était largement suffisant. Il ne sentait pas tant ses forces lui revenir mais au moins son estomac criait moins famine. Après en avoir ingurgitées quelques autres, il reprit son chemin, les dents pleines de morceaux de feuilles qu’il s’efforça de retirer à l’aide de sa langue.

Après de longues minutes de pénible ascension, il s’octroya une petite pose sur un rocher. Le jeune animal était essoufflé, presque en colère de ne pas parvenir à aller plus vite. Pourtant son corps ne lui permettait rien de plus, la réalité était là. Heureusement, il ne se sentait déjà plus si fatigué, seulement douloureux et essoufflé. Il avait l’impression de lutter contre la vie à chaque instant et pourtant il n’avait aucune intention de mourir, il en était hors de question. Pas question d’accepter que sa vie ait pu être aussi merdique sans but à la clé. Déterminé après cette petite pause, il se releva non sans difficulté, toujours grimaçant, laissant échapper un grognement lorsqu’il posa sa patte avant droite par accident au sol. Mais malgré ça il était reparti.

La pénombre lui donnait beaucoup de mal à voir où il mettait les pattes. Le sol était encore glissant à cause de la boue qui était toujours présente hélas et chaque pas était difficile. Bastille grimpa autant qu’il le put, jusqu’à ce que la fatigue soit si intense qu’il n’arrivait presque plus à avancer. Le ciel commençait déjà à arborer des couleurs légèrement orangées : le soleil pointait le bout de son nez. Le jeune loup décida qu’après avoir tenu jusqu’au lever de soleil, il méritait de se reposer. Il s sentait déjà un peu moins mal que tout à l’heure et sentait qu’il pouvait dormir sans risquer un sommeil éternel.

Le solitaire se faufila dans une petite crevasse dans la roche qui abritait juste assez de place pour un jeune adulte et s’allongea. Il prit quelques instants pour nettoyer ses plaies avant de sombrer dans un profond sommeil...

Un rayon de soleil vint caresser les cheveux noirs du solitaire. Il se réveille avec difficulté, encore une fois avec cette horrible impression d’être revenu d’entre les morts. Ses yeux peinèrent à s’ouvrir. Le soleil était arrivé jusqu’à lui, il devait déjà être plus de midi. Doucement, il se leva de nouveau avec cette impression d’avoir 5 à 6 fois son âge. Certaines plaies lui faisaient déjà un peu moins mal mais n’étaient pas pour autant très belles et certaines sur l’épaule droite étaient en revanche toujours aussi douloureuses, tout comme sa patte avant droite qui restait impossible à poser au sol. Mais pas le temps de se poser trop de question sur son état de santé, il devait rester fixé sur son objectif : rejoindre la planque !

Au pas de course (ou du moins celui accordé par sa santé physique) il sortit de sa petite tanière, s’étira comme il put malgré les courbatures de douleur et reprit son ascension. Cette dernière était déjà beaucoup plus simple de jour et maintenant que sa santé s’était un peu stabilisée. Il avançait d’un pas plus sûr bien qu’il ne reposât que sur trois pattes. Bastille continua sur ce rythme jusqu’au soleil couchant. Il se trouva alors une nouvelle planque et se reposa à nouveau. Le lendemain il remplit de nouveau son estomac de salade de substitution et repartit. La fatigue s’était stabilisée sur une norme correcte mais sa douleur était toujours très présente. L’une des plaies sur son épaule, celle qui semblait la plus profonde, n’était vraiment pas très belle. Il tenta de la nettoyer la plus souvent possible pour l’empêcher de s’infecter davantage. Bastille savait bien qu’avec une alimentation à base de plante, son corps aurait sûrement beaucoup de mal à réparer tout ça correctement...

Le soir venu, il arriva enfin aux sommets des Monts, là où se trouvait sa planque : une victoire considérable pour le jeune loup ! Il se précipita en boitant dans la cavité et creusa dans le fond pour déterrer les deux mulots qu’il avait gardé en réserve. Ils n’étaient plus très frais mais toujours mangeable, et le solitaire rouge n’en fit qu’une bouchée. C’était hélas les seuls qu’il avait pu mettre de côté et il ne savait pas encore comment il allait pouvoir chasser dans cet état... Sans manger en temps normal il aurait pu tenir quelques semaines, mais dans son état il avait de forte chance de mourir en quelques jours...

Le jeune solitaire ferma un instant les yeux. Il avait déjà tellement de chance d’être en vie après ce qu’il venait de vivre... Il trouverait une solution quoiqu’il en coûte. Il finirait bien par attraper un vieux mulot malade ou quelque chose du genre.

Mais pour l’instant il devait se reposer pour pouvoir se sortir plus facilement de ce calvaire. Une fois de plus, il nettoya soigneusement ses plaies, posa sa tête sur ses pattes, enroula sa longue queue autour de son corps et se laissa avalé par un sommeil de plomb.