Celui qui savait tout faire - Désastre.

Il avait accepté de l'aider.
La couture n'était pas une réelle passion, comme pouvait l'être la suture. Mais l'attrait pour cette dernière rendait la première plus acceptable. Le tissu épais était comme une peau sans vie, dont on a à se soucier des nerfs et de leur sensibilité. On pouvait prendre plaisir à planter l'aiguille et à la voir ressortir sans craindre l'effusion de sang à essuyer et le geignement d'un blessé, rapprochant les deux morceaux de chairs sans se soucier des adhérences, de la propreté de la cicatrice, de la fréquence à laquelle il faudrait changer les bandages autour.
C'est en pensant à cela qu'il avait sorti ses plus grosses aiguilles, en même temps que le scalpel et d'autres outils, qu'il avait machinalement désinfecté dans ce protocole stricte mis en place avant chaque soin. Non nécessaire, mais installé comme un reflex en lui. Une mécanique à laquelle il ne pensait même plus, pour l'exécuter si souvent depuis un an déjà.
Réputé pour cela, comme il pouvait l'être pour broncher et fuir devant un loup de maladie infectieuse, parce que si les plaies et les os fracturés étaient à cœur de son métier, les virus de saison ne semblait pas vraiment l'être.

Et parce qu'il avait temps de se préparer, en attendant l'arrivée d'Anita, il prit peine de sortir son carnet pour y esquisser les premières idées, d'optimiser la cape qu'il lui faudrait concevoir pour..l'amie. Parce qu'il accordait beaucoup d'importance, à cette quête du grand nord ordonnée par Pepper. Que d'aider à la préparation de l'une des siennes serait contribuer davantage à cet effort dans lequel il se crevait sur bien des fronts.
Il portant encore les courbatures et les égratignures de ses entraînements intensifiés, les effluves et les doigts verdis des onguents et des plantes pour ses soins.
Ses sourcils se froncent, il serre un peu les molaires.
Se concentre.
Réfléchit.

Anita était plus longue qu'Holly et un peu plus petite qu'elle, bien plus fine que lui. Elle avait en commun avec eux les épaules plus larges que le bassin, un poil plus ras encore que le sien qui exposait tout autant les parties à protéger davantage.
Elle était agile et de nature galopeuse. Elle faisait des mouvements amples et rapides, qui ondulaient comme ceux de Serpent, ce même Serpent qui vint onduler avec discrétion sur le carnet avant de s'en aller pour attirer de son jeune maître une bride d'attention.
Il lui faudrait veiller à dégager au mieux ses épaules et ses hanches, à laisser le tissu lâche mais à le resserrer ailleurs pour qu'il ne flotte pas et ne laisse passer l'air.

Cette réflexion le pousse à sortir des cordons et des scratchs, de ceux qu'il restait de la confection avec l’Épée Conseillère. Il les disposa avec les aiguilles.

Ensuite ? Un col qui remonte, une fourrure pour protéger son cou. Qu'elle pouvait d'un mouvement de patte déployer. Mmh. Il frotte le fusain pour gommer, sali sa page mais il s'en fiche ; l'art n'est avec lui quelque chose de brut, qui n'a besoin d'être propre.
Une capuche, amovible. Collée au dos, mais qui d'un cordon que l'on détend, l'on pouvait ajuster sur sa tête. Oui. C'est mieux, ainsi.
La fourrure se devrait d'être plus dense de derrière ses aisselles à ses parties, protégeant tous le ventre. Imperméabiliser davantage celui-ci ; elle s'affalait parfois et il se devait de prendre les devant.
Il pense au monstre des airs.
...
Une plaque, sur le dos, pour se protéger davantage. Alpha future, prêtresse en devenir, se devait de la glace revenir ; et lui par tout les moyens, aussi discret fussent-ils, d'y veiller.

D'autres idées lui viennent, de ce qu'il n'a pas mis en application sur sa propre cape. Lui n'en pas besoin, il pense. Mais elle...

Ses oreilles se redressent, quand les griffes raclent sur les roches, à l'entrée de son chez-lui. Il expire en même temps qu'il relève la tête, cesse de se focaliser sur son dessin  pour observer celle qui arrive, provoquant sur son passage celui d'un Serpent enthousiasme à l'idée d'avoir visite devant qui crâner et tête bien connue.
Désastre se lèva et étira ses pattes avants à la façon d'un chat, le dos creusé et les doigts qui sur le sol s'écartent, soulageant les muscles ankylosés d'être resté trop longtemps assis et courbé sur son carnet. Elle dit être en retard, entend-il de la bonne oreille.
...Ah ?
Il y a ses sourcils qui trésaille, et bien la réflexion qui tombe.

