Frères de rouge [PV Alexandrine]

-Iris-

Il avait quitté la plage pour remonbter jusqu'ici, sans pour autant se rendre au temple de son Dieu. Il ne pouvait entrer les pattes vides, et surtout pas la tête aussi pleine, sous peine de se faire renvoyer par Aka. Alors, une fois arrivé aux dents de roc, il avait fait ce que tout bon rouge était en mesure de faire lorsqu'il réfléchissait : il s'était mis à casser des cailloux.

Et à chaque fois que sa patte s'abattait, il revoyait les yeux de sa soeur plein de larmes.
Et à chaque coup, il l'entendait lui dire qu'il n'avait rien compris.
Et chaque fois que la douleur lui perçait les pattes, son coeur semblait se libérer un peu de son poids.

Quelque chose clochait, dans leur clan. Quelque chose clochait avec Nirvana, avec Désiré, avec lui. Et peut-être que la pretresse avait raison, peut-être qu'il n'y avait rien à faire, et que c'était à son tour de sacrifier son amitié avec le male et de lui intimer de partir.

Le claquement qui retentit est plus fort que les autres, et sous ses coups, la roche se fendille poussivement. Le souffle court, il s'arrête pour contempler son oeuvre. Les pattes en sang, et la roche toujours presque entière. Il n'avait jamais été de ceux qui explosaient, qui perçaient, qui dominaient. Sa tête vient se poser brutalement sur le roc, comme pour en canalyser l'énergie et essayer de réfléchir. Qu'il était idiot, putain.

Et soudain, dans son dos, on vient. Il se redresse, à peine honteux de sa position prostrée face à la roche, et se retourne en une expression surprise. C'était ...


La pretresse d'Aka. Cela faisait des lunes qu'il ne l'avait pas vue.
Elle avait changé, un peu. Lui aussi.

Une patte après l'autres, Alexandrine réapprenait les terres. Il faisait si chaud, ici, c'était étrange. Elle n'était pas capable de savoir si c'était une bonne ou une mauvaise chose. Elle... Le dragon en elle se sentait bien, il appréciait ce répit aux landes glacées du Nord. Ce temps, au final, qui lui était si peu adapté. Où elle s'était forgée, comme souvent, dans l'adversité. Où elle n'était que médiocrité, elle petite louve face aux Dire du Grand Nord. Où malgré sa force et sa stature, elle était réduite à l'état de puceron, que ce soit face à ses congénères ou face aux dinosaures.

Ici, elle était géante. Ici, il faisait chaud. Ici, même les prédateurs lui semblaient ressembler à des proies. Il n'y avait pas la souffrance et la morsure de la glace, de la solitude, de la faim, des proies impossibles à attraper, ce sentiment d'être une souris dans un monde de chats. Il n'y avait pas toutes ces choses qui l'occupaient à survivre et l'empêchaient de penser, tout en lui laissant tout le temps de le faire. Ici, il y avait le bruit, incessant, des loups qui vivaient autour d'elle.

Et là.

Dans les Dents de roc - elle n'avait pas encore osé se rendre aux marais - qui étaient sa maison (loin des autres, loin du Castel), là.

Un loup, qui tape des cailloux.

Un loup, rouge, qui réfléchit un peu trop.

Alexandrine se fige et passe une langue sur ses babines craquelées. Elle réfléchit. Réfléchit. Réfléchit encore.

Putain.

C'est qui lui déjà.

Ceux qu'elle avait côtoyé quotidiennement des années durant peinaient à se rappeler à son souvenir, alors les autres ? C'était encore plus difficile. Un monde la séparait de ses souvenirs. Et puis. Et puis, il était rouge quand même, les souvenirs remontèrent, peu à peu. Des crocs, des colères, des pleurs.

Quelqu'un de perdu.

L'était-il encore ? Le temps n'avait pas l'air de lui avoir apporté grand chose, à part des plus grandes pattes et des plus grandes questions.

Eh. Un peu comme moi.

