Turning point | Aristote & Ao si possible

Ils avaient parcouru une bonne partie des terres dans cette étrange expédition, et les heures avaient fait lentement s'écouler la journée jusqu'aux prémices du crépuscule. Mais les rayons feu du soleil étaient cachés derrière le manteau épais de nuages qui recouvrait le ciel au-dessus de leurs silhouettes. L'air était désormais sec, mais froid, et une épaisse couche de neige recouvrait le sol, rendant leur marche difficile et la conversation plus rare. Elle s'en voulait presque d'avoir entraîné le grand loup blanc dans cette aventure et lui jetait de temps en temps un regard légèrement teinté d'inquiétude. La traversée de la lande lui parut infinie, d'autant qu'ils avaient cessé de parler pour se concentrer sur leurs efforts. A certains endroits, ils s'enfonçaient jusqu'au poitrail, et la neige cachait fourbement des crevasses profondes et des stalactites sur lesquelles la malchance ne les avait pas encore fait s'empaler. Elle avançait avec précaution, tâtant autant que possible le terrain devant elle.

Enfin, ils atteignirent le couvert de la bande de forêt de pins gris qui s'étendait au milieu, séparant la lande la Grève Gelée et de la mer, un peu plus au Nord encore. Les arbres avaient protéger le sol du plus gros de la poudreuse et ils purent s'arrêter pour reprendre leur souffle. Elle frissonna, le pelage trempé et secoua la tête pour remettre ses cheveux en place.

"Ca va ?" Demanda-t-elle à son compagnon de voyage. "Nous y sommes presque."

Elle ignorait s'il avait l'habitude de crapahuter comme ça. Elle avait toujours été dotée d'une curiosité généreuse, et avait donc arpenté durant sa jeunesse la plupart des territoires du continent, Séides ou non. Mais cette habitude de courir à droite et à gauche n'était pas forcément une caractéristique de tous ses congénères, et elle ne voulait pas qu'il en vienne à regretter d'être venu. Cependant, il l'avait suivie jusque là, ce qui semblait signifier que cela ne l'effrayait pas - ou bien qu'il tenait à rester en sa compagnie, mais elle ne se permettrait jamais de réellement faire cette hypothèse.

Ils restèrent quelques instants à la lisière de la forêt, puis elle lui fit signe de la suivre de nouveau.

"Il va falloir retourner dans la lande même." Annonça-t-elle. "Le temple se trouve au coeur de la brume."

Elle montra l'endroit du bout de la patte. Ils avaient plus ou moins contourné le coeur de la lande, car elle se doutait que les obstacles y seraient bien plus présents et la neige plus épaisse encore. Désormais, il n'y avait plus le choix. Elle se remit en route, longeant la lisière de la forêt, puis obliqua pour replonger dans le brouillard. Cette fois-ci, ils furent rapidement enveloppé d'un épais manteau opaque, et elle ralentit légèrement, pour qu'Aristote ne la perde pas de vue. Ils marchèrent de nouveau longtemps dans la neige épaisse, jusqu'à ce qu'une lueur bleue ne perce la brume. Une étincelle s'alluma dans les yeux de Romance, en même temps que sa gorge se serrait.

Impossible de faire demi-tour désormais. Elle déglutit et s'avança. la silhouette du temple se dessina devant eux, et elle s'arrêta sur le perron de la haute construction. On apercevait au coeur du temple la haute statue de la déesse. Elle rabattit les oreilles et se retourna vers Aristote. Le moment de vérité était venu. Elle avait beau ne le connaître que depuis quelques heures, elle préférait lui révéler maintenant ce pourquoi elle était là plutôt que de continuer cet espèce de mensonge par omission, qu'il découvrirait de toute façon quelques instants plus tard.

"Hm, je... Il faut que je te dise quelque-chose." Commença-t-elle en fuyant son regard."Je n'ai pas de glowstick. Personne... Personne ne m'a jamais appelée."

Elle releva les yeux vers lui avec un peu d'anxiété. Séide complètement désormais, il devait savoir que tous les jeunes loups recevaient normalement l'appel d'un dieu, un jour, qui les poussait à aller passer leur épreuve pour recevoir un glowstick.

