Hey friend l P.V. Susu

Asclepia avait toujours été de constitution délicate ; mais même lui ne pouvait plus nier le craquement de ses articulations, ses plaies qui ne guérissaient plus aussi vite ou sa vue qui baissait de manière drastique. Il était vieux, plus que vieux il était canonique. Ces contrées n'étaient pas aussi clémentes que celles d'où il venait, et c'était même un miracle, au vu de ses sottises, qu'il soit toujours en vie.

Mais il le sentait. Il sentait que le vent tournait, que le grand cycle de la vie touchait à sa fin pour lui. Il le sentait dans son corps, dans ses os, dans ses sens qui baissaient.

Ça le terrifiait quelque peu.

Ces dernières années, tout n'avait pas été aussi rose qu'à son arrivée sur les terres de Punk Wolf. Au début, tout avait été si parfait. Il avait croisé énormément de gens, réussi à trouver place entre les pattes roses de la déesse de la beauté et de la tentation, celle qui avait régi sa vie depuis. Il était tombé amoureux mille fois, mais mille fois ses conquêtes n'avaient été qu'arrières gouts amers ou rencontres avortées. Il avait noué des liens, oui ! Il s'était même fait, oserait-il se l'avouer, des amis. Mais pas cet amour flamboyant, excentrique, fou, hors du temps auquel il avait aspiré toute sa vie ; cet amour qui cochait toutes ses cases et plus encore.

Le temps avait amené entre ses griffes une légère dépression qu'il combattait depuis maintenant des années, sans jamais totalement s'en départir. C'était diffus, passait vite inaperçu, mais sous-jacent dans toutes ses interactions et avait contribué à l'isoler encore plus. Il voyait parfaitement ce qui lui arrivait, ce qu'il subissait, mais le combattre au quotidien lui demandait toutes ses forces, et ce pour n'être que l'ombre de lui-même.

Et maintenant, il arrivait au bout du chemin.

Il inspire à fond, devant l'entrée du Dédale.

Rétrospectivement, soyons honnêtes, c'était pas si mal. Sa vie avait été bien remplie, il avait fait chier un nombre incroyable de personnes, en avait amusé tout autant. Et au crépuscule de sa vie, il avait une dernière amie à revoir, parmi ceux qui restaient. Alors ses pattes le guident entre les pierres sombres. S'il n'avait jamais été Nakhu, il les avait côtoyé assez pour connaître les recoins de leur labyrinthe et ne pas s'y perdre. Son nez ne suffisait pas à remonter la piste aussi aisément qu'avant, mais sa tête marchait encore assez bien merci beaucoup.

Alors il gratte à l'entrée de l'alcôve de son amie, sourire aux babines.

Sélénéééé-

Peut-être était-elle occupée avec quelqu'un ? Ce serait drôle, d'ainsi la déranger. Une ultime boutade à la vie, un ultime irrespect avant de s'en aller.

Hey friend

Elle admire une nouvelle ride dans le miroir.
Elle est désormais l'une des plus vieilles louves de la meute, avec Umaïma, ce depuis le départ du regretté Violette.
Une tragédie qui se rejoue encore, et encore, et encore. Pourtant elle ne perd pas le moral. Qu'est-ce qu'une mort de plus, elle qui a enterré toute sa famille en l'espace d'un an ? Si elle devait craquer, il lui faudrait à nouveau cela, ou perdre l'un de ses enfants. Mais cela, n'arrivera pas. Elle a confiance en leurs capacités à ne pas tomber sous la faux avant elle. Même si... les enterrer reviendrait à ce qu'il ne connaisse jamais la peine de la perdre elle.
Mais trêve de pensées.

Elle accroche d'autres bijoux à ses oreilles, passe les chainettes qui reposent sur son front pour faire mirer la larme de sirène qui lui a été offert depuis bien des années déjà. Puis elle clipse son châle, fidèle châle, à son collier, et s'en va d'un pas motivé.
Elle n'est pas encore à la mort destinée.

Dans le dédale elle se trouve, il y avait des choses à faire, à y voir. Mais cela semble bien tomber.
Une voix appelle son nom, et elle aime à penser ce qu'est que le destin l'a placée alors là où il fallait qu'elle soit. Élégante et chantante voix, elle répond de plusieurs notes.

"C'est moi, je suis par ici~"

Elle se dévoile au détour d'un méandre.
Et dresse les oreilles.