Elle s'approche, et il détecte sa présence. La reconnait - bon, le contraire l'aurait vexé quand même. Elle le contemple un instant. Elle a besoin de réfléchir, de formuler les mots dans sa tête, de les répéter dix, vingt fois pour pouvoir les sortir. Les exprimer. Les pousser, hors de sa gorge, hors de sa tête, pour que ça veuille dire quelque chose.

..........

Elle ouvre la gueule. Droite, raide, et fière devant lui.

Quoi ?

C'est quoi, le problème, frère rouge ?

Elle restait prêtresse d'Aka, et aux siens elle porterait assistance.

J'ai besoin de toi.

-Iris-

Le regard de la dragonne croise celui du fils d'Holly. La gueule est encore plus balafrée que dans son souvenir pourtant déformé par l'enfance, et les mots qui sortent sont violents, rauques et animaux. Iris reste silencieux. Est-ce que discuter servait à quelque chose ? Demander comment c'était, dans le Nord, ou pourquoi est-ce qu'elle était là aujourd'hui alors même qu'elle avait l'air de préférer les terres arides et froides à leur clan pourtant accueillant ?

Si même les prêtresses se mettaient à s'enfuir, comment ne pas remarquer que quelque chose clochait ?

Le menton frémit, quand le silence s'étend. Et sur l'épaule de l'un comme l'autre, le rouge brille. Ce qui les unissait - la seule chose, à vrai dire. De tous les mots, de toutes les question qu'Iris avait, aucune ne semblait formulée pour Alexandrine, pour ce monstre de muscle et de glace, pour cette figure presque mythique d'un clan dont les failles étaient à présent dénudées. Iris serre les crocs. Et dans son regard, une décision.


Car il n'y avait que ça qui pouvait apaiser le coeur d'un rouge, non ?

Battons-nous.

Ô, Tita. Tita, qu'est devenu ton clan, que la guerre et les coups sont le seul échappatoire à la douleur de tes membres et disciples ? Tita, qu'est devenu ce clan, quand c'est sur mes traces plutôt que sur les tiennes qu'ils marchent douloureusement ? Tita, qu'en est-il de nous, quand la solitude ne forme autour de ma compassion qu'une bien maigre barrière ? Tita. Tu étais là pour moi, mais qui pour accompagner ces enfants ?

Alexandrine gronde, se grandit, ouvre la gueule. Les pensées tournent sous son crâne, se bousculent, forment mille mots que sa gorge ne sait pas, ne sait plus exprimer. Son corps frémit, et de nouveau elle éructe :

Les mots. Dehors.

Parce que les coups, c'était important. Combien d'arbres avait-elle démonté à la Moëre ? Combien de roches, éclatées au bon vouloir de ses humeurs ? Combien de combats, perdus, gagnés sous la folie du trop plein d'énergie ? Mais il n'y avait pas que les coups. Il y avait toujours Tita pour ramasser ses mots et ses palabres saccadés, ces mots qui accompagnaient la peine et la peur et la perte et la colère. Ces mots qui à l'intérieur pourrissaient l'être s'ils n'avaient aucun échappatoire.

DEHORS !

Parle.

Si elle n'avait de réponses, elle avait des oreilles, elle avait le coeur rouge, et si les mots s'accompagnaient de coups, c'était bien aussi. Mais les mots. Les questions. Celles qui tournent et qui empoisonnent.

Dehors.

-Iris-

Iris ne peut s'empêcher d'être surpris, lorsqu'au lieu des coups vient un refus. Son premier, probablement, venant d'un autre rouge. Pas de n'importe qui, même : de la prêtresse d'Aka elle-même. Pourtant, elle comprend, Alexandrine. Et dans ses yeux un peu vides, dans ses mâchoires qui raclent et qui crissent, qui beuglent et qui eruptent, il y a un peu de vérité. Et si Iris a désespérément besoin de coups pour se réfugier dans la douleur, c'est la colère qui jaillit, frustrée de ne pas pouvoir trouver son échappatoire et ses réponses, d'être toujours aussi stupide, après toutes ces années.

"Pourquoi t'es partie dans le Nord ?"

