Patrouille étrange (Ft Geb et Justice)

Les muscles tendus du loup beige commençaient à peine à se délier, après son entraînement intensif du jour. Son corps vieillissant restait actif et s'accommodait encore assez bien des exercices réguliers visant à maintenir son niveau d'endurance à un seuil plus que respectable. Et puis, l'hybride au regard d'or avait toujours aimé repousser ses limites jusqu'à l'essoufflement, jusqu'à la crispation parfois douloureuse de ses membres, jusqu'à ce que son organisme au supplice, réclame un repos bien mérité. L'Epée siégeant au conseil fit rouler ses épaules et son cou tandis qu'il rentrait au campement paisiblement. Son poil le démangeait un peu et il se sentait collant à cause de la sueur. De plus il sentait la déshydratation lui faire de l'oeil alors il se promet de rejoindre un point d'eau rapidement après avoir saluer sa douce compagne. La tanière qu'il partageait avec Korra était vite. Il en fût déçu et se contenta d'humer son parfum qui flottait dans l'air avant de ressortir pour s'étirer encore. Tous leurs enfants étaient grands maintenant et les petits derniers vaquaient à leur propres occupations. Il ne restait dans cette petite grotte que la belle louve aux cheveux d'argent et le patriarche loup-crocodile. Thalion était un guerrier accompli et déterminé, Nott une soigneuse passionnée et pleine de compassion, Noé semblait s'épanouir de son côté ce qui ravissait vraiment Geb qui l'aimait comme s'il avait été son fils biologique, Sokaris prenait également la route qu'il avait lui même empruntée quand à Horus... Le jeune mâle qui ressemblait tant à sa mère s'était découvert un attrait prononcé pour la vie du Croque-mort dont il était l'apprenti. Si ce choix laissait le mâle perplexe, il était tout de même fier que son rejeton trouve sa propre voie. Quand à Séchat, sa nièce, elle se perdait chaque jour plus dans les méandres de l'Histoire de leur monde et ne quittait que très rarement la Bibliothèque. Il s'inquiètait pour elle, car il la découvrait chaque fois un peu plus maigre et échevelée. Il se promit qu'il irait la voir pour prendre des nouvelles bientôt.

Un sourire un peu nostalgique barra son museau alors qu'il se rappelait les heures de jeu avec les petits, les rires enfantins et leur innocence depuis longtemps envolée, lorsqu'une voix l'apostropha. Le disciple du Grizzli releva ses yeux étincelants vers celui qui venait à sa rencontre. Sly, fils de Dairo, loup gris massif mais discret, qu'il côtoyait maintenant depuis plusieurs années. Geb répondit au salut de son congénère avec respect. Il était un soldat Etelkru émérite devenu Epée comme lui, fidèle à son poste depuis au moins autant d'année que lui. Geb appréciait beaucoup ce loup sombre bien qu'il le trouva un peu distant, mais après tout, certains caractères étaient plus solitaires que d'autres ! Et hormis Athelstan, le beige à la queue reptilienne pleine d'écaille n'avait pas beaucoup d'amis encore de ce monde. Il eu une pensée triste pour Gran'Pa, puis pour Jagh qu'il avait côtoyé toute sa vie jusqu'à leurs fins respectives, arrivés bien trop soudainement et surtout, bien trop injustement. Un élan de colère pour tous ces solitaires brutaux et sanguinaires lui fit serrer les crocs. Puis il pensa à la jeune Joy, dont la vie avait basculé et qui avait découvert bien violemment que l'existence était loin d'être toujours heureuse et sereine. Elle était une Bouclier très prometteuse et méritante, malgré son âge encore jeune. Cela dit son aîné avait su témoigner d'un même aplomb très tôt quand à son rôle dans la meute. Geb acquiesça à la proposition de partir en patrouille avec son compagnon Epée. Faire le tour du territoire lui ferait le plus grand bien pour se changer les idées. A Joy aussi il rendrait une petite visite pour s'assurer qu'elle allait bien, ou du moins, mieux... Il se demanda s'il n'allait pas la chercher pour l'embarquer en patrouille aussi, mais l'impatience du disciple de la Renarde lui fit remarque cela à une autre fois. Dans un sourire entendu et ses pupilles s'étrécissant, le loup-gavial emboîta le pas à Sly vers les Dents de Roc. Il se permit juste en chemin de laper quelques gorgées d'eau fraîche au détour d'un ruisseau que la chaleur estivale n'avait pas assécher. Le trait glacé qui descendit jusqu'à son estomac lui fit le plus grand bien et il rattrapa son congénère rapidement.

Le pas mesuré des deux loups traversant la forêt était silencieux, si bien qu'il était rare d'entendre craqué une brindille ou qu'un froissement de feuille l'alerte de la présence de prédateurs en ces lieux. Geb était plutôt content d'avoir été convié à la patrouille du gris aux yeux vairons. Tout d'abord parce qu'il ne voyait pas ce qu'il aurait pu faire d'autre pour s'occuper et il avait l'inaction en horreur, et ensuite parce que l'Epée au glowstick orange avait un niveau équivalant au sien et au moins autant d'expérience. Il n'avait donc pas à commenter ou conseiller comme il le faisait parfois -souvent- avec un jeune loup ou avec ses enfants par habitude. La truffe proche du sol pour capter un maximum d'effluves de passage, il était concentré et fût surpris d'entendre la voix de l'autre Etelkru briser la quiétude de l'immense forêt de pins et de menhirs. Les oreilles du patriarche hybride se dressèrent vers Sly, tandis qu'il lui jeta un regard étonné. Un sourire amicale répondit d'abord à son initiative de bavardage pour l'encourager mais comme Geb était un loup plutôt jovial, il n'eut aucun mal à répondre avec franchise et bonne humeur rapidement.

