Celui qui sait tout, celui qui ne sait rien ☉ Le Témoin

S A J D A ▴ Dix mois

Antidaté à avant la mort d'Emilitia.

Il y avait parmi les démons, des êtres intéressants.
Des personnalités riches aux enviables compétences, des particularités qui, même si le monde extérieur m'était encore inconnu, me paraissait ne pouvoir être trouvé qu'ici. Peut-être dans la façon dont me furent vantés les démons, dans toute leur puissance et leurs curiosités. C'est ce qui parvenait encore à combler mon ennui, dans ce lieu protégé dont j'avais fais le tour de chaque stimulation en attente de cette liberté autorisée.
Il me fallait en profiter.
Dans environ deux cycles de lunes, je gagnerais ce privilège qu'était celui de pouvoir sortir des limites imposées par Emilitia. Le dessein de ma sœur, de ma Lumière, se jouerait alors ailleurs et je n'étais guère certain de revenir souvent ici : j'aurais trop à faire auprès d'elle.
Cette possibilité, plus que de provoquer un stress, rendait l'attente de ma première année plus confortable, et je n'aurais su trouver les jours longs, jusqu'à cet anniversaire.
Si ce n'est en me devant de supporter l'instabilité dangereuse de Neisseria.

Me voilà dont rendu à stimuler mon esprit, par les loups présents plus que par ce qui compose l'environnement en lui-même.

Parmi ces curiosités, il y avait Lui.
Lui que j’assigna d'abord elle, avant de saisir la subtilité du genre aux détours de conversations, dans la façon dont l'on pouvait le designer. Un détail ; ce n'est pas un point sur lequel je m'étais attardé, qui ne me choquait comme ne m'intriguait : je le pris comme un fait.
Ce qui me fascinait davantage était la pluralité de son arbre de compétences.
La façon dont il se déployait.
La façon dont il disparaissait.
Il savait tout, plus que tout loup ici.
Puis il en savait autant que moi, comme un loup en début de vie.
Presque rien.

Une ambiguïté qui n'était pas sans me rappeler Asavaros et Aconit,
Sans que le corps ne change. Avec un gouffre, en guise d'écart entre les deux arbres que je percevais du troisième œil.

Quel serait sa forme, aujourd'hui ?

J'aurais pu établir un paris.

Disons le plein.

Et le troisième œil se braqua sur lui.

[ Lancé de dé réussite pour sa mémoire : réussite, le Témoin possède les souvenirs d'Illidan. ]

Il fallait se l'avouer : ce n'était pas pratique.

Dans ses machinations, Illidan avait prévu l'échec, autant que la réussite. Oui ou non. Ça passe ou ça casse. En se réveillant, suite au transfert, il a cru pouvoir se réjouir d'une réussite, mais le temps passant, il a fini par devoir constater qu'il lui en manquait, du temps. Certains jours, voir semaines, semblaient lui échapper, disparaître dans une obscure inconscience. Il avait d'abord imaginé qu'il restait simplement endormi, mais son fils et les autres lui rapportaient plus une sorte de changement de personnalité, comme...une perte de mémoire. Voilà donc où les démons se riaient de lui, dans son pacte infâme réalisé en présence de Vanitas et Garbann. Lui, source de savoir et maître des connaissances démoniaques sur Punk Wolf, perdait la mémoire. Autant dire que le loup à l'âge indécent en est absolument ravi.

Ses recherches prennent désormais un temps considérable à avancer, dépendant de son état de l'instant. Son esprit lui semble plus embrumé, trouble qu'auparavant, comme si son âme avait perdu en détails en passant d'un corps à l'autre. Plus lisse, sans fioritures. Les émotions ne lui parlent presque plus, et les sensations s'effacent. Sauf cet horrible sens dont il n'a jamais voulu : la vue. Loin dans le passé, lors de sa première vie...il avait rêvé de voir. Pour être normal, auprès de sa fratrie, sa famille, les autres, tout simplement. Ne pas être le rejeton handicapé, dont il faut s'occuper, l'aveugle. Mais cela fait bien des années qu'il a appris à vivre à sa manière, dans l'ombre, tatonnant du bout des pattes en agitant les moustaches. Son ouïe est fine, son odorat excellent ; il a l'impression d'avoir tout perdu, dans ce corps empôté. Il ne regrette pas la douleur, ceci dit. Il se sent plus frais, si frais...si jeune. Ses plaies guérissent, son sang est riche, même si teinté de Fel démoniaque. Ses pattes ne traînent pas, son corps n'est pas lourd. Mais il y a cet oeil. Il l'a ouvert un jour en s'éveillant, par un réflexe musculaire qui n'est pas le sien. Dans aucun de ses cauchemars n'a-t-il pu imaginer tel enfer, une torture psychologique d'ainsi subir lumière, formes, images. D'un hurlement il s'était recroquevillé, l'oeil fermé, écrasé sous sa paupière, cherchant à oublier, ne plus jamais subir tel afflux d'informations parasites.