Il découvre les crocs. Ce n'était pas sa faute, ce n'était pas une accusation. Mais le poitrail se gonfle et les mots enflent, de sa voix éraillée qui peinait a trouver sa place entre les graves et les aigus.

"Pourquoi ils veulent tous partir ? Pourquoi il faut sacrifier autant pour rester, pourquoi ..."

Il fronce les sourcils. Alexandrine n'en savait rien, elle. Elle avait été la première à partir, non ? Suivie par tant d'autres qui voulaient leur liberté. Pour qui le clan ne voulait plus rien dire à part une prison. Et Nirvana, qui était malheureuse et il ne comprenait pas pourquoi. Dairo lui avait elle posé ses bateaux dorés tout autour ? La Renarde, la seule qui la rendait heureuse pourtant ?

Un coup explose dans la roche a côté de lui. C'est sa patte qui prend, comme avant. Il a mal, mais ça ne suffit pas.

"Pourquoi ils sont tous malheureux ?"

Il aurait préféré taper, Iris.
Pour se cacher que lui aussi l'était un peu, malheureux.

... Ok les grands coups de patte sur la roche c'était probablement pas terrible pour lui, bon. Qu'il est con, ce garçon. Bah, elle l'avait été aussi, en son temps. Combien de fois, d'ailleurs, contre des roches, des lions, des dodos. A foncer, tête en avant. A se casser le museau, se casser les dents.

Sur des questions existentielles, tellement.

Alexandrine fait quelques pas, pour le regarder taper la roche. Le visage mort, peu expressif, figé par le froid. Elle lui tapote l'épaule, lui enjoint de la suivre. Elle s'ébroue et s'approche d'une zone boisée.

Accélère.

Au dernier moment vire, et de son épaule éclate le petit arbre, les éclats volant en tout sens, le bois meuble pliant face à la violence des coups.

Destruction.

Quelque chose de bien mieux plaisant que de taper des cailloux sur lesquels l'effet ne se voit pas.

Elle se redresse, fière, l'épaule si elle n'est démise au moins abimée par le choc et légèrement égratignée.

Tape plutôt ça.

Mais en même temps qu'elle montre, en même temps qu'elle tape, en même temps qu'elle frappe, elle réfléchit. Pourquoi ? Elle savait pourquoi elle était partie. Elle ne savait pas pourquoi les autres partaient. C'était... Compliqué. Bien sûr. Et tous subissaient. Elle ne savait pas pourquoi les autres étaient partis, parce qu'elle ne savait pas qui étaient ces autres, quelles étaient les causes. Mais elle se souvenait de la reconstruction des terres Lazulis, des histoires racontées sur ce clan qui avait littéralement éclaté de l'intérieur.

Elle se souvenait de la prestance de MamAnette et de Tante Pep'. De leur lumière.

Mière.

Elle se râcle la gorge, fronce les sourcils, fait claquer ses mâchoires.

LUMIERE.

Ce monde, ce clan manque de lumière.

Les mm-m-m-maillons.

Elle soupire. C'est plus dur qu'avec Aka, c'est si compliqué, sa voix ne va plus assez vite pour toutes les idées qu'elle souhaite exprimer, ce qu'elle veut dire, ce qu'elle veut enseigner. Elle regarde le sol. Pour la première fois depuis dix ans, elle regrette de n'avoir pas écouté les leçons d'Holly lui enseignant lecture et écriture. Putain. C'est qu'elle avait raison cette tchoin.

Elle inspire à fond et regarde Iris dans les yeux.

La chhhh-chaîne.

Elle lève le poing, qu'elle referme.

Protège.

Elle se lèche les babines.

Elle se b-b-bBrise. Avec.

Elle abat son poing sur le sol, l'étale.

Le maillon. Faible.

Un clan n'est que la somme de ses composants, et il se délite avec la moindre faiblesse qui n'est pas traquée, travaillée, chassée ou résolue. Une mauvaise pomme, et c'est tout le panier qui est bon à jeter. Pour éviter cela, il faut de la lumière. Des lumières.

Parle. Tape.

Exprime.

