Douce mort [Libre]

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Oysteria
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MessageSujet: Douce mort [Libre]   Douce mort [Libre] EmptyMar 15 Mai 2018 - 16:40


    Winnifred

    L'air est si sec qu'il brûle presque les poumons de la vieille femelle. Son corps maigre déambule entre les pierres du cimetière de sa terre, elle dépose des offrandes sur chaque tombe, un brin de camomille pour apaiser les douleurs des vivants, pour apaiser les inquiétudes des morts. Les articulations de ses pattes craquent à chaque pas, elle réprime une grimace de douleur, les herbes folles chatouillent ses babines. Une fois la distribution faite, elle retourne sur ses pas. Elle passe par le temple de Yurai, salue d'un signe de tête les deux hautes statues qui encadrent l'entrée et les corneilles croassantes, puis descendent les escaliers de pierre froide avec agilité. Malgré son âge, elle a su garder une bonne forme, sa physionomie l'aidant, elle n'a pas pris un gramme, bien au contraire, et ses petites pattes fines sont encore solides. Elle arrive devant la statue de Yurai, un mutisme religieux l'encercle. Quelques bougies brûlent près de la gueule bienveillante de la déesse, Winnifred sait que c'est l'une des filles du prêtre qui les allume, nuit comme jour. Elle s'approche de la fontaine au liquide violet, plonge son regard dedans, puis observe un instant son reflet. Ses longs cheveux blancs tombent sur les côtés de sa tête, ils ont l'air plus plats, plus ternes. Les légères boucles qui faisaient danser ses mèches sont devenues raides. Elle ose se regarder dans les yeux. Ces deux grands yeux sont affaissés, quelques rides plissent sa peau, ses longs cils de biche sont toujours aussi noirs. Ses orbites sont rougies par la douleur de la séparation familiale, ses iris vaironnes reflètent un profond tourment. Elle détourne les yeux, loupant les rides zébrant son museau, les poils blancs dans ses moustaches et autour de ses yeux. Elle regarde Yurai, le cœur serré. Elle lui a demandé tant de fois, pourquoi les avaient-Ils tous séparés à l'Apocalypse ? Pourquoi les Dieux avaient-Ils été si injustes de lui enlever ses enfants et de les diviser ? Elle avait dû, en plus, contraindre son époux à abandonner sa divinité pour la suivre dans la meute Sage. Il ne bronchait pas, mais elle savait que son cœur vaillant en avait pris un coup. La louve aux cheveux blancs lève un regard plein de larmes vers Yurai, elle abaisse la tête en signe de respect, puis dépose à ses pattes un brin de camomille. Pour s'apaiser elle-même.