"Si les alphas le découvrent je devrais devenir Oméga, ou quitter la meute." Continua-t-elle. "C'est pour cela que je suis venue... demander."

Elle gratta le sol de ses griffes nerveusement, puis toussota. Elle se demanda s'il jugerait qu'elle lui avait menti - c'était plutôt une mauvaise chose lorsque l'on semblait nouer une relation avec quelqu'un, il fallait le dire. Mais elle espérait aussi qu'il comprenne qu'il ne valait mieux pas pour elle que cela ne se sache trop. Même si elle l'avait bien trop longtemps caché, elle en était consciente. Sa décision aurait dû être prise bien des lunes auparavant.

Le contact qu'il fit entre eux fut chaleureux, réconfortant. Elle lui sourit légèrement aux mots qui suivirent, car ils étaient de toute gentillesse. Même s'il ne la connaissait pas vraiment, ce loup blanc faisait de son mieux pour la réconforter, quitte à lui parler comme s'ils étaient amis. Cela la touchait, derrière le voile d'anxiété qui recouvrait ses prunelles. Cette émotion légère fut balayée par la surprise aux derniers mots du loup. ... Quoi ? Ses yeux s'agrandirent légèrement et elle entrouvrit les babines, sans qu'aucun mot ne s'en échappe tout d'abord. Ses oreilles tressaillirent, alors qu'elle scrutait le regard azur d'Aristote, comme pour chercher à savoir s'il pensait réellement ce qu'il disait. Comme pour se convaincre qu'il ne se moquait pas d'elle en disant celà. Après tout, elle n'avait rien qui forçait à un attachement fort - preuve en était que son cercle d'amis frôlait la nullité, bien que ses connaissances se multiplient - et elle tombait des nues que quelqu'un puisse simplement avoir comme voeu de... veiller sur elle.

"... Vraiment ?" Finit-elle par murmurer, avant de reprendre. "Oh je... C'est très gentil, merci. Mais je ne voudrais pas te faire gâcher te vie si les dieux décident que la mienne n'est pas ici."

Elle ponctua sa phrase d'un sourire, comme pour le remercier plus sincèrement. Le silence qui tomba durant les secondes qui suivirent alourdirent l'atmosphère - ou peut-être était-ce juste le fait que le moment fatidique approchait qui lui donnait cette impression - et elle ajouta :

"Allons-y. On dit qu'il vau mieux ne pas trop faire attendre la Dragonne."

Elle eu eut un petit rire nerveux après cette tentative de détendre l'atmosphère. Quelques instants plus tard, ils passaient l'entrée du temple azur de la déesse Ao. Le cliquetis des griffes sur le sol de marbre résonnait autour d'eux. Romance déglutit. Ce lieu ne lui inspirait aucune confort - peut-être pas encore - car elle devait avouer que l'épreuve que la Dragonne réservait à ses aspirants n'était pas celle qui intimidait le moins. Mais en cet instant, la jeune louve eut l'étrange sensation que, bien qu'elle n'aie jamais été appelée par aucun dieu, peut-être ce dieu-ci était le plus adapté. Après tout, elle avait combattu si longtemps pour se faire une place, et elle avait vu bien jeune des choses atroces et sanglantes qui avaient endurci son coeur, moins innocent que son visage angélique ne pouvait le laisser supposer. Les images des batailles contre les Precursors dansaient devant ses yeux. La naissance de Tatsu aussi. Ces corps gisant au sol, dans les deux situations.

Elle s'arrêta au pied de la statue de la déesse et baissa la tête avec déférence. La gorge serrée, elle dut attendre quelques instants avant de pouvoir prononcer le moindre mot. Elle inspira lentement, profondément. L'odeur froide de la pierre fit frémir son museau. Enfin, elle releva ses prunelles dorées vers la louve de pierre qui se dressait avec majesté devant elle.

"Je vous salue, Déesse Ao."

Elle hésita durant un battement de coeur.
Cela serait-il assez respectueux ? Suffisant pour que la déesse ne lui accorde son attention ?