-Iris-

Les yeux d'Iris cherchent une réponse dans ceux d'Alexandrine, de son ainée. De celle que son Dieu avait choisie pour le représenter en entier. Et les mots sont durs, pour elle, le Bouclier le voit bien, car le temps et le froid ont glacé sa machoire. Est-ce que c'était ce qu'il allait arriver à Nirvana, aussi, à force de rester dans son Temple ? Non, non, non, il ne comprenait rien. Il voulait comprendre, même lorsqu'elle lui avait dit d'abandonner. SUrtout alors qu'elle lui avait dit d'abandonner.

Alors, lui aussi s'élance. D'un coup d'épaule rageur, il percute un tronc faiblard, se ravageant la peau d'égratignures et d'écharde. Mais le tronc explose, et il manque de tomber comme surpris qu'il ai réussi à détruire pourtant si faible végétal. Il se redresse, le souffle plus court. Un peu soulagé. L'esprit un peu plus clair. Et c'est ici que les mots d'Alexandrine viennent le cueillir.

Sans être revenue depuis des mois, elle avait compris.
Leur clan manquait de lumière, et la chaine était brisée depuis longtemps déjà.

Il serre les crocs, et frappe devant lui, encore. Il a mal, mais arrive à penser. Il les voit, ces lumières ; Sa mère, Dough, ceux l'ayant guidé. Ceux qui s'éteignent, sans être remplacés. Les maillons étaient faibles, lui l'était aussi, et peu à peu la chaine se déliait.

Ses yeux sont fixes, posés sur le tronc. Elles disparraissaient, et de plus en plus, les ombres rongeaient leur clan sans même avoir besoin des démons. Ses sourcils se fronçent. Il n'y avait pas de confiance. C'était ça, peut-être, que Nirvana avait voulu dire. Iris ne lui avait jamais fait confiance pour l'accepter, pour l'aimer. Il avait toujours douté. Il l'avait blessée. Toutes ces heures passées à penser alors qu'il aurait pu -qu'il aurait du- les passer avec elle, avec eux. Et maintenant ?

Comment on devient fort, si c'est pas en se battant ?

Ce clan avait de tous temps subi les mêmes maux. Parfois mieux cachés qu'à d'autres moments, les remous dans la mer des guerriers avaient toujours été nombreux, flux et reflux trainant sur la grève moultes colères et tristesses, trahisons et réconciliations. Les règles avaient changé, d'un sens, puis de l'autre. L'autorité s'était diluée entre les figures, changeait. Les pattes de fer et les esprits échaudés s'étaient heurtés, maintes fois, mais toujours en gardant en leur sein la valeur fondamentale du clan.

Le clan.

Les maillons devaient être renforcés, et lorsque la situation le recquérait, shuntés.

Le problème n'était pas nouveau, et il durerait encore autant de temps que le clan existerait Alexandrine n'en avait aucun doute. Cet éternel recommencement, cette stupidité recommencée, recommencée et toujours recommencée, faisait partie des choses qu'elle avait... Disons, laissé de côté.

Elle ne frappe plus les arbres, mais écoute avec attention. Elle inspire. Expire, un soupir.

Comment répare-t-on les chaînes brisées, Tita ?

Alexandrine était bien incapable d'aller dans les détails que sa soeur maîtrisait si bien. Mais elle savait quelques choses, au moins, qu'elle pouvait transmettre. Elle se râcle la gorge de nouveau, parce que cette gorge s'encombre, à chaque fois, blessée, glacée, rocailleuse, cette gorge que chaque mot mettait à l'effort. Elle la sent, d'ailleurs, qui s'enflamme un peu sous ses efforts - peut-être demain ne pourrait-elle pas parler.

Les mots. Colère. Dehors.

La première étape, déjà, était de ne faire subir aux autres ce à quoi on n'aimait être sujet. Plus facile à dire qu'à faire, surtout lorsque l'affect s'en mêlait, mais jamais Alexandrine n'avait regretté éclater quelques arbres pour calmer ses nerfs, quitte à en faire résonner les Dents toutes entières.

Elle s'approche d'un pas d'Iris.