" Et bien, mes deux plus jeunes fils me donnent quelques poils blancs je dois avouer. Ils ne suivent pas la même route que moi, leurs aspirations sont différentes et je m'interroge un peu. Le climat tendu entre les factions de ce monde n'arrangent rien... "

Geb s'arrêta, fixant son compagnon de patrouille de son regard de miel, pétillant soudain de malice.

" J'imagine que tu vie la même chose... ? "

Le disciple d'Aka se rendit compte que la question était peut-être indiscrète dans la mesure où son confrère n'avait jamais jugé bons de présenter ses louveteaux à la meute. Il se reprit, sourit et expliqua sur le ton de la confidence :

" J'ai senti leurs odeurs sur ton pelage une fois. Ne m'en veux pas ! "

Et il ne parlait pas de son enthousiasme récent qu'il n'avait jamais vu jusque là chez lui. Mine de rien l'hybride était très observateur, plus encore maintenant qu'on lui avait donné une place dans le Heaume. Il se voulait disponible pour tous, et de fait, il estimait devoir être à l'écoute et plus attentifs à ses congénères encore, qu'auparavant ! Rien chez le conseiller Epée n'indiquait qu'il désapprouvaient quoi que ce soit, au contraire, il adopta une attitude plus rassurante. Quels que soient les secrets du gris, ils étaient en sécurité avec Geb, d'autant plus qu'il était lui même père et que jamais il ne permettrait qu'on s'en prenne à des enfants à cause de leurs parents. Peu importaient les raisons de l'autre pour ne pas avoir divulgué l'existence de ses petits, elles étaient sûrement tout à fait logiques et compréhensibles. De plus le comportement de Sly n'avait pas sembler changer vis à vis de son allégeance aux Etelkrus, donc rien pour inquiéter le guerrier beige au regard d'or.

Le vent agitait doucement les branches maigres et cassantes des derniers arbustes qui parvenaient à étendre leurs racines à cette altitude, désséchées qu'elles étaient par un soleil qui ne les laissait presque jamais en paix et une arridité peu propice à une effusion de vie. Ici, malgré l'été qui diffusait toujours une agréable chaleur, la température n'atteignait jamais des pics faramineux.
Ceci dit, rien ne perturbait l'inlassable combat de deux fourmis, luisantes dans le soleil dont on sentait à peine la caresse malgré l'éclat éblouissant qu'il projetait à travers un ciel dans lequel aucun nuage ne semblait prêt à venir faire barrière aux rayons. Les deux petits insectes, mandibules entremêlées férocement, luttaient pour on ne sait quoi dans ce bout de terrain complètement désolé. Pas la moindre congénère en vue, ni la moindre ressource d'intérêt quelconque. Et pourtant cela faisait bien une demie-heure que Justice les observait ainsi s'acharner, intrigué et captivé par leur détermination sans faille à vouloir prendre le dessus alors que rien ne semblait annoncer un gagnant.

Le combat durait et durait et il se demandait s'il y aurait un gagnant un jour ou bien si toutes deux elles tomberaient d'épuisement. En tout cas, elles représentaient la seule animation de sa journée jusque-là. Lui d'habitude si actif dès l'aube, fermement résolu à explorer l'intégralité de ces Monts qu'il faisait sien territoire, avait pourtant passé sa matinée allongé dans son éphémère tanière, manquant ce matin-ci de l'énergie nécessaire pour mener à bien sa routine. Son sommeil était perturbé. Peu des nuits qu'il passait sur ces terres avaient été réparatrices, toujours parasitées qu'elles étaient de bribes de souvenirs troublés et incohérents. Il ne comprenait toujours pas sa situation, son réveil froid dans un ravin, la pesanteur de l'air qui avait changé d'odeur. Mais il avait tenté de classer l'affaire. De la ranger parmi les autres questions irrésolues qui s'entassaient à propos de son existence. Une de plus ne changerait pas grand chose.
Seulement, il avait fallu que cela revienne continuellement le tarauder même au plus profond de ses rêves.

Il soupira et finit par se lever de son trou improvisé, s'étirant méthodiquement, finalement lassé par cette lutte des deux êtres à six pattes qui s'éternisait. Il avait bien peur de ne jamais voir de vainqueur.
Levant le museau au vent, Justice huma l'air frais de ce début d'après-midi avec la désagréable sensation d'avoir perdu plusieurs heures utiles de la journée sans pour autant se sentir davantage en forme pour la suite de celle-ci. En tant que solitaire désormais, lui qui était son propre chef après toutes ces années de servitude n'était pas censé avoir le loisir de la grasse matinée. Si les loups de clan pouvaient se reposer sur les stocks de nourriture établis par d'autres, ce n'était pas son cas et il devait gagner sa pitance par l'usure de ses propres muscles. Un domaine dans lequel il n'était malheureusement pas maître. Il avait été entraîné pour combattre ses semblables. Il savait également survivre; car cela faisait partie de leur éducation dans le cas où une mission s'éterniserait hors de leurs frontières, mais on les avait majoritairement forcés à se contenter de carcasses et à s'adonner à des activités de charognard - voire même à d'autres pratiques inavouables que Justice préférait oublier.
Si une proie désirait le combattre, il était en mesure de l'abattre.

Malheureusement, la plupart des animaux qu'il pouvait prétendre vouloir manger préféraient utiliser leurs compétences à la fuite et à la course rapide que tenter de balancer leur graisse contre ses crocs.

Le ventre creux, le grand loup noir passa sa langue sur ses babines et entreprit de suivre le chemin qu'il avait parcouru la veille, reprenant sa route en longeant le même axe que précédemment. Pas de destination précise mais toujours le même désir d'avancer dans la découverte de ces terres.
Et ne surtout pas s'immobiliser.