"Je me présente devant vous aujourd'hui car j'ai attendu en vain l'appel de l'un de vos frères, sans jamais le recevoir."

Inspiration. Sensation de vide à l'intérieur.

"Si malgré cela vous acceptez de tourner votre regard vers moi, je souhaiterais passer l'épreuve qui me permettrait de porter vos couleurs."

Elle avait fermé les yeux. La tête basse, les muscles tendus, ne restait plus qu'à attendre.
Et à espérer.

Deux âmes attendaient sur le seuil de sa porte, et comme d'ordinaire, la déesse Ao prit son temps avant d'apparaître.

Elle les détailla patiemment sans laisser le moindre détail au hasard. Deux Séides, un mâle et une femelle. C'était elle qui venait pour le Glowstick, l'autre n'était là que pour l'accompagner. Il n'était pas rare qu'il y ait des spectateurs lors des épreuves, mais Ao considérait cela comme de la faiblesse. Se présenter seul, c'était affronter son destin les yeux dans les yeux. Devoir requérir de l'aide pour faire face aux dieux ... Il devait forcément il y avoir une forme de faiblesse, là-dedans. Ce n'était toutefois pas une excuse pour ne pas se manifester. Aussi, après de longues minutes à se faire désirer, Ao créa une image d'elle-même, qui se déploya petit à petit devant leurs yeux, auréolée de lumière d'un bleu très pâle.

Ses grands yeux vides plongèrent dans ceux de Romance, et ignorèrent complètement le mâle. Aussitôt, la déesse perçut la peur de la louve. Elle était palpable, c'était comme si elle avait pu la saisir et l'extirper hors de son corps. Ce qui était très étonnant, c'était qu'une autre louve venue passer son épreuve avait eu la même crainte fondamentale : celle de ne pas être acceptée. Et il s'agissait de Tatsu. Ao secoua la queue comme pour balayer son irritation. Non seulement ils se ressemblaient tous, mais en plus, leurs peurs étaient absolument ridicules.

- Bien, grommela-t-elle sans s'attarder en déclarations inutiles, commençons.

Elle sembla tourner sur elle-même, mais disparut en un instant. Tout autour des deux loups, la lumière se mit à faiblir très nettement et l'atmosphère devînt plus lourde. Elle enveloppa le mâle dans une bulle d'ombre complètement hermétique pour que sa présence ne puisse pas être décelée par Romance - elle devait affronter sa peur toute seule. Puis, des dizaines de silhouettes se découpèrent de part et d'autre du temple. Autour de leurs cous brillaient des Glowsticks scintillants. Leurs petits yeux luisants étaient suspicieusement braqués sur Romance. Certains s'approchaient pour la renifler avant de retrousser immédiatement les babines et de grogner, voire de faire claquer leurs mâchoires. Puis, petit à petit, ils se détournèrent d'elle, et la laissèrent seule. Certains se retournaient pour lancer des aboiements menaçants.

Ils s'éloignèrent pour la laisser seule, en prenant bien soin de s'assurer qu'ils ne la suivaient pas.

La Déesse avait répondu.
Au moment où elle apparut, la lumière légèrement accrue fut s'ouvrir les paupières de la jeune louve. Un frisson parcourut son échine à la vision de la silhouette éthérée d'Ao. Elle avait déjà vu un dieu, elle les avait même déjà tous vus lors de la résurrection de Yurai. Mais cette apparition lui semblait bien plus divine, comme si elle avait enfin - enfin - la preuve que les loups n'étaient pas seuls dans l'univers. Impression qu'elle n'avait qu'à moitié eue lors de la cérémonie qui avait eu lieu bien des lunes auparavant. Le regard claire de Romance sembla se noyer dans les prunelles blanches et la silhouette auréolée de lumière de la déesse, alors que sa gorge serrée ne pouvait laisser échapper aucun mot - fort heureusement, ce ne fut pas une réponse qui lui était demandée. Après quelques instants de silence, Ao murmura quelques mots. Le coeur de la grise bondit, sans qu'elle ne sache s'il s'agissait de peur ou de ravissement.

