Voyage d'affaire ○ Justice

Horus ; 4 ans
F A E I

Le soleil était couchant, la température encore bien trop élevée. Horus mourait de chaud, mais il savait que ça ne durerait pas et, pour une fois il était très content d'avoir sur la truffe ces lunettes de soleil jaune un peu ridicule et très flashy offertes par l'Anaconda. Il n'avait pas encore découvert tout ce que son pouvoir lui permettait de faire, mais il supposait que les binocles n'étaient pas indemnes de magie. En attendant, elle étaient bien utiles pour préserver ses yeux claires de l'astre diurne. Peu à peu la lumière déclinait, et il n'en eut plus besoin. Il les plia soigneusement et les coinça dans son collier, à côté du bouquet de fleurs sauvages. Autour de lui, les dunes argentées semblaient flamboyer sous les rayons rasant du soleil, le spectacle était plutôt sympa à observer. L'élève du Croquemort prit quelques minutes à contempler l'instant. S'il y avait bien une chose à retenir de l'éducation de ses parents, c'était qu'il fallait profiter de chaque moment pleinement, car on ne pouvait deviner ce qu'apporterait le suivant. Un fin sourire s'étira sur ses babines, la peine s'estompait avec les lunes, bien que le manque reste constant. Il aurait tant voulu revoir le sourire de sa mère ou le regard rieur de son père. Il aurait tant voulu combler le vide dans sa poitrine. Il y avait eu un instant, assez court, où il avait réalisé que la présence d'Eva, ayant vécu les mêmes évènements que lui, comblait ce sentiment de manque. Chose étrange, car il n'avait pour elle d'affection particulière. Elle était gentille, sympathique bien sûr, mais rien de plus.

Horus soupira doucement et se remit en marche. On lui avait fait une demande particulière la veille. Enfin, à Clou plutôt, car c'était lui qui gérait le cimetière et ses habitants, mais il s'était proposé de remplir la mission afin d'éviter au vieux loup un voyage épuisant. Il s'agissait de trouver un certain cristal afin d'en parer la stèle du défunt. Le loup avait insisté lourdement, voulant de cet ornement pour la tombe de sa mère, adoratrice de bijoux et autres atouts brillants. Cela avait fait sourire Horus, plus tard, une fois le ' client ' reparti. Il s'était donc mis en route vers le lieu où on disait pouvoir trouvé ce genre de pierre semi-précieuses sans difficultés : l'Oasis Lithique. Il lui avait fallu plusieurs heures bien sûr, de marche à travers le désert, en gardant en ligne de mire les montagnes afin de ne pas se perdre. En suivant un tracé sur une carte empruntée à la Bibliothèque, il avait fini par tomber au bonne endroit. La nuit étant bien trop fraîche dans le désert, et re-voyager de nuit lui semblant compliqué, il décida de camper là et de repartir au petit matin lorsqu'il ferait encore frais. Sa gourde était de toute façon vide, il lui fallait donc de l'eau avant le retour. La nuit était presque totalement tombée lorsqu'il atteignit la lisière de l'Oasis. Il restait juste assez de lumière pour observer quelques cristaux, et, heureusement, une petite étendue d'eau qu'il espéra potable ! Ni une, ni deux, il s'empressa d'aller le vérifier. Effectivement l'eau était limpide et consommable. Une chance ! Il remplit son petit réservoir en cuir et observa un peu les alentour, espérant trouver facilement la pierre de la couleur désirée.

