Deux frères sous le soleil [ft Désastre]

Il ne s'était jamais trop éloigné du territoire Etelkrus, hors mission fait ailleurs et bien loin. Il s'était toujours contenté de ce que les terres de sa meute recelaient, tant en proies qu'en plantes. L'hiver les épargnait plus que dans le nord, et permettait de ne pas manquer longtemps de consommables.
Il ne s'était jamais trop éloigné, si ce n'était pour se rendre dans les Monts.
Il avait toujours eu un attrait particulier, pour eux.
Là où il avait vu le corps mort tomber de la montagne. Là où il avait dévoré les dragons noirs. Là où il avait croisé le monstre de noir et d'yeux. Là où il avait grimpé au plus haut sommet, avec l'ami comme un frère. Là où il avait franchit la frontière du continent pour trouver l'Ailleurs.
Là où Pepper avait vaincue l'ennemie, aussi, juste avant de ne l'attendre lui.
C'est peut-être pour ça.
Qu'il avait toujours été attiré, par ici.

Et qu'il s'y retrouvait encore aujourd'hui, le corps raidi d'arthrose trop installée depuis la fin du dernier hiver auquel il ne pensait pourtant pas survivre.
Il se satisfaisait pourtant, de vivre encore cet été.
Dans la chaleur agréable de la fin de journée, rayons du soleil qui chauffait son poil gris strié de blanc. Et s'il grimpait là dans ce goût de l'escalade, jamais parti, bien que ses capacités se vouaient à diminuer... Une odeur familière l'attira et mit fin à cette tâche.
Désastre avait toujours aimé sa routine.
Mais il avait apprit à la réaménager, au profit d'une tâche plus importante.

Comme de revoir celui parti et sur qui il avait promit de veiller.

Il a la tête aligné avec le reste de son corps, et la foulée leste, quand il remonte le chemin qui mène à ce qui se trouve être une grotte aménagée. Il y a de tout, pour faire vivre un loup.
Il y a aussi un loup.
Un loup qui lui fait, dans l'image que ses yeux captent, penser immédiatement à Tawana. Plus que dans l'apparence, c'est dans les gestes qu'il le retrouve.
Dans cette façon de faire le thé.

L'eau boue.
Sa voix grave met fin au silence et annonce sa présence.

« Kestrel. Tu vas bien. »

C'est une constatation. Peut-être une affirmation.
Il est en vie et bien portant. Il est là.
Et il le fixe, debout à sa proximité.

Il te ressemble beaucoup est ce qu'il dira à la bougie de son mentor, ce soir.

Kestrel le perçoit. Il est debout.
Désastre le détaille un instant, constatant sa bonne santé, les changements de son corps, la façon dont il a lui aussi vieillit. Il n'est plus l'adolescent sur qui il a promit de veiller, il y a des années.
Et s'il est devenu adulte, le caractère lui semble pourtant encore celui de l'enfant tant fréquenté.
Ca le rassure, quelque part. Il l'a ainsi connu ; le changement chez les autres sont des adaptations face auquel il n'est pas toujours très à l'aise. Le changement, en général.
Désastre était un loup routinier, et chaque changement engendrait une adaptation de son quotidien.
S'il avait apprit à accepter les imprévus, c'était un peu plus difficile, maintenant.

« Je ne pensais pas te voir ici non plus. »

C'est une surprise, pour l'un et l'autre. Une bonne, surprise. Un imprévu qui n'en est pas un ; il ne perturbe son ascension, il le fait seulement rester ici.

« Bien. Toi ? »

Il observe alors les plantes dans l'eau bouillie. S'il en veut...

« Je veux bien. »

Du thé comme des gâteaux. Il s'installe sur le coussin que lui aura sorti Kestrel, même si se mettre sur la pierre ne l'aurait pas dérangé.

« Tu as quitté les frontières. L'Ailleurs t'as plus ? »

L'Ailleurs désigne un endroit précis, pour lui, mais il prête aux autres tout ce qui se trouve derrière les frontières délimitées de Punk Wolf. Il avait perdu sa trace aux frontières, plusieurs fois, quand il l'avait cherché. Pour savoir s'il allait bien. S'il n'avait pas besoin d'aide.
Il n'aurait pas accepté, de manquer aux dernières paroles de son mentor.
Plus encore, depuis que sa fille ainée était partie, beaucoup trop tôt. Si vite, qu'il n'aurait rien pu faire, même en devenant Docteur.
Le deuil est fait.
Seul importe l'enfant vivant.