Elle le tape, et c'est difficile de savoir si c'est une sentence ou une preuve d'affection. Les deux, peut-être. Pour ça, elle n'est plus très douée, Alexandrine, si elle l'a jamais été. Elle lui tape sur la poitrine, douloureusement.

Lumière. Imbécile.

Puis de la griffe, avec tendresse, elle effleure le rouge à son épaule.

Pas r-r-r-r

Le mot ne veut pas sortir, et elle jappe. Un jappement rauque, qui aurait effrayé un chiot (un adulte aussi, probablement).

REPONSES. Mais jamais sss-seul.

Qu'elle se sentait stupide, avec ses monosyllabes, incapable d'exprimer plus largement ses idées. Elle n'avait jamais été très douée de ses mots, pour exprimer tout ce qui bouillonnait en elle, tout ce qu'elle voulait transmettre, c'est quelque chose qui lui avait toujours échappé. Mais en être réduite à ne pouvoir dire que quelques maigres mots, des jappements, en lieu et place des délicates réflexions qui tournaient dans sa tête...

C'était humiliant, outre la frustration engendrée. Elle faisait bien piètre figure devant le disciple de l'ours.

Une vague de consternation l'envahit, qu'elle chasse en se redressant. Ca n'était pas la première, ni la dernière fois qu'on l'appelait stupide.

Soit cc-ce dont. T'as. B-b-b-BEsoin. Avec réussites. Et erreurs.

Bref, sors-toi les doigts du cul. C'est pas simple, personne veut le faire, et ça se passera p'têtre pas bien. Mais il faut bien construire la chaîne, maillon après maillon, lumière après lumière.

Une patte après l'autre, un chaos après l'autre.

-Iris-

Iris la sent, cette frustration qui gagne Alexandrine. Il doit se forcer pour ne pas la rediriger sur lui, et ses questions surement stupides. Il ne comprenait jamais rien, et là encore, il lui manquait des éléments pour vraiment apréhender toute la situation. Actuellement, il se sentait bloqué, piégé comme un diable en cage. Lui qui pensait que son choix lui ouvrirait un chemin plus clair, il n'était en fait que la première pierre, celle de la réalisation que leur clan avait un problème et qu'il ne pouvait plus compter sur l'aide illusoire d'une puissance de démon pour le résoudre.

Les nots, si rares, de la prêtresse de l'Ours ont encore plus d'impact. Sortir les mots et la colère, ce qu'on lui avait appris à faire, en partie. Taper sur des choses, des cailloux, des arbres, des monstres, des solitaires parfois. Mais parler ? Personne ne lui avait jamais dit de le faire. Personne ne leur disait jamais de le faire. Alex tape dans son torse, et il redresse les oreilles. Il comprenait.

Il devait être la lumière, aussi. C'était un peu ça, être rouge. Pas que frapper, anihiler ses ennemis ou se relever après chaque défaite, c'était aussi ... Guider ? Renforcer ? S'épauler ? Pendu aux lèvres d'Alexandrine, Iris attend chaque mot avec impatience, comme si il allait lui peindre un tableau de la réponse plus entière. Et finalement ... être ce dont il avait besoin.


Un silence passe, alors qu'Iris digère la nouvelle. Peut-être qu'il aurait du commencer par ça, avec Nirvana. Peut-être qu'il aurait du commencer par être ce qu'il aurait voulu qu'elle soit pour lui. Un frère plus affectueux, plus sécure, plus confiant. Un moyen de se rassurer, de passer du temps avec, de partager quelque chose. Mais ...


Son ton est devenu neutre, maintenant.
Elle lui avait dit d'arrêter d'essayer, et lui redoublait d'éffort. Et si il ferait mieux d'abandonner lui aussi ?

Tard ?

Elle éclate de rire, un rire acide et méchant. Iris récolte malgré lui ce qu'il n'a semé, mais l'amertume colore le regard carmin de la prêtresse. Lui, de ses quelques printemps, ose parler du temps consommé ? Lui, à qui la vie tend les bras, malgré tous ses défis, ose parler de son terme ?

Le temps est invincible, le reste n'est que choix.

