Décomposition et ingrédients [Lucian]

Il s’était promis d’y aller à l’orée de la forêt, là où la lumière se mélangeait aux ombres en des strates sombres. Il attendit longtemps celui qui était en retard. Assit sur la branche basse d’un arbre qu’il avait escaladé. C’était une habitude. Rien d’étonnant venant de lui, qui aimait se scruter les environs depuis les hauteurs.

Lors que la silhouette sombre de son adelphe apparut dans le sentir, il se laissa choir au sol mollement, à peine amorti par la présence de ses longues plumes et de sa cape. Puis il alla à sa rencontre.

Même si son frère n’en fit cas, il ne pu que remarquer le changement, la lumière indigo qui l’accompagne désormais. Il vint se placer à son niveau, abaissant la tête pour mieux observer, se permettant même de porter la corneille au plus près de ses yeux pour mieux l’observer.

La couleur était différente de celle de Mère, rien d’étonnant. Il fit mine de s’étonner sans l’être réellement, il aurait seulement pensé qu’il aurait eu plus de temps.

« C’est Nouveau ? »

Sa foi s’est donc confirmée ou transformée. Son frère était perdu et ne savait s’il se devait de le laisser dans cet égarement. Il fit claque sa langue entre ses crocs. Il avait choisi le mauvais dieu, mais finirait bien par s’en rendre compte de lui-même. Alors peut-être changerait-il d’avis. Lucian n’avait besoin de lui faire plus de remarque car il savait déjà tout.

Aujourd’hui, il ne se ferait ni tuteur, ni inquisiteur, ils avaient tout deux suffisamment d’occupations pour combler l’esprit plutôt que ruminer. Il est relativement grognon tout fois, tout en faisant l’effort d’être poli.

« Des Félicitation sont de rigueurs. Je suppose. »

Mère et père aurait certainement approuvés.

Pourtant, il avait bien du mal à se faire l’idée qu’ils ne partagent même foi. L’occasion aurait été de se rapprocher de Mido, il avait pourtant choisi une autre divinité. Abandonnant les leçons de Père, Ses prétentions.

Tout fois, il lui emboîta le pas, marcha à bon rythme afin de ne pas être semé en chemin, il ne voulais surtout pas le laisser le distancer, même si une fois l’orée atteinte, la petite procession s’immobilisa.

À la question, il se contenta de secouer la tête. Non, il n’avait jamais mis une patte ici dans cette forêt qui de premier abord lui semblait à la fois quelconque de par son apparence, mais aussi certainement riche en ressources pour emplir les étagères.

« Père n’a pas mentionné ce lieu. »

Peut-être n’avait-il eu l’occasion de le visiter ? Ou bien avait-il perdu quelques exemplaires de ses nombreux registres ? Dans tous les cas, il ne disposait pas de carte.

Il abandonna la corneille, la laissant gagner sa place.

« Je ne sais si Mido m’accordera cette faveur. »

Personne ne peut savoir, hormis la divinité elle-même, c’était une certitude qu’il avait.
Mais il comptait bien se rendre à la vasque d’un jour à l’autre. C’était évidence.

« même s’il ne me l’accorde, je continuerai à garder foi. » Il croit. Cela fait parti de lui, de son existence, de ce qui le définit.

Lorsque Stendhal lui fait une présentation des lieux, il acquiesce, dodelinant de la tête légèrement pour ponctuer la discussion. Son regard se fait plus sérieux, plus sévère, il était prêt à les défendre, quoi qu’il advienne. Hors de question de se laisser dévorer, ensemble, il ne pouvait rien leur arriver, c’était une certitude.

Il suffisait de lever la tête pour distinguer cette épaisse brume omniprésente, qui les encerclait après seulement quelques pas parmi les arbres. Les champignons semblaient pourtant quelconques, semblables à ceux que l’on pouvait trouver dans d’autres lieux. Il s’en détourna bien vite, ne voulait se laisser distancer. C’est légèrement déçu qu’il lui emboîta le pas de nouveau, s’avançant rapidement jusqu’à rejoindre son flanc tout en continuant à observer les alentours.