"Oh, Asclepia ! Que je suis ravie de te revoir."

Elle s'enthousiasme toujours quand il s'agit de ses amis, encore plus lorsqu'il s'agit du paon, lui grand roi des pitreries et grandiloquents moments. Elle ne saurait ne pas ne pas être sublime en face de lui et charmante. Elle s'approche.

Il tourne la tête, la penche et tend l'oreille. Les méandres, des boyaux ou de l'esprit... Il glousse et trotte, localisant l'origine du bruit, jusqu'à ce que la louve maintenant blanche comme neige se dévoile à lui.

Séléné, douce Déesse des sens et du savoir, délicate sachante sussurrant salacités avec sagacité !-

Surtout pour la belle allitération cachée derrière-

Comment vas-tu en ce doux matin de printemps et ses jours qui rallongent ?

Un de mes derniers, comme tu le constate probablement. Vois-tu avec autant de clarté que moi ce fil qui touche à sa fin ? Il s'approche et sautille, avec autant d'allant mais beaucoup moins de souplesse que durant ses primes années. D'une courbette ridicule, il se penche en avant et manque de finir le museau au sol - mouvement exagéré et ridicule.

Je suis ra-vi de te trouver là. Es-tu de la meilleure forme, comme je m'en enquis tous les soirs auprès des dieux ?

Espiègle, sourire en coin, il roucoule en lui tournant autour.

Hey friend

Ah, comme il manie les mots.
C'est si doux à son oreille, qu'elle ne peut pas s'empêcher de rétorquer avec toute la poésie dont elle est capable.

"Fieffé filou, fou et fantasque faquin, toi qui t'en est allé tuer un tyran ailé ! Sans savoir si tu étais survivant, je me suis sentie si seule..."

Elle ne fait pas un réel reproche. Mais leur dernière entrevue remonte à avant le dragon.
Mais il est bien là, vivant et... fatigué. Elle voit, oui, ses traits tirés, sa démarque raidie de l'âge, l'énergie entière ou presque consumée par le théâtre qu'il joue, et aime encore jouer malgré tout. Elle se penche et le relève comme une reine magnanime, et s'amuse à agiter la tête pour faire clinquer ses bijoux.

"Je vais pour le mieux, oiseau malicieux. Les jours avancent et jamais ne se ressemblent, depuis notre déménagement au plateau et notre nouvelle déité."

Elle tapote les épaules de son ami. Elle ne cache pas les vérités, sans pour autant déplorer.

"Les jours avancent pour toi aussi, mon ami. Désirerais-tu peut-être un thé ?"

Il sont bon pour les maux de l'âge, et il y a toujours un peu de réserve dans l'ancien habitat Nakhu, au Sanctuaire. De quoi soulager les articulations peut-être, ou réchauffer malgré les jours qui reprennent en températures, s'il ne s'est pas préservé du froid.

Il rit à la réponse tout aussi recherchée de la louve opalescente. C'était si agréable, que d'être répondu avec autant de classe et de recherche, plutôt que du regard étonné voir froncé qu'il récupérait indubitablement. Ses paroles lui apportaient du baume au coeur. C'était doux. Ses reproches, exprimés sans animosité, lui tirent un petit haussement d'épaule un peu gêné. Non pas qu'il s'en fichait, non, juste...

La vie, un peu. Tout ça. C'est pas qu'il ne pensais pas à passer, plutôt...

Il n'avait aucune excuse, mais il n'était pas non plus là pour s'appesantir sur ce genre de choses.

Ah, oui. Nouveau dieu, nouveaux terrains de chasse, tout ça tout ça.

... Tout ce dont il se fichait pas mal, à vrai dire, à part éventuellement pour l'impact que ça pouvait avoir sur certains - sur elle.

Et, euh, il ou elle est sympa ?

Après tout, pourquoi pas quelques ragots ? A la remarque de son ami, il glousse.

Ils avancent à grands pas, oui. Un thé, pourquoi pas, si c'est ce qu'il faut pour conserver ta compagnie ?

Hey friend

Une question s'en vient, et elle doit bien avouer.

"Je pense, cinq d'entre nous l'ont trouvé suffisamment pour porter sa couleur en tout cas. Mais je ne lui ai pas parlé directement. Je ne puis que dire que c'est ael apparemment, et que sa nouvelle valeur est le changement. Bien étrange, mais toute sa venue l'a été alors bon."