    Elle ressort avec lenteur, sentant son cœur battre à tout rompre, comme si elle franchissait ces marches pour la dernière fois, comme si elle n'entendrait plus les croassements réguliers des corneilles. Les oreilles basses, le pas traînant, elle prend une direction opposée au camp des Nakhus. La chaleur lourde et paralysante règne en maîtresse, . Les branches restent nues et sèches malgré le beau soleil qui brille. Au plus elle avance dans les terres de Punk Wolf, au plus la Nature semble souffrir, assoiffée, des pétales sont roussies, des plantes gisent sur le sol.. Elle arrive enfin à sa destination. La banquise s'étend à des milliers de pas devant ses yeux vert et bleu. Au loin, elle remarque quelques tâches noires qui gigotent. Elle s'avance et sent ses coussinets saisis par le froid. Elle ferme docilement les yeux, le froid apaise ses douleurs. Le froid représente tant, à ses yeux. Elle repense avec nostalgie à sa première rencontre avec Méléagant, lors de cette fameuse tempête de neige. Ils s'étaient retrouvés si collés, si serrés, bloqués dans une situation angoissante, et ce beau mâle avait agi en gentilloup, la sauvant du froid, mais aussi de toutes les peines vitales. Méléagant était devenu son tout, sa moitié, son univers. Il lui avait donné l'amour que toute louve rêve de recevoir, elle avait été tant fière de lui, de son progrès dans la hiérarchie, de son rôle de père. Il lui avait donné six beaux enfants, tous des rois et des reines. Elle sourit d'une manière niaise. Le froid avait provoqué leur rencontre, les liant à jamais. Et la voilà revenue à ses sources. Winnifred est à une distance raisonnable de la frontière entre glace et terre nue. La glace pénètre sa peau. Elle regarde à l'horizon, s'arrête enfin de marcher et soupire. Sa vie avait été une guerre, une bataille troublée par de courts instants de trêves heureuses. Elle repense à son vieux père, lui hurlant sa faiblesse, à sa vieille mère, le regard compatissant, ses excuses bredouillées du bout des babines. Et puis ses frères. Elle baisse la tête, une vague de tristesse l'assaille. Il était mort, par sa faute. Si elle avait été moins faible, il serait encore en vie. Mais peut-être serait-il toujours aussi violent, brut et bête. Elle soupire et frissonne quand une petite friction la sort de ses pensées. Salazar descend le long de son cou avec une lenteur habituelle. Il a vieilli, un bout de peau pend à sa queue, ses mues sont devenues compliquées à cause de son âge. Il siffle d'un air entendu quand Winnie lui propose sa patte pour l'aider à descendre, il refuse, préférant le confort de ses cheveux malgré la chaleur plus douce. La sécheresse les a tous les deux bien fatigués, elle se sent mal, elle supporte mal la chaleur. Elle baisse les yeux et finit par s'allonger, le regard perdu dans l'horizon. Elle se sent si mal, elle pense que sa dernière heure est arrivée et c'est le cas. Elle ferme les yeux doucement et se laisse englober par le froid qui, malgré l'ambiance de la banquise, semble plus tiède qu'avant. Le désert règne, et Winnifred ne peut plus vivre ainsi, sans eau, sans espoir, sans jeunesse. Ses longs cheveux blancs s'étalent autour de sa gueule, son esprit vagabonde, elle revoit ses enfants, Chulhei, Esterno. Elle sourit timidement, peut-être retrouvera-t-elle son ami qui l'avait sauvé d'une attaque de tigre ? Elle soupire, une bouffée d'air s'échappe de sa gueule, précieuse et ultime. Une larme perle le long de ses cils, elle aurait aimé mourir dans d'autres conditions, protégée par sa famille, ou contre le pelage de son cher et tendre. Toute seule, contre la glace dure et compacte, seule Salazar se blottit contre elle, dans une ultime étreinte. Elle a la gueule sèche, et elle espère que la mort ne sera pas si difficile à surmonter. Après tout, elle a bien vécu, elle a une famille heureuse, malgré toutes les embûches mises au travers de son chemin. Elle pense à Méléagant, une ultime fois, et le froid ne semble plus exister. Elle se sent légère, emportée dans une brise imaginaire, et une lumière au loin l'accueille avec chaleur.

    Salazar guette avec douceur son hôte, elle ne respire plus, elle sourit presque, ses yeux, bordés de longs cils noirs, sont fermés, apaisés. Les serpents ne pleurent pas, dit-on, mais ce n'est pas vrai. Ils ne pleurent pas devant des spectateurs. Jamais personne n'a vu un serpent pleurer, et pourtant, aujourd'hui, Salazar pleure, de lourdes larmes perlent à ses yeux jaunes. Ses écailles, auparavant brillantes, se ternissent. Il plonge sa tête dans les cheveux de Winnifred, renifle son odeur si familière, si douce, si maternelle. Il a partagé sa vie avec elle, il a vécu bien plus vieux qu'il n'aurait pu en liberté. Elle a lui donner une vie heureuse, un bonheur infaillible, il a vu grandir ses enfants, les a aimé comme les siens. Mais, à présent, il est temps de la laisser s'envoler. Les anges rejoignent toujours les Dieux, et il sait que Yurai ne regrettera pas d'avoir Winnie à ses côtés, fervente disciple, figure maternelle douce et protectrice, épouse fidèle et dévouée, amie tolérante et aimante. Salazar s'éteint alors doucement, et alors qu'une bourrasque souffle violemment, son cœur cesse de battre au même moment que celui de Winnie.
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MessageSujet: Re: Douce mort [Libre]   Douce mort [Libre] EmptyMar 15 Mai 2018 - 19:31

L'Océan savait beaucoup de choses et si on prenait la peine de l'écouter, parfois il vous ramenait des histoires d'un monde que vous ne pouvez plus atteindre. Chulhei, âme maudite, privée de toutes retrouvailles de ses amitiés du continent aimait s'asseoir au bout du navire échoué de son île pour se plonger dans le son du roulement des vagues, museau dans le vent du large. Il écoutait les nouvelles de la côte mais finalement, il ne les avait jamais vraiment comprise, après tout les vagues restaient des vagues.
Sur ce morceau de terre qu'il voyait se dessiner au loin, il y avait des loups dont le destin l'avait contraint de laisser derrière lui dans le passé à moins qu'en temps qu'être maudit, c'était lui qui était condamné à être oublié, comme chacun des membres de la meute de l'Île, comme chacun des Raeders. Mais manquait-il vraiment au Continent ? Il n'y avait qu'un être finalement qu'il regrettait, les autres ne le connaissaient probablement que dans un coup de vent, un visage dont on se rappelait l'existence que lorsqu'on le voyait.