Il fut soulager de voir un sanglier détaler en voyant la procession, au moins, celui-ci ne leur causera pas de problème et ne les retardera pas dans leur tâche.

« Il est vrai. Comment nous dissocier des enseignements de nos parents ? Cela me semble chose bien difficile, si ce n’est impossible. »

La foi fait parti de nous et pourtant il se souvenait de ce silence courroucé qui semblait brûler en secret lors de sa visite à Mido. Une erreur peut-être que d’espérer l’approbation d’un Dieu si taciturne. S’il ne doutait de sa foi, il doutait parfois de ses capacités à se montrer convainquant, tout en se ressentant qu’à demi complet sans l’approbation de ce Père.

Il esquissa une grimace. Son frère se montrait des plus curieux concernant son intérêt envers la divinité, il ne l’avait connu si curieux depuis longtemps.

« Je n’ai jamais songé à faire un choix. »

En ai-je seulement le loisir.

« Je souhaite seulement que Mido approuve ma présence au près de lui. »

Ce serait un premier pas.

Occupé à chercher, à fouiller le paysage à la recherche de réponse, il passa devant une souche creuse.


« Qu'espérais-tu quand tu ... Tu vois. Et t'as-tu obtenu ? » D'une patte, il désigne la corneille.

Il fut surpris de voir son frère prendre un aspect si sérieux tout à coup, cessant toute activité pour concentrer son attention sur lui. Bien que surpris, le toisant de ses yeux couleur de lune, il ne cesse de communiquer. Était-il inquiet ? Peut-être craignait-il de se voir distancée par ce frère qui semblait toujours parvenir à ses fins. Se demandant ce qu’il serait advenu s’il avait ressentit comme lui, la froideur d’un Dieu courroucé.

Il devint parfaitement immobile un instant, ce remémorant cet évènement et les efforts qu’il avait mis en place depuis pour faire pencher la balance vers une autre voie. Pourtant demeurait le doute que ses stratégies soient insuffisantes ou indignes du Dieu qu’il souhaitait représenter. Un frisson lui parcourut l’échine.

« Et si elle ne l’était pas, acceptée. Qu’aurais-tu choisir de faire ? On ne peut rien faire contre l’avis d’un Dieu, si ce n’est gagner sa bénédiction.»

Et si cela n’advenait jamais, resterait-il incomplet pour toujours, ne goûterait-il donc pas à ce sentiment de plénitude décrit par son frère ? L’amertume viendrait-elle prendre à nouveau le dessus sur lui, le submergeant de nouveaux jusqu’à l’étouffement. Et s’il se trouvait de nouveau submergé par l’émotion, si de nouveau il fut tenté de tout détruire pour faire page blanche.

« Il va falloir que je me rend à la vasque de la lune. »

Quand, il ne saurait le dire.
Le mage se joignit à son effort, transférant des feuilles à son tour de la souche au traîneau.

« Pour répondre à ta question, j’aimerai que Mido me donne accès à plus de connaissance concernant l’alchimie, cela à nôtre entreprise. Et pour le sanctuaire.»

Faire de lui un apothicaire, il n’avait d’autres désirs si ce n’est transmettre son savoir et sa lignée.

Fusent-ils si semblable au point de se confondre l’un et l’autre ? Apparaissant comme reflet aux parcours différents, visant pourtant de même dessein. Le corbeau s’immobilisa perdu dans ses pensées, toisant son adelphe au pelage plus sombre. Il comprenait parfaitement ces sentiments négatifs, ceux qui submerge jusqu’à effacer toute volonté de bien faire, jusqu’à totalement annihiler l’être. Car c’était ce qu’il avait ressenti.

Ses babines s’entrouvrirent comme s’il s’apprêtait à reprendre la parole, pourtant il s’interrompit. S’obscurcissant soudainement, pensif. Pourtant, il ne pouvait le laisser comme ça, sans s’exprimer d’avantages sur la question, mais comment aborder sujet si délicat.

Si semblables et si différents,
comme les deux faces d’une même pièce.

