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 La Deuxième Vie, la Première Mort | Défi RP - Libre

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MessageSujet: La Deuxième Vie, la Première Mort | Défi RP - Libre   La Deuxième Vie, la Première Mort | Défi RP - Libre EmptyDim 15 Mai 2016, 11:14



    [ Note : bientôt dans les bacs, Tatsu passion Plantes, ou Apprendre l'homéopathie avec Tatsu, 9€99 prix découverte ]

    Tatsu se sentait beaucoup mieux.

    Depuis les révélations de ses parents, de l'eau avait coulé sous les ponts. Si elle restait persuadée qu'elle ne pourrait jamais retrouver la même relation qu'elle avait eu auparavant avec sa mère, elle se sentait désormais prête à lui faire de nouveau face, à parler avec elle en dehors de la simple politesse, et surtout, de renouer un minimum avec elle. Cela semblait plus difficile vis à vis de Raw, mais elle se surprenait parfois à envisager de faire un effort, bien qu'elle n'y renonce à chaque fois. Enfin, en ce qui concernait Tequeela, c'était un peu plus compliqué. Pendant un temps, elle avait été le seul être en qui Tatsu avait eu une aveugle confiance, et aujourd'hui, après tout ce qui s'était passé, elle avait du mal à revenir vers elle. De toutes façons, elle et son ancien compagnon faisaient partie d'une hiérarchie qui n'existait plus. De son côté, la louve était passée à autre chose, mais elle ne voulait pas vivre avec le regret d'avoir complètement laissé son père de côté, alors qu'elle avait passé sa vie à l'attendre. Malgré tout, elle doutait d'avoir la force de se rapprocher de lui.

    Marcus était là, et lui ne l'avait jamais trahi. Tatsu l'aimait beaucoup. Si elle passait une journée sans l'apercevoir, elle en ressentait le manque. Rien que croiser un bref instant son regard suffisait à la remplir d'énergie. Toutefois, elle faisait attention à ne pas le solliciter constamment, et passait une grande partie de ses journées seule, à ramasser des plantes, créer des baumes, et surtout, à travailler sur le remède qu'elle tentait de faire pour Ether. Lui aussi était important dans sa vie, puisqu'il avait fait en sorte qu'elle ne s'arrête pas à la Banquise, lorsque Tatsu était petite. Atténuer, voire éliminer son mal, c'était un bon moyen pour elle de se racheter auprès de lui. Ça lui tenait à cœur. Et puisqu'il s'agissait maintenant de son ami, elle voulait faire en sorte qu'il se sente bien. C'était complètement normal. Elle avait donc fait le point sur les propriétés de toutes les plantes à sa connaissance. Elle avait discuté avec les autres experts en la matière, et avait apprit. En démêlant toutes les informations, elle s'était fixé un objectif : ramasser toutes les plantes aux vertus énergisantes, celles favorisant la concentration, et celles ayant un effet porteur sur l'organisme. Elle était partie de bon matin, sous un ciel bleu et un soleil tout juste chaud, en quête de ses précieux trésors. D'abord, elle s'était dirigée vers les bois. Petit à petit, lentement mais sûrement, la nature s'éveillait autour d'elle : l'agitation prenait les nids, et les petites proies tentaient une sortie. Elles ne craignaient rien, Tatsu n'avait pas faim. Quelques rayons filtraient à travers la couverture feuillue des arbres. La louve marcha longtemps, et douta à plusieurs reprises de trouver ce qu'elle cherchait. Elle n'en était pas sûre : jamais elle n'avait vu ces arbres hauts dotés de longues feuilles fines et lisses, dont le fruit à la coque étrange lui aurait été si précieux pour son remède. Finalement, après des heures de marche, elle le trouva. Le Muscadier. Plusieurs noix étaient déjà tombées au sol, lui facilitant quelque peu la tâche. Tatsu en ramassa le plus possible, et alla les stocker dans un coin sûr - plusieurs allers et retours furent nécessaires. Une fois son stock satisfaisant, elle poussa un profond soupir, et alla se désaltérer au ruisseau qu'elle sentait à quelques centaines de mètres de là. L'eau pure et fraîche la revigora complètement, et elle se remit immédiatement au travail en récoltant des plants de pavots ainsi que de la camomille.

    Elle rajouta toutes ses trouvailles à son tas initial, puis changea de cap, trottant vers l'est en direction de la Rougelande. Pourtant très aride, l'endroit cachait de très rares oasis où l'on pouvait trouver toutes sortes de plantes. Jamais Tatsu n'arrivait à retenir toutes les variétés qui y poussaient, mais elle espérait y trouver du fenouil, de la valériane ou de la passiflore. Durant tout le trajet, elle s'imagina commencer à réaliser le remède, réfléchissant anxieusement aux erreurs à ne surtout pas commettre et comment limiter tout risque pour son patient. Elle ne prêtait guère attention à ce qui se passait autour d'elle : Tatsu ne craignait rien. Elle était chez elle. Elle figurait parmi les responsables de sa meute. Elle était jeune, pleine de convictions, de principes, et d'assurance. Jamais, de toute sa vie, ne s'était-elle sentie aussi entière. Profitant d'une pente douce qui s'inclinait vers le bas, elle prit le galop et fut portée en avant sur de nombreux kilomètres par une allure gracieuse, légère et aérienne, qui ne produisait quasiment aucun bruit. Elle se montra plus discrète en arrivant aux alentours de la Rougelande. Après s'être assurée qu'il n'y avait aucun intrus aux alentours, elle s'y engouffra, frémissant lorsque les hautes herbes rouges lui chatouillèrent les flancs. Il était difficile de voir quoique ce soit au sol, et elle était obligée de progresser tête baissée, le museau vers la terre. Les tiges rentraient dans ses oreilles, l'obligeant à secouer frénétiquement la tête toutes les dix secondes pour s'en débarrasser. A chaque fois qu'elle était tentée de faire demi-tour, le visage d'Ether, ses yeux aussi purs que deux pépites d'or, s'imposait à son esprit, et elle se sentait aussitôt honteuse d'elle. Elle baissa la tête au maximum, plaqua ses oreilles contre son crâne, plissa les yeux et reprit ses recherches, le cœur battant. Une odeur entêtante s'imposa alors à elle et, bifurquant sur sa droite, elle tomba sur quelques plants de fenouil. Elle entrouvrit les babines pour les extirper du sol, lorsqu'un autre effluve recouvrit l'odeur des plantes. La louve se figea. Elle n'était plus seule. Tendue, elle resta immobile et renifla frénétiquement l'air. Le loup qui se trouvait là lui était inconnu, mais elle n'osait pas relever la tête par-dessus les hautes herbes de peur de se faire remarquer. Elle déposa ce qu'elle venait de ramasser et aligna son regard à la limite des herbes, le plus discrètement possible. Elle mit du temps à le trouver, mais elle le vit, traversant la Rougelande comme s'il était chez lui. Un goût de venin emplit sa bouche. Comment osait-il ? Elle ravala un grondement, banda ses muscles, et lui fila le train de très loin, jusqu'à ce qu'un bruit infernal ne l'immobilise.

