Un rêve de toi ❀ Arleston

Arleston

L'automne est, à présent, maître du monde, ses couleurs orangées peignent les arbres les plus chanceux, les autres sont nus, leurs branches noircies par le froid, méli-mélo de fils entremêlés, les troncs couverts de mousse verte, semblent se tordre de douleur sous le froid. Le vent souffle au-delà du bois, ce dernier est protégé par ses hôtes, et aucune brise ne perturbe le calme ambiant, le silence s'étend tel le lierre, et seuls quelques confères résistants se pavanent avec vanité. Arleston marche d'un pas lourd au milieu de ce cimetière temporaire, il apprécie venir ici, se poser quelques temps, jusqu'à ce que la lune vienne lui tenir compagnie, il observe les arbres, les rares oiseaux qui se posent sur leurs branches rachitiques, les quelques biches qui passent, l'œil fuyant, les oreilles tournant si vite sur leurs crânes chétifs, à la recherche d'un moindre grognement significatif de mort imminente. Aujourd'hui, malgré le froid engourdissant et le ciel gris, Arleston est venu se perdre dans ses pensées, dans ses rêves. Il voit souvent ce bois dans ses songes, il voit une grande fleur rouge mordre le sous-bois, un éclair de sang, un rire dément, une voix douce, des yeux bleus qui se perdent dans les cendres. Il ignore pourquoi il rêve de tout ceci, mais il sent le goût du sang dans sa gueule parmi ces végétaux qui l'observent d'un regard froid.

Un cerf passe devant lui, une chouette hulule. Il lève sa large tête et plonge son regard ambré dans les grands yeux ronds de la volaille. Elle le juge, et dans son bec se perdent des reproches. Arleston baisse les oreilles, perturbé, et continue sa progression. Au loin, une forme se dessine, et une odeur envahit les lieux. L'odeur de mort, de carcasse en décomposition. Il s'approche et sur le sol, un lièvre d'une taille considérable gît, ses yeux révulsés sont gorgés de sang, ses côtes ouvertes grouillent d'insectes profiteurs. Pour les superstitieux, cette carcasse serait funeste présage, mais Arleston hausse les épaules et continue sa marche, peu désireux de jouer avec les jouets usés et pourris. Il s'avance et devant ses yeux, une louve se tient. Elle a la tête haute, et il ne voit que sa croupe, sa queue fournie, des immenses piquent semblent la transpercer. De longs cheveux habillent ses épaules frêles, elle semble suspendue dans le temps, comme un mirage, un rêve perdu dans les limbes sans fin du sommeil. Arleston reste planté là, la gueule fermée, les yeux rivés sur la créature, se demandant s'il rêve ou s'il devient fou. Mince frontière entre les deux, surtout en ces bois réputés pour plonger ses visiteurs dans une transe hypnotique. Il décide de tourner les talons, mais avant même de se mettre en mouvement, une voix familière s'élève. Il reste coi, et sans même voir les lèvres de la femelle devant lui; il sait que c'est elle qui vient de parler. Elle a rêvé de lui, et elle a rêvé qu'ils partageaient tous deux des enfants. Son regard froid se mue en une surprise inquiète, il l'observe et ne sait quoi dire, ni quoi faire. Il a la sensation de la connaître, il n'oublie jamais aucun visage, aucune silhouette même croisée rapidement, il la reconnaît, et il sent une peur inexpliquée lui saisir les tripes. Il sait que s'il croise son regard, il verra les yeux perçants qu'il voit en rêve, il sait que l'océan bleu de ses iris l'engloutira. Il serre si fort les mâchoires qu'il sent ses muscles s'ankyloser. La femelle se retourne doucement, ses yeux ambrés rencontrent les siens, bleus comme il l'imaginait, aussi bleus que ce regard mêlé au feu de ses songes. Il ne bouge pas, calme, il ne veut pas l'effrayer, et il a la sensation de retrouver une vieille amie. Elle est superbe, à couper le souffle, une douce aura s'échappe de son corps brûlant au milieu de la forêt glaciale.

"Étaient-ils beaux, ces enfants ?"