Alors qu'il progressait en silence, seulement accompagné du piaillement des oiseaux qui profitaient de la fin de l'été pour se nourrir abondamment, une lueur attira son regard.
En contrebas, dans l'immense forêt qui se déroulait au pied des montagnes, un éclat rouge semblait lui parvenir faiblement, perçant la canopée verte et contrastant avec celle-ci. Plissant les yeux et vaguement intrigué, le mâle joua des muscles de son encolure pour trouver l'angle exact qui lui permettait de réellement voir cet effet incongru.
Il n'avait pas rêvé. Là, dissimulé parmi ces milliers d'arbres, quelque chose de rouge reluisait discrètement. Les oreilles dressées et sa curiosité piquée à vif, Justice réfléchit quelques instants. S'il allait voir, il dévierait de son objectif premier. Cependant, l'éclat rouge qui n'aurait pas du se trouver au milieu de ces bois denses avait suffisamment éveillé son excitation - ce qui arrivait rarement, après tout; car il passait souvent de longs jours sans croiser âme qui vive ni moindre stimulation - pour qu'il désire faire une entorse à son quotidien procédurier.

Ses pattes se mirent en route alors qu'il bifurquait brusquement sur sa droite, changeant radicalement de point cardinal pour orienter sa route. La pente était abrupte, mais il avait retrouvé une certaine souplesse dans ses articulations et suffisamment de sûreté dans ses membres pour s'y engager sereinement.
Plus il se rapprochait de la grande forêt, plus il remarquait que les arbres n'étaient pas les seuls à se dresser haut vers le ciel au pied des montagnes. De larges rocs interrompaient parfois la monotonie des pins immenses qui se serraient en rangs rapprochés, perçant d'une autre couleur bien moins vivante le tapis uniforme que formaient les épines des résineux.
Il avait perdu des yeux le mirage rouge, mais il avait survécu seul dans des terres hostiles et désolées de nombreux mois durant avant de rejoindre ce territoire riche en ressources diverses. Il saurait s'orienter une fois à l'intérieur des bois pour retrouver ce qu'il convoitait. Il avait beau ne pas exceller à la chasse, il était un bon traqueur.

•••

L'air de la forêt était étrangement lourd, pour un bois composé d'arbres si grands qu'ils en devenaient surnaturels.
Levant la tête vers les branches qui formaient une arche protectrice bien loin au-dessus de lui, Justice ne put qu'admirer l'impressionnante cathédrale de verdure ainsi formée naturellement par ces gigantesques allées d'arbres majestueusement dressés ayant résisté à toutes les affres du temps, et ce durant tous les apparents millénaires qu'il leur avait fallu pour atteindre cette taille. Et malgré l'espace dégagé créé par tant de verticalité, l'endroit n'en demeurait pas moins légèrement oppressant au vu du brouillard qui ne se détachait qu'à peine du sol humide et des troncs au diamètre impressionnant qui ne laissaient parfois que peu de place pour se frayer un chemin.

Justice lança un dernier regard au toît d'épines qui laissait à peine filtrer les rayons chauds du soleil puis se remit en route vers son objectif.

Il ne lui avait pas fallu longtemps pour repérer que l'air, en plus d'être chargé d'humidité et d'une myriade de saveurs apportées par la forêt, s'éteint également gorgé d'effluves bien moins réjouissantes. Les monts qu'il affectionnait tant semblaient être cerclés par les terres des meutes.
Il ne put empêcher le poil de son dos de se hérisser légèrement face à la réalisation que les clanistes de ces terres laissaient finalement bien peu de chances aux solitaires qu'il semblait tant crainde de voir envahir leurs terres de faire autrement. Toute zone un tant soit peu giboyeuse était saturée de leur odeur, ce qui le laissait avec peu de choix - pénétrer les frontières des terres marquées ou grapiller les restes sur les terres stériles qui étaient généreusement épargnées de toute convoitise. Il se rabattait généralement sur la première solution.
Il ne cherchait pas de conflit, mais Justice n'avait plus de frontières. Il n'avait pas quitté des galeries sombres et sans avenir pour retourner dépérir dans des terriers que d'autres lui aurait creusé. Après tout, il était déjà un peu mort quand il vivait là-bas - rien de ce qu'il rencontrerait ici ne s'apparentrait ne serait-ce qu'un peu à cet enfer.

Mais aujourd'hui, il ne cherchait pas à débusquer une quelconque proie malgré la sensation de vide qui serrait ses tripes. Seulement à révéler le mystère d'un scintillement couleur sang.
Il trottait légèrement entre les arbres, calibré sur la direction à suivre pour retrouver la provenance de la lueur, quand l'écho lointain de voix se rapprochant de lui interrompit sa quiétude.
Justice se figea pour écouter, la gueule entre-ouverte pour souffler silencieusement, l'oeil alerte et les oreilles pivotant pour capter le moindre son.

Deux individus. Sur la gauche. Quelques centaines de mètres.

Il eut le temps de se tapir dans la végétation dense d'un buisson épineux situé en hauteur d'un léger dénivelé, vestige d'un ancien glissement de terrain. D'ici il pouvait garder l'oeil sur plusieurs chemins en contrebas, de l'un desquels allait surgir les inconnus.
Ils finirent par apparaître de derrière l'un de ces grands rochers, la démarche assurée et experte, mais le pas assez détendu et l'esprit visiblement ailleurs. Les deux mâles étaient occupés à discuter, mais l'attention de Justice était davantage portée sur les tubes lumineux que chacun portait. L'un orange, l'autre rouge vif.

Rouge.

La réalisation lui tomba dessus si subitement qu'il en tomba presque de sa cachette. Rouge. L'un de leurs artefacts magiques était rouge. L'éclat qu'il avait vu était cependant bien trop puissant pour être vu de si loin et n'appartenait pas au petit tube de ce loup. Il devait y avoir une source. Et il était proche.
Il avait tant vu de comportements différents de la part des loups habitant sur cette terre qu'il n'en savait plus l'accueil qu'il devait escompter recevoir en tant qu'inconnu -et intrus, mais au risque de les vexer, la flamme de sa curiosité avait connu un regain. Il était souvent pris dans l'étau de ses émotions contradictoires, incapable de réagir à certains signaux qu'il n'avait jamais rencontré dans sa vie sociale primitive dans une vie trop proche, mais l'ambiguité était pour le moment effacée de ses pensées. Il voulait juste voir.