    De l'autre côté de la lande déboulait un autre loup. Un mâle, au pelage fauve et aux yeux dorés, un membre de son clan, un Séide qu'elle ne connaissait que de vue. Sa fourrure hérissée et ses crocs luisant sous les rayons diurnes, il galopa de toute la vitesse de ses pattes jusqu'au solitaire, qui l'avait remarqué depuis longtemps, et ne semblait pas trop s'en préoccuper. Il continua de marcher, droit vers lui, et esquiva sa charge au dernier moment avec une aisance insultante. Atterrée, Tatsu resta immobile et glissa un regard vers le combattant, qui freina pile et fit brusquement volte-face pour poser sur l'intrus un regard de braise. Elle ne comprit pas pourquoi il ne se jetait pas immédiatement sur lui. Tendue comme un arc, elle se prépara à bondir lorsque le Solitaire prit la parole, d'un air fortement dégagé.

    - Tu es toujours aussi prévisible.

    Les joues de Tatsu s'embrasèrent lorsqu'elle le vit s'assoir et passer négligemment un coup de langue sur ses babines. Le Séide le considéra un instant sans réagir, puis finit par éclater de rire. La Savante plongea ses griffes dans la terre.


    - Vraiment ? rétorqua le soldat. Si c'était le cas, tu aurais su que je patrouillerais ici, aujourd'hui. Et tu n'aurais pas bêtement traversé impunément nos frontières, parce que ça m'aurait donné un alibi parfait pour t'arracher le coeur.

    Les oreilles de Tatsu frémirent. Qu'est-ce que cela signifiait ? On ne tuait pas sans avertissement, c'étaient les ordres des Alphas. Une entorse était tolérable, une seconde revenait à s'exposer à un danger de mort. Peut-être était-ce la seconde fois que ce Solitaire pénétrait ici, mais Tatsu n'avait nul souvenir de sa description ... Elle se coucha dans l'herbe au ralenti et pointa les oreilles, les mâchoires serrées. Son glowstick s'était mit à briller un tout petit peu plus fort que d'habitude, et auréolait son poitrail d'une légère aura, mais elle ne le remarqua pas.

    - Peut-être que j'avais envie de te voir ?
    - Ne me fais pas rire.
    - Si, j'insiste. Il est grand temps que nous réglions cette histoire une bonne fois pour toutes.
    - Comment oses-tu ? Si tu n'étais pas venu mettre ton nez dans la vie de Léah, on n'en serait pas là. Maintenant, elle n'est plus là, à cause de toi, et tu dois payer.
    - Parce que supprimer chaque membre un tant soit peu proche de moi ne suffit pas ?


    Il avait hurlé, et c'était jeté en avant. Le Séide sembla avoir prévu ce mouvement, car il s'écarta d'un bond, fauchant les pattes arrières de son adversaire au passage, et retombant lestement sur ses quatre membres. Tatsu en avait le tournis. Qu'est-ce que c'était que toute cette histoire ? L'un des siens avait massacré des Solitaires pour le compte d'une louve ? Elle n'y comprenait rien.

    - Léah a fait son choix, haleta le Solitaire, je ne l'ai forcée à rien.

    Qui était donc cette Léah ?
    Tatsu ferma les yeux et tâcha de se concentrer.
    Une louve, une très jeune louve, porteuse du Glowstick vert. Une Maternelle dévouée et douce, mais qui souffrait de l'ennui. Souvent, un peu trop d'ailleurs, elle partait seule, et ne revenait que très tard, porteuse d'un millier d'odeurs sur son pelage. Jamais Tatsu ne l'avait soupçonnée de quoique ce fut, et peut-être aurait-elle dû. Car si elle comprenait bien, elle avait été charmée par ce Solitaire.

    - Menteur ! Tu lui as servi une utopie qu'elle s'est empressée de croire. Comme si la vie de Solitaire lui correspondait ! Pour ta perfidie, elle a brisé son Glowstick et renié son dieu, sa meute, sa famille ! Jamais ma sœur n'aurait pu ne serait-ce qu'imaginer une telle chose ! Tu l'as corrompue !
    - Elle a fait son choix. Seule.
    - Sileeeeeeeence !


    Elle entendit le fracas des corps, et retînt son souffle. L'affrontement fut extrêment brutal, et dura de longues minutes, durant lesquelles elle n'entendait que les coups qu'ils se portaient, les aboiements de rage et les gémissements de douleurs. Puis, par-dessus le vacarme, quelques mots, hurlés avec un désespoir qui la transperça jusqu'aux os.

    - Jamais elle n'aurait été capable de survivre en Solitaire ! Tu aurais dû le savoir ! Et maintenant, elle est morte, PAR TA FAUTE !

    Tatsu s'assit brusquement. Une émotion indescriptible la chamboulait totalement et l'empêchait de penser avec calme. Elle jeta un regard au sol, vers le tas désorganisé de fenouil qu'elle était venue récolter. Pouvait-elle laisser son compagnon faire justice de lui-même ? En dehors d'avoir transgressé les frontières, il n'avait rien fait de mal. Elle ne pouvait pas le laisser le tuer ainsi ... Surtout qu'il avait avoué ses crimes sans le savoir à une oreille indiscrète : Tatsu savait désormais qu'il avait tué des membres de la famille de ce Solitaire, pour des raisons purement personnelles. C'était un meurtrier. Il fallait qu'elle fasse quelque chose.

    Elle se dressa sur ses pattes, lorsqu'une violente douleur au crâne la fit se crisper. Elle s'arc-bouta et inclina la nuque. Elle fut alors aveuglée par l'éclat de son Glowstick. La lumière auréola tout son avant-main, ainsi que son visage, et les mèches de cheveux qui lui tombaient devant les yeux. Un chœur chaotique de milliers de voix s'éleva alors, et malgré ses oreilles plaquées contre son crâne, elle les entendait parfaitement, à tel point qu'elle ne s'entendait même plus penser. Le vacarme du combat, les battements affolés de son cœur, tout était remplacé par ces cris, ces chants, ces appels terrifiants. Elle s'allongea brusquement à plat ventre, haletante. Elle roula sur le côté pour éviter le Séide et le Solitaire en mêlée, qui roulèrent tout près d'elle sans la remarquer, et allèrent continuer leur combat plus loin, tandis qu'elle entamait le sien. Elle sentait déjà la douleur familière lui vriller les flancs. Elle ferma les paupières le plus fort possible et gémit sous la souffrance et la panique.

    Tatsu.

    Une voix, douce, cristalline, féminine, s'élevait au-dessus des autres.
    Elle s'y accrocha avec l'énergie du désespoir. Le reste des hurlements se faisait lointain, et plus flou.

    Tatsu !

    Elle ouvrit les yeux. Une brume étrange tournait lentement autour d'elle, et même en battant plusieurs fois des cils, elle ne parvînt pas à y voir plus clair. Elle roula sur le dos, essaya de la chasser avec ses pattes, mais rien n'y faisait. Elle avait l'impression que le monde avait un peu perdu de sa splendeur, et était bien plus terne, comme si petit à petit les couleurs laissaient places à de simples teintes de noir et de blanc.

    N'aie pas peur, Tatsu. Nous ne te ferons jamais aucun mal.

    C'est à peine si elle osait respirer. Etait-elle sur le point de percer le mystère de son pouvoir ? Elle serra les mâchoires, et se força à respirer calmement en se forçant à attendre, tendue.

    Je suis Léah. J'ai choisi de te rejoindre, car j'ai foi en toi, comme un millier d'autres âmes déchues.

    - Quoi ? Je ne comprends pas ...

    Elle se figea en réalisant qu'elle s'était exprimée à voix haute, mais la vague de panique qui la submergea fut vite annulée par une brise fraîche, qui sortait littéralement de nulle part. Elle avait l'impression d'être enlacée par un cadavre.

    N'aie pas peur, Tatsu.

    Pendant une fraction de seconde, elle retînt son souffle.
    Puis ce fut comme être brusquement aspirée vers l'avant, avalée par quelque monstre dont les mots manqueraient pour décrire la taille, la puissance et la férocité. Tatsu s'entendit hurler, et toutes les voix autour d'elle firent de même, comme submergées par la même terreur qu'elle sentait pulvériser son cœur. Il y eut ensuite plusieurs flashs de lumière, rouge, blanche, puis l'obscurité totale. Devant ses yeux clos défilaient des formes indistinctes et fantomatiques qui luisaient de mystère. Dans le processus, Tatsu sentit ses poumons imploser, son coeur lâcher, quelques unes de ses cotes se briser face à un choc qui n'était pourtant qu'imaginatif, comme une expérience hors du corps qui aurait eu des répercussions réelles. C'était inexplicablement terrifiant. Tatsu vit de nombreuses choses, des pattes squelettiques, des crânes aux dents ruisselant de sang, des orbites vides dégoulinantes, la sensation d'être agrippée par des serres perforantes, puis secouée dans tous les sens, projetée à terre, piétinée, pulvérisée. Était-elle seulement encore en vie ? Tatsu ressentait tout, mais était incapable de bouger, alors elle attendait, comme une proie, que son prédateur ne daigne l'achever. Mais, finalement, et contre ses espérances, elle rouvrit les yeux sur le monde réel. Il avait bien changé, ce n'était plus un doute : il avait perdu toutes ses nuances. Tatsu voyait en noir et blanc. Les hurlements dans ses oreilles n'étaient plus que murmures anxieux. Au bord de l'évanouissement, elle se força à se remettre sur ses pattes.

    Les entends-tu ?

    La voix de Léah lui apparut de façon si claire qu'elle crut qu'elle se trouvait là. Lorsque son museau transparent, lumineux, apparut devant ses yeux, elle bondit en arrière en frémissant de tout son corps. Le fantôme de la louve brillait d'une aura d'argent. Ses traits étaient indistincts, les extrémités de sa queue et de ses pattes si floues qu'elles se confondaient avec la brume qui entourait Tatsu.

    Des milliers de voix crient vengeance, des milliers de voix crient justice. Des milliers d'âmes ont besoin de ton aide, Tatsu. Et je suis la première.

