Nothing breaks like a heart | Wymond

This world can hurt you
It cuts you deep and leaves a scar
Things fall apart
But nothing breaks like a heart

Il faisait doux, un doux soir de printemps aux brises calme et tièdes, aux feuilles bruissantes et au ciel coloré. Pourtant, chaque fois qu'elle s'aventurait en ces lieux si familiers, la louve sentait comme un frisson lui étreindre le corps et le coeur. La nostalgie lui enserrait les entrailles et assombrissait son regard azur. Les regrets qui allaient et venaient au plus profond d'elle, comme les vagues d'une mer noire, venaient jeter sur ces paysages une chape froide. Ls souvenirs qui y avaient lieu étaient teintés de tristesse, lointains, appartenaient à un passé qui n'était plus. Dell ne pensait pas l'être un jour. Nostalgique. Quelque-chose en elle avait profondément changé, ou bien s'était découvert sans qu'elle ne s'y attende. Elle n'était plus tout à fait sûre d'être la même qu'autrefois, cette elle-même qu'elle aurait tant aimé retrouver.

Cela faisait une semaine, un peu plus, qu'elle avait remis les pattes sur le continent de son enfance. Chaque soir, au coucher du soleil, elle arpentait les lieux dans lesquelles sa fratrie et elle avaient grandi, à la recherche d'un visage en particulier. Elle ne voulait voir personne d'autre. Pas encore. Pas avant d'avoir... réglé quelques détails.
Un détail en particulier.

La truffe frémissante, elle avait appris à se déplacer en faisant moins de bruit qu'à l'ordinaire. Plusieurs fois, elle avait croisé la piste de loups qu'elle connaissait. Mais pas encore de celui qu'elle désirait voir. Alors eux ne l'avaient pas vue, pas sentie, n'avaient sans doute pas soupçonné sa présence. Son aile unique plaquée contre elle pour être le moins visible possible, camouflé dans les lueurs chaudes de la fin du jour, elle louvoyait entre les reliefs, les écrans de fumerolle âcre, les éclats de rocs et de bâtiments aux abords des Ruines. Sa queue basse ou bien le vent se chargeaient d'effacer ses empreintes. Elle était comme un fantôme - ceux qui la croyaient morte pourraient penser qu'ils rêvaient s'ils l'apercevaient.

L'astre du jour disparut derrière l'horizon inégal, et elle laissa échapper un soupir. Un autre soir vain ; ses obligations allaient une fois de plus la ramener à sa tanière de fortune, un peu plus loin, et elle reprendrait ses recherches le lendemain. Et le surlendemain.
Elle était patiente.
Elle attendrait le temps qu'il faudrait.

Elle secoua la tête t revint sur ses pas. Mais alors qu'elle longeait de nouveau les Ruines, quelque-chose la fit s'arrêter. Pas vraiment un odeur, pas vraiment un son. Peut-être une intuition.
Elle tourna la tête pour jeter un regard derrière elle.

Dans son champ de vision, auréolé des dernières lueurs du crépuscule, jaillit une massive silhouette. Le sol vibrait sous ses pattes épaisses, alors qu'un petit nuage de poussière se dessinait dans son sillage. Le coeur de la louve bondit. Etait-ce possible que ce fut lui ? Alors que cela crevait les yeux, son regard vairon s'accrocha à tous les petits détails qu'elle reconnaissait, comme pour en être certaine.
C'était lui.
C'était bien lui.

Une myriade d'émotion la saisit et lui serra le coeur. La culpabilité et son terrible étau ; elle n'avait prévenu personne de son départ - il fallait dire qu'elle n'avait jamais pensé partir si longtemps - et elle ignorait comment sa fratrie réagirait à son retour. Comme Wymond réagirait. Lui en voudrait-il ? Peut-être. Il n'était pas rancunier, mais ils s'aimaient beaucoup, et elle ne savait pas s'il voyait cette disparition comme une sorte de trahison. Quelques étincelles de joie aussi, de revoir cette lourde silhouette si familière avec sa chevelure blonde devenue si longue. Et du soulagement. Après le reste vint une immense vague d soulagement, comme si elle respirait après une longue apnée. Elle allait s'en sortir, se sortir de ces jours infinis et chargés de regrets. Wymond était venu, sans le savoir, pour la sauver.