L'après-midi déclinait déjà quand ses pas l'avaient mené au bas des montagnes, guidés par cette sensation tannante lovée dans ses entrailles.
Il y avait l'un d'entre Eux qui habitait dans le désert, il en était presque certain. Les montagnes étaient vastes et il s'attardait rarement en un seul point. Mais chaque fois qu'il repassait non loin de ce désert d'argent, l'un des Liens s'agitait et remuait, comme un long serpent qu'il aurait avalé mais toujours pas digéré. Il faisait de son mieux pour l'ignorer la plupart du temps et apprendre à en dompter les injonctions. Il ne voulait pas que sa vie se résume à courir après des fantômes, quand bien même il savait désormais ce qu'il était censé trouver à chaque fois qu'il suivait l'une de ces pistes. Au fond, il y avait toujours une forme de doute - tomberait-il un jour non sur un des survivants de ces évènements, mais sur une de ces brèches rouges ouvertes dans les airs, donnant droit vers le monde à l'envers ?

Il préférait ne plus y penser. Avec un peu de chance, tout cela avait rejoint la pile d'éléments passés qu'il laisserait derrière lui - à l'exception des quelques séquelles plus ou moins étranges qu'il en gardait, donc, la plus gênante restant ce fameux serpent qui se tortillait dans son ventre par moments.
Au final, il avait fini par être curieux de cette présence plutôt fixe vers le désert, lieu supposé être peu propice à la vie, et il avait commencé à essayer de dresser le portrait mental de l'habitant qu'il pourrait y trouver. Voire même si l'un des visages de ceux qui avaient été avec lui dans cette épreuve pouvait coller.
Et l'un de ces visages revenait plus fréquemment que les autres ; noir, hirsute et aux yeux jaunes.

Il était temps de voir s'il avait vu juste, en cette énième journée durant laquelle sa route avait longé de nouveau le désert par les hauteurs, nimbée d'un nuage de brume.
Plus il s'en approchait, plus il sentait la chaleur irradier, malgré l'hiver qui s'éloignait à peine, la nuit qui ne tarderait pas à tomber et la distance qui le séparait encore des dunes. La situation ne s'améliora pas lorsqu'il commença à s'y enfoncer mais il accueillait tout de même les ondes de chaleur avec un certain plaisir -après tout, son pelage avait toujours fait de lui un être plus adapté à la chaleur étouffante qu'au froid mordant qui s'était abattu sur le continent.
Désormais que ses pattes foulaient le sable aux reflets de lune il avançait tout droit, ses yeux soulignant les courbes des dunes, seuls repères dans cet espace qui de cette perspective semblait s'étendre à l'infini. Il ne réfléchissait pas, pour une fois, et laissait son esprit au repos. Il ne se laissait guider que par ce ressenti ventral.
Qui venait juste de se dissiper, soudainement. Perplexe, le solitaire fit une halte, humant l'air autour de lui. Habituellement le Lien se raffermissait lorsqu'il approchait du but, il ne s'envolait pas comme il venait tout juste de le faire. Comme s'il avait poursuivi une chimère.

Il grinça des dents, agacé. Où aller, désormais ?

Il s'apprêta à rebrousser chemin après un soupir quand un nouveau chatouillement l'immobilisa à nouveau. Voilà que la sensation était de retour... Mais différente. L'axe était différent, et soudainement bien plus proche - bien plus ferme que l'autre Lien qui peu à peu s'était dissipé comme s'il était sur les traces d'un spectre s'amusant à s'éloigner.
Sans hésiter cette fois, il gravit la dune la plus proche, suivant sans détour la direction qui lui était soufflée.

Pour voir, une fois le sommet atteint, une silhouette beige plutôt familière. Justice pencha la tête, intrigué, détaillant le loup qui avait atteint le bord d'une petite étendue d'eau qu'il n'aurait pas espéré trouver en plein milieu du Désert -mais qui était bienvenue. Pelage crème, crête blanche... C'était bien lui. L'adolescent effrayé et taquin qu'il avait croisé dans les montagnes par des temps bien plus chauds, dans un souvenir qui semblait dater de si longtemps... Il avait bien grandi. Enfin, il ne s'était pas réellement épaissi, mais il semblait avoir pris du galon.