    Elle s'était attendue à ce que Léah n'éclaire sa chandelle, mais au final, elle comprenait de moins en moins ce qu'il se passait. Des âmes ? Besoin de son aide ? Qu'avait-elle de si spécial ? Désemparée, elle ne put soutenir le regard du spectre et baissa la tête. Son regard se posa machinalement sur son glowstick. Au dessus du tube de verre, un tout petit crâne dont les yeux se réduisaient à deux fentes était apparu. Ainsi donc, c'était cela, le secret de son pouvoir ? Elle en était réduite à accomplir la dernière volonté d'âmes vengeresses ? D'anciens loups qu'elle n'avait jamais connu ? Quelle blague atrocement cruelle lui avait fait Ao ! Au final, elle avait eu raison, elle n'était pas reconnu des dieux. Ao la punissait, pour son statut d'enfant bâtarde, en lui octroyant un don sordide et horrifiant. Et ça, elle ne l'acceptait pas. Sa respiration s'accentua, devînt de plus en plus profonde, de plus en plus bruyante, et elle releva la tête lentement, jusqu'à croiser le regard de Léah. Elle affichait une mine très condescendante et assurée qui acheva de mener Tatsu droit dans une colère froide.

    - Je refuse de t'aider ! cracha t-elle.

    Elle fut de nouveau aspirée vers l'avant, ou du moins, ce fut l'impression qu'elle avait, et perdu toute notion du monde qui l'entourait. Elle vit le Solitaire, la fourrure auréolée par un soleil trônant dans un ciel sans nuage, le regard doux, les oreilles pointées vers l'avant. Elle se vit le suivre, à travers champs et prairies, à travers les quatre saisons, jusqu'à ce qu'elle ne chute. Elle ne sentait plus ses pattes, son ventre se tordait de douleur sous une famine terrible, ses yeux ne distinguaient plus grand chose. Elle voulut se relever. Elle vit le Solitaire s'approcher d'elle, entendit sa voix, mais ne comprit pas le moindre de ses mots. Puis elle le vit reculer, et plus elle redoublait d'efforts pour s'en approcher, plus il s'éloignait. Finalement, persuadée qu'il resterait hors d'atteinte, Tatsu cessa de s'agiter et s'effondra dans le Néant.

    Il m'a arrachée à ma famille et m'a laissée mourir. Il m'a promit une vie simple et facile à ses côtés, sans se préoccuper de mes besoins. A cause de sa négligence, je suis morte. S'il avait été plus prévoyant, ça ne serait pas arrivé.

    Tatsu serra les mâchoires. Une emprise l'empêchait d'agir et de parler, et elle avait même l'impression que ses pensées étaient bridées. Ruisselante de sueur, elle luttait de toutes ses forces pour tenir tête à Léah. Avec horreur, la louve comprit ce qui était en train de se passer. Ouvrant les yeux, elle constata que le visage terrifiant de la louve décédée se trouvait à quelques millimètres du sien, les yeux ouverts, sans pupille, vides, reflétant les couleurs pourpres et mauves du néant.

    - Tu aurais dû y penser toi-même !

    Il m'a forcée.
    - Non ! C'est toi qui l'a suivie ...
    Il m'a forcée.
    - Non ...
    Il. M'a. Forcée.
    - Il t'a forcée ...

    Les dernières forces de Tatsu s'envolèrent. Les dernières bribes de sa personnalité furent pulvérisées. Elle se releva, lentement, le regard rougit, et se tînt bien droite sur ses pattes. Tout autour d'elle, le monde était noir, gris, blanc. Mais une chose, dans ce paysage morne, ressortait comme un rubis resplendissant : la silhouette du Solitaire vibrait d'un rouge sanglante, et agressait ses prunelles, excitait son instinct. Déployant ses ailes, Tatsu brassa vigoureusement l'air, faisant ployer les hautes herbes autour d'elle. Le courant faucha les deux loups au passage, les faisant faire brutalement volte-face. Lorsqu'ils aperçurent la Séide, ils cessèrent immédiatement le combat et reculèrent. Le guerrier sembla la reconnaître, car il se redressa et s'approcha d'un pas, l'air d'un seul coup très confiant. Au fin fond de son âme, Tatsu voulu lui lacérer le visage, pour tout ce qu'il avait fait. A peine y songea t-elle qu'elle sentit un reflux de puissance la détourner de sa volonté, et la focaliser sur le Solitaire, qui n'avait finalement que tenté de défendre ceux qu'il aimait. Qu'est-ce qui l'amenait ici, finalement ? On n'était pas si loin de la frontière. Il n'avait probablement même pas fait exprès de fouler le sol Séide. Combien des siens avait-il perdu ? Tous ceux qui comptaient, à l'en croire. L'innocent de l'histoire, c'était lui. Le vrai héros, c'était lui. Mais toutes les histoires ne se finissent pas bien, et ce jour-là, celui qui allait mourir, c'était lui. La brume autour de Tatsu s'épaissit. Elle posa les pattes au sol, inclina les ailes, et ouvrit la gueule pour parler. Un flux ininterrompu de voix stridentes s'en échappa - le soldat ne put réprimer un mouvement de recul, et considéra Tatsu avec un mélange d'interrogation et d'inquiétude. Quant au Solitaire, il s'était légèrement recroquevillé, et sa queue était coincée entre ses pattes arrières.

    - Solal ...

    Les flancs de Tatsu se soulevèrent, puis se contractèrent, en une respiration rauque et difficile. Léah s'exprimait à travers elle, torturant ses cordes vocales pour en prendre le contrôle, mettant son coeur à rude épreuve. En un éclair, elle comprit qu'elle ne ressortirait jamais vivante de cette expérience, et s'enfonça complètement dans la possession de Léah.

    - L ... Léah ? fit l'intéressé.

    Le guerrier Séide écarquilla les yeux, mais ne bougea pas de sa place. Il était cloué sur place par une terreur pure.