Dont il observe l'expression, en attendant réponse à sa question.

« Peut-être. »

Il ne croit pas trop au hasard, Désastre. Il croit à beaucoup de choses ; trop pour que celui-ci soit responsable de quoi que ce soit. Les monstres ont souvent bien trop à voir. Il en a connu beaucoup, c'est pour ça que c'est ainsi, qu'il pense.
A la mention de la fatigue, il se contente de revenir regarder les yeux. Rien de grave. Il sait que la vie de solitaire est plus difficile que celle de loup de meute. Il faut chasser, se soigner et se défendre seul. Si l'on est blessé, malade ou fatigué, on ne peut renoncer à cette tâche.
C'est une organisation autre.
Il n'aime pas, cette organisation.
Et s'il ne fait pas état de ce fait, c'est pour ne pas y porter de jugement.
Narcisse aussi, a choisi cette vie là.

Si c'est ainsi qu'ils vivent selon leurs envies, il n'a rien à y redire.

Désastre observe tout ce que sort Kestrel, intrigué mais non enclin à manger ce qui n'est utile au fonctionnement basique de son corps. La notion de plaisir n'est pas associée à la nourriture, pour lui.
Il se repait simplement de viande, quelle quel soit, et de plantes prises pour soulager ses maux.
De fruits, aussi.
Il pense toujours à Pepper, quand il en consomme. C'est elle, qui lui en donnait.
Ces aliments là ne font pas parti de son régime alimentaire.
Il se dit que c'est aussi pour ça, que Kestrel est peut être fatigué.
Beaucoup d'efforts sont faits, pour fabriquer ces aliments, et ainsi les disposer sur de la vaisselle dont il n'a pas besoin.

Il ne comprend pas certaines choses.
Voir il se sent un peu dépassé.

« Tu apprends vite.
...
Je n'ai appris qu'une langue, de l'Ailleurs. »

Celle qui ne se parle pas, se compose de mimiques et de mouvements. Kestrel lui parle alors de poterie et s'en va chercher un objet.
Déposé à ses pattes, il en regarde le fond.

Le process l'intéresse peu. Le résultat aussi (on lui avait offerts des dessins qu'on aurait considéré comme étant mal représenté, mais qui pour lui était beauà.
Tout ce qui l'importe, c'est

« Un serpent.
...
Merci. »

Il le trace du bout d'une griffe, appréciant le relief comme des écailles.

Ses yeux se détachent du serpent gravé pour remonter vers Kestrel, qui lui en parle d'un, de serpent.

« Les serpents ont souvent beaucoup de caractère. »

Il trouve.
Serpent, le sien, avait toujours eu beaucoup de prétention. Mildred, celle qui lui était venue après un rêve en hiver, n'avait jamais eu bon caractère et l'avait souvent mordu. Ceux de la moère ne s'étaient jamais laisser faire.
Ils avaient conscience de leur aspect parfait, il croit.
Il croit aussi que Kestrel l'avait fait se sentir en danger, en s'approchant trop. Les serpents, aussi, étaient souvent méfiant.

Il lape une gorgée de thé, le cou arqué au-dessus du récipient.
Avant que les yeux hétérochromes ne reviennent trouver un point fixe sur celui qu'il doit veiller.

« Celle de L'Ailleurs. »

Il parle de son Ailleurs. De celui où les loups vivent en hauteurs et chassent des monstres colorés, où Quetzalcóatl et Phoenix ont été vénérés, où les mots se forment avec le corps et où seul le nom fait entendre la voix.
Une langue qu'il partage avec le frère.
Dans ce voyage, fait à deux.
Kestrel lui dit avoir apprit la langue des Sons et celle de la peinture. Il ne sait pas, si la peinture est la langage. Plutôt une représentation, un écrit qu'on laisse. Comme l'écriture.

« D'accord.
...
Tawana savait aussi, s'exprimer avec la peinture. Je crois. »

Il l'avait peint, une fois. Il s'en souvient encore, et l'importance des dessins sur sa peau était grande.