« Salut.
...Ce n'est pas grave, le peu de retard, je n'ai pas de montre pour le voir. »

Il était patient, beaucoup. Ne fonctionnait que par créneau, que la position du soleil au travers des meurtrières lui indiquaient, si ce n'était pas mécaniquement qu'il savait quand en changeant, dans ce formatage impeccable. Mais qu'importe. Puisqu'il était en mission, il avait désormais bien du temps à consacrer à celle-ci. Et son fonctionnement ne lui permettait pas de constater assez précisément la différence entre pas de retard et un peu, réflexion qui de là provenait.
Du reste... Il cesse de faire le chat et termine la phrase entamée.

« C'est bien, si elle est motivée. Anette a dû le voir, pour l'accepter. »

Pour l'accepter. Elle et Pepper étaient en capacité de voir les capacités et la motivation des prétendants à leur meute, il doutait qu'un mauvais choix eut été possible. Il leur faisait confiance, Désastre, peut-être beaucoup trop.

Bref.

Les yeux rouges (profitons, il y en a encore deux) se posèrent sur le tissu apportée, le dépliant, l'observant. Évaluant sa douceur, agréable sous les coussinets, et la qualité de celui-ci. Beaucoup plus que la peau de gnou.
...
Il fait glisser le carnet, montre ce sur quoi il a travaillé. Des croquis, de réussite tout à fait relative, pour celui passé maître dans l'art minimaliste d'un loup bâton fort long (représentant Anita, oui) que l'on habillait de traits et d’annotations. Il n'était pas bon, pour dessiner sans présence d'un modèle, il inventait très mal et faisait au mieux.
Pour lui, tout paraissait clair. Pour elle... Ça le serait sans doute moins.
Il n'a pas l'air de se rendre compte de ça, tant pis.

« Est-ce que ce genre de modèle te conviendrait ? Il est pensé pour t'être optimisé, mais tu as peut-être d'autres idées. »

Longue réflexion qu'il finirait par réaliser maintenant.
La peau de renne est détendue, le scalpel est saisie.

Et lorsque l'accord est donné, lorsque les idées autres sont peut-être soumises et ajouter...
Il se mit à l’œuvre, Désastre.

Il plonge dans une bulle de surdité que lui facilité l'oreille qui l'est, retire de se sens sa concentration pour ne privilégier que son toucher et sa vision. Le reste n'est plus utile, ici le danger n'existe pas et il peut se permettre cet état second, proche de la prédation qui se lirait presque dans le regard.
La conception est une traque, la cape une proie sur laquelle se refermer.

La lame, dans le tissu, passe et le découpe. Il façonne trois morceaux, souvent regarde la louve de son âge. Tout est détaillé, il apprend à connaître les mesures de son corps, la façon dont les muscles se dessinent et dont il fait épouser les pans de la cape.
Parfois il vient vers elle, tourne et analyse.
Prend l'air de l'aveugle Alpha, un claquement de langue commun à une mère qu'il copia souvent dans ce modèle absolu qu'elle inspira à un louveteau qui n'avait qu'elle à observer, avec ses yeux éteints mais sa bouche toujours en communication.
Il gagne en précision, à fonctionner ainsi.

Ses mouvements souples le reconduisent près de l'ouvrage.

Il tire les fils par l'aiguille, précision quand elle se plante et rassemble un pan puis un autre. Tout se façonne, petit à petit, la peau de renne trouve place sous celle du gnou qu'il aura imperméabilisé de poudre d'alun et de cire d'abeille. Pour mieux la garder de l'humidité, quand la douce fourrure au contact de sa peau lui assurera chaleur et confort.
Patience, dans les coutures qui doucement s'étendent.
Les nœuds ne doivent sauter.
Jamais... Jamais.
Parfois un cordon s'ajoute, ailleurs un scratch.

Il conçoit un vêtement modulable, finalement un peu plus ample sur le dos pour que les griffes animales s'y accroche. Que si une proie en viendrait à la saisir, oui... Elle trouverait fuite possible par le scratch qui se décroche, sacrifiant une partie du vêtement au profit de sa liberté retrouvée sous l'effet de surprise.
Il espère qu'elle n'en aura utilité, Désastre.
Encore une fois, met en place moult préventions.
Comme ces ficelles élastiques autour de ses pattes, pour jouer de la longueur des manches du vêtement. Le déplier jusqu'au bout des pattes. Le maintenir bien plus haut, si elle devait traverser une étendue d'eau. Il suffirait de la détendre, de la resserrer.

Il lève la tête pour dégager de ses yeux quelques mèches rouges qui lui font froncer le museau, reprend pleine application.

