Le fruit du hasard [Winnifred]

Winnifred se baladait, comme à son habitude. Elle aimait particulièrement se balader, surtout aux abords des territoires Brethens. Elle aimait beaucoup également le Dolmen des Perdus, elle s'y posait parfois pour lire un livre ou encore pour méditer, blottie contre le rocher. Elle adorait également revenir sur des lieux qu'elle connaissait déjà pour voir ce que la nature avait changé pendant son absence. Tandis qu'elle arrivait, elle vit le Dolmen, géant et fièrement dressé, et une vague de réconfort la submergea. Elle appréciait cet endroit, et l'avantage était qu'il se trouvait sur le territoire des Brethens, ce qui lui permettait de venir aussi souvent qu'elle le désirait. Elle s'avançait d'un pas lent et flemmard, la neige commençant à tomber paresseusement sur le sol encore blanchi par les neiges d'hier et d'avant-hier. Il lui semblait que la neige ne partirait jamais et que le printemps n'apporterait jamais sa couleur douce et ses odeurs de renouveau. Une légère brise lui apporta une odeur inconnue, elle se figea instantanément. Un mâle, et elle y réfléchit longuement mais l'odeur n'avait rien de familier, ce n'était pas un Brethens. L'odeur n'arriva pas seule, et Winnie vit au loin la silhouette d'un loup. L'ombre semblait se détacher entièrement sur ce paysage blanc. Son cœur battait à tout rompre, elle ne s'était jamais retrouvée face à un solitaire ou à un Séide. Elle savait que les meutes ne partageaient pas un grand amour, mais il lui semblait que pour l'heure, après Everbloom, une brève trêve avait été décidée d'un commun accord, toutefois elle n'en était pas sûre. Elle ne s'était jamais battue, ni même montré les crocs, elle se sentait incapable d'attaquer un autre loup, et incapable de chasser cet intrus. Est-ce que les Brethens l'exileraient si elle ne parvenait pas à défendre son territoire ? L'angoisse tordit son estomac, elle prit son courage à deux pattes et s'avança vers le loup. Il ne la voyait pas, il était de dos et Winnie remarqua qu'il était gris anthracite. La même couleur que la poussière qui s'accumulait sous certains rochers. Mais un détail la surprit, il avait de longs cheveux mauves, et une écharpe. Utile, en ce temps de chien. Elle s'éclaircit la gorge pour lui notifier de sa présence, elle ne voulait en aucun cas le surprendre, ce qui pourrait provoquer chez certains loups une réaction agressive.

"Vous, vous n'êtes pas d'ici. Êtes-vous perdu ?" s'enquit-elle d'une voix forte qu'elle voulait fière et imposante mais qui en réalité était aussi doucereuse qu'une berceuse destinée à un louveteau. Elle attendit que le loup se retourne, et planta ses yeux vairons dans les siens, pour se convaincre elle-même qu'elle ne cillerait pas. Elle cligna lentement des yeux pour montrer sa détermination mais ses pattes arrières tremblaient et sa queue ne cessait de s'agiter. Elle souffla pour chasser l'angoisse et attendit la réponse de l'inconnu. S'il réagissait mal, elle hurlerait à la mort pour prévenir ses confrères et consœurs qu'elle était en danger.

Quand le loup anthracite se retourna, elle fut surprise que lui aussi possédait des yeux vairons. Elle le vit s'asseoir et il confirma qu'il était perdu, qu'il cherchait quelqu'un et qu'il s'appelait Améthyste. Un nom précieux, et elle jugea que son œil couleur améthyste lui avait donné son prénom. Elle sourit, rassurée par sa voix posée et calme. Il ne montrait aucun signe d'agression ni de méchanceté. Elle se détendit légèrement, et lorsqu'il demanda des informations sur le lieu, elle fut surprise, rarement les loups étrangers en terre inconnu s'intéressaient au patrimoine. Elle resta droite, debout avec son petit serpent blotti dans ses cheveux, invisible pour le loup en face d'elle.

"On appelle cet endroit le Dolmen des Perdus. Une belle coïncidence, puisque vous êtes perdu en ces lieux. Ces symboles, comme vous le voyez, sont assez mystérieux, je n'ai pas encore réussi à les déchiffrer complètement." prononça-t-elle d'une voix posée, elle souriait d'amusement.

"Je suis navrée, je n'ai point vu votre sœur. Est-elle malade ? Êtes-vous guérisseur ?"

Elle voulait savoir pourquoi il s'était perdu, et surtout comment un loup pouvait-il se retrouver en un lieu où les odeurs étaient si différentes des siennes qu'il ne s'était pas rendu compte qu'il n'était plus chez lui. Elle s'assit, gardant toutefois ses distances et pencha la tête vers la droite, curieuse et en attente d'une réponse. Peut-être était-il un érudit ? Sacrément étourdi pour un érudit. Ou alors guérisseur ? Connaissait-il les plantes aussi bien que Winnie les connaissait ? Il cherchait peut-être des plantes ? Ou alors voulait-il simplement l'impression en se faisant passer pour un docteur ? Elle sourit, patiente comme elle l'était parfois avec les louveteaux qu'elle gardait, et elle attendit, heureuse d'avoir affaire à un loup dénué d'agressivité et pacifique.