Un léger sourire étira ses lèvres noir. Il était curieux de savoir ce que les années avaient changé chez le jeune espiègle et quelque peu... Collant, mais serviable. Une rareté dans son clan.
Et surtout, il y avait ce Lien qui faisait remonter des souvenirs à la surface. Celui de Geb déboulant sur la plage, furieux et inquiet, à la recherche de son fils disparu. C'était visiblement avéré ; Horus avait fait un tour dans le Monde Rouge. Silencieusement il descendit la dune en direction du loup beige, ses pas s'imprimant sans bruit sur le sable d'argent miroitant encore faiblement sous les dernières lueurs du jour, jusqu'à apparaître dans le dos de l'Etelkru, s'arrêtant à quelques mètres de lui.

— Alors c'était vrai. Toi aussi tu as vu le Monde Rouge.

Et de remarquer également qu'une lueur jaune était apparue parmi ses possessions. Il avait donc fait allégeance à l'un de leurs Dieux.
Il serait intéressant de voir quel était son avis sur les solitaires, désormais. Quand le mâle beige allait se retourner, porterait-il la même candeur sur les traits, ou serait-il plus proche de l'intolérance de Geb ?

Horus ; 4 ans
F A E I

Horus observa son reflet dans l'eau limpide, s'attardant sur ses prunelles si semblables à celles de sa mère, à ses cheveux blanc tenu de son père. Il avait la même tête que Geb, sans toutefois posséder sa carrure de guerrier. L'apprenti Croquemort haussa les épaules alors que le vide qui creusait son coeur semblait s'emplir. Il supposa que les souvenirs joyeux de sa famille lui permettait d'oublier quelques instants le deuil. M'autre fois c'était la présence d'Eva qui l'avait aidé à se sentir moins isolé, moins perdu. Elle avait vécu le même enfer que lui, ils s'étaient battus côte à côte, cela faisait tacitement d'eux des amis. Ce creux dans son âme, il n'y prêtait pas trop attention, persuadé qu'il s'agissait des trop nombreuses disparitions de ses proches depuis son retour de l'autre monde qui l'avait ouvert, et que seul le temps l'aiderait à boucher le trou. L'instant de nostalgie passa et il allait se remettre en quête, plus serein et se sentant comme complet quand une voix brisa la quiétude du petit paradis cachée. Cette voix, il l'a reconnaissait. Le rouge lui monta au joues et aux oreilles. leur première rencontre avait été si... Gênante.

« Ciel noir ?! »

Horus fit volte face, surpris mais plutôt content de trouver dans ce lieu austère un museau connu. Du moins un peu. Ses oreilles se dressèrent et le bout de sa queue s'arqua vers le haut, en signe de bienvenue. La distance les séparant était raisonnable. Autant qu'elle l'avait été au début, lors de leur premier échange de blague plus ou moins ratées. Le disciple de l'Anaconda observa le mâle sombre. Il n'avait pas vraiment changé. Pas du tout en fait, si ce n'est qu'il avait glané quelques éraflures de plus, sans doute typiques d'une vie de solitaire voyageur.

« Comment le sais-tu ? Tu y étais ? »

La question était presque rhétorique. Il avait employé le mot aussi, signifiant forcément qu'ils avaient vécus quelque chose de similaire. Pourtant, Horus ne l'avait pas vu là-bas. Il n'y avait eu qu'Eva la Pie Nakhu, les deux petites louvettes, Nakhus aussi... Et... Dez ? Daez. Encore un disciple du pourpre. Il avait entendu dire que d'autres groupes avaient été engloutis par l'enfer du monde rouge, mais n'en avait pas rencontré les victimes. Après tout, il n'y avait pas de groupe de parole ouverts aux survivants du monde de cendre et de sang. Qu'auraient-ils eu a dire sur leur cauchemar de toute façon ? Horus se remémora les os broyés d'Hanna qui se jetait sous la main de la Bête pour sauver la vie de Kerguelen. Il déglutit, comme pour ravaler cet horrible instant et le dissimuler loin au fond de lui. La sensation de plénitude ne le quittait plus, alors même qu'il ne pensait plus qu'à des choses affreuses. Comme avec la louve ailée, son équipière de survie, lorsqu'il l'avait croisée au cimetière. Le disciple de l'Anaconda n'avait jamais fait ce lien, pensant simplement que la sensation d'être coupé en plusieurs morceaux s'apparentaient au deuil de perdre un être cher. Il n'avait pas pu réalisé encore qu'un lien étroit liait désormais tous les survivants du monde à l'envers, mais doucement l'idée commença à trotter dans sa caboche...