Entre ses pattes prend forme le vêtement, les morceaux s'assemblent. Il multiplie les sutures, enfin les coutures, encore une fois il n'y a chez lui cette distinction. Il peut doubler maintenant, ne choisi finalement d'y placer les plaques de métal. Une armure amovible par-dessus, si elle le souhaitait, mais il ne pouvait pas l’alourdir.
La conception fut pensée pour être légère, après tout.
Pour cette fille de Kiro qui de cet atout tirait tout avantage. Aucun élément n'était donc superflu, il irait même jusqu'à couper les excédents de cordelette une fois l'essayage fait.

L'essayage, oui.
Il faut y passer maintenant.

D'elle Désastre s'approche, un peu plus que d'habitude. La peau n'a plus lieu d'être après cette nuit et il sait que le Mal n'existe pas en lui maintenant. Il tend la cape, le rubis trouvant l'améthiste.

« Pour les derniers ajustements. »

Pour corriger la façon dont tomberait le tissu sur son corps, pour raccourcir comme suggéré les éléments permettant la modulation du vêtement.
Pour fignoler.
Enfin, terminer.

Etait-ce vraiment fini ?

Il restait un élément, comme il fit avec Holly et comme Holly fit avec lui. Par une peinture violacée, trace sur l'épaule un dessin.
Il ne connaît pas son rang actuel, Pepper ne lui aura parlé que du futur dont il n'a droit de parler.
Alors... Lui donne place qu'il lui connait.

Un cercle où quatre dessins trouvent place. Deux petites flammes minimalistes, à gauche et à droite. Un petit cercle barré d'une croix, en haut. Une croix, comme celle des morts, en bas.

Un cercle des rêveurs.

Il se recule, le souffle coupé. Et enfin, cette dernière question.

« ...Est-ce que cela te convient ? »

Elle tourne sur elle-même, tord son cou pour couvrir les angles morts de son regard et ne rien louper de l'ouvrage. Lui l'observe, ne décroche ses yeux d'elle. Il continue à étudier ce qu'il vient de terminer. Il cherche les failles, les fils qui dépasse. Une aiguille qu'il aurait omis de retirer et qui finirait peut-être par lui piquer la cuisse. Il cherche les coutures qui en mouvement, qui sait, serait désagréablement venu frotter contre sa peau presque sans pelage pour venir la protéger, de ce fait bien plus sensible aux frottements qu'une autre.
Il ne voit rien, n'ose non plus s'approcher davantage. A trop s'obséder dans une tâche il en devient dérangeant, il le sait ; ainsi il garde assez de perfectionnisme pour achever proprement une tâche mais ne se pousse dans les vices de l'abus. Il concède quelques erreurs, légères et sans importances.
La machine aurait aimé observer perfection dans ses ouvrages, qu'ils eurent été de soin ou de capes.
Le loup sait qu'aux yeux des autres, ce qu'il rend déjà est suffisant.

La preuve est qu'elle la trouve parfaite, elle.
Le verdict claque sous sa longue langue et Désastre redresse la tête. La satisfaction ne vient trouver place en lui, il possède la juste conscience d'avoir bien accompli un devoir, d'avoir été reconnu pour sa main d’œuvre efficace.
Il hoche la tête.

Les yeux, encore eux, ne se déjouent à nouveau de ses mouvements. Il a prévu, qu'elle se torde ; il la sait de souplesse supérieure à d'autres et avait vu juste dans ses mesures. C'est bien, comme ça.
Et même lorsqu'il fut saisit d'un doute, quand elle en vint à étendre ses ailes, soulevant ces pans de tissus mobiles... Quand elle exploita cette nouveauté, pour lui qui n'avait encore réalisé ceci... Il maintient son souffle mais très vite le libéra, ne pouvant qu'attester de sa liberté de vol.
Elle n'en serait pas empêché, mieux valait maintenant l'attester car il aurait été dramatique qu'une cape l'entrave au moment d'une chute.
Anette ne l'aurait pas supporté. Pepper non plus. Et par la maladie que chacune d'elles portaient en elles, celles qu'il soignait dans leur ombre sans un mot pour quiconque... Plus dramatiques encore, aurait été les conséquences de la perte de l'amie importante.

Son souffle s'est fait court, à cette idée.
Il se reprend.

« De rien. »

Il n'a rien de plus à dire, n'impose à ce moment de durer plus longtemps.
Alors déjà il se détourne d'elle, range le matériel sans un mot alors que Serpent remonte sa patte pour se cacher dans son encolure, dardant ses petites billes noires sur la jeune louve sans un sifflement.

C'est comme ça, que chacun retournerait à ses occupations personnelles, pense-t-il.