QUE C'EST BEAU (Nala)

C'était une magnifique journée, à peine commencée et déjà chaude et typiquement estivale. Un immense ciel bleu recouvrait le paysage ensoleillé, sans que ne s'y aventure le moindre nuage. Malgré l'heure matinale, la rosée s'était déjà évaporée et un fond de brise tiède soufflait dans les herbes et les branches des arbres. Cristalline n'avait connu durant son enfance que les terres proches du Refuge, et leur récent voyage avec Maman pour rejoindre les Nakhus lui donnait l'occasion de découvrir de nouveaux lieux, très différents et intéressants à la fois. Elle s'était éclipsée en la prévenant au matin qu'elle allait e promener dans les alentours du territoire Nakhu, et ses pas l'avait conduit jusqu'aux contreforts de la chaîne de montagnes qui semblait s'en aller à l'infini vers l't, de plus en plus haut.

Elle se contenterait d'aller vers le sud, là où les montagnes étaient plus petites et où il était plus simple d'attendre de belles hauteurs sans faire des jours de marche. Durant de longues heures silencieuses, elle trottina sur les chemin, tachant de garder à peu près la bonne direction. De temps en temps, le sentier se faisait plus abrupte et elle devait marcher, mais globalement la montée fut agréable. Elle atteignit au milieu de la journée une sorte de grand plateau herbeux au centre duquel coulait un ruisseau. Un petit bois fait de sapins trouvait un peu plus loin, duquel venaient des odeurs de résine et d'humus.

La jeune louve s'avança jusqu'au ruisseau pour se désaltérer et, lorsqu'elle redressa la tête, s'aperçut qu'elle n'était pas seule. Une silhouette venait de jaillir d'un peu plus haut, un grand sourire aux babines, pour se rouler dans l'herbe. Elle ne vit bientôt plus que les quatre pattes de l'individu qui dépassaient des hautes herbes. Un peu amusée, elle lança un jappement pour signaler sa présence, mais sans s'avancer, de crainte que ce soit déplacé. Elle devrait vite voir si l'autre loup voulait être seul ou engager la conversation.

L'autre la jaugea un instant du regard, il y eut comme un flottement. Puis soudain sa queue s'agita derrière lui et un aboiement retentissant lui répondit. Un sourire se dessina sur le museau de la petite louve alors qu'elle remuait la queue elle aussi pour signaler son enthousiasme partagé. Mais cela fut de courte durée. En même temps que celui de l'inconnu, son regard fut attiré par une large silhouette qui émergea des bois derrière. Les oreilles de la solitaire se plaquèrent contre ses cheveux alors qu'elle se figeait. Elle n'avait jamais croisé d'animal aussi gros, aussi impressionnant, et elle ignorait complètement s'il leur était hostile ou non, s'il fallait fuir ou non. Tétanisée, elle ne parvenait pas à décrocher ses prunelles claires de la lourde silhouette qui s'avançaient vers l'autre loup.

Et soudain, comme une flèche, ce dernier se propulsa dans sa direction. D'un bond, il franchit le ruisseau et lui cria de courir. Le coup de museau qu'il lui asséna à son passage acheva de tirer Cristalline de son immobilité, et elle fit volte-face pour s'élancer sur ses talons. Le coeur battant, son champ de vision se rétrécit à la silhouette devant elle alors qu'elle se concentrait pour ne pas se laisser distancer. Elle n'osait pas jeter le moindre coup d'oeil en arrière, de peur de découvrir l'animal juste derrière elle. Etait-ce rapide ? Etait-ce si dangereux pour justifier une réaction si explosive de la part de son congénère ?
Elle n'eut pas vraiment le temps d'y réfléchir pendant leur course effrénée.

Après ce qui sembla un temps infini, l'autre devant ralentit l'allure et s'arrêta. Le souffle court, Cristalline l'imita et se laissa tomber assise. Il s'écoula un instant avant qu'elle puisse parler de nouveau, tandis que l'autre n'avait rien perdu de sa joie des instants précédents.

"Qu'est-ce que... Qu'est-ce que c'était ?" Demanda-t-elle finalement, encore essoufflée.

L'autre s'avança et les deux louves se flairèrent, tandis qu'elle lui expliquait la nature de ce qu'elles venaient de croiser. Un ours donc. Cristalline le nota soigneusement dans sa mémoire, notamment le fallait qu'il valait mieux éviter de lui trainer sous le nez. Il n'avait pas eu l'air agressif de prime abord et elle ne se serait sans doute pas méfiée. Alors que la nouvelle venue parlait, la petite louve la détailla rapidement maintenant qu'elle pouvait prendre le temps de le faire.

