Quelques pages vierges? ( PV Dell )

Après son entrevue avec Wymond, Dell s'était plus ou moins... enfuie. Elle n'aimait pas cette idée, elle n'aimait pas être cette louve-là, mais elle ne voulait pas non plus se voiler la face. Elle avait ressenti le besoin de respirer, de quitter au moins pour quelques heures l'existence si lourde de fardeaux qu'elle avait menée ces dernières lunes. Elle retournerait voir son frère plus tard, elle savait où il vivait maintenant. Mais elle avait eu besoin de filer dans la nuit pour retourner se réfugier dans l'immense Bibliothèque qui avait été le point de départ de toute ces mésaventures. Comme si ce trajet ventre à terre lui permettait de remonter le temps comme elle remontait les pistes. Le pelage et les yeux humides d'eau salée, elle avait atteint le grand bâtiment sans un mot et s'y était coulée avec discrétion.

Ici rien n'avait changé. Les grandes cheminées ronronnaient toujours de leur lumineux et chaleureux foyer, ls hautes étagères projetaient toujours d'intemporelles ombres les unes sur les autres, à peine rompues par la lueur des chandelles. Quelques silhouettes lisaient ou cherchaient en silence, d'autres chuchotaient en de pudiques conversations. Cette ambiance lui allait parfaitement, elle s'y glissa avec délice et la sensation qu'un poids se retirait de son coeur. Durant de longs instants, elle parcourut les rayonnages, avant de finir par se coucher près d'un foyer tout au fond de la salle. Soudain la fatigue tomba comme du plomb, écrasante, irrésistible. Et la louve s'assoupit dans l'aura flamboyante.

Lorsqu'elle se réveilla, elle ignorait combien de temps s'était écoulé. Son pelage était sec et doux, portant l'odeur des lieu plus que celle de l'extérieur. Elle s'étira, bâilla, alors que son esprit se reconnectait à la réalité. Durant un instant il n'y eu qu'elle au milieu de la Bibliothèque, et elle goûta à une paix qu'elle n'avait pas connue depuis longtemps. Puis les souvenirs la rattrapèrent, son regard s'assombrit et elle se redressa, les épaules un peu plus voutées que d'ordinaire. Maintenant, il allait falloir retourner dehors, retrouver Wymond, discuter de l'avenir. Elle avait des certitudes qu'il accepterait, espérait-elle, sans trop faire des siennes. Sinon.... sinon ce serait compliqué pour tout le monde.

Mais alors qu'elle remontait l'une des allées, une voix familière résonna à ses oreilles. Un instant après, elle tomba nez à nez avec Lark. A part Wymond, elle n'avait revu personne de sa famille depuis son retour, et elle hésita un instant avant de la saluer avec un peu de distance. Elle n'avait jamais été très démonstrative, mais les derniers mois semblaient avoir creusé un immense fossé entre elle et tout de sa vie d'avant. Il allait falloir réapprendre à le traverser.

"Bonjour Lark." Articula-t-elle doucement.

Il aurait été compliqué de répondre sans mentir que tout allait bien. Elle crut les paroles de Lark lorsqu'elle lui dit qu'elle était heureuse de la trouver là. Elle n'était pas certaine de leur sincérité, peut-être sa soeur était-elle juste polie, mais une partie d'elle avait envie de croire que quelqu'un ici le pensait réellement. Quelqu'un d'autre que Wymond, bien-sûr. Elle ne sourit pas, mais son regard se réchauffa légèrement.

"La vie passe." Répondit-elle évasivement. "Et pour toi ? Tout va bien ?"

Lark la connaissait suffisamment pour savoir que lorsqu'elle retournait ce genre de question, c'était dans une véritable attente de réponse - ce n'était pas son genre de parler pour rien par politesse. Le silence lui paraissait plus respectable que d'hypocrite questions et réponses, sur ce point elle n'avait pas changé. Sa soeur non plus ne semblait pas avoir tant changé, comme Wymond il émanait d'elle quelque-chose d'un peu plus calme qu'auparavant, mais c'était sans doute simplement le fait de devenir adulte. Après tout, personne ne restait enfant toute sa vie.

Elle écouta avec attention les paroles de Lark, et lui en fut profondément reconnaissante. Parce qu'elle ne s'embarrassait pas de questions sur ce qu'elle avait fait ces derniers mois ou ne se comportait pas avec la distance un peu gênante que certains pouvaient avoir lorsque l'on se retrouvait après longtemps. Elle était franche, sympathique, et proposait de quoi lui occuper l'esprit et les pattes.

"Il y a des carnets vierges au fond, mais ils sont abîmés." Répondit-elle en désignant le dernier rayonnage du bout du nez.

Elle fit volte-face pour s'y diriger et ajouta :

"Peut-être pouvons-nous les réparer."

Quelques minutes plus tard, elle se trouvait au pied d'une haute étagère un peu bancale sur laquelle se trouvait un pile désordonnée de livres. Certains avaient la couverture qui se décrochait, d'autres des pages déchirées et raturées, d'autres encore semblaient avoir été rongés. Mais il y avait certainement là-dedans de quoi satisfaire Lark.

Lark la suivit sans broncher et elles se retrouvèrent toutes les deux faces à l'étagère branlante. Tandis qu'elle écoutait sa soeur, Dell s'avança et se mit à sortir un par un les livres et carnets qui s'y trouvaient. Elle dessina deux piles plus ou moins bien ordonnées ; ceux qui s'effritaient sous ses pattes, perdaient leur couverture ou paraissaient déjà bien remplis étaient à droite, ceux dont l'état était correct à gauche.

"Oui, il y a eu un incendie ici avant notre arrivée. Mais la Bibliothèque a été reconstruite grâce à des loups Nakhus et à la bénédiction de leurs dieux, il me semble."

Il restait des traces; évidemment, lorsqu'on cherchait bien. Des parquets encore noircis, des traînées de suie sur les murs un peu moins visibles. La louve orangée se doutait toutefois que la plus grosse perte qu'avaient souffert les disciples de Yurai et Mido était probablement les volumes partis en fumée, qu'on ne pouvait reconstruire. Tant de connaissances perdues, d'étagères qui étaient désormais vides exceptées de poussières. Il faudrait sans doute des décennies, des siècles pour que la Bibliothèque regorge à nouveau d'autant de connaissances.

"Dis-moi si ça te va." Dit-elle en désignant la pile à sa gauche.

Certes les livres n'avaient pas un aspect neuf, mais il y avait plusieurs tailles et épaisseurs, et Lark trouverait sans doute de quo se satisfaire, au moins pour commencer. Rien ne l'empêchait d'apprendre ensuite à façonner ses propre volumes.

"Tu comptes y écrire de la botanique ?" Demanda-t-elle finalement.