Peut-être y avait-il autre chose. Peut-être y avait-il une raison à cet instinct lui dictant de parcourir les terres, instinct qu'il refoulait en croyant être un lâche qui voulait fuir. Chose qu'il n'était pas, loin de là. Horus se concentra sur le mâle noir, du moins autant qu'il pu s'en se laisser trop parasiter par l'idée des muscles puissants et finement ciselés du solitaire qui pourraient le mettre à terre en moins de mouvements que de mots pour le dire. Il n'était toujours pas bon combattant, bien qu'il soit plus solide et un peu moins maladroit, et son interlocuteur gardait cette image de tueur que l'adolescent avait rencontré des années plus tôt. Avant qu'il ne devienne adulte, avant qu'il ne se découvre, avant qu'il ne devienne quelqu'un. Il décida donc de se montrer assuré. Après tout, il était l'élève du Croquemort, et bien qu'appartenant aux Etelkrus, il se devait d'être ouvert à tous. Son caractère jovial et enthousiaste ne pouvait que l'y aider. Il offrit donc un sourire franc au mâle noir et s'assit en proposant de partager le point d'eau. Enfin, pas qu'il aurait ne serait-ce qu'essayer d'empêcher le loup noir de boire ici. Il n'en avait clairement pas les capacités, et il ne tenait pas à se retrouver trop prêt de l'autre mâle, c'était trop étrange et dérangeant.

« Apéro ? »

La tête d'Horus se pencha sur le côté.

« Donc... Toi aussi tu as été... Avalé ? »

Retour au sujet qui le turlupinait le plus.

Le beige exécuta un demi-tour d’une vivacité impressionnante qui en était presque comique, lâchant un nom qui faillit le surprendre – avant de se rappeler que c’était lui-même qui lui avait donné. Mais cela faisait un certain temps qu’il n’avait pas réutilisé cette appellation, et plus longtemps encore qu’il avait vu la première drôle de louve à l’avoir ainsi nommé.
Il ne réagit pas et se contenta de hocher sobrement la tête à sa seconde phrase. Il pouvait comprendre l’étonnement d’Horus – ils ne s’étaient effectivement pas vu, et s’il n’avait pas été accompagné de la louve ailée qui avait pu noter la présence d’autres silhouettes tout en voyageant lui-même à un autre endroit de ce monde écarlate il n’aurait pas pu deviner que de nombreux loups y avaient été au même moment – simplement pas au même endroit.
Mais maintenant, il y avait le Lien. Qui ne se trompait jamais et liait des âmes qui en d’autres circonstances ne l’auraient jamais été.

En quelques pas il rejoint le mâle beige pour effectivement aller effleurer la surface de l’eau et s’y désaltérer rapidement en quelques coups de langue.

— Donc... Toi aussi tu as été... Avalé ?

Il se lécha les babines pour en récupérer les dernières gouttes et se retourna calmement pour faire de nouveau face à Horus – mais au lieu de rester debout, le mâle noir se laissa tomber avec un soupir de soulagement sur le flanc, celui-ci touchant juste assez la surface de l’eau pour profiter d’un semblant de fraîcheur.
Ses yeux tombèrent naturellement sur les griffes d’argent au bout de ses pattes étendues, reluisant de lueurs similaires à celles du sable alentour. La dernière fois qu’il avait croisé la route du mâle à la crête blanche, alors adolescent, il arborait encore dix d’entre elles. Désormais deux doigts avaient été dénudés de leur arme.