Et plus étrange que des dinosaures, que des dragons, que des loups à corne de cristal, que des loups paon ou qu'elle-même née de trois parents ? Non. Hah !
Elle l'emmène vers le Sanctuaire alors, pour aller retrouver les feux et les couches qui persistent pour ceux qui veulent revenir ici.

"Oh tu l'aurais même sans~ Mais c'est toujours plus agréable, n'est-ce pas ?"

Elle a une petite étincelle particulière, dans les yeux.

"C'est également un peu nostalgique, j'ai l'impression d'encore avoir l'odeur des madeleines de mon oncle, ou le parfum de Maman. Ils manquent pas mal à Dysis et Priam aussi."

Elle ne soupire pas, mais c'est une façon de lui annoncer aussi ; elle sait qu'il aimait embêter Nocera.
Elle se demande ensuite, s'il a trouvé le grand amour qu'il cherchait, lui grand gourmand de la vie. Ou peut-être a-t-il filé de simples jours cousus d'ennuyante routine. À voir, à voir, mais elle pourrait bien défaire ces petits noeuds en apportant un peu d'égaiement à tout cela.
Elle a l'impression que ce sont là, les dernières laines de bonheur qu'ils tricoteront.
Cela l'amène à une proposition.

"Alors dis-moi, ta visite est-elle temporaire, mon cher ? Ou par chance, aimerais-tu rester un peu."

Ou peut-être espère-t-il s'éteindre auprès de sa déesse ?

Le changement.

Drôle de valeur. N'étaient-ils pas tous, après tout, appelés au changement ? Alors, que représentait lea déesse (violette ? Pourpre ? Trucmuche ?) ? Le fait d'accepter le changement ? De le provoquer ? De l'embrasser ? Donnez-moi un levier, et je soulèverai le monde ?

Tout cela lui semble bien futile. Mais maintenant, tout lui semble bien futile, à part les quelques rayons de soleil qu'il grappille en matinée et l'eau claire du ruisseau lissant ses plumes. Sans répondre, son regard focalise de nouveau sur les teintes crèmes de son...

De son amie.

Etrange, comme cette louve est des rares qui restent, elle qui n'était qu'une gamine lorsqu'il emmerdait sa mère, elle avec qui il partage plus d'une génération d'écart. Si jeune - mais pas épargnée non plus par les années. Il ne peut s'empêcher de la voir tellement plus... Infantile que lui ; elle qui est mère pourtant, elle qui a vu mourir sa famille, elle qui voit vivre ses proches, elle qui comme lui sent résonner les années. Il secoue la tête, un peu plus grave peut-être, mais toujours un sourire charmeur aux babines.

Oui. Je prendrai le thé.

Que Nocera ait quitté ce monde ne l'étonne pas outre mesure. Ils... Etaient tous partis. Partaient tous. C'était leur tranche d'âge qui s'en allait, il n'y avait rien à y faire.

Ah ! Le fil de ses pensées aussi sûrement que la laine de ses derniers jours s'emmêle et le laisse un peu vide.

Il croise le regard de Séléné qui attend une réponse, et rougit.

D'embarras.

Il rembobine la scène qui vient de se passer, pince les lèvres et fait un effort. Le brouillard s'estompe, et le fil passe le chas de l'aiguille.

Temporaire.

Le ton est plat, mais ça n'est pas une réponse. Un questionnement, qu'il n'adresse à personne.

Je ne sais pas.

Il fronce les sourcils.

Peut-être ? Je crois...

Il se laisse rouler sur le flanc, sur le dos, tel un louveteau sur une pierre en plein soleil.

Je crois que ce sont les derniers thés que je bois.

L'aveu d'une vérité qu'il n'avait pas besoin d'exprimer. Mais la conversation l'appelle, et nul ne peut l'ignorer. Son ton n'est pas triste, plus contemplatif qu'autre chose. Résigné. Et, quelque part, ça faisait du bien. De l'admettre à quelqu'un. Brusquement il relance, curieux :

As-tu peuplé ta vie des multiples expériences que tu souhaitais croquer ?

Hey friend

Peut-être, il ne sait pas.
Elle n'avait pas besoin qu'il dise que ce sont les dernier thés à voix haute, cela servira pour autant d'excellente conclusion à cette offre, elle la laisse dans son camp et ne s'offusquera pas si elle est prise ou non.