    - Solal ... Tu m'as trahie ...
    - Non ! gémit-il. Je n'ai jamais voulu ça ! Je n'aurai jamais cru que tu souffrirais autant ...
    - Tu n'as pas veillé sur moi.
    - J'ai essayé, et tu le sais, j'ai fais tout ce que j'ai pu ! Je chassais toujours pour deux, j'y passais mes journées, je me privais pour toi ... Mais ce n'était jamais assez ... Tu avais toujours besoin de plus ...
    - Et quand l'hiver est arrivé ...
    - Nous avions des provisions, mais tu en avais besoin de tellement ...
    - Nous n'avions plus rien ...
    - Tu es tombée malade, mais je ne connais pas les plantes ...
    - Et j'ai succombé.
    - Je n'ai jamais voulu ça !
    - Et pourtant, c'est arrivé. Si tu n'étais pas venu me chercher, je ne serai jamais partie. En te suivant, j'ai tout renié. Je ne pouvais plus revenir en arrière. J'étais prise au piège. Tu étais mon gêolier. Et tu m'as regardée mourir.
    - Non ...


    Le pauvre diable fut soulevé dans les airs par des vrilles translucides qui s'extirpèrent de la brume. Elles s'enroulèrent autour de ses pattes, de son corps et de sa gorge. Certaines se plantèrent dans sa chair, lui arrachant des hurlements de douleur. Toujours figé sur place, la gueule ouverte, les yeux irradiés par la peur, le guerrier contemplait le spectacle le cœur au bord des lèvres. Cette voix, c'était celle de Léah, aucun doute. Comment se faisait-il qu'elle n'émane de la gorge de Tatsu ? L'aspect de sa camarade était intégralement changé. Il la distinguait à peine, tant la brume autour de son corps était épaisse. Elle tournait autour d'elle, comme propulsée par un vent vicieux, et lui donnait le vertige s'il la regardait trop longtemps. Par moment, il avait l'impression de distinguer des visages fugaces, qui disparaissaient immédiatement. C'était la chose la plus effrayante qu'il n'ait jamais vue de sa vie, et pourtant, il y avait bien peu de choses au monde qui pouvaient se vanter de l'effrayer.

    - Il n'y a pas de raison valable pour que tu vives.
    - J'ai payé ma dette, Léah, des dizaines de fois ! Ton frère s'en est chargé pour toi.


    La tête de la louve tourna lentement vers lui, qui s'attendait à voir les prunelles glace et or de Tatsu. Mais ses yeux étaient vides, et transparents, comme le reste de son corps coincé dans son étau de brume. Incapable d'articuler le moindre mot, il dévisagea l'entité devant lui, dont les traits s'étaient modifiés pour ressembler à ceux de sa bien-aimée sœur. Mais son visage, plus court, son crâne, plus épais, ne s'adaptait pas complètement à celui de Tatsu, donnant un résultat atroce, comme si le corps de l'infortunée avait été corrigé abruptement, comme si la chair et les os avaient été modelés à coup de pierre pour lui donner une vague ressemblante avec celle qui l'habitait.

    - Oh, je n'en doute pas. Mais ça ne suffit pas.

    Tatsu ouvrit la gueule. Un hurlement atroce s'en dégagea, faisant saigner sa gorge. Les vrilles se précipitèrent vers elle, et par-dessus le boucan infernal qui se dégageait, entre le rire de Léah, les hurlements désespérés de Solal, et le chant diabolique de toutes les âmes surexcitées par le processus, il lui sembla entendre son propre coeur tambouriner dans son crâne, le suppliant de fuir, pour l'épargner, pour s'épargner à lui-même ce spectacle atroce où Solal fut tout simplement soulagé de sa peau, de sa chair, de chacun de ses os, dans un tourbillon sanglant. Au final, il ne resta plus qu'un petit tas de chair roussie, qu'il entrevit à peine avant que la brume n'entoure le champ de bataille. Elle s'épaissit, de plus en plus, jusqu'à ce qu'il n'y voit plus rien. Petit à petit, le calme revînt, et lorsque tout se fut enfin dissipé, il constata que Tatsu était toujours là, effondrée au sol, ses ailes étendues contre son corps.

    Il déglutit. Maintenant que tout était terminé, il n'avait qu'une seule envie : partir d'ici, le plus vite possible, et tout raconter aux Alphas. Aussi pourri à l'intérieur qu'il ne l'était, il ne pouvait pas laisser Tatsu ici. Si jamais elle était encore vivante, elle irait sûrement dire aux autres qu'il l'avait laissée ici, près de la frontière, à une mort quasi-certaine. Et ce n'était pas bon pour son grade. Et, un peu malgré lui, il était un peu curieux concernant ce qui venait de se passer, même si ça lui foutait bien les boules. A petits pas, il s'approcha d'elle, et hésita un instant. Et s'il l'achevait ? Il raconterait ce qu'il s'était passé, et préciserait qu'elle n'avait pas survécu. Que le phénomène lui était inexplicable, et qu'il n'avait pas pu la ramener au camp à temps. Mais qui le croirait ? Ce qui venait de se passer était ... Juste indescriptible. Tout le monde le prendrait pour un fou.

    De son côté, Tatsu respirait encore. Très, très faiblement. Elle ne ressentait pas grand-chose, que ce soit la brise sur son pelage, ou le sol sous elle, tout ce dont elle avait conscience, c'était le feu dans sa gorge, la douleur dans ses flancs, et dans tout le reste de son corps. Elle déglutit, et eut l'impression d'avaler mille lames affûtées. Elle se crispa, gémit, et le regretta aussitôt. Alors, elle essaya de se figer, et de laisser son corps encaisser le coup. Au bout de quelques minutes, elle crut entendre quelque chose. Après de nombreuses répétitions, elle comprit qu'il s'agissait de la voix du guerrier. Il était toujours là, et elle ne savait pas trop si c'était une bonne ou une mauvaise nouvelle, si elle devait s'en inquiéter, ou non. Elle se sentait tellement vulnérable. Et dire que quelques instants plus tôt, elle respirait la bonne volonté et l'énergie ! Comme elle était tombée de haut, et que la chute avait été fatale !