Aujourd'hui, le Témoin est Illidan. Alors aujourd'hui, l'oeil est fermé.

Emilitia ne les a pas gâtés d'un logis, dans cette forêt humide à l'odeur acre du charbon. Le vieillard au corps enfantin est chafouin chaque fois qu'il se réveille ici, loin de sa grotte, et toutes ses affaires. Il a plusieurs fois demandé à retourner auprès de la mer, mais Emilitia est imperturbable dans ses décisions la concernant elle et sa portée, et le Témoin sait qu'il ne pourrait vivre seul là-bas, surtout en n'étant lui qu'à mi-temps. Alors il subit, et passe son temps à courir après ses nouvelles affaires, qu'il égare en permanence entre deux pertes de mémoire. Ce matin il s'est éveillé les cheveux dans un état abominable, emmêlés au dernier degré, les boucles lui entrant dans bouche et truffe, alors il les démêle patiemment, sans même ressentir l'agacement qu'il aurait imaginé avoir habituellement. Rien ne l'atteint plus vraiment, alors même s'il perd du temps, qu'il aimerait retourner sur ses prochains plans pour leur petite troupe, il se démêle sa chevelure grandissante.

Dans le silence du nid auquel il se trouve, il sait pourtant qu'il n'est pas seul. Nombre de choses se sont passées dans son inconscience, comme la récupération de la progéniture d'il-ne-sait quelle connaissance d'Emilitia, deux lardons légèrement impotents auxquels il n'accorde qu'une attention mitigée. Il aime plutôt bien les petits monstres de sa grande nièce, leur nature démoniaque leur donne un potentiel intéressant. Surtout Neisseria, qu'il a sauvée d'une mort certaine en la liant à un démon, lui plaît formidablement. Les deux inconnus, Nour et Sajda, ne lui ont pas encore attiré l'attention.

Son odorat atténué devra encore être entraîné pour reprendre la finesse qu'il avait obtenu dans son corps d'origine, mais il analyse tout de même ce qui lui parvient. Le silence est long entre eux, et ce n'est lorsqu'il en arrive aux derniers noeuds, de ses longs doigts déformés, qu'il ne prend finalement la parole.

« Dis-moi, mon petit. Tu ne vas pas jouer avec les autres ? »

Sa voix étrange, rauque aux teintes féminines, déformée par son cou bien trop long, n'est ni dédaigneuse ni intéressée. Neutre, une simple prise d'informations. De toute façon, le Témoin n'est plus remué par grand chose en ce monde.

S A J D A ▴ Dix mois

J'ai gagné.
Il est plein.

Au-dessus de sa tête, dont il s'affaire à peigner la longue chevelure blanche, s'érige les ramures multiples d'un arbre respectueusement grand. Il est celui des loups anciens et instruits, pourtant il est jeune, à peine plus âgé que moi. Les strates s'enchainent, plus haut que n'importe qui d'autre ici. Même Emilitia, équivalente à une doyenne, ne disposait d'un tel champ de connaissances.
Celle qu'elle avait de plus développée était ici outrepassée : il était celui qui connaissait le mieux les démons.
Pour réussir le sort qui avait fait de lui ce qu'il était aujourd'hui, il était nécessaire, d'avoir la maitrise de ce sujet.
Elle me l'avait évoqué, lorsque je lui avais demandé de m'apprendre les runes, et qu'avait débuté auprès d'elle une sorte de tutorat.

Je pouvais les voir d'un peu plus prêt, désormais, ces runes démoniques qui avaient été à l'origine de sa transmutation, d'un corps à un autre. Sceller son âme.
De façon inconstante, pouvais-je en conclure dans la différence entre ses deux arbres.

Celui de l'âme scellée, celle d'Illidan.
Celui de l'âme dans le corps. Je ne connais pas son prénom.
Et qu'importe, si on ne lui en a pas donné ; car celle-ci avait bien moins d'intérêt.

Il se trouvait de toute façon être Illidan, aujourd'hui.
Et il est le premier à parler, quand je ne fais que lire ce qu'il sait.