Il eut tout de même la décence d'attendre qu'ils s'éloignent en continuant leur route sur un chemin opposé au sien avant de bondir hors de son talus. Se souciant à peine qu'on le remarque, il s'ébroua et continua de trotter vers la source supposée de la magie rouge, brûlant d'envie de percer le secret de ces artefacts qui semblaient être la richesse convoitée des loups de ce continent.

Il se rendit compte que contrairement à ce qu'espéré, Sly ne fut pas plus à l'aise avec lui, au contraire. Sûrement inquiet que son secret soit découvert, se savoir ainsi exposé le rendit très nerveux. Pourquoi donc tenait-il a ce point à ne pas partager le bonheur d'être parent ? Geb fronça les sourcils. Même si la mère venait d'une autre meute, on ne contrôlait pas ses sentiments. Si Korra et lui avait dû séparé pour une raison ou une autre, il ne l'aurait pas moins aimé et aurait fait sa vie avec elle en dépit de tout le reste. Il imaginait bien cependant que cela devait être compliqué à gérer de ne pouvoir voir sa famille tous les jours, et en ça il plaignait le mâle gris à la crête colorée. Il laissa le silence s’installer entre eux alors que la tension grandissait. Il avait cru pouvoir se lier un peu mieux avec le disciple de le Renarde, et au lieu de ça, il avait fait tout l'inverse en lui provoquant des angoisses inutiles. Que pouvait-il bien penser à ce moment là ? Finalement, le beige décida de brisa la glace et reprit d'une voix douce :

« Excuse-moi, je ne voulais pas... »

Geb n'eut pas le temps de terminer sa phrase, son attention déjà focalisé sur autre chose. Ou plutôt quelqu'un d'autre. Sly s'était déjà retourné d'un bond et le membre du Conseil l'imita en apercevant la cible du gris. Une boule de feu surprit le vieux guerrier qui recula d'un pas, impressionné, avant de fixer toute son attention sur l'intrus qui avait bafoué les limites de leurs territoires. Encore un. A croire que tous croyait les terres Etelkrus ouvertes au grand public ! On était pas sur un circuit touristique bons Dieux ! Dans un grondement rauque, le disciple d'Aka avança vers le mâle noir. C'était à priori un jeune, dont les cicatrices laissait présager qu'il était bagarreur. Aucune marque visible d’appartenance à un groupe connu. Puis les longues griffes d'argent attirèrent les prunelles dorés du loup à la queue reptilienne et il se rembrunit plus encore, dévoilant ses crocs face à un potentiel ennemi. Le poil gonflé, la tête et la queue haute, le loup beige s'imposait, menaçant. Ses yeux aux pupilles fendues sondèrent le regard étrange du loup a priori solitaire.

« Qui es tu, et pourquoi n'as tu pas respecté nos frontières ? »

Un ton autoritaire qui n'admettrait aucune autre réponse que celle attendue. Geb en avait plus qu'assez de ces parias croyants qu'ils étaient libres de faire tout ce qu'ils voulaient en territoires conquis. Pire, tous ceux qui estimaient avoir le droit de commettre leurs méfaits ici et contre eux !

Il entendit d'abord un grondement, puis il sentit un souffle de chaleur le frôler avant même d'avoir le temps de se retourner.

Il se plaqua instinctivement au sol en sentant le danger arriver vers lui à toute vitesse, mais jamais il n'aurait cru être confronté à ça.. C'était une véritable boule de feu qui venait juste de s'écraser contre un tronc d'arbre, faisant voler des bouts d'écorce enflammés lors de l'impact. Les yeux de Justice s'écarquillèrent légèrement dans un mélange de surprise et d'hébètement, se demandant un instant s'il ne venait pas tout juste d'imaginer ce qu'il venait de se passer malgré la sensation bien réelle de brûlure passagère qu'il avait ressenti. Mais les étincelles ne semblaient pas mentir, ni l'odeur de brûlé qui emplissait ses narines.

Il se retourna vivement vers l'origine de cette magie destructrice, et ne put que constater que les deux loups de clan l'avait manifestement repéré -forcément. Le duo s'avançait lentement vers lui, crocs découverts, fourrure gonflée, yeux étincelants et posture menaçante au cas où l'idée de leur bondir dessus lui viendrait.
Puis son regard fut rapidement attiré vers l'un des tubes lumineux qu'il les avait vu porter. Celui à la crête multicolore et à l'artefact orange. Il brillait intensément.

Justice ne put empêcher un léger sourire de fleurir sur ses babines, les yeux pétillants. C'était donc vrai. La magie était réelle. Et l'avertissement brûlant qui lui avait été destiné le confirmait.
C'est d'ailleurs le mâle brun qui avait déchaîné ses pouvoirs qui lui adressa la parole en premier, grondant dans sa direction.

— Montre toi étranger !

Le mâle plus clair ne fut pas long à renchérir d'un ton pareillement accueillant.

— Qui es-tu, et pourquoi n'as-tu pas respecté nos frontières ?

Il ne bougea pas immédiatement, restant couché au sol, ses yeux cerclés d'orange passant rapidement et sans gêne sur le corps de chacun de ces nouveaux individus. Les deux mâles étaient d'âge et de carrure similaire, adoptant la même posture face à lui, probablement des habitués à la patrouille de leur territoire. Il s'arrêta légèrement plus longtemps sur les yeux reptiliens du loup à la crête blanche. Ce détail et l'apparence globale de l'énergumène lui rappelaient ce jeune à peine sorti de l'adolescence croisé au détour d'un ruisseau.
Mais celui-ci était plus massif, et il avait aussi une queue de crocodile. Pourquoi pas.
Justice finit par se relever doucement, s'extirpant des feuilles et des bruyères sans faire de mouvement brusque pour finalement s'asseoir face à eux, les oreilles droites et le visage neutre. Mais il ne pouvait empêcher ses pupilles de filer de temps en temps vers les contenants magiques suspendus à leurs propriétaires.