— J’étais avec un autre loup, mais lui ne l’a pas été.

Puis un rictus étira ses lèvres, quelque peu railleur, alors qu’il détailla sans gêne le corps de l’autre mâle, comme au premier jour.

— Tu es maigre, mais tu t’en es sorti quand même.

Il devait bien l’avouer : physiquement, il n’aurait pas misé sur lui ; mais il avait apparemment d’autres talents cachés.

• 4 ans •
F A E I

Ciel Noir avait cette façon austère et taciturne de répondre aux questions, et, de manière plus général, de réagir, qui rendait le disciple de l'Anaconda fébrile. A cheval entre le frisson d'adrénaline de la peur et l'attirance romanesque de ceux qui cultivaient le mystère autour d'eux. Il ne savait rien de son histoire, rien de ses capacités, et pourtant il en devinait quelques-uns, en imaginait tant d'autres. Sans s'en apercevoir, Horus avait retenu son souffle alors que le solitaire s'était approché pour boire, puis pour se mettre au repos, parfaitement décontracté. L'élève du Croquemort agita les oreilles, surpris d'une telle... Nonchalance ? Chez un être qui semblait même capable de contrôler le moindre de ses tics nerveux. Tout en restant assis, le loup recula d'un pas, comme pour ré-instaurer une distance respectueuse avec son congénère. Une distance respectable, aussi. De plus avoir la truffe plus haute que le noir lui semblait aussi incongru que s'il avait été chef de meute. Ce n'était ni sa place, ni son envie, d'être au dessus des autres. Ça le gênait même profondément d'avoir cette vision en plongée.

Toutefois, il nota l'étonnant regard de Ciel Noir. Jusqu'alors il n'avait pas remarqué que ses iris étaient cerclées de bleu foncé, ou pas vraiment fait attention... Cela rajoutait à la curiosité du personnage. Personnage qui soudain le scruta comme s'il était l'objet d'étude ou la bête de foire. Les oreilles d'Horus s'agitèrent encore alors qu'il restait silencieux, cherchant à deviner ce qui se tramait derrière le sourire jobard du solitaire. Oh. Une plaisanterie. Ce n'était qu'une blague, rappel d'un jour lointain, dans un passé révolu où il était au sortir d'une naïve enfance, la confiance en déroute. Avait-il tant évolué au cours des deux dernières années pour ainsi se juger lui-même d'un œil aussi critique ? Il sourit néanmoins, car la rencontre avec le solitaire, quoi que souvenir étonnement flou, laissait une bonne impression à son esprit. Il se rappelait vaguement de l'histoire des pièges à poissons, du solitaire aussi angoissant que fascinant, de ses griffes d'argent, de... Oh. Il lui était tombé dessus. Oh Oh. Qu'il était maladroit quand même. Il s'en rappelait maintenant ! Une véritable honte pour un Etelkru...

« Je n'étais pas le plus bavard ! »

Répondit-il souriant finalement à son tour, tout en s'allonger également afin de remettre les choses en ordre et retrouver les yeux du loup noir à leur juste place : légèrement au dessus des siens, a une quasi-égalité. Là enfin, Horus se sentit plus à l'aise et relâcha les épaules. Il se força à lâcher son congénère des yeux, misant sur l'espérance qu'il pouvait lui faire confiance, au titre qu'ils se connaissaient un peu ? Au titre qu'ils étaient deux adultes sympathiques ? Au titre qu'ils avaient vécus quelque chose de similaire ? Le fils de Kiro voulait le croire en tout cas. Il focalisa donc son attention sur le morceau de leurs reflets, strié parfois de remous provoqués par les griffes du loup noir trempant dans l'eau. Griffes dont il manquait une paire. Vestiges d'une bataille ? De ce départ forcé pour le Monde Rouge ? Il se rappelait que son collier ne l'y avait pas suivi. Heureusement que son mentor l'avait précieusement gