Lune de silence | Auberon

Dans le cile dégagé de la nuit, la lune, énorme et blanche, inondait le monde d'une lumière glacée. Les collines que le jour faisait apparaître encore vertes, les arbres dont les feuilles mourantes avaient les couleurs du feu, les rivières reflétant le bleu du ciel, tous avaient revêtu sous son éclat un sobre camaïeu d'argent et de noir. La brise légère qui soufflait par instants faisait onduler les hautes herbes, ruisseler sur elles des lueurs tantôt grises, tantôt blanches, tantôt corbeau. Le monde entier avait perdu ses couleurs et sa musique pour laisser pace aux bruits discrets de la nuit. Avec la mauvaise saison qui arrivait doucement, les oiseaux s'en étaient allés pour la plupart, les insectes s'étaient endormis, et la nuit bruissait seulement des murmures du vent et des hululement des chouettes qui chassaient dans les plaines.

La silhouette en marche d'Adellphe se fondait dans ce décors alors qu'elle avançait sans se hâter vers la Vasque de la Lune. Elle avait passé la journée à marcher vers l'est, allant plus loin qu'elle n'était encore jamais allée. Elle avait bien sûr prévenue sa mère et ses frères et soeurs, tout en explicitant le fait qu'elle souhaitait faire ce voyage seul. Depuis quelques temps, elle se sentait mal, et une conversation avec Jessamine l'avait éclairé sur cette étrange période : elle vivait l'arrivée de ses premières chaleurs. Si elle gardait d'apparence le même comportement et ne laissait rien soupçonner, elle se senatit globalement... moins bien. Etrange. Tantôt patraque, tantôt avec le moral bas sans raison, tantôt énergisée et prête à en découdre avec n'importe quoi. Elle avait constaté que marcher de longues heures l'aidait à stabiliser tout cela et à se sentir mieux, alors elle s'en était allée, avec la ferme intention de découvrir d'avantage le territoire de Punk-Wolf tout en soulageant ses maux. Jessamine lui avait bien-entendu recommandé la prudence, mais sans l'empêcher pour autant de s'éclipser ; après tout la louve devenait doucement adulte, non loin de sa première année révolue. Ou peut-être l'avait-elle déjà eue ? Elle n'en était pas certaine. Leur mère n'avait en tout cas pas fêté l'événement, mais était-ce son style ? Elle laissa la réflexion tisser des suppositions dans son esprit, alors qu'elle s'approchait du bord de l'étrange étang.

Il avait une forme de croissant de lune, ce qui était de circonstances. Après un instant d'hésitation, elle s'avança sur la berge et posa une patte dans l'eau. L'onde glacée lui arracha un frisson et son aile unique se déplia légèrement, comme par réflexe. Elle ne savait pas dire si elle appréciait ou non ce contact. Elle posa une seconde patte, créant une série de cercles qui allèrent se perdre loin sur la surface. Son regard clair la parcourut, cherchant à en percer le voile pour découvrir ce qui y vivait. Elle n'avait pas vraiment le courage d'alle rplonger sa tête dans cette eau si froide pour le voir de ses propres yeux, et se contenta d'observer en silence, de longs instants durant, les ridules qui disparaissaient et la surface comme un miroir de ce lac si particulier.

Ce ne fut que lorsque le vent tourna qu'elle réalisa qu'elle n'était plus seule, puisque soudain une odeur nouvelle vint chatouiller sa truffe. Elle se retourna et parcourut les alentours du regard, sans bouger, cherchant des yeux le nouveau venu.

Il était sorti du refuge pendant que les autres dormaient, il s'était un peu éloigné mais pas trop non plus pour ne pas perdre son chemin, surtout qu'il ne connaissait rien de cette endroit.. C'était dangereux d'être seul la nuit, il le savait, mais il n'avait pas peur lui, sa fougue était comparable à de l'inconscience. Et puis il n'arrivait pas à dormir, il était trop inquiet pour sa tante et ça lui rongeait l'esprit et le cœur.