Il ne les convoitait pas, non. Pas plus aujourd'hui que lorsque sa rencontre qui lui paraissait si lointaine avec une autre louve de clan, beige également, qui avait été la première à lui faire remarquer la présence des petits artifices. Il n'y avait pas réellement cru, dès lors.
Maintenant, il n'avait pas le choix de se plier à l'évidence. Mais cela ne faisait que raviver sa curiosité sur la source qui pouvait être à l'origine de telles aptitudes qu'il n'avait jamais vu encore. Et la lueur rouge qu'il avait vu transpercer le toit protecteur de la forêt fournirait certainement un élément de réponse, à condition qu'il puisse s'en approcher.

Si les pouvoirs que ce liquide fluorescent conférait étaient réellement si puissants que ce qu'il avait cru constater à l'instant même, cela ne l'étonnait finalement pas tant que ça que ces loups de meute semblent si prompts à les protéger jalousement.

Il passa sa langue sur ses babines, lorgnant en direction du mâle brun qui lui avait destiné le projectile enflammé.

— Une lumière rouge m'a attiré.

Ses propres paroles lui semblaient insatisfaites lorsqu'il les entendait retomber dans ses tympans. Malheureusement, Justice n'avait pas eu l'honneur de se voir donner des atouts pour devenir un grand orateur.
Au moins ne tentait-il pas de mentir -et il espérait également que son attitude non agressive en leur égard jouerait en sa faveur. Il comptait bien aller voir de plus près ce qui semblait être le secret le plus précieux et le mieux gardé de ces terres.

Et sous son apparence détendue les muscles aguerris et tendus pulsaient d'une énergie prête à faire face à toute éventualité.

Un sourire narquois étira les babines du loup-crocodile alors que son congénère Epée répondait du tac-au-tac à l'ennemi. Il n'aurait pas mieux dit lui-même. Peut-être l'aurait-il qualifier de papillon de nuit au passage, bien qu'il n'ai en rien la beauté énigmatique d'un quelconque lépidoptère attiré par une lumière. Il supposa donc le trépasseur comme soit complètement idiot à laisser sa curiosité l'emporter sur la sécurité en pénétrant un territoire clairement marqué, soit suicidaire pour se moquer des Etelkrus déjà bien à crans. Geb observa l'individu au pelage court et sombre, détaillant rapidement le genre de loup face à lui. Imprudent ou cachant bien son jeu, le mâle beige ne laisserait passer aucun geste suspect. Ses pupilles fendues s'étrécirent en une très fine ligne verticale. Il remarqua l’intérêt brillant dans le regard sombre de leur ennemi mais ne sembla y déceler de convoitise. Aka, pourquoi as-tu fait venir ce loup en tes terres ? Un peu plus réfléchi et posé, sans doute sa grande expérience de la vie et des conflits le lui avaient appris, l'hybride aux cheveux blancs s'assit dans une position assuré et pleine de confiance. Montrant bien qu'ici, ils étaient chez les Etelkrus, et donc chez eux, et que la venue intempestive de ce jeune loup fuselé pour le combat ne l’impressionnait pas le moins du monde. Et puis Sly s'occupait de lui couper toute retraite, dans l'hypothèse où il en ferait un prisonnier. Après tout, s'il se débattait, un solitaire de moins ne saurait être une grande perte...

« Aurais-tu reçu l'appel de notre Seigneur Grizzli ? »

Geb haussa un sourcil en lançant sa pique, goguenard. Il jeta un regard en biais à son ami disciple de Dairo et focalisa son attention toute entière sur l'ennemi.

« Nous avons une place toute réservée pour les curieux comme toi. »

Lâcha le guerrier beige en retrouvant son sérieux, et une pointe de hargne dans la voix. Il aurait pu finir sa phrase par une belle référence aux enfers, mais sa conscience et sa compassion luttait encore avec assez de force pour qu'il ne cède pas à la totale violence qui brûlait dans ses tripes. Geb était encore un sage parmi les colériques. Peut-être plus pour longtemps, mais pour l'instant il tenait encore ses émotions virulentes sous clefs bien gardées. Il chassa donc l'idée d'égorger le solitaire, pour plutôt le ramener aux Alphas et le laisser croupir, sans ses crocs, dans une cellule froide et humide. Peut-être sans les griffes aussi pour celui-là, car il le sentait clairement plus malin et dangereux que le prisonnier qu'ils avaient déjà et qui s'était bêtement laissé aller à une vengeance possiblement méritée. Bon lui n'avait a priori rien fait -encore-, mais Geb n'était plus au point où les parias méritaient encore un quelconque procès. Il avait passés les frontières, par négligence ou non, peu lui importait. Il était un Hors-la-loi. Il n'en fallait pas plus au loup crocodile.

Si l'impatience de Geb rejoignait tout doucement celle de son comparse de patrouille quand à l'attitude trop détendu de l'intrus, il lui était difficile de rester mesquin face à un loup qui semblait si calme. L'Hybride fronça le museau, mécontent. Il était bien évidemment partagé entre son devoir pur et simple envers la meute de faire prisonnier ce solitaire sans autre somation, puisque tels étaient les lois désormais, et la compassion de son âme qui cherchait encore à différencier les bons solitaires des mauvais. Celui-là n'avait pas l'air d'être un mauvais bougre. Là était le problème. Ce n'était peut-être qu'une façade, un masque, un rôle trop bien joué de pauvre curieux qui se trouvait là au mauvais moment. Hors s'il y avait bien une chose qui avait jusqu'ici toujours dirigé les actes du vieux guerrier, c'était une espèce de moralité aussi équitable que possible inculquée par ses parents, tous deux solitaires une partie de leur vie. Et puis, sa nièce préférait aussi vivre de son côté, à la Bibliothèque et refusait de s'affilier à leur clan... D'un autre côté, à bien observer ce mâle au corps fuselé, musclé mais sec, à son attirail léger d'accessoires et aux griffes probablement meurtrière, il ne pouvait le catégoriser comme innocent ou faible.