Elle avait un pelage quelque-part entre le chocolat le gris, plus foncé aux extrémité et plus clair sous son ventre. Sa tête était coiffée d'une épaisse chevelure blanche méchée de noir, dans laquelle se trouvaient plusieurs ornements colorés. Et une paire de lunettes rondes cachait un peu on regard doré - c'était d'ailleurs la première fois que Cristalline voyait un loup en porter, même si elle avait déjà lu quelques livres qui les évoquaient à la Bibliothèque. La solitaire se présenta finalement et ajouta un nom à ce tableau : Tiamat.

"Enchantée Tamiat !" Répondit-elle. "Moi c'est Cristalline."

Elle ne sut trop que faire de cette patte tendue alors elle tendit la sienne aussi jusqu'à ce que leurs griffes se touchent, puis la ramena vers elle avec un petit rire gêné.

"Merci de m'avoir prévenue pour l'ours." Ajouta-t-elle en secouant la tête, avec un regard en arrière. "Il ne peut plus nous rattraper maintenant ?"

Il émanait de cette louve une énergie que Cristalline n'avait pas encore rencontrée chez un congénère. Elle paraissait déborder d'enthousiasme et de joie sans interruption, et son énergie était contagieuse. La petite louve n'avait pas du tout l'impression de la déranger, au contraire, et cela lui retira un poids de l'esprit pendant au moins quelques instants. Elle rendit son sourire à son interlocutrice, alors que celle-ci répondait à ses question. Ainsi les ours étaient plutôt partisans du moindre effort, dangereux si l'on se laissait surprendre mais faciles à fuir. Elle nota soigneusement ces informations ; puisqu'elle vivait au moins pour l'instant non loin des montagnes, cela pourrait lui sauver la mise si un jour elle en croisait un toute seule.

Elle eut un petit rire à la dernière remarque de Tiamat et répondit :

"C'est grâce à toi, tu m'as entraînée dans ta course folle."

Naturellement il lui arrivait assez peu de faire des pointes de vitesse, peut-être sa stature légère l'aidait en terme d'aérodynamisme. Certainement plus que son Papa Wymond en tout cas, mais cela faisait déjà quelques temps qu'elle était plus rapide que lui. Il était un peu comme les ours finalement, on pouvait lui échapper mais gare à la force de ses pattes si l'on se trouvait à portée lors d'une bagarre amicale.

Un peu surprise par la question qui vint, la petite louve répondit :

"Oui. Ce sont des cristaux, mlais je ne sais pas d'où ils viennent."

Elle pourrait demander à Papa tiens. D'autant qu'elle se souvienne, elle les avait toujours portés. Peut-être ses parents biologiques avaient-ils laissé ça avec elle ; ils n'en avaient jamais vraiment parlé. Chassant cette pensée de son esprit, elle renchérit :

"C'est toi qui a fabriqué tes.... lunettes ?"

Elle désigna l'ornement du bout de la patte.

L'enthousiaste louve devant elle répondit pas la négative ; non, elle ne les avais pas fabriquées. C'était sa mère qui les lui avait ramenées après avoir constaté qu'elle ne voyait pas bien. Les oreilles de Cristalline se redressèrent un peu et une mimique un peu surprise se dessina sur son visage.

"Oh... Tu portes ça pour mieux voir alors ?" Souffla-t-elle.

Elle avait déjà rencontré des loups qui portaient un tel accessoire mais pensait que comme un chapeau, une mitaine ou un collier, ça ne servait qu'à décorer une partie du corps somme toute compliquées à habiller : les yeux. Il ne lui était jamais venu à l'esprit que cela pouvait avoir une véritable utilité. Elle se sentit un peu stupide et rabattit les oreilles. Il était évident que certains accessoires devaient servir à autre chose qu'à simplement décorer.

D'ailleurs ses cristaux à elle, servaient-ils uniquement à cela ? Elle était si habituée à se voir les porter qu'elle ne s'était jamais posé la question de savoir pourquoi elle le faisait. Peut-être parce que c'était l'image qu'elle voyait depuis si longtemps dans les reflets qu'elle ne se questionnait pas à ce sujet. Cela faisait un peu partie de son identité, comme la couleur de ses yeux, les longues mèches de ses cheveux ou les marques sur son pelage. Elle passa pensivement une patte dans ses cheveux ; que se passerait-il si elle les attachait ou si elle les coupait ? Changerait-elle aussi à l'intérieur ?

Elle secoua la tête pour revenir à la réalité avant de plonger dans une réflexion bien trop intense pour l'instant et ajouta avec un petit rire nerveux :

"Moi je crois que mes cristaux ne servent à rien."