    - Hé, Tatsu !

    Une patte rêche se colla contre son épaule et la secoua sans ménagements. La douleur la fit hurler, et le cri lui fit de nouveau saigner la gorge. Un peu de fluide écarlate perla au coin de ses lèvres. Elle ouvrit les paupières. Son regard était redevenu normal, et croisa celui du meurtrier. Elle le considéra un moment, silencieuse. Il avait l'air à la fois impatient, effrayé, et un peu à côté de la plaque. Ce dont il avait été témoin le dépassait complètement, elle en était sûre. Pas besoin de le connaître beaucoup pour savoir que le surnaturel n'était pas dans ses intérêts - pour peu qu'il en ait le moindre, à part tuer, et être con. Elle ne savait pas qui elle devait maudire le plus : lui, ou son atrocité de sœur, qui lui avait fait prendre la vie d'un pur innocent. Si elle avait pu tuer Solal, alors Tatsu pouvait tuer ce monstre-là. Ce ne serait pas une grande perte, mais cela mettrait considérablement sa place au sein de la meute en péril. En avait-elle seulement encore une, avec un pouvoir aussi dévastateur que celui-là ? Si n'importe quelle âme pouvait prendre le contrôle de son corps et massacrer n'importe quel être vivant, elle était un pur danger, un cauchemar ambulant. Non, elle n'avait plus de place chez les Séides, c'était une évidence.

    Elle avait fait tant d'efforts pour s'intégrer à nouveau, pour passer à autre chose vis à vis de Raw et de Valka, de se refaire un nom, à force d'efforts et d'engagement. Elle avait pourtant voulu partir, mais on l'avait convaincue de rester. Jamais elle n'aurait dû les écouter. Cela lui aurait épargné la souffrance de se détacher de tout ce qu'elle aimait ... Encore une fois. Elle tourna la tête d’un cran vers le mâle, le souffle court. Petit à petit, le monde retrouvait ses teintes habituelles, les voix dans sa tête revenaient, l’embrouillaient, l’empêchaient de réfléchir. L’épuisement, la terreur et la souffrance eurent totalement raison d’elle à cet instant : un hurlement fou s’échappa de sa gorge, déclenchant l’envol précipité de dizaines de corneilles autour d’eux, et se jeta sur le soldat. Il ne parvînt à l’esquiver que trop tard, et ses griffes lui arrachèrent des touffes de poils, sans pénétrer dans la chair. La seconde tentative, néanmoins, faucha le mâle par devant et la prise renforcée par les battements d’ailes de Tatsu lui permit de le renverser sur le dos. Elle ne pouvait pas le retenir par la simple force de ses pattes, alors elle prit appui sur son abdomen et y planta ses griffes sans retenue. Lorsque l’autre fit mine de rouler sur le côté pour se dégager, elle approcha son visage du sien, sa truffe frôlant la sienne, et elle l’obligea à le regarder droit dans les yeux. Elle chercha, loin au fond de son corps et de son âme, le moyen de puiser dans le pouvoir qui était désormais sien. Et sans trop comprendre comment, elle y parvînt. C’était comme ouvrir une porte dont elle se serait forgé la clé par la simple force de la volonté, et à travers le seuil, elle en apercevait à peine le déluge de puissance et le lot de souffrance qui l’accompagnait …

    - Si tu parles …

    Elle marqua une pause, encore bien trop troublée par sa voix, superposée à celles de toutes les âmes qui avaient élu domicile en elle. L’écho se répercutait, alors même qu’elle avait cessé de parler.

    - Si tu parles de ce qu’il s’est passé à qui que ce soit, tu subiras le même sort. Oublie, oublie tout, jusqu’à mon nom et mon existence, et tout se passera pour le mieux.

    Mâchoires serrées, sourcils froncés, le guerrier finit par acquiescer. Elle bondit alors sur le côté, le libérant de son étreinte, et dissimula ses ailes. Il y trouvait son compte. Ses meurtres ne seraient pas dévoilés. De toute façon, ça ne concernait pas les Séides. Néamoins, Tatsu se jura de le surveiller de près – et à en juger par le regard qu’il lui lança avant de s’éloigner, elle devinait qu’il en avait déjà conscience. Elle le laissa partir, et s’assit avec raideur, avant de pousser un profond soupir.

    Et maintenant ?

    Elle ferma les yeux, se concentra sur ce qu’elle entendait. Elle n’entendait plus vraiment les oiseaux, ni le vent, ni toute la douce musique de la nature. Elle entendait surtout les voix. Serait-ce désormais son quotidien ? Entendre leurs lamentations, leurs cris, leurs rires, être réduite à l’état de monde des morts ambulant ? Comment Ao avait-elle pu lui réserver un tel sort ? Au fond, peut-être devait-elle cesser de se poser des questions et apprendre à vivre avec son pouvoir. Ou peut-être devait-elle briser ce glowstick, et fuir définitivement pour devenir solitaire. Leemoncello ? Marcus ? Ether ? Et même Valka ? Pouvait-elle vraiment vivre sans eux ? Non. Elle avait besoin d’eux, ils avaient besoin d’elle. Mortifiée, elle serra les mâchoires mais ne lutta pas longtemps et céda aux larmes. Contre toute attente, les âmes observèrent un silence surpris, qu’elle ne remarqua pas tout de suite. Retenant sa respiration, alors que les larmes se déversaient sur chacune de ses joues, elle écouta, stupéfaite, les âmes entamer un chant très doux et très bas, semblable à l’une des berceuses que sa mère lui chantait lorsqu’elle était trop agitée pour dormir. Fascinée, elle ferma hermétiquement les paupières et se laissa bercer, jusqu’à ce que les voix ne s’éteignent, pour reprendre leur mélopée incessante et indistincte. Curieusement, elle était légèrement apaisée, alors qu’elle aurait voulu être en colère. Le côté extrêmement fataliste de Tatsu lui permettait d’encaisser assez rapidement le coup : c’étaient les faits, son pouvoir était un cauchemar. Mais elle en tirait un énorme pouvoir, qui pouvait assurément être développé, si elle parvenait à se lier suffisamment aux âmes qui l’habitaient. Car si elles étaient capables de la consoler lorsqu’elle était triste, elles étaient sûrement capables de l’aider dans d’autres circonstances. Et puis, elles avaient besoin de Tatsu. Elle pesait donc un certain poids dans la balance.