« J'y ai été quatre cycles de lune. Après la mort de Pepper, avec mon ami comme un frère.
Je n'ai pas supporté. Vivre sans elle.
Mais tout m'a manqué, ici. Je suis rentré quand j'ai eu fini d'apprendre, à vivre sans elle, pour enfin trouver la vague qui calme. »

Sa meute. Ses terres. Ses amis.
Et Annette, pour lui donner la dernière clé pour clore son deuil.

Le rouge est l'exemple que prend Kestrel, lorsqu'il lui parla des significations des couleurs au travers de la peinture. Lui ne l'avait assimilé qu'à Aka ; la puissance était en effet une symbolique associé.
Du reste...
Il apprit de sa gueule que c'est aussi au soigneur, que le rouge pouvait faire référence. Pour le sang qu'il empêcher de couler ? Pour la naissance, aussi. Il y avait toujours du sang, durant une naissance ; sans que celui-ci ne soit forcément inquiétant.
Oui. Il comprend pourquoi, il croit, quand il évoque l'argile. Seule la récolte restait en interrogation, vite oubliée au profit des autres informations.

« C'est de cette couleur que m'avais peint Tawana. Rouge. »

Il estime que c'est important, de partager cette information.
Tout fait un peu plus sens, pour lui.
Et puis, Kestrel évoqua un sujet important.
Un sujet auquel il avait été souvent confronté, au cours de sa vie.

Lui ne l'avait pas fait, son deuil.

Désastre observa Kestrel, quelques secondes. Le temps d'organiser les informations dont il disposait, pour dire ensuite :

« On ne réussit jamais pleinement. On trouve des solutions pour aller un peu mieux chaque jour. Des solutions qui nous font du bien.
...
J'ai un rituel des bougies, appris de l'Ailleurs. Je brûle une bougie à la flamme colorée en hommage à ceux auxquels je veux penser, à la première heure de la nuit. J'ai longtemps allumé la bougie de Pepper, à la flamme bleue. Et puis, une pour Dough. Et une pour Tawana. Parfois pour Anette. Parfois pour Holly. Parfois pour TeHari...
Mmh !
Je peux t'apprendre. Ce rituel.
...
C'est aussi important de parler de ses morts. De se souvenir d'eux. C'est comme ça qu'on trouve comment mieux vivre avec la tristesse et le manque. »

Alors...

« On peut encore parler ensemble de Tawana, aussi longtemps que tu veux. »

A la question, la réponse vint sans hésitation :

« Non. »

Désastre avait apprit à prendre soin de lui, avec le temps, avec les amis. Celle importante, celui comme un frère, la meilleure amie ou celle comme une sœur. Sombrer, comme se noyer, ne lui semblait plus être possible.
Il n'était pas de ceux dont les émotions dominaient trop longtemps ; maintenant qu'il avait su gérer celles qui étaient devenues trop après la mort de Pepper, il lui semblait pouvoir gérer tous ses deuils.

« J'apporterais la cire et les pigments. Celui qui teinte toute la flamme de jaune, pour Tawana. Le orange, pour TeHari. »

Comme les couleurs de leur glowstick. Pour cette foi dont ils ne manquèrent jamais.
N'ayant rien de ce qui composait le rituel sur lui, il promettait cependant un nouveau passage pour le lui montrer.

« Que veux-tu savoir ? »

Il ne sait pas, ce qu'il sait déjà.
Mais il peut lui apporter des choses nouvelles, il croit, pour tout ce temps passé avec Tawana.

Tout.
C'est beaucoup, tout. C'est parler de toutes les années qu'il a passé, avec Tawana, et qui lui ont permis de connaitre le loup et d'être attentif à ce qui se passait dans sa vie. Plus d'une dizaine, la majorité de son existence.
Et Désastre n'était pas grand orateur. Il fit un condensé de tous ces moments, dans ce discours prononcé de sa voix grave et monotone. Il ne sait pas ce que Kestrel sait ou pas, et puisqu'il lui a demandé tout...

« Il était déjà adulte et panseur disciple de Kiro, quand il est devenu mon mentor... Il était déjà et aussi le mentor d'un autre louveteau, Saqqarah. C'est un vieux panseur de la meute, qui lui avait apprit, à lui. »
Il croit.
Il ne connait pas pleinement son passé ; ne s'y est jamais intéressé. Si ce n'est ce détail :
« Mmh. Il avait quatre sœurs. »

Les informations ne sont pas organisées. Il les partage de la même façon dont il s'en souvient, dont il les a apprise.

