Quand il passe la cascade, cette fois-ci, il ne tremble plus.
Oh, bien sûr, la peur n'est pas partie en entier. Il pense qu'il y aura toujours une pointe d'anxiété dans son cœur à chaque plongée. Ce qui importe, c'est que c'est gérable. Ce n'est pas un sentiment étranger dont il se détache, il prend le temps de bien la saisir, sentir son cœur battre plus vite et sa respiration être plus difficile. Cela fait un moment qu'il n'a plus eu l'impression que le monde autour de lui tourne et se dédouble, d'observer son corps et ses actions depuis l'extérieur.

Maintenant, son cœur bat plus vite pour des raisons positives.
C'est impossible de résumer par les paroles, à la statue de la dragonne, tout ce qu'il s'est passé récemment. Il espère qu'elle est omnisciente et peut lire en lui, et voir tous les projets : ne plus mentir, trouver des objets pour Ted, fabriquer ensemble le tissu d'invisibilité, chercher dans la Bibliothèque pour son corps... Et avoir repêché l'objet demandé en réfléchissant dans l'eau.

Il le présente, d'ailleurs, avec la fleur d'Edelweiss.
Il ose cette fois penser qu'il aimerait passer son épreuve et de celle-ci, obtenir un moyen de briser sa malédiction ou de réobtenir les cycles de vies. Que c'est son moyen de réussir, d'aller retrouver Agathe avec la famille de Ted, d'aller dans le Grand Nord avec lui parce qu'il a déjà pris la décision.

Il trouve des moyens de réussir, il croit.
Il a en tout cas tenu promesse, et accomplit tout ce qu'il a dit vouloir faire ; il vit, il ne s'est jamais senti aussi vivant.
À elle de délivrer son jugement.

Sa réapparition est intimidante.
Il inspire, le cœur accéléré par l'anticipation de ses paroles. Rien ne vient. La déesse ne parle pas, elle n'a qu'une expression assez satisfaite qui l'interpelle autant qu'elle le gonfle d'espoir...

Mais le décors change.
Le froid qui était déjà présent s'intensifie et c'est la neige qui le mord. Un douloureux rappel de celle qui a emprisonné ses pattes lorsqu'il est sortit de l'eau après sa dernière mort. Un frisson le traverse, malgré l'épaisse couverture qu'il a. La toundra du Grand Nord ne pardonne pas, ils ont bien fait de trouver de si belles peaux pour ne pas terminer en hypothermie. Au moins, le but est proche, il va pouvoir aider Ted à retrouver son ami disparu dans ces contrées. Ce qui rattrape tout le désagréable temps qu'ils combattent.

Dans le silence, pourtant, le danger rôde.
Une ombre passe et pas le temps de crier, pas le temps de bondir pour se rapproche et le pousser.
Le son qu'il entend est abominable.

"Non, NON ! TED !"

La panique est immédiate, la nausée dans sa gorge tout autant ; comme un pendule à nouveau son monde se dédouble, se déchire, la réalité lui parait incroyablement fade. C'est le passé qui se répète, qui entache son futur et lui impose sa cruauté brute, sa laideur inégalable comme sa beauté peut tout autant l'être. C'est un autre ami emporté par un prédateur à qui il est impossible de faire face. Va-t-il lui falloir demander à nouveau de l'aide, pour aller trouver une traînée de sang et récupérer un corps rapiécé sur le sol ?
Le souvenir de celui de Thorn se superpose sur une image de celui de Ted.

Il vomit.
Il se voit, plutôt, vomir.
Au-dessus de lui-même, presque comme de la perspective de la déesse. Il se voit tousser et s'étrangler quand les larmes ne parviennent pas à sortir, poussé au bout de lui-même par ce qu'il a vu et la perte du loup avec qui il a développé un lien si fort. Et ces mêmes pensées qui bouclent, que ce n'est pas vrai qu'il est encore quelques secondes en arrière derrière Ted à marcher dans l'épais manteau blanc. Que c'est ses peurs qui parlent.
Il voit, maintenant, ce mécanisme de défense.