Avec le soleil rude de cet été trop prononcé, il n'était pas prudent se venir observer l'océan à découvert et finalement, le loup brun ne le faisait plus que très rarement. Mais aujourd'hui, quelque chose l'avait poussé à sortir sous les dangereux rayons, une force pareil à celle qui lui avait offerte un enfant, un instinct qui semblait surnaturel. Le vent balayait sa tignasse noire en arrière tandis que son dos foncé brûlait doucement sous la chaleur de la journée. Les cicatrices de sa pattes atrophiées le lançaient comme s'il traversait une nouvelle fois la mer pour commettre le crime que la malédiction lui interdisait mais malgré tout, il restait là, impassible, à observer la mer et l'horizon, comme s'il attendait l'apparition d'une voile fantôme.
D'un seul coup, il y eut le déclic, ce qu'il attendait mystérieusement sans vraiment savoir quoi était comme réalisé. C'était une drôle d'impression, comme si son œil avait réussi à apercevoir les portes du Paradis s'ouvrir à la frontière entre le ciel et la mer, comme s'il venait d'accueillir de nouvelles âmes. L'Océan s'écrasa avec fracas sur la falaise, délivrant son message et le pirate sentit une petite flamme s'éteindre dans son cœur. Une histoire se finissait et une partie de souvenir s'évaporait. Alors il se mit à pousser un long hurlement, le laissant se faire emporter par les vagues et le cris des dernières mouettes.

C'était un chant d'adieu d'une 'âme esseulée que l'océan avait éloigné, celui d'un fou prisonnier de son île qui versait des larmes incertaines pour un sentiment dont il n'aurait jamais la confirmation.
C'était la fin d'un récit sans queue ni tête dans lequel le Vaurien discutait malicieusement avec la Belle.
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Ehnala
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MessageSujet: Re: Douce mort [Libre]   Douce mort [Libre] EmptySam 26 Mai 2018 - 17:49


    These scars long have yearned for your tender caress
    To bind our fortunes, damn what the stars own.
    Rend my heart open, then your love profess
    A winding, weaving fate to which we both atone...



    Le monde était devenu fou. Plus rien n'avait de sens, pas même les saisons qui se jouaient d'eux en de bien douloureux caprices. Les jours s'écoulaient avec une lenteur à faire vaciller la raison du loup le plus éprouvé déjà, à celui même qui portait la plus forte armure  autour de son esprit. Même lorsque sa vie avait pris ce sinistre tournant, des lunes auparavant, il n'aurait pas pensé pouvoir tomber plus bas encore. Il n'était plus qu'une ombre, un nom dans une histoire que l'on racontait déjà au passé. On l'avait oublié. Tous l'avaient oublié. Le nom de Méléagant ne rappelait plus que celui d'un héros des temps passés, en des temps où les dieux n'avaient pas encore décidé de scinder en deux sa famille, de détruire ce pourquoi il avait oeuvré des années durant. Qu'il était beau d'avoir tant brillé, mais que cela valait-il si c'était ensuite pour sombrer dans l'oubli. Il n'était pas un Etelkru, il ne l'était plus depuis qu'il avait brisé son glowstick aux pieds de la statue d'Aka. ce faisant, il avait choisi une vie où son amour pour Winnifred serait possible. Mais il n'était pas un Nakhu non plus, incapable de se rendre avec sincérité devant Yurai pour lui demander son étendard pourpre. Il était une sorte de solitaire, raccroché à toutes les meutes sans faire partie d'aucune. Il n'était rien.