Alexandrine gonfle sa poitrine. Et, à la silhouette d'Iris, se superpose celle d'Holly.

Quelle ironie ! Qu'aujourd'hui elle se trouve à donner la patte à ce fils qui aurait pu être le sien. Qu'elle récupère, bien que très ponctuellement, ces responsabilités qu'elle avait si longtemps fui. Qu'elle trouvait aujourd'hui dans le rouge, et non la parentalité. Quelle douce ironie.

Et comment exprimer les subtilités du temps qui passe et de l'amour qui persiste, que quelques paroles ne sauraient briser ? Et comment parler des amours qui fanent, pour laisser place à de nouveaux bosquets, tant qu'on les cultive savamment ? Comment en quelques mots crachés de manière rauque peut-on exprimer ça ?

Peut-être est-ce là l'utilité des livres et de l'écriture. Peut-être dans les pages jaunies trouve-t-on tout ce qu'elle n'arrive à dire aujourd'hui. Elle regrette, une fois encore, la bêtise crasse dont elle a fait preuve. Dont elle paye le prix. Cela lui semblait si peu important, à l'époque. Après tout, dans sa vie, cela lui a-t-il servi ?

Peut-être aurait-elle bénéficié de ces réponses.

Alexandrine gratte le sol du bout de ses griffes.

Tu peux p-p-pas. Changer. Hier. Mais demain. Demain, tu peux. Change demain, aujourd'hui.

Il n'est trop tard que pour ceux qui baissent les pattes.

Ce que tu ne peux ch-ch

Sa voix se brise et elle déglutit.

D'un mouvement brusque elle frappe, de sa patte, l'un des troncs. Qui se creuse. Extériorise sa frustration, à son tour. Use des outils qu'elle propose.

Qu'il est frustrant, de n'être compris.

CHANGER. Accepte.

Tout n'est pas à portée de nos pattes.

-Iris-

Le rire le prend aux tripes, enflammant son esprit déjà sensible. Y avait-il quelque chose de drole, vraiment, dans sa sensation que rien ne pouvait être fait, que ses erreurs étaient déjà trop ancrées dans le présent pour pouvoir y faire quelque chose. Le pelage se gonfle, par fierté, par blessure, car Iris n’était pas de ceux qui courbaient l’échine.

Et c’était un peu ce qu’Alexandrine lui rapelle. Les mots sont hachés, crachés avec la frustration d’un chat sauvage, puissants. Changer demain, au lieu de chercher à changer hier. Iris serre les crocs, le rouge lui montant aux joues et soudain-

Le dragon jaillit, puissant.
Iris sursaute, alors que l’arbre explose.

Accepter de changer.
Non- Accepter de ne pas pouvoir tout changer. Ne changer que ce qui pouvait être changer.

La longue silhouette du Bouclier reste immobile une seconde, avant de s’élancer à son tour. Une épaulière ornée de rouge se heurte à une vieille souche, la faisant exploser. Le souffle court, Iris se redresse, le regard fixé devant lui. A l’instar de la pierre, certaines choses restaient fixes. A l’instar du bois, d’autres pouvaient être changées.


Il donne un coup dans les restes du bois. Son impact sur le monde, sa place, tout devait être fixé à ses yeux et pourtant, il avait tous les éléments devant lui. Maps, Désiré, Sakura, sa mère, sa fratrie- tous jouaient et s’organisaient entre eux en un schéma complexe sur lequel il pouvait agir. Son glowstick, à son épaule, rougoie : La toile qu’Aka lui avait offert était, peut-être, un peu de ça. Une toile qui reliait toux ceux qui lui étaient chers, plutot que de chercher à les blesser.

Ce qui soutendait tout ça était l’amour, celui de sa mère envers eux, s’Ibéris envers sa demoiselle rose. Mais aussi, le respect, entre lui et Dough ou Lui et Aka. Ou encore, la place, le rang, comme Nirvana et sa déesse. Une toile immense, que lui devait découvrir pour pouvoir naviguer sans en couper tous les fils de ses pattes.

Ses yeux se relèvent sur Alexandrine. Et elle, dans cette toile ?