« Nombre de solitaires comme toi nous ont prouvé qu'on ne pouvait offrir notre confiance. Pourquoi te répondrais-je ? »

Grinça Geb, ses prunelles de miel scintillantes de suspicion. Dans le même temps il se redressa et suivit le mouvement de son congénère de meute en indiquant de la patte le chemin le plus directe vers la frontière à l'intrus. Ils allaient le reconduire docilement à la frontière, puisqu'il n'était pas menaçant envers eux, et s'assurer qu'il ne revienne pas de sitôt, ou, s'il insistait trop, Sly et lui se feraient un malin plaisir de lui faire visiter les boyaux humides du Grand Castel.

« Alors ? Tu rentre chez toi ou tu veux être nourri au frais de la princesse ? »

Il n'y avait plus ni moqueries, ni mesquineries dans ses paroles. Juste un dernier avertissement. Jusque là ils avaient été patients et calmes, que ce paria n'en abusent pas non plus. Il pouvait s'estimer très heureux d'avoir encore ses deux oreilles et aucunes marques de crocs supplémentaires sur le corps pour avoir dépassé les limites. Ils avaient été plus qu’accueillants donc, techniquement, ils ne faussaient pas le souvenir de leur non-invité. D'ailleurs... Comment pouvait-il avoir un souvenir de leur meute ? Il n'était pas si vieux et cela faisait des années maintenant que les Etelkrus chassaient les solitaires... Qui donc avait-il pu croiser de trop sympa ? Y avait-il des traîtres dans leur rang ?

« Tu as déjà rencontré des nôtres ? »

Reprit le membre du conseil, la voix plus rauque. Ça ne lui plaisait pas et il supposait que la réponse seraient encore moins agréable à connaître.

Ce fut encore une fois le mâle brun qui fut le plus prompt à répondre, se rapprochant encore de lui. Sa tête légèrement inclinée lui permit de lorgner discrètement ses actions, un fourmillement parcourant sa colonne vertébrale à cause de la présence un peu trop proche du mâle à la crête multicolore. Son instinct lui soufflait de se retourner et de claquer des crocs pour l’éloigner, mais il était suffisamment lucide et pas assez en colère pour savoir que cela le mènerait à de gros ennuis. S’il parvenait pour le moment à les maintenir calmes et à distance sans trop de difficulté, il sentait que son temps serait bientôt compté. Les deux gardes brûlaient de mettre une conclusion à cette rencontre, et elle serait plus ou moins pacifique selon ses réactions.
Le ton employé par le mâle porteur de l’artefact de feu était d’ailleurs sans appel.

— On ne reçoit l'appel de personne. Alors maintenant, soit gentil, et va t'en ou tu vas te retrouver en cellule.

Et il lui asséna un coup de museau pressant qui le fit frémir d’impatience, incommodé par la proximité bien trop importante de ce loup. Son regard devint un instant plus sombre, se verrouillant sur le loup brun. Il pouvait sentir sa propre patience s’amincir de seconde en seconde. Le mâle reptilien prit la parole à son tour, expliquant à demi-mots la raison de leur méfiance qui tendait plutôt à l’agressivité. Ainsi, voguer sans clan n’était pas recommandable et attirait des foudres de la part des meutes.
Justice se mit sur ses pattes, quittant sa position assise et faisant un pas de côté pour cette fois faire face aux deux individus à la fois, mettant un peu de distance avec ce mâle brun pour le garder à l’oeil et tournant dos à la forêt. Les yeux dorés de l’autre guerrier ne le lâchaient pas non plus au moment où il lui mit à son tour un ultimatum.

— Alors ? Tu rentres chez toi ou tu veux être nourri aux frais de la princesse ?

Justice resta un instant immobile, ses yeux crépusculaires passant de l’un à l’autre. Il lui paraissait délicat désormais de réussir à étendre davantage sa présence en ces lieux proscrits. Il lui faudrait renoncer pour cette fois à sa quête de découverte, malgré l’appel des bois épais qui s’étendaient encore profondément dans son dos, menant à un moment ou un autre à cette source de magie et de mystères.
Tant pis. Il lui faudrait être plus discret lors de sa prochaine visite.
Le solitaire étira ses membres antérieurs avec application et sans précipitation, se préparant à se mettre en route. Dans la direction de laquelle il venait, prêt à retrouver ses montagnes depuis lesquelles il reprendrait son point de vue contemplatif des terres environnantes. Avant ça, la voix de l’hybride reptilien résonna à nouveau, légèrement suspicieuse.

— Tu as déjà rencontré des nôtres ?

Un léger sourire amusé étira ses lèvres noires. A l’ombre qui était passée dans son regard clair et au ton de sa voix, cette information ne plaisait pas au vétéran qui n’approuvait visiblement pas qu’il n’eût pas été chassé immédiatement. Les pensées de Justice voguèrent un instant vers les souvenirs voilés de ce vieux loup brun bavard, puis sur la louve beige taciturne, et enfin revinrent sur sa rencontre plus récente avec le jeune Horus qui lui avait fait longer leurs frontières. Tous trois des loups de clan qui n’avaient pas tenté de le chasser de leurs terres. Il ne pouvait être complètement certain de leur appartenance au même clan, à l’exception de Horus, qui était d’ailleurs très probablement affilié au guerrier reptilien qui lui faisait face de son air sévère.
Si une légère envie de semer le trouble dans leurs rangs en distillant des informations plus ou moins claires le titilla un instant, sa gratitude envers ces individus qui n’avaient pas eu pour ambition première de lui pourrir la vie prit rapidement le dessus. Il ne souhaitait pas leur attirer d’ennuis. Ce ne serait pas juste. Il ne voyait aucune raison non plus de distiller des informations à ces deux énergumènes.
Après tout, lui n’avait pu obtenir le savoir qu’il était venu chercher.