Utile, mais détrimentaire sur la durée.
Il faut qu'il accroche ses pattes sur le sol, il faut qu'il se voit serrer les dents pour pouvoir retrouver l'idée de sentir la pression entre ses crocs à nouveau. Il se le doit, de retourner à la réalité, aussi dur soit-elle. S'il n'y retourne pas... Il ne pourra jamais agir. Une patte se lève et porte atteinte à sa propre épaule, laisse couler un filet vermillon dans son sillage. La douleur physique, paradoxe, surplombe la douleur mentale. Ce n'est pas un bon mécanisme sur la durée non plus. Mais utile à son tour pour chasser la première défense qu'a pris son esprit. Deux négations font-

Il sent le froid, reconnaît enfin l'anxiété qui lui tord le ventre.
Les larmes qui coulent enfin sur ses joues et son souffle court, il crache encore un peu de bile. Il se met pourtant en mouvement, il ne va pas le laisser. Il n'est pas bon à la traque, pourtant il ne va pas le laisser. Il va le retrouver, il va aller chercher Ted. Il va le trouver.
Il va réussir.

Avec lui, pour lui, il va réussir.
Il se le répète chaque fois qu'il parvient à poser une patte dans la neige, cherche les traces de pattes immense dans la neige balayée par le vent : il n'a pas beaucoup de temps. Il utilise le tissu qui rend invisible qu'ils ont créer avec Ted, pour se camoufler. Il ne sera pas vu et emporté à son tour et mort avant même d'avoir pu le sauver. Il galope quand il retrouve un peu de souffle, pousse sur ses pattes bien malgré la tension dans ses muscles. Il peut le faire, il se doit de croire en lui et à la survie de Ted en attendant qu'il arrive.

Dès qu'il repère des traces, il les poursuit.
Autant de fois que Ted a pu l'aider, il veut suivre ce chemin lugubre d'empruntes dans la neige pour aller le retrouver à son tour, être la personne qui sera à la hauteur pour lui. Il progresse peut-être avec difficulté, il refuse qu'on dise avec ridicule. C'est leur histoire, leurs réussites, il compte à ce qu'elle soit longue, il ne va pas laisser un monstre la lui dérober !
Presque de rage, il trouve l'ombre.

Cherche Ted des yeux et quand il le voit, en danger, il profites de son invisibilité pour arriver de côté et aller aussi vite qu'il puisse, utilisant son dos souple pour être agile et arrive à temps, pour pousser son ami, son amour, loin des mâchoires de la créature floue et sombre. Il laisse la gravité l'emporter lui aussi pour qu'ils glissent dans la neige. Il secoue Ted, n'hésite pas à être rude et lui intime :

"Ted, TED, VIENS, COURS !"

Il se redresse et tire sur l'échine du loup gris pour l'aider à se relever ; il ne fait pas la même erreur qu'avec Thorn en partant devant. Sûrement pas. Ils ne mourront pas, s'il a son mort à dire dans cette histoire.
Viens Ted, on s'en va, on réussit ensemble, encore. Comme on l'a déjà fait.

Comme on l'a déjà fait.

L'image se brise et Lùgh prend tout à coup conscience de la vision.
Son corps est pourtant tout aussi essoufflé, réalité ou création, revient au même. Il s'écroule presque sur l'arrière-train et ne se retient que par réflexe. Il avale une goulue gorgée d'air et déglutit.

C'était... c'était cruel. Et nécessaire.
Une épreuve d'endurance mentale, de réelle détermination, elle lui a imposé le pire pour qu'il puisse révéler le plus pur sentiment. Moins que cet extrême et il ne sait pas si ça aurait fonctionné, s'il aurait pu passer ces barrières résistantes barrières mentales. Elles ont pourtant exploser, aujourd'hui.

Encore à bout de souffle, il pose ses yeux blancs sur elle qui le scrute en retour. Le silence est à la fois long et si court, intense et reposant par rapport à la vision.

Son pouvoir a déjà été éprouvé ?
Oh. Oh ! C'est que cela restaure bien la ... ? Elle lui confirme sa réussite avec un félicitation et un avertissement de ne pas revenir réclamer faible des choses. Il ravale encore sa salive et hoche la tête, encore intimidé ; galvanisé au même moment. Il a réussit.

La lumière bleue apparait en même temps qu'un très léger sourire sur le visage de la déesse et cela conclut son intervention. Elle disparaît en même temps que la lumière file à son oreille et illumine une de ses boucles. La preuve est là.
Il rit, un son bref.

Et n'a plus qu'une pensée.
Il faut qu'il le dise à Ted. Il faut qu'il lui dise ce que veulent dire les mots bretons, il faut qu'il trouve son toucher sous sa patte pour expier les derniers restes de la vision.

Alors il part en galopant, aussi vite qu'il puisse.
Déterminé.