« Ceux présents m'ont déjà apporté ce qu'ils ont de plus intéressants. »

Je ne prends aucun détour. Il me semble qu'il ne faut pas en prendre, avec lui ; le temps est une notion qui doit lui être particulière, comme elle l'est pour Aconit et Asavaros. Du moins, est-ce ce que je suppose : on ne peut que vouloir profiter de tout moment, lorsque sa présence ici-bas est partagé avec une autre. Je n'aime, moi-même, pas perdre mon temps, et pourtant je dispose pleinement de mon corps et de mon âme.
Notre condition est mortelle.

« Et tu es celui qui est, de tous, le plus instruit. »

J'ai le sentiment qu'il faut que je pique un intérêt, tout de suite. Un fragment d'attention, pour obtenir informations. Il est libre de m'abandonner et de vaquer à une autre occupation, autre que celle de peigner ses cheveux, et je n'aurais pas perpétuellement la chance de le rencontrer ainsi.
Ainsi j'use de ce que je sais, sait-on jamais.

Ayant manqué de références visuelles dans son enfance, le Témoin possède un repertoire d'expressions faciales assez pauvre, incluant quelques sourires déformés, grimaces et retroussements de babines. Mais s'il avait dans ses habitudes de lever le sourcil, il l'aurait fait avec un sourire amusé. De jeunes il en a croisés, aussi pertinente que puisse être la mention "jeune" après plusieurs décennies de vie, mais il trouve celui-ci bien audacieux. Il a réussi son coup, à défaut de lui tirer une expression faciale cela lui a attiré l'attention, au moins pour les minutes à venir. Il parle mieux que Vanitas, remarque-t-il.

« Le savoir t'attire-t-il plus que leur compagnie ? »

Il sait très bien qu'aucun être décent n'est aujourd'hui attiré par sa compagnie à lui. Ce qui attire encore des gens à son chevet, sont justement ses connaissances. Illidan par-ci, Illidan par-là... Il leur trace des cercles, leur explique des runes. Certains écoutent, mais la majorité du temps il leur mâche simplement le travail. Est-ce que ça le dérange, non. Probablement pas. Probablement plus.

Le Témoin n'a pas encore prévu ses activités du jour. Sans possibilités de prendre de notes, il a rigoureusement entraîné sa mémoire pour retenir et ranger les informations dans son cerveau. Cocasse, maintenant que sa mémoire se retrouve subitement scindée en deux ; cela lui prend plus de temps qu'auparavant pour se mettre sur une tâche. Mais quitte à se faire déranger par un enfant, il n'a rien contre le fait d'au moins essayer de partager avec lui sa passion macabre.

S A J D A ▴ Dix mois

L'expression est indéchiffrable, si d'expression l'on pourrait même lui accorder. Ce n'est point sur cela que je m'attarde, n'ayant que peu vocation à disposer de la pleine compréhension de mes pairs... Les décrypter est utile, qu'on ne me prête pensée inverse. Mais cela n'en vaut la peine que lorsque les saisir permet d'obtenir ce que l'on souhaite.
Un élan de compassion pour qui est triste peut aider, par exemple.
Lui n'est guère triste ; pas heureux non plus.
C'est donc sa question, qui obtient toute mon attention.

Le savoir t'attire-t-il plus que leur compagnie ?
Au risque de paraître intéressé et distant,

« Oui. »

C'est dit sans détour, sans temps de réflexion, sans hésitation. Ma réponse est inflexible.
Oui.
Le savoir m'attire plus que la compagnie de mes semblables. Il y a bien quelques exceptions, que l'on catégorisait aisément sous le terme de famille. Ceci, pour ne point dire que ma sœur, ma Lumière est ma seule exception.

« Les connaissances me semblent plus pertinentes à échanger que ces banalités répétées à chaque individu. Elles traduisent une passion, une expérience, une vie, non une météo que chacun est libre de constater sans avoir besoin de quelqu'un, ou un état auquel on s'empresse de répondre oui pour ne pas paraitre faible. Et je trouve peu d'intérêt à rester aux côtés d'un autre par simple besoin de compagnie. »

Il fait beau aujourd'hui, je crois qu'il va pleuvoir demain, ça va ? sont des phrases entretenant une conversation banale et ennuyeuse, dans laquelle je ne souhaitais pas perdre mon temps.
Mais passons.

« Tu as l'air d'en avoir vécus plusieurs, des vies, pour en avoir accumulées autant, de connaissances. »

Une vie plus longue que ce corps trop jeune pour avoir tant accumulé, j'en suis certain.