    Les seuls instants qui lui avaient permis de continuer à vivre sans se laisser complètement dépérir, ces dernières années, avaient été les visites de sa belle. Elle venait le voir, et il retrouvait pendant un moment une étincelle dans le regard. La vision de sa silhouette qu'il trouvait si charmante, de son regard dans lequel il lisait encore l'amour qu'elle éprouvait à son égard, son rire léger que l'âge n'avait pas rendu plus rauque, toutes ces choses lui faisaient oublier qu'il vivait au jour le jour, à attendre cet unique instant. Oublier que le chevalier qu'il était avait péri depuis longtemps. Sa silhouette musclée et fière d'antan s'était affaiblie, affaissée. Son arc ne lui servait plus guère que d'ornement par dessus son armure usée, qui paraissait bien moins belle sans la lumière qui l'avait longtemps habitée. Sa cape était délavée par le soleil et les intempérie, et ses bords se muaient en fils irréguliers qui s'enfuyaient dans les buissons et les fourrés. Il était maigre, paraissait trop grand. Ses yeux bleus, autrefois brûlant d'un impétueux foyer, étaient cernés et emplis de fatigue. Il comme un os que la vie aurait rongé jusqu'à la moelle, jusqu'à ce qu'il se brise entre ses pattes de fer.
    Mais il y avait Winnie.
    Il y aurait toujours Winnie.

    Il y aurait toujours Winnie pour donner à ses jours un peu de lumière, il y aurait toujours ce rendez-vous quotidien qui les ramenait bien des lunes en arrière, écho de leurs promenades des heures durant dans les vastes allées du Palais. Alors il continuait à vivre, à l'écouter parler de leurs enfants lorsqu'elle en avait des nouvelles, de ce qui se passait au sein de sa meute. Lui lui racontait ses chasses, ses combats, combien il la trouvait jolie ce soir-là et combien elle comptait à ses yeux. Et leurs yeux redevenaient ceux des jeunes amants qui avaient fait sourire la meute Brethen un jour.

    You flee my dream come the morning
    Your scent - berries tart, lilac sweet
    To dream of raven locks entwisted, stormy
    Of violet eyes, glistening as you weep


    Lorsqu'elle repartait, la réalité reprenait lentement ses droits. Elle emportait avec elle la douceur de la louve aux cheveux de neige, son parfum fleuri, le son de sa voix. Il avait la sensation de s'éveiller d'un rêve bien trop beau pour avoir été vrai. Alors il attendait de rêver encore.

    Ce jour-là, elle n'était pas venue.
    Il avait attendu, un long moment, avant de prendre le chemin du repaire des Nakhus. Il savait que les conditions terribles dans lesquelles ils vivaient l'éprouvaient. Il voyait son corps être plus épuisé chaque jour. Pourtant, il caressait l'espoir que cela finisse par cesser, et qu'elle puisse retrouver la pleine santé. Qu'ils puissent se promener encore au milieu des herbes douces des grandes plaines des contrefort, s'étendre sur les pierres réchauffées par le soleil dans la fraîcheur du soir. Alors qu'il approchait de l'entrée du Dédale, il sentit son parfum et son coeur bondit. Elle était passée dans les parages peu de temps avant. Peut-être s'était-elle rendue à l'église de Yurai, lieu où il la trouvait souvent. Il savait sa compagne extrêmement dévoué à la déesse de la Sagesse. Peut-être s'y était rendue dans l'espoir de comprendre ce qui leur arrivait, de trouver une explication à ce cataclysme qui s'était abattu sur leur monde.

    La piste y menait bien. Mais il n'y avait personne au sein du temple de la Corneille. Seul un petit brin de plante, offrande posée aux pattes de la haute statue, apportait une touche de vie à l'endroit. Il retrouva la piste de la louve en sortant, et fut soudain saisit d'un sombre pressentiment. Il savait qu'elle sortait peu, souffrant de la chaleur terrible du dehors, si ce n'était pour venir lui rendre visite. Pourquoi était-elle partie alors ? Pourquoi filait-elle ainsi vers le sud, vers l'ouest, dans une bien mystérieuse direction. La gorge asséchée, le grand loup entreprit de suivre sa piste.

    The wolf I will follow into the storm
    To find your heart, its passion displaced.
    By ire ever growing hardening into stone
    Amidst the cold to hold you in a heated embrace..