    Elle se remit d’aplomb sur ses quatre pattes. La tête lui tourna aussitôt, et alors qu’elle tentait d’avancer, tout son corps se souvînt de la douleur orchestrée par la possession. Il était difficile de respirer tant sa gorge lui faisait mal, et son corps se contractait en de multiples endroits, là où le corps de Léah avait laissé des traces en essayant de s’installer dans celui de la Savante. Oubliant complètement les plantes qu’elle était venue chercher, et qui étaient réduites à l’état de charpie là où les deux loups s’étaient battus, elle mit le cap vers la forêt, non pas pour récupérer le reste de sa récolte, mais pour passer la nuit en solitaire. Elle avait besoin de réfléchir, de se poser, d’y voir plus clair. Elle était trop épuisée pour réfléchir davantage, et elle souffrait bien trop. Elle se jeta sur les premières plantes de pavot qu’elle put trouver et goba une grande dose de graines, chercha une souche creuse qu’elle trouva rapidement et où elle s’installa avant de s’endormir immédiatement.

    Elle se réveilla le lendemain, en plein milieu de l’après-midi.
    Sa bouche était pâteuse, et la lumière agressait ses prunelles. Dès qu’elle reprit conscience d’elle-même et du monde, elle entendit aussitôt les voix, et la réalité la rattrapa brutalement. Non, ça n’avait pas été un mauvais rêve, tout était bien réel. La brume autour d’elle tournait toujours, lentement, et était devenue assez épaisse pour que sa vision du monde n’en soit altérée. Comme si tout ce qui l’entourait était flou, gris, indistinct. Elle ne pouvait donc se focaliser que sur une chose : leurs murmures. C’était une agonie. Elle aurait voulu en sortir, mais la seule solution qui s’offrait à elle était trop effrayante pour qu’elle n’y songe vraiment. Elle aurait dû rentrer, chercher de l’aide, mais elle craignait leur réaction, à tous. Mieux valait prendre plusieurs jours d’isolement et essayer de percer les derniers secrets de son pouvoir, avant de rentrer. Elle ne voulait mettre personne en danger. Elle sortit de la souche, mais la douleur malmenait tellement son corps qu’elle finit par s’allonger dans l’herbe, à quelques foulées de là. Elle n’avait pas besoin de bouger, au final. Le tout, c’était de réfléchir.

    De ce qu’elle avait compris, une âme pouvait prendre le contrôle de son corps. Dans quelles circonstances, exactement ? Elle l’ignorait, mais dans ce cas précis, c’était pour se venger. Pour faire justice, pour réparer, corriger quelque chose. Léah s’était sentie trahie, et avait exigé réparation. Tatsu se souvînt alors de ses mots.
    Des milliers de voix crient vengeance, des milliers de voix crient justice.
    Oui, c’était donc ça. Elle abritait des âmes qui ne trouvaient pas le repos, car leur vengeance n’avait pas été assouvie. Elle frissonna. Ça n’aurait pas pu être plus glauque.
    Des milliers d'âmes ont besoin de ton aide, Tatsu.
    Cela signifiait-il qu’une fois leur vengeance assouvie, elles n’auraient plus besoin d’elle ?
    La louve chercha jusqu’aux tréfonds de son être, mais ne trouva aucune trace de Léah. Mentalement, elle l’appela durant de longues minutes, sans réponse. C’était possible, alors. Ses yeux se rouvrirent. Cette malédiction avait donc une limite dans le temps. Une fois qu’elle aurait rendu service à chacune des âmes présentes en elle, elle redeviendrait comme avant.
    Et pourtant, il était difficile d’y croire, tant elle sentait sa propre volonté et sa personnalité fondre comme neige au soleil, à chaque minute qui s’écoulait. Les âmes avaient de l’énergie, une forte présence, qu’elle n’arrivait pas encore à contrôler ni à reléguer plus loin dans son esprit. Elle supposait qu’avec le temps, elle parviendrait de nouveau à séparer les deux parties d’elle-même, à savoir son âme à elle, et celles des autres. C’était de la pure folie. Raisonner ainsi, ça dépassait l’entendement. La veille, elle n’aurait jamais cru qu’une telle chose puisse arriver. Et voilà que ça lui arrivait à elle.