Sa langue claque entre ses crocs, sa voix grave et rauque est dénuée de reproche, de toute émotion négative, il est curieux, et impatient de connaître enfin celle qui hante ses rêves depuis quelques lunes. Il avait envie de lui dire que lui aussi avait rêvé d'elle, mais il avait peur de devenir fou s'il lui disait, alors il tient sa langue pour le moment, ses yeux dorés ne quittant le ciel bleu qui vit dans les prunelles folles et douces de la belle reine, couronnée par d'élégantes fleurs roses.

Arleston

Étrange femelle, son sourire glace le sang du mâle au pelage de feu, il se sent démuni. Une vague sensation de malaise l'envahit, elle parle de goût, comme si ces louveteaux imaginaires n'avaient comme souvenir du monde réel que les crocs de leur maman se refermant sur leur délicate chaire, leur peau fine. Il fronce ses arcades sourcilières quand elle s'approche, mais il ne bouge pas, il sait qu'elle ne lui fera rien, même si une petite partie de lui l'implore de partir, de s'éloigner de ce doux mirage. Elle paraît irréelle, et elle lui fait l'impression d'une araignée séductrice, prête à cligner des cils plusieurs fois pour attirer sa proie dans sa toile de fils de cristal tendus. Tandis qu'elle se serre contre lui, son poil pomme se mêlant à son crin de fraise, son odeur envahit ses narines et il baisse la garde, il se laisse faire, et pis encore, il abaisse sa tête de façon à poser le bas de sa gueule dans ses cheveux beiges. Son museau est enfoui dans ses cheveux quand elle se redresse pour lui sourire, ses yeux océan se plongent dans les siens, et tout autour de lui s'évapore. Elle est irréelle. Il ne peut en être autrement. Bercé par ce rêve récurent, il l'observe. Elle est si somptueuse, la beauté semble l'avoir mordu en pleine face, et ses marques de crocs tranchants la rendent irrésistible. Les fleurs qui ornent son regard lui donnent un air bohémien, et sa moue discrète, presque invisible, qu'il distingue avec émerveillement. Il reste ainsi, lovée contre lui, elle ne bouge pas et semble se fondre en lui, son corps est froid, ou alors sa peau le brûle. Il l'ignore, mais il reste là, et se promet de la protéger quoiqu'il pourrait se passer à cet instant précis.

"Je les aurais, sans aucun doute, trouvé ravissants. Mais pâle copie de ta beauté."

D'habitude très dragueur, sa voix est dénué de compliment, il se sent hypnotisé, comme dans une transe dont seule la belle semble avoir le contrôle. Il l'observe et dans un élan inconscient, il se baisse quelque peu et plonge sa tête dans son cou avec lenteur et précaution. Il la sent, il la respire, à chaque inspiration, quelques poils verts chatouillent ses narines, il sent les battements de son cœur, il l'écoute respirer. Étrange câlin de ces deux êtres de couleur perdus au milieu d'une forêt agonisante et macabre. Ses yeux fermés sont pressés contre une fourrure différente de celle de son corps. Il connaît l'existence de sa cape, de son manteau de poils, mais il n'y a jamais prêté attention. Il relève la tête, espère ne pas l'avoir gêné, et observe son manteau. Il ne reconnaît pas le pelage d'un lièvre ni celui d'une biche. Le poil est trop doux pour être celui d'un sanglier, et pas assez roux pour un renard. Il s'assoit et un léger nuage de poussière s'élève autour de lui, virevoltant dans l'air, petite tornade insolente. Arleston ôte son regard de la cape pour le plonger dans l'azur de sa congénère. Un calme plat règne autour d'eux, et le mutisme presque parfait renforce son impression d'être dans un rêve.

"D'où vient la peau sur tes épaules ?"

Sa voix grave semble projeter ses mots autour d'eux, mais il jure ne pas avoir entendu d'échos. Curieux, il reste ainsi, aussi droit que son épaisse silhouette le lui permet, sa queue massive encercle ses pattes. Il songe alors qu'il ne connaît rien d'elle, et qu'il rêverait ne serait-ce connaître son prénom. Il l'imagine joli, agréable, léger, fluet. Une aussi belle femelle ne peut être affublé d'un nom atroce.