Le grand loup s'arrêta devant elle et sans hésiter la gratifia d'une chaleureuse étreinte. La louve se laissa faire, la gorge serré de ne voir dans son attitude aucune rancune. Elle s'en voulut d'avoir un instant douté de lui et de la gentillesse qu'il incarnait. Un sourire crispé se dessina sur ses babines alors qu'elle se laissait aller un bref instant contre son poitrail épais. Son odeur avait changé, un peu. Elle était plus adulte, chargé des fragrances de nouveaux loups, et de nouvelles plantes. Sa vie semblait avoir été palpitante.

Lorsqu'il fit un pas en arrière, un grand sourire sur les babines, la louve répondit avec un bref hochement de tête.

"Je suis revenue."

Son aile s'état légèrement dépliée, maintenant qu'il ne fallait plus se camoufler. Mais elle se rabattit sur son dos lorsque la louve coucha les oreilles et lança :

"Je suis désolée. D'être partie sans te prévenir."

Elle plongea son regard dans celui de son frère, un regard profond qui laissait entendre tout ce qu'elle ne savait pas dire. Malgré tout, il y avait des choses qui demandaient des mots. Il le fallait.

"Wymond.... J'ai besoin de ton aide."

Sa voix s'étrangla un peu à la fin de sa phrase, alors qu'elle cherchait ses mots.

Il fut gentil, doux, il fut lui comme elle se le rappelait et peut-être mieux encore. Plus loquace, avec des mots simples et ce ton grave qu'il avait désormais. Sa présence était réconfortante, de part sa stature et son attitude. Elle avait l'impression que même respirer ou penser était plus simple, soudain, en sa présence. Comme si de ses grosses pattes il avait balayé quelque-chose qui l'enserrait. Pendant un instant, elle eut un sourire un peu plus franc, un peu plus tendre.
Puis ce pourquoi elle l'attendait lui lui sauta à nouveau à la gorge.

Il ne fallait pas faire traîner les choses. Elle hésita, son regard fuit un instant celui du grand loup pour se perdre dans le vague alor qu'elle cherchait les justes mots. Mais elle n'arrivait pas à le faire, pas comme ça, pas sans la preuve d toute cette histoire. Alors elle finit par redresser la tête et souffla d'une voix étranglée :

"Je dois te montrer."
Suis-moi.

Elle fit volte-face et retourna sur sa propre piste. Louvoyant à travers les ruines, elle finit par les dépasser et s'aventurer entre les larges failles de la Plaie du Monde. Le trajet lui parut infini, jusqu'à ce qu'ils sortent de la lande stérile. la terre redevint plu meuble et douce sous leurs pattes, et autour d'eux des petits buissons se mirent à nouveau à ponctuer le sol. Puis des arbustes, des petit arbres quelques-uns plus grands qui s'appuyaient sur des rochers. Maintenant que le soleil avait disparu à l'horizon, le paysage s'assombrissait rapidement. Bientôt la froide lueur de la lune serait leur seule lanterne.

Au détour d'un rocher qui pointait vers le ciel, un peu penché, la louve ralentit. Elle le contourna, et s'engouffra dans ce que l'ombre de la roche masquait : l'entrée d'une tanière. Elle était large, sans doute une ancienne tanière éboulée, usée par le temps. Mais cela creusait dans le sol comme un couloir haut et protecteur, au fond duquel deux parois dessinaient un abris. L coeur de la louve battit plus fort alors que son regard se plissait. Elle invita son frère à la suivre jusqu'à la cavité. Il avait ans doute déjà senti l'odeur qui habitait les lieux. La sienne... mais pas que.

Au fond, dans la pénombre, une silhouette claire jurait sur la terre sombre. Deux grands yeux clairs brillaient aux lueurs de la lune naissante, au milieu d'un pelage que la dame nocturne rendait blanc. Dell s'arrêta quelques pas avant d'atteindre la petite, si petite créature qui se trouvait là, laissant à son frère le temps d'arriver, le temps de la voir. Elle ne put se résoudre à le regarder lorsqu'elle articula :

"Il faut... Il faut que tu t'occupes d'elle Wymond."
Moi je n'en suis pas capable.