    Elle s’étira, ferma les yeux, s’endormit encore. Au réveil, tout était toujours pareil, et elle se sentit plus malheureuse que jamais. Incapable de rentrer chez elle, elle passa tout le reste de la soirée et de la nuit à cette même place, sans chercher à se cacher, priant à moitié pour que le guerrier ne revienne l’achever. Mais il n’en fut rien, et ce n’est qu’au petit matin qu’elle finit par se remettre sur ses pattes, son corps la faisant légèrement moins souffrir. Elle avait cessé de cogité, cessé de remuer le problème dans tous les sens, et s’engageait tout doucement sur la pente de l’acceptation. Elle n’avait rien d’évident, et tout ce qui lui restait de volonté lui criait de loin de se retourner, et de se battre, mais elle n’en avait pas la force. Derrière ce cauchemar se cachait une autre volonté, celle d’Ao, et elle était plus puissante que tout. Tatsu releva la tête. Elle peinait à bien percevoir l’éclat du soleil. Il lui paraissait bien pâle, bien gris, bien terne. Trop désespérée par ces cieux sans couleur, elle se mit d’aplomb sur ses quatre pattes et testa son équilibre. Ça avait l’air d’aller. Est-ce que ça allait suffire pour rentrer ? Elle n’avait pas vraiment le choix, et elle se sentait trop faible pour se servir de ses ailes. La louve brune prit une brève inspiration, puis se mit en route, accompagnée par les défunts, qui ne la quittaient pas, murmurant, pleurant, criant, en l’attente désespérée des trahisons qui les tenaient éveillés. Tatsu marchait lentement, et pour passer le temps, essayait de comprendre ce qu’ils disaient. En général, c’était impossible, bien trop faible et imprécis. Mais parfois, quelques voix s’élevaient au-dessus des autres, et elle pouvait comprendre certains mots. Ce n’était rien de réjouissant. Meurtre. Vol. Mensonge. Les issues étaient très souvent fatales, et ceux qui l’habitaient étaient souvent ceux qui avaient fini par succomber. Tatsu craignait de devoir toujours faire le mal en donnant aux âmes les vengeances qu’elles désiraient tant. Que le scénario de Léah se répète, sans cesse. Elle ne pourrait pas le supporter. Il y avait peut-être un espoir qu’elles ne se ressemblaient pas toutes, et que peut-être, elle serait au final amenée à corriger les plus grandes injustices du monde, et le rectifier pour de bon. Après tout … Il y avait peut-être une espèce d’adéquation entre son caractère et ce pouvoir. Après une telle entrée en matière, il lui avait forcément paru effrayant, ignoble, bien trop puissant pour qu’elle n’arrive à le contenir et à le gérer. Mais avec le temps, et surtout, avec les bons éléments, qui sait ? Elle se surprenait à relativiser, et cette constatation lui arracha l’ombre d’un sourire. Alors que la Rougelande laissait place à la forêt, son cœur se serrait de plus en plus. Comment allaient réagir les Séides face à son aspect ? La brume lui collait aux pattes, et si parfois elle se clarifiait, elle ne disparaissait jamais complètement. L’expérience l’avait littéralement épuisée, son corps portait des marques, certains de ses os étaient dans un piteux état, et elle boitait. Comment expliquer cela ? Sa réputation était déjà bien basse, du moins, à ses yeux, elle ne s’imaginait pas les proportions que cela prendrait lorsqu’ils la verraient … Ainsi.

    Le reste du voyage fut long, et difficile. Tatsu avançait lentement, et s’arrêtait souvent. Elle était épuisée, assoiffée, affamée, et pour la première fois de sa vie, elle avait froid. Pourtant, le soleil était là, et il y avait très peu de nuages. Elle arriva aux alentours des rocheuses à la tombée de la nuit, et marqua une pause lorsqu’elle en distingua les pointes, attendant que l’obscurité soit totale pour s’avancer dans les bois entourant la cordillère. Lorsqu’elle posa les yeux sur son repère, les larmes lui montèrent aussitôt aux yeux. Et, comme la première fois qu’elle avait cédé aux larmes depuis qu’elle avait découvert tout le potentiel de son pouvoir, les âmes se turent, jusqu’à ce que la louve ne reprenne le contrôle d’elle-même. Alors, leur murmure reprenait, mais à chaque fois, il lui paraissait un petit peu plus supportable. Il était effrayant de se dire qu’elle commençait déjà à s’habituer à sa nouvelle condition, et en même temps légèrement rassurant, car elle n’aurait pas pu supporter la souffrance de ces derniers jours plus longtemps. Elle jeta un bref coup d’œil à ses flancs. De nuit, on ne pouvait pas dire qu’un voile de brume dansait lentement autour d’elle. Et elle s’imaginait que les marques sur son visage et sur son corps passeraient également inaperçues de nuit. Elle s’élanca vers la montagne, et sentit son esprit céder net lorsqu’elle leva les yeux vers le repaire. C’était la dernière ligne droite vers le début d’une solution. Mais cette ascension allait avoir raison d’elle, il ne pouvait en être autrement. De plus, ses ailes ne lui permettaient pas de prendre autant d’altitude, et les invoquer maintenant l’aurait assurément tuée. En approchant, elle entendit les pas furtifs d’autres loups, et comprit alors qu’il s’agissait de sentinelles se dirigeant vers elle. Elle se figea, plia la nuque et laissa tomber sa queue au sol. Lorsqu’elles la reconnurent, elles bredouillèrent un salut et s’apprêtèrent à faire immédiatement demi-tour, mais Tatsu retînt l’une d’elle. Après lui avoir expliqué qu’elle avait besoin de voir un soigneur d’urgence, le soldat l’aida à grimper jusqu’au Creux au Loups. A partir de là, Tatsu fut en mesure de se diriger dans la caverne sans devoir déranger personne. Se trouver si près de tous ceux qu’elle aimait la mettait sous pression. Et si une âme décidait de s’en prendre à l’un d’entre eux ? Que ferait-elle ? Elle se rendit alors compte que revenir avait été la pire des idées possibles, et se maudit de pouvoir être à ce point stupide. Elle pressa le pas, descendit un couloir de pierre étroit qui s’insinuait profondément dans le sol, jusqu’à une caverne de petite taille et parfaitement ronde où des piles de plantes ainsi que des proies étaient entassées. Dans un coin, tapie dans l’ombre, roulée en boule, la queue par-dessus la truffe, Valka dormait. Mais l’odeur de sa fille la réveilla en sursaut, et elle dressa aussitôt la tête, posant sur elle un regard à la fois surpris et effrayé.

    Elle se dressa immédiatement sur ses pattes lorsque Tatsu vînt s'effondrer juste devant elle, le visage empreint d'une telle expression de détresse qu'elle sentit aussitôt les larmes lui monter aux yeux. Son coeur acheva de se briser lorsque la voix rendue aigue par la souffrance de sa fille lui vrilla les oreilles.

    - Pitié ... Pitié, Maman, j'ai besoin de toi !

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