Pourquoi elle ne revient pas tante Elely ? Est-ce qu'elle m'a abandonné ? Est-ce qu'elle est morte elle aussi ?

Le regard tourné vers les étoiles, les larmes roulaient silencieusement sur ses petites joues. Elle lui manquait. Papa et Maman aussi lui manquaient. C'était étrange mais en cet instant, il se sentait faible et minuscule, impuissant. Il se sentait comme un oiseau à qui on aurait arraché les ailes.

Pourquoi est-ce qu'ils partent tous ?

Il renifla, s'essuya la truffe et laissa tomber son regard sur l'eau calme devant lui. Quelques faibles ondulations venaient la déranger ci et là quand un insecte ou une feuille s'y posaient. Il était tellement engouffré dans ses pensées obscures qu'il n'avait pas remarqué la présence d'une autre personne.. Ou peut-être que si, mais qu'il préférait l'ignorer et qu'il prenait intentionnellement le risque d'être une proie pour rejoindre Papa et Maman.

Les yeux clairs d'Adellphe observèrent sans mot dire la silhouette qui se tenait-là. Elle ignorait s'il ne l'avait pas vue ou l'ignorait sciemment, et finit par opter pour la seconde option - avec le lot d'interrogations qu'elle apportait. Ils étaient plutôt proches, et avec la direction de laquelle semblait venir cet inconnu, elle avait forcément dû traverser son champ de vision. Il était assis au bord de l'eau, l'échine un peu courbé et l'air abattu. Il paraissait porter toute la misère du monde sur ses épaules, qui n'étaient pourtant pas si frêles. C'était un loup qui paraissait jeune, avec de longues pattes, mais déjà de haute taille et carré de stature. Sans aucun doute plus grand qu'elle - ce n'était pas très difficile, même si de loin ses longs membres donnaient l'impression qu'elle était grande elle aussi. Ses cheveux épais et ébourriffés étaient vaguement attachés sur sa nuque, et la couleur de son pelage était difficile à distinguer à la lumière blafarde de la lune. Son visage était d'un sombre profond, noir peut-être, noyant dans l'ombre les expressions de son visage.

Après un instant d'hésitation, la louve retira une patte de l'eau et l'y replongea plus franchement. Les ridules qui se dessinèrent autour d'elle s'élargir en un cercle sur l'eau immobile jusqu'à s'en aller s'échouer aux pattes de l'inconnu. Les prunelles ne se détournant pas de lui, elle guetta sa réaction, alors que son aile se repliait sur son dos.

Il ressemble beaucoup à son père, Auberon, de nombreuses fois on lui a répété. Il a ses yeux, il a son large museau, ses cheveux ébouriffés. Il a son esprit d'aventure, le même besoin de vouloir devenir plus fort pour protéger les autres. Dans ce reflet il observe attentivement chaque trait et essaye de revoir son père, mais rien ne lui revient, rien. Il ne lui restait aucun souvenir de lui, ni son visage, ni son odeur, ni sa voix.. Parce qu'il n'avait été qu'un bébé lorsque son père avait fermé définitivement les yeux. Un nouveau soupire s'échappa de ses naseaux quand soudain un bruit lui fit lever les oreilles. Dans l'impossibilité d'ignorer plus longtemps la présence qui l'accompagnait il essuya ses larmes et releva son regard de feu pour observer l'inconnu. La silhouette était svelte et petite, grâce à la lueur de la lune il pouvait apercevoir de longs cheveux tombant en cascade sur ses épaules, une couronne de feuilles trônant sur un visage fin et pour finir, une aile, unique et peu ordinaire repliée sur ses côtes. Était-ce une mi louve mi-créature comme Kestrel ? Finalement un peu curieux il prononça les premiers mots :

Bonjour.. Tu es une louve oiseau ?

On ne pouvait pas faire plus insolite comme salutations.