Justice fit deux pas en avant, d’une foulée lente et précise, jusqu’à arriver au même niveau que les deux mâles. Il marqua une pause, tournant la tête vers le fameux Geb, prenant un peu de temps pour détailler les traits de son visage.
Puis il lui répondit en prenant un air faussement pensif, l’une des commissures de ses lèvres relevée en un sourire asymétrique.

— Oh... Je n’ai pas très bonne mémoire. Ils pourraient appartenir à une autre meute.

Sa phrase à peine conclue il détourna les yeux, les rivant sur le chemin qu’il avait pris pour parvenir jusqu’ici. Il reprit sa foulée d’un pas tranquille, prenant le risque d’avancer en laissant les deux guerriers dans son dos. Ses oreilles, elles, restaient à l’affut du moindre mouvement brusque de leur part au cas où ils décideraient de ne pas s’en tenir à leur parole pour lui fondre dessus.
Plusieurs mètres furent parcourus dans le calme quand il fit une brusque halte, trébuchant presque sur ses longues griffes. Quelque chose venait de changer si vite qu’il n’eut même pas le temps d'analyser ce qui lui arrivait. Le souffle court et le coeur battant, il tourna la tête en plusieurs directions, oreilles dressées, cherchant à observer le monde autour de lui qui lui paraissait soudainement différent, oubliant temporairement les deux loups derrière lui et clignant des yeux plusieurs fois pour chasser le flou qui les voilait.

Mais ça ne partait pas.

Il mit le doigt sur ce qui avait perturbé sa progression, mais il n’en fut que plus confus. Autour de lui, la forêt ne se résumait plus qu'à des tâches de couleur se confondant les unes entre les autres. Que lui arrivait-il ? Bien sûr, c’était le meilleur moment pour qu’un problème oculaire soudain lui tombe dessus. Cela allait être tout de suite moins pratique et moins rapide pour remonter le long du chemin qu’il avait emprunté pour arriver, et il s’imaginait déjà ses deux gardes du corps s’impatienter devant ce nouveau contretemps.
A moins que...
Une réalisation soudaine fleurit dans son coeur, figeant ses mouvements.
Le brun porteur d’orange était capable de cracher du feu, il l’avait vu et subi. Mais le beige et son artefact rouge... Il n’avait aucune idée de sa faculté.
Un frisson électrique le parcourut, remontant de la base de sa queue jusqu’à sa nuque et hérissant son poil au passage. Essayait-il de se payer sa tête en s’amusant à tester les capacités magiques de sa relique sur lui au moment où il s’apprêtait à leur fausser compagnie après y avoir été si poliment invité ?
Cherchaient-ils à finalement engager une confrontation qu’ils avaient feint de lui éviter ?
Un bourdonnement sourd de colère et d’incompréhension vint parasiter ses oreilles et il garda son corps ancré fermement dans le sol, tournant seulement son encolure vers l’arrière pour poser un regard noir sur la forme floue et claire qu’il considéra être celle du beige reptilien. Sa queue se dressa et fouailla l’air lentement, trahissant son agacement. Une de ses babines se souleva pour dévoiler une canine quand s’éleva sa voix grondante.

— Inutile d’user de ton pouvoir sur moi, Geb. J’étais déjà en train de partir.

A moins que tu ne souhaites m’inviter à rester plus longtemps à vos côtés en m’ôtant la vue ?
Il resta immobile et à l’affût, les muscles tendus, attendant la réaction des loups de clan avec cette fois plus de tension. Il n’aurait pas pensé à un tel revirement de situation de leur part. Alors il pouvait probablement s’attendre à tout, désormais.

Son coeur battait un peu plus fort dans sa cage thoracique, maintenant. Et une partie des battements était motivée par la peur qui s’était lentement insinuée en lui, diffusant une angoisse dans ses pensées.
Et si les dommages subis étaient permanents ? Venait-il de le condamner à ne plus voir nettement le monde qui l’entourait sur une simple saute d’humeur avec son précieux artefact ?

Si tel était le cas, il faisait donc partie des loups de ces terres qui ne valaient pas mieux que ceux peuplant son pays natal.
Et il serait donc apte à recevoir le même traitement.

Bien sûr. Le solitaire revenait sur ses paroles, comme une infirmation qu'il ne souhaitait pas livrer après pourtant l'avoir a demi offerte. Vil paria. Fourbe loup ne sachant vivre en communauté. Ce fût la parole qui fit déborder le vase de la patience du guerrier qui, à son tour, laissa son corps parler pour lui et montrer son agacement. Sa longue queue reptilienne claqua contre sa cuisse tandis que ses oreilles s'abaissaient. Heureusement le noir se décida enfin à rebrousser chemin pour que la patrouille puisse le raccompagner plus ou moins gentiment jusqu'à la frontière. Ils avaient été déjà bien assez cléments pour ce loup trépassant les limites sans remords. Peu importait qu'il ai été attiré ici par Aka en personne ou non. Si tel avait été le cas, la divinité aurait tracé un passage pour ce loup jusqu'à son temple, où leur aurait envoyé un signe quelconque pour qu'il soit laissé tranquille. Ce qui n'était pas le cas. Donc, rejeté à la frontière et on n'en parlerais plus. Geb était déjà démanger par le fait de l'attraper et de le jeter en cellule, alors il avait intérêt à mesurer sa chance cette andouille. Sauf que son comportement, comme attendu, ne fût pas de courir quitter le territoire Etelkru. Il fallu qu'il fasse encore des sienne, leur faisant perdre encore un peu plus de temps alors qu'ils étaient en si bon chemin de ne plus voir sa belle gueule rayée. Le membre du conseil soupira fortement en observant, tendu, le manège erratique du solitaire. Son échine se dressa en réponse à l'attitude de Sly et du noir. Que se passait-il bon sang ?

C'est une franche surprise qui agita les oreilles du beige, qui se redressa presque offusqué.

« Mon pouvoir ? »

Voilà des années qu'il n'avait joué avec ce dernier, n'usant de la capacité offerte par le Grizzli que très rarement depuis qu'il était devenu un guerrier émérite et expérimenté. A vrai dire, depuis la disparition de sa première soeur. Les trois pouvoirs des loups composant sa portée, ses deux soeurs et lui donc, fonctionnaient ensemble. Hors depuis la mort de la première, il n'avait pas vraiment souvenir d'avoir à nouveau utiliser son pouvoir. Que croyait-on ce solitaire ? Geb était, de plus, loup de parole, pourquoi infliger quoi que ce soit de plus à ce paria, qui s'en allait sans trop faire d'histoires ? Pour qui les prenaient-ils ?

« Nous n'avons pas plus de temps à perdre avec toi, cesse ton cinéma et va t-en. On a été trop patients déjà. »

Commença à gronder le loup beige. Il n'appréciait pas d'être ainsi remis en cause malgré l'évidente compassion qu'ils avaient eu jusque là. Certains Etelkrus étaient bien plus zélés qu'eux, comme Joy et Lymphalème, qui eux apportaient des solitaires a tour de pattes sans réfléchir.

Un crépitement, suivi d’une onde de chaleur et d’une nouvelle explosion de feu non loin de lui. Son corps tressauta, mais il ne fit pas d’embardée, maintenant sa posture droite sans céder du terrain. En concert, les grondements des deux guerriers répondirent au sien, et la situation toute entière risquait de s’embraser comme l’écorce derrière lui qui diffusait un parfum âcre de bois brûlé. Ses yeux essayaient de se fixer sur les adversaires, mais le monde restait flou et imprécis.
S’il n’avait pas tant été en position de faiblesse, il ne pouvait garantir qu’il n’aurait pas cédé à l’injonction de ses muscles à vouloir violemment les repousser loin de lui.

Il reconnut la voix bourrue du brun qui lui lançait un ultimatum vocal après l’avoir menacé de son feu, suivie peu de temps après par celle du guerrier reptilien dont il avait soupçonné l’implication dans ce retournement de situation peu agréable. Il y avait dans son ton, agacé et las, des notes de sincérité qui firent s’agiter les oreilles de Justice. Devait-il le croire ?
Avait-il le choix ?
Ses options semblaient limitées. Ne pas céder du terrain et les confronter ne se présentait pas sous un jour radieux. Le croire malgré l’évidence lui paraissait difficile à accepter. Il n’y avait pas grand)-chose chez eux auquel il avait envie de se fier à l’aveugle.
Ses doigts se contractèrent, les griffes d’argent s’enfoncèrent dans le sol tourbeux de la forêt sous la pression à mesure que des secondes s’égrainaient et s’étiraient, des secondes qui étaient comptées à mesure que chaque instant supplémentaire passé auprès d’eux épuisait le sablier de la patience des trois individus. Bientôt, ils ne seraient plus qu’une mêlée de corps s’abattant violemment les uns contre les autres en un tableau baroque et torturé.
Mais la tension fut relâchée par l’heureux hasard qui mit fin à sa plus grande inquiétude. Ce qui l’empêchait de leur faire confiance, c’était la peur d’avoir à jamais perdu la vue. Il n’aurait jamais pu leur tourner le dos sans davantage de cérémonie s’il y avait eu la possibilité que ce dommage soit permanent.
Mais dans les allers-retours qu’avaient fait son regard suspicieux de l’une à l’autre des formes floues, passant d’une tâche plus claire à une tâche plus foncée, les détails peu à peu s’étaient précisés de nouveau et il lui semblait qu’à chaque battement de paupières il recouvrait un peu plus de formes et de couleurs. Les battements enragés de son coeur se calmèrent.

Bientôt, il put à nouveau les distinguer suffisamment bien pour voir leurs regards courroucés et leur attitude menaçante, le crépitement lumineux de l’artefact orange de l’un, le calme plat de celui, jaune, de l’autre.
Peut-être avait-il dit vrai, alors.
Une longue expiration s’échappa de son corps tendu. Ce n’était pas encore parfait, mais il avait désormais bon espoir de retrouver sa vision en parfait état d’ici quelques minutes. Il n’avait plus aucune raison de tenir compagnie à ces individus.

Son corps remua légèrement, passant son poids d’une patte sur l’autre à mesure qu’il jetait d’ultimes coups d’oeil aux deux loups de clan, un éclat froid dans ses yeux bicolores. Sa langue remua quelques fois contre la cage formée par ses crocs, à la recherche de quelques mots à lâcher en guise d’adieu, mais il ne trouva rien à formuler à leur égard —pas même de la haine. Une simple irritation finalement plutôt neutre pour lui dans le spectre large d’émotions brutes qu’il pouvait ressentir.
C’est donc sans un mot supplémentaire qu’il se retourna lentement, n’ayant pas pour intention de partir précipitamment comme le ferait un coupable ou un fautif. Justice n’avait rien à se reprocher, et ils ne l’impressionnaient pas, même avec leurs boules de feu et leurs attributs reptiliens.
Il ne jeta pas un regard en arrière quand il se mit à trottiner à foulées mesurées, accélérant ensuite pour remonter la route par laquelle il était venue, bondissant souplement dans les fourrées pour regagner les montagnes.

[Finito pour moi !]