L'épreuve allait enfin commencer.
Son coeur palpitait entre ses côtes. Tout disparut autour d'elle. Ao. Aristote. Tout sauf le Temple, dont la lumière sembla changer. Son esprit chercha désespérément quelque-chose de familier à quoi s'accrocher, alors que des silhouettes lupines surgissaient tout autour, comme si l'on avait accéléré le temps et appelé à un rassemblent. Les yeux de la louve balayaient les alentours, en rapides allers-retours, cherchant à comprendre ce qui se passait - et où la Dragonne voulait-elle en venir. La lumière autour d'elle était gris-bleu, comme une aube d'hiver. Les autres loups présents étaient... perturbants. Et ce avant même qu'ils ne commencent à interagir avec elle. Leurs formes, leur allure, leur regard, tout lui semblait familier, sans qu'elle ne puisse se rappeler exactement si elle les avait déjà connus ou non. Bien que toutes les couleurs semblent délavées et passées, elle avait le sentiment de partager quelque-chose avec eux. Après quelques instants, lorsque leur apparition fut terminée, ils commencèrent à se tourner vers elle.

Le silence était pesant, mais sembla s'alléger. La grise afficha un sourire, par automatisme - c'était mieux pour nouer des relations, fussent-elles avec des esprits ou des loups jaillis d'un autre temps. Personne ne parlait, mais dans cette espèce de transe, cela lui paraissait presque normal. Toute cette ambiance étrange, presque onirique, semblait l'avoir détachée de la réalité pour cet espace parallèle et décoloré. Mais le premier loup qui s'approcha d'elle, la truffe frémissante, et vers lequel elle eut une esquisse de mouvement, eut un brusque mouvement de recul en retroussant les babines. Un grondement rauque fit vibrer sa gorge et, l'échine hérissée, il battit en retrait. Les oreilles de Romance frémirent de surprise. Elle déglutit. D'autres s'approchaient, elle n'osa faire de pas vers eux. L'un d'eux était plus grand, plus intimidant. Elle tenta de nouveau le sourire.

Mais recula d'un pas. Le pelage gonflé, le grand loup fit claquer ses mâchoires devant elle, les oreilles plaquées dans son pelage, avant de se détourner lui-aussi. Elle nota le glowstick orangé qu'il portait à l'oreille. Son regard balaya rapidement l'assemblée, constatant d'ailleurs tous ces étranges loups avaient la teinte de leur pelage rehaussée par la lueur discrète d'un glowstick.
Son coeur se serra.
Décidément.
Même ici, les dieux avaient voulu de tous sauf d'elle. D'ailleurs même ces étranges loups ne semblaient pas vouloir d'elle. Elle ne comprenait pas pourquoi. Peu à peu, ils passèrent en silence autour d'elle, et s'éloignèrent en empruntant le chemin menant vers les profondeurs du temple - cette porte existait-elle vraiment, d'ailleurs ? Y avait-il quelque-chose au fond du temple de la Dragonne ? Elle ne l'avait pas remarqué en entrant.. Elle hésita, puis décida de les suivre. Histoire d'au-moins essayer de les comprendre - qui sait, il y avait peut-être un autre moyen de faire ami-ami. Mais à peine eut-elle commencé à amorcer un mouvement en avant que les lupins de queue se retournaient d'un air belliqueux. Leurs yeux semblaient chargés de haine, brillant dans la pénombre. Le coeur de Romance battait la chamade.

Elle s'arrêta et attendit, puis elle recommença. Même réaction. Que faire ? Que faire ? Elle tenta de se rapprocher quand même, plus rapidement. Un loup lui barra la route en grondant. Elle s'arrêta devant lui et planta son regard dans celui, lumineux de l'apparition, sans reculer. Dès qu'il fit mine de relâcher la pression, elle tenta de nouveau d'avancer. Les crocs furent montrés de nouveau. Sembla alors s'engager un étrange duel, très bref, muet. La louve tentait de museler cette crainte de rester seule ici, dans ce temple froid, sans lumière, sans personne. Cette crainte presque viscérale qui montait, enflait au fond d'elle. Elle finit par japper, presque pitoyablement. Elle devait y aller ! Elle ne voulait pas rester derrière !