    Ses pas le guidèrent toujours plus loin. Il ignorait le soleil qui frappe son crâne et son dos, il ignorait la fatigue qui faisait gémir ses vieux muscles, il ignorait la brûlure de l'air chaud dans ses poumons épuisés. Il ne réfléchissait pas aux terres qu'il traversait, toutes ses pensées focaliser sur cette piste qu'il lui fallait suivre. Cette piste qui était partie bien trop loin déjà pour ne pas faire naître en lui une sombre, très sombre inquiétude.
    Ce fut le froid sur sa truffe qui lui fit réellement reprendre pied dans la réalité, alors qu'il entrait sur la Grève Gelée. Il fut saisi d'un frisson, et ses sens s'engourdirent dans le froid qui régnait. La piste disparut, et il sentit une chape de désespoir s'abattre sur lui. Pourquoi était-elle venue se perdre ici ? Pourquoi ? Son esprit lui soufflait une raison qu'il ne voulait pas entendre. Lui montrait des images qu'il refusait de voir avec une hargne dont il n'avait pas fait preuve depuis bien longtemps.

    "Winnie !" Hurla-t-il à travers les vents froids qui sifflaient.

    Il n'y eut même pas un écho pour lui répondre. Il hurla encore, et de nouveau le silence lui répondit.
    Mais en baissant les yeux, il distingua un peu plus loin quelque-chose dans la neige. Des traces. des traces de loup, des traces récentes qui filaient plus profondément encore dans la terre désolée. Il se lança avec l'énergie du désespoir sur ce chemin inespéré. Winnie ne survivrait pas toute seule ici, pas faible comme elle l'était. Quelle que fût la raison pour laquelle elle était venue, elle avait besoin de lui pour la sauver. Lui seul savait qu'elle se trouvait là.

    "Winnie !"

    Il força l'allure, tira sur ses pattes exténuées pour avancer encore dans le froid qui le rongeait. Il courut une éternité, seul, sur les traces de sa bien-aimée, en hurlant son désespoir au vent qui se riait de lui.
    Puis une silhouette apparut enfin dans la neige, loin devant. Il bondit à sa rencontre, alors que la vision horrifiante de la silhouette immobile de la louve se dessinait à ses yeux. Elle ne bougeait pas. Seul le vent faisait bruisser doucement ses cheveux, sur lesquels la silhouette de Salazar était elle aussi dans une effrayante immobilité.

    "Winnie... Wi... Winnie, je... Je suis là..."

    Sa voix était rauque, c'était un murmure dans le vent qui se faisait de plus en plus fort. Et elle s'éteignit alors qu'il passa le museau le long de la joue de sa belle. Elle ne respirait plus. Aucun frémissement n'avait agité ses oreilles délicates à son arrivée. Ses paupières étaient scellées sur ses beaux yeux vairon. Il sentit son coeur se serrer d'une douleur atroce.
    C'était impossible.
    Non.

    Elle ne pouvait pas être...


    "Winnie..."

    Morte.
    Le grand loup posa sa tête contre celle sans vie de sa compagne alors qu'un sanglot lui déchirait la gorge, secouait sa carcasse usée. Les larmes coulaient, brûlante, sur ses joues, venaient se mêler à son pelage et à celui de la louve.
    La vérité s'abattit comme un coup crocs sur sa nuque, déchira ses pensées, planta des griffes acérées jusqu'au plus profond de lui-même. Il lança un hurlement de détresse que personne n'entendrait jamais.

    Winnifred, sa douce Winnifred, était morte.

    Il fit quelques pas de côté et vint s'étendre tout contre elle. Posant sa tête sur celle de sa bien-aimée, il enfouit son museau dans ses cheveux, s'enivra une dernière fois de son parfum.

    I know not if fate would have us live as one
    Or if by love's blind chance we've been bound.
    The wish I whispered, when it all began,
    Did it forge a love you might never have found ?


    Il ferma les yeux. Il ne sentait plus le froid qui le mordait. Il ne sentait plus la faim, ni la soif qui le tiraillaient. Il n'y avait plus rien, rien qui vaille la peine d'y prêter la moindre attention.
    Sa vie avait été réduite à néant.
    Plus rien n'importait maintenant.
    Il voulut parler, mais ses babines engourdit refusèrent de bouger. Les choses allaient si vite.

    Je suis là Winnie. Je suis avec toi...

    Brusquement, ils n'étaient plus si vieux. Ils étaient encore jeunes et téméraires, deux corps enlacés au coeur d'une tempête de neige, loin d'ici, sur les terres Brethens. Il sentait contre lui battre le coeur de la louve crème, ses longs cheveux bouclés chatouiller son museau. Un sourire étirait ses babines claires. A cet instant il le savait, il le sentait. Il devait à jamais la protéger, veiller sur elle, perle de son existence.
    Une dernière fois, il s'endormit à ses côtés.

    Je suis là...
    Ne pars pas sans moi.
    ...
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