Dell regarda le grand loup s'approcher de la petite chose, la flairer avec curiosité. Il y eut un moment de flottement où la louve ne sut comment il allait réagir. La parenté était assez évidente, les marquages sur le pelage clair étant ceux de leur famille. Peut-être même simplement son odeur suffisait à l'identifier comme ce qu'elle était. Son enfant. Un frisson courut le long de son os et, de nouveau, son aile se plaqua un peu plus contre son flanc. Dans son esprit se battaient des démons de la culpabilité, du coeur et de la raison. Elle savait que c'était la bonne décision, de la laisser à son frère. Il y avait tant de bonnes raisons.
Elle n'avait pas assez de lait, presque pas, et la petite était si frêle.
Elle méritait une vraie famille, une tanière chaleureuse, des flancs douillets pour la bercer, des sourire à son réveil.
Elle méritait d'être aimée.

Et Dell ne parvenait pas à l'aimer.

Elle regarda en silence son frère qui prenait entre ses pattes la petite louve, qui parut plus minuscule encore contre son immense silhouette. Mais l'étreinte eut l'effet escompté, car le léger tremblement qui agitait son petit corps parut s'apaiser au contact du grand loup. Les paupières à demi fermées, la louvette ne couina même pas de protestation. Peut-être n'en avait-elle simplement pas l'énergie.

La voix de Wymond surprit Dell, qui releva le regard vers lui. Elle croisa le sien, paisible, et elle comprit qu'il acceptait. Des larmes firent briller son regard, sans qu'elle ne dise rien. Ce fut lui qui parla le premier, avec une simple question. De nouveau, un silence habita la tanière. Puis elle finit par répondre :

"Elle n'a... pas de nom."

C'était un aveu bien plus poignant qu'un simple manquement de baptême. Elle lisait, avait de l'imagination, elle n'aurait pas eu de mal à en trouver des dizaines pour elle. Si seulement elle avait pu la voire autrement que comme un fardeau, comme un éternel regret, comme le couteau qui empêchait ses plaies de guérir.

Dell hocha doucement la tête. C'était un joli nom. Doux, chantant, et qui lui allait bien plus qu'il ne pouvait l'imaginer. L cristal autour du cou de la louve signifiait tant de choses, bonnes et mauvaises. Ce cristal qui lui avait apporté de la lumière, et qui aurait pu lui trancher la gorge.

"Merci." Souffla-t-elle en réponse lorsqu'il parla de son amie du Refuge qui pourrait accueillir la petite.

Dell n'avait aucune idée de l'endroit où elle allait vivre, elle, mais le terre du continent étaient vastes et elle saurait où ne pas aller pour le moment. Elle n'avait pas vraiment réfléchi au-delà de ce moment. Ca ne lui ressemblait pas beaucoup, mais est-ce que tout ce qui lui était arrivé lui ressemblait réellement ? Elle avait du mal à y croire, comme si elle s'était retrouvée tirée dans une histoire qui n'était pas la sienne. Enfin, qui l'était jusqu'à un certain point. Où tout était parti en vrille.

De nouveau, les paroles de son frère lui réchauffèrent le coeur. En cet instant précis, elle qui avait toujours été forte et distante était si vulnérable que ce pilier qu'il représentait était extrêmement précieux. Elle savait qu'elle se retrouverait au fil des semaines, que le temps ferait son oeuvre, mais ce soir-là toutes les murailles étaient écroulées. Une chance que Wymond soit d'un pure gentillesse et que ce fut lui son frère, lui le parrain de cet enfant dont elle ne voulait pas. Elle ne répondit pas, mais son regard suffit. Après tout, il avait toujours suffit de regards pour qu'ils se comprennent, et elle s'accrochait à l'espoir que ça n'avait pas changé. Pas trop, en tout cas.

Elle s'approcha d'un pas pour poser son museau contre celui de son frère, et murmura :

"J'ai besoin... de m'éloigner. Ce soir. Mais je reviendrai te voir."
Je t'aime mon frère.
Même si je n'aurais sans doute jamais les mots pour le dire.

Elle fit volte-face et remonta à la surface. L'air froid de la nuit la saisit, et elle resta quelques secondes immobile. Puis sa silhouette se fondit dans la nuit, en direction de l'endroit qui lui avait toujours apporté du réconfort. Pour voir si, là-bas, elle pouvait commencer à se retrouver.

[Fin pour moi ]