« Si tel était mon cas, si un envie de tout détruire venait à me submerger, si je renonçait à la meute et aux terres de nos parents pour mener une autre vie, alors qu’adviendrait-il de nous ?»

Qu’adviendrait-il s’y ne parvenait jamais à trouver place parmi les siens, s’il ne parvenait à se faire accepter par quelques uns ou quelques unes. Si de nouveaux une vagues de colère venait à le submerger au point qu’il en perde tout contrôle. Que se passerait-il s’il rejetait ce frère pourtant bienveillant qui semblait toujours pardonner ses erreurs passées sans lui porter le moindre jugement ?

« Des livres j’en pris possession de plus que je ne saurais en désirer, Père n’eut de cesses de m’en fournir pour mon étude. Je pense à un apport plus concret, concernant les recettes ou les préparations peut-être. Ou bien la recherche de nouveau ingrédient, je ne saurais le dire. »

Il en avait la migraine, rien que de songer à cette époque, à la vieille étude poussiéreuse où leur père s’enfermait souvent.

Lorsqu'il fut interrogé au sujet de la lanterne, il secoua la tête de gauche à droite.

« Je ne l’ai pas, elle est restée à la bibliothèque. Il faudra se guider autrement. »

Il ne s'en inquiétait pas.

« Si tel était le cas, alors j’attendrais tes visites avec impatience. J'espère que tu m’amèneras de nouveaux ingrédients à étudier.» Sa longue queue fit balancier derrière lui.

Suite à ses Sombres allusions, il sembla prendre un peu de détachement, ce n’était après tout que des allusions et non une prémonition tout au plus des inquiétudes qui le maintenait en alerte plus que ne le mettait à genoux. Il connaissait les risques qu’il encourant, Père lui avait mainte fois recommandé de ne pas baisser sa garder et de se montrer des plus docile envers le Dieu vert. Car il est Dieu que l’on attendrit pas avec des foutaises.

« Il est rassurant de te savoir toujours de mon côté, quelques soit les incidents et les tumultes. »

Il n’avait pas vraiment à s’inquiéter, Lucian ne prévoyait nullement de prendre la fuite ou de quitter les leurs du jour au lendemain. Mais trouver place parmi cette famille, était compliqué, plus qu’il ne l’aurait songé. Les énigmes lui semblaient d’une facilité déconcertante comparée aux autres loups qui composaient la meute. Ils étaient changeants, tous différents, difficile à appréhender, du moins c’est ce qu’il lui apparaissait. Père n’était plus là pour jouer le tampon entre ses humeurs et les autres, il se devait de se débrouiller et trouver sa propre voie de lui-même.

« Je ne compte pas m’éclipser très longtemps. »

Il ne s’agissait là que d’une visite, un aller-retour, afin d’aller proclamer sa foi une nouvelle fois au temple de Mido. Le voyage ne saurait s’éterniser, la vasque n’était pas si loin après tout. Mais il se devait bien de s’y rendre s’il voulait obtenir quelques faveurs.

« La vasque n’est pas si loin. »

Après tout, il suffit de lever les yeux au ciel pour voir la lune.
Du moins si on met de côté l’épais brouillard qui les submerge.

Il roula ses yeux au sol, après tout, il l’avait déjà ce voyage, en pressant le pas, il ne mettrait pas plus d’une journée. Si aucun déboire ne lui arrive en chemin, c’était à espérer. Mais ce ne serait que partie remise.

Concernant les propositions de son frère, un sourire s’élargit sur ses babines. Il va se ses propres propositions.

« Ce serait un possibilité oui. Ou pourquoi pas, un grimoire empli de recettes, ou une chance accrue de réussir mes préparations.»

Son sourire ne tarda pourtant pas à disparaître de nouveau.

« cependant rien ne peut présager qu’il me l’accordera.  Ou même qu’il acceptera de m’écouter.»

Il faut dire qu’il n’avait pas semblé faire forte impression quand il s’était rendu à la vasque après l’écrasement de l’Agrégat sur l’église. Il fut perdu dans ses pensées lorsqu’un cerf déboula juste devant leur caravane de fortune, il l’esquiva par réflexe, laissant la créature disparaître dans le brouillard.