La louve au pelage de faon et aux cheveux blancs s'assit, à une certaine distance de son interlocuteur, et porta toute son attention sur lui. Il semblait sincère, un peu naïf. Il semblait également jeune, et elle se demanda s'il n'était pas jeune adulte, tout juste sorti de sa période de louveteau. Ses doutes se dissipèrent quand il lui apprit qu'il était savant dans son clan. Savant ? Winnifred fut impressionnée, ce grade semblait glorifiant. Elle l'enviait, un peu, car elle n'avait pas de grade à juste titre, elle était savante mais occupait plein de postes. Elle lécha sa patte d'un geste abstrait et écouta le loup qui racontait que sa sœur était peut-être malade. Était-elle, elle aussi, sur les terres du Brethens ? Si elle était malade, il fallait mieux la retrouver et l'éloigner du territoire des Brethens, Everbloom ayant déjà fait beaucoup de victimes, Winnifred n'imaginait pas une épidémie dans son clan. Elle s'éclaircit la voix pour répondre au loup :

"Je me nomme Winnifred et je suis... une sorte de savant polyvalent. Mais je suis spécialisée dans l'étude des plantes. Je suis efficace en tant qu'herboriste."

Mais également une sorte d'alchimiste puisqu'elle était capable de produire un élixir pour guérir quelque chose, mais également grâce à son pouvoir accordé par Yurai. Elle sourit, poliment et attendit un instant pour continuer.

"Certains symboles me sont encore inconnus mais ils retracent parfois la vie de nos Dieux et Déesses. De leur bravoure, leur héroïsme. J'imagine que vous êtes instruit, pour un savant, avez-vous quelques connaissances à me transmettre ? Entre confrères, on peut s'échanger quelques choses."

Elle sourit une fois de plus, polie, et se félicita d'être aussi sympathique, la conversation prenait une tournure savante et Winnifred fut rassurée une fois pour toutes, elle n'aurait pas à se battre aujourd'hui.

Winnifred s'assit et écouta avec attention l'étranger parler. Il savait des choses que Winnifred ignorait et elle fut très heureuse d'apprendre tout cela, elle songeait à ses propres lectures et n'avait que très peu lu l'histoire avant les Brethens et les Séides, trop occupée à tout connaître de l'histoire actuelle. Elle sourit quand il parla de Yurai, et elle fut rassurée ; sa déesse lui permettait de rester ainsi à parler avec un membre du clan opposé, c'était dans ses principes et la louve aux cheveux blancs ressentit une vague d'amour religieux pour sa déesse, elle serra discrètement contre son cœur son bracelet doré qui contenait une minuscule gemme de couleur violette et qui brillait faiblement, comme lasse et paresseuse. Le loup aux yeux vairons s'arrêta de parler et lui adressa une interrogation. Elle se redressa quelque peu et s'éclaircit la voix.

"Je sais, en effet, que les Dieux règnent ici comme des Maîtres, et que le Palais, qui est un peu plus loin d'ici, relate de leurs histoires."

Elle s'arrêta, songeuse et baissa la tête, elle ne savait rien de plus qu'Améhtyste et elle tenta de se remémorer la plus petite information qu'elle avait eu l'occasion de lire, en vain. Elle sourit, absolument pas jalouse et prononça de sa voix claire et fluette :

"Je n'en sais pas plus que vous, malheureusement, je n'ai eu le loisir de connaître tout ceci que par le biais de livres."

Elle sourit et une sensation de joie la prit, quel bonheur de reconnaître que l'on ne sait pas quelque chose. Elle leva la tête et vit des flocons tomber avec douceur sur les deux savants, elle secoua ses oreilles et souffla, de la brume sortit de sa gueule. Il faisait très froid.

"Comment est-ce, chez les Séides ?"

La question pouvait être surprenante, mais pour Winnie, elle n'était que banale. Étant Brethen, elle ignorait tout du mode de fonctionnement des Séides et elle se demandait parfois pourquoi les deux clans étaient si séparés et se vouaient une sorte de haine constante. Peut-être que si les deux meutes fonctionnaient pareil, ils pourraient tous s'entendre ? La louve brune fixa alors Améthyste et une chose lui tapa dans l'œil : le loup en face d'elle avait des yeux magnifiques.

Winnifred écoutait avec attention. Décidément, c'était bien plus compliqué chez les Séides. Elle marqua un temps de pause, laissant le temps à Améthyste de reprendre ses esprits après avoir parlé aussi longtemps.

"Eh bien... C'est très complet, chez vous. Chez nous, nous avons un chef et deux lieutenants. Le reste de la meute est plus ou moins polyvalent, par exemple je suis herboriste mais également nourrice, certains font des tours de garde autour de nos terres et sont soldats quand il y a besoin de se battre."

Elle s'arrêta, songeuse. Sa meute avait l'air désorganisée et un peu brouillonne mais elle s'y sentait bien et c'était plus simple qu'avec un seul poste défini. Elle souffla, frissonnant sous le froid ambiant.

"Je ne voudrais vous paraître impolie, mon cher confrère, mais il se fait tard. Je vais rentrer parmi les miens. J'espère que vous retrouverez votre sœur, et que vous rentrerez sans encombre chez vous."

Elle s'inclina, poliment et sourit. Elle se sentait un peu mal de clore la conversation si brusquement mais le ciel s'assombrissait et elle ne voulait pas rentrer trop tard. Elle sourit et s'ébroua.

"Heureuse d'avoir fait votre connaissance, j'espère vous revoir, et en de bonnes conditions."

Elle faisait évidemment l'illusion à une potentielle guerre entre Séides et Brethens. Winnifred sourit et attendit la réponse de son congénère. Après leurs au-revoir, elle rentrerait au Squat et elle se blottira dans sa tanière, protégée du froid.