Alors elle s'accrochait au regard de ce loup qui faisait barrière. Les autres semblaient disparaître doucement, mais pas tous. Certains s'étaient arrêtés, comme flottant entre deux salles. Elle eut alors une étrange certitude. Si elle parvenait à être acceptée de ce loup, elle pourrait passer. Cette grande chose grognante et grondante devant elle semblait le seule obstacle qui la séparait de ce qu'il y avait après. Son esprit sembla alors s'éclaircir, et elle se rappelait clairement ce qu'elle faisait ici. Son regard quitta durant une seconde celui du grand loup, mais ne trouva pas Aristote parmi les présents. Ses prunelles revinrent sur lui. Elle se rappelait parfaitement où elle se trouvait, et pourquoi elle s'y trouvait. Elle savait que ce loup pouvait lui faire du mal. Il lui en avait déjà fait. Fourbement, de l'intérieur.
Elle avait compris.
Et même s'il l'effrayait encore, elle se sentit moins intimidée par son regard luisant, par son pelage hérissé, son collier où pendaient toutes les couleurs de glowstick, par ses crocs découverts.

"Salut, ma petite Peur." Souffla-t-elle. "Il faudrait que je passe."

Elle semblait soudain avoir retrouvé la parole.

Ao observait, silencieuse.

La jeune louve face à elle semblait déterminée à ne pas se laisser ignorer par les autres. Elle n'était apparemment pas prête à dompter sa peur, du moins, pas immédiatement. Elle lui laissa sa chance et n'intervînt pas, la laissant se débrouiller seule. Elle épiait les loups qui se détournaient d'elle, sans oser les suivre tout de suite. Néanmoins, lorsqu'il n'en resta plus que quelques uns, elle se lança sur leurs traces, l'air de rien, sans chercher à les rattraper immédiatement. L'une des silhouettes se détourna alors et l'empêcha de passer, manifestant toute son agressivité à travers son regard rempli d'animosité, son pelage hérissé et ses crocs apparents.

Ao trouverait forcément un moyen de la confronter à ses craintes. Romance n'était pas du genre agressif. Ce n'était pas quelqu'un qui recherchait le conflit. Et elle n'était très certainement pas une bagarreuse. La déesse plissa les yeux. Le loup au pelage d'ombre face à la louve blanche fit rouler ses épaules sous sa peau fine. Son regard très clair, qui tranchait nettement avec les environs, scruta l'éprouvée avec une haine glaciale. Sa queue se redressa et ses oreilles se plaquèrent contre son crâne, lorsque la femelle s'adressa à lui.

- Comment oses-tu ? gronda t-il, les babines frémissantes. Tu n'es pas digne de nous suivre. Tu ne vaux rien. Tu es faible. Reste ici, dans les ombres, là où tu ne pourras causer de tort à personne !

Il avança sa tête vers elle et fit claquer ses mâchoires à quelques centimètres de sa truffe. Il jeta un coup d'oeil par-dessus son épaule. Le flux de loups s'était dissipé. Tous avaient disparu. Il ne restait plus que lui, entre Romance et le fond du temple, toujours plongé dans la pénombre la plus épaisse.

Romance eut un mouvement purement réflexe vers l'arrière lorsque le loup fit claquer ses mâchoires juste devant elle, plus menaçant que jamais. Son coeur accéléra, alors qu'elle balayait les alentours du regard. Les autres loups s'étaient évaporés, ne restaient qu'elle et lui, cet étrange... cette étrange apparition. Elle cilla et se força à ne pas reculer d'avantage. Inspira profondément aussi. Les mots du loup étaient venu la frapper dans les plus profonds recoin de son esprit, là où se tapissaient ses peurs, ses hontes, toutes ces choses un peu noires et qui blessent terriblement quand elles refont surface. Reprends-toi ma fille, reprends-toi, c'est pour ça que tu es là. Elle déglutit, se forçant à se pas baisser les yeux, soutenant le regard brillant du loup avec u courage qu'elle ne se connaissait pas. Peut-être savait-elle, au fond, que tout cela n'était qu'une sorte de jeu dont il fallait gagner l'unique partie. Et elle devait jouer les bonnes cartes.