"Il pourra y avoir autant de thé que tu souhaiteras alors."

Il relance d'un coup le sujet sur elle, de sa place allongée sur le sol.
À la fois enfantin et vieux, à la fois résigné et curieux. Elle sourit... Et dans un rare moment, même si elle s'est dit qu'elle ferait milles frasques pour égayer magiquement cet instant autour d'un thé ; la voilà complètement sincère et à nu sans trace d'exagération. Sincère.

"Oui. J'ai voyagé, j'ai eu des amants, des amantes, des amis, une mentore, une apprentie, deux merveilleux enfants, traversé un évènement majeur de la meute, participé à des projets... Et j'ai lu, et chaque livre était une autre vie à vivre. Mon monde est peuplé d'histoires et de personnes, et c'est tout ce que je pouvais souhaiter."

Il accepte d'un mouvement de tête l'offre prolongée, absent.

Et l'écoute résumer ses années avec attention. Il sourit.

C'est bien. Je suis heureux que tu ais connu tout ça, et que tu ais encore un peu de temps pour en profiter.

Il hésite.

Je crois que je ne m'attendais pas à recevoir autant, quand je me suis retrouvé sur ces terres. Je ne regrette aucunement mon départ, j'ai vécu de loin mes meilleures années parmi vous. Mais dieu que ce territoire est... Changeant. Mouvementé. Que de monstres, que de magie !

Son regard descend vers la pierre qui orne son poitrail. Une vague d'amour indicible l'envahit, il effleure la pierre avec un sourire. Son amour pour la déesse rose n'a aucune limite, et l'intérêt qu'elle lui rend, malgré son côté insupportable, lui a toujours fait du bien.

J'étais loin de m'imaginer vivre tout ça.

Lorsqu'il avait quitté un monde de paons, axé sur la séduction, dont la hiérarchie se basait littéralement sur la conquête et la capacité à tromper efficacement son monde. Il hoche la tête.

J'étais parti pour trouver la déesse de la beauté dont j'avais entendu parler, et l'amour peut-être, un peu plus vrai que celui qu'on me vendait chez moi. Je crois que je ne savais même pas ce qu'était avoir des amis.

Il secoue la tête, perdu dans ses souvenirs, et se souvient en compagnie de qui il se trouve.

Désolé.

Il n'avait jamais vraiment parlé de tout cela à qui que ce soit. Personne pour avoir un lien assez fort pour s'y intéresser, personne à qui il ne se sentait de s'épancher. Un dévoilement inutile. Les rares aviaires qu'il connaissait n'avaient rien à découvrir de lui, tout était écrit et visible comme un nez au milieu de la figure - il n'avait rien de spécial.

Hey friend

Elle écoute, très attentivement, tout ce qu'il transmet dans ces mots.
Elle voit là les ruminations pourtant pas malheureuses, d'une fin de vie. Une vie qu'il n'aurait pas pu penser si riche. Il avait visiblement trouver ici des choses et des personnes qui l'avaient surpris, dans le bon sens.
Elle croit qu'elle a envie de témoigner d'une chose en retour.

"Je t'avoue que je ne pensais pas croiser... Comment le formuler. L'authentique exemple de ce que j'ai cherché à devenir ?"

Elle prépare le thé et ne le regarde pas.
C'est volontaire.
Désinvolte presque. Banal, tout en ne l'étant précisément pas.

"Bien sûr je ne dirais pas authentique, car toi aussi, tu exagères tes saluts, échafaude ta grandiloquence. Cependant... De telles personnalités, je n'en avais lu que dans les livres. Je suis née enfant complètement effacée, le nez dans les ouvrages, à en admirer les personnages. Quel ne fut pas mon intérêt frappé, en voyant ton fantasque, ton éloquence, ta malice qui effarouchait ma mère ?"

Elle émet un rire clair.

"Un véritable fanfaron de plume et de chaire. C'était fascinant."

Elle sert finalement le thé dans les tasses.

"Mais voir le cœur derrière, les soupirs et les soucis, les envies et les lubies, ça, c'était encore plus magnétique. C'était l'histoire derrière le personnage incarné, la dimension qu'il manque aux pages écrites. Maintenant, encore plus."

Elle offre finalement un sourire au paon.

"Merci de me l'avoir comptée, et de m'avoir laissé la partager."

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