« Il était surtout spécialisé dans les maladies et les soins par les plantes, même s'il savait aussi soigné les blessures. C'est lui, qui m'a transmis la façon dont on fait des billes d'argiles, avec des plantes dedans. Et des baumes... Ce qu'on peut emporter avec soit, pour guérir sur le champ de bataille ou en itinérance. »

Ensuite ?

« Par une magie étrange, il devint femelle quelques années. Il a eu TeHari à cause d'un loup mauvais, qui le blessa lui et Saqqarah. Ce loup mourrut. »
Lui avala ses ailes. C'est la première fois, qu'il découvrit la puissance de Quetzalcóatl. Sous la colère, la haine, le trop de l'évènement.
« Il redevint mâle un jour... Il fréquenta un peu une louve du clan. Je crois.
...
Plus que d'être panseur, il fut aussi conseiller. Il avait la confiance des Alphas. Surtout d'Holly. »

Que dire.
Il peut finir par cette mention.

« Il t'a eu seul, mais il était très heureux de cet évènement. Ca ne l'a pas effrayé. »

Désastre cesse là de débiter les informations concernant le loup, ne sachant quoi rajouter de plus. C'était déjà beaucoup, et parmi toutes ces brides de vie du loup semblable à un lycaon, Kestrel y trouvera sans doute des informations nouvelles, quant à la vie de son père.

Son récit sans détail en trouve davantage, quand le fils du panseur pose une question. Comment était-il devenu le disciple de Tawana. Il était l'opposé de beaucoup, ce qui ne l'avait jamais exclu ni tenu éloigné de tous ; Anita et Alexandrine étaient des amies importantes, pourtant, beaucoup de choses les opposés.
Il ne voyait pas cela comme une limite à créer des relations.

« J'avais quatre mois, je marchais avec Pepper. Nous l'avons rencontré dans la Rougelande, et avons échangé autour d'un thé. Je crois. Ses connaissances m'ont intéressées.
Je lui ai demandé s'il pouvait m'apprendre. Il m'a prit comme disciple et m'a beaucoup appris.
...
C'est intéressant, d'être avec des personnes opposés. Mmh. On apprend, avec elles, à voir le monde, les autres ou soit-même différemment. »

Il était voué à devenir soldat au glowstick rouge ; c'est ainsi que Pepper le formait. Il était devenu panseur au glowstick jaune, et n'aurait pu trouvé meilleur épanouissement qu'en s'exerçant ainsi au sein de la meute. C'est sous la seule influence de Tawana, qu'il avait pu arriver à cela. Sans lui, sa voix aurait été tout autre. Son destin, et celui de ceux qu'il avait su sauver, aussi.

Lui ne finit pas le thé.
Il n'a plus soif, et n'a pas habitude de se forcer à répondre à des besoins déjà comblés par seule politesse.

« Il l'avait, et il l'était. »

La confiance des autres ; être une bonne âme.
Et puis vint une dernière question. Sans rapport avec Tawana. Ou indirectement. Ses yeux se posent sur le fils de son mentor.
Solitaire.
C'est ce qui lui pose un peu problème, malgré tout. Désastre est un Etelkrus loyal, agissant pour sa meute. Son quotidien entier, n'est organisé qu'autour de celle-ci, et prendre en apprentissage comme il le fit avec Ottar ne lui semble pas envisageable.
Il devrait s'éloigner quotidiennement en dehors des frontières, pour lui apprendre.

« Je ne pourrais pas te former aussi bien que j'ai formé mon apprenti. Il faudrait un créneau tous les jours, je ne veux pas m'éloigner aussi souvent des terres Etelkrus. »

Il y a déjà tous ses créneaux. Ses enfants à venir, et ceux qu'ils auront eux aussi. Sa priorité était ailleurs, mais il peut au moins lui concéder ceci, dans la flexibilité gagnée au fur et à mesure des années :

« Mais je pourrais t'apprendre des notions à chaque fois que nous nous recroiserons. Mmh. Je peux revenir dans trois nuits, pour commencer. Puis je te préviendrais. »

Selon ses blessés à surveiller, selon Anita, selon la vie de meute et la vie de père qu'il devrait accorder.