Les mots de l'autre résonnaient sans discontinuer sous son crâne, tempêtant, comme s'ils essayaient de réveiller une part d'elle-même qu'elle avait jusque là ignorée... Enfin... Pas tout à fait. Des images lui revinrent. les images de la bataille menée dans la mine, contre les Precursors. Des flashs passèrent dans son champ de vision, des flashs sanglants, bruyants, des griffes qui volaient, des crocs qui brillaient, des gouttes rouges qui luisaient sur les pelages et sur les murs. Elle se souvenait la douleur, le noir, la soufffrance, mais elle se souvenait aussi de ce qu'il y avait eu avant. Elle se rappelait l'étincelle de courage qui s'était alumée dans son esprit, qui l'avait poussée en avant. Elle avait blessé le monstre,elle l'avait fait. Elle avait combattu bravement.
Alors, quelque-chose fit tilt dans son esprit, et ses pupilles s'agrandirent en un sursaut.

Elle n'avait rien à prouver. Elle l'avait déjà fait.
Elle avait gagné sa place parmi les siens.

Le loup devant elle ne lui faisait plus peur. Elle savait qu'il n'était qu'un obstacle qui n'existait pas. Le reflet de sa peur infondée. Mais aujourd'hui, cette peur n'aurait plus lieu d'être. Non. Grâce à lui, presque, elle allait gagner enfin sa place. La peur disparut dans ses yeux dorés et elle sourit plus franchement.

"J'ai déjà gagné ma place parmi vous. Tu ne me fais pas peur." Lança-t-elle calmement.

Et elle se jeta sur lui, gardant les yeux ouverts, déterminée.
Elle le traversa comme un fantôme et, avant même de s'être retournée, elle sut qu'il avait disparu. La joie emplit son coeur et elle s'élança vers la pénombre, qui semblait s'éclaircir au fur et à mesure de ses pas Vers ces autres qui étaient les siens.

Une telle sérénité ...
Après la méfiance, la tension, les souvenirs qui avaient afflué dans la mémoire de la louve, et un bref questionnement, il ne restait plus qu'une quiétude incroyable qui rendait presque la déesse envieuse. D'une mortelle ? Oui, on n'en était pas loin. Face à l'épreuve, Romance était d'un calme désarmant, et ne cédait jamais complètement à ses sentiments : ils ne faisaient que l'effleurer, et à chaque obstacle, elle restait maître d'elle-même. La crainte n'avait absolument aucune emprise sur elle. C'était déconcertant.

Le grand mâle face à elle s'était figé. A y regarder de plus près, il ne respirait même plus, et ses yeux ne cillaient pas. Il s'était statufié, et d'un seul coup, sa silhouette vola en milliards d'éclats sombres qui se consumèrent dans le vide en quelques fractions de secondes. Alors, le voile obscur qui recouvrait les alentours se leva aussitôt pour révéler la réalité. Romance était de retour dans le temple d'Ao, et la déesse se tenait là, assise devant sa fontaine. Elle contemplait la jeune louve sans rien laisser paraître, mais elle était très surprise, et satisfaite. La force mentale de cette louve était très grande, et elle savait qu'elle ne commettait pas d'erreur en acceptant de lui donner son glowstick.

- Félicitations, murmura t-elle dans un souffle. Tu as fais preuve d'une grande puissance d'esprit.

Sans rien ajouter, elle se tourna vers la fontaine et y remplit un glowstick, qu'elle déposa ensuite face à sa nouvelle disciple. Un bref instant, elle l'observa, plongeant son regard jusqu'aux tréfonds de son âme. Il n'était pas courant qu'Ao ne se laisse aller en grandes discussions. Son épreuve était la plus sobre de toutes, et la plus formelle. Pourtant, elle ne se sentait pas de la laisser partir sans un mot supplémentaire.

- Tu as été remarquable.

Ao hocha ensuite une fois la tête, et recula d'un pas. L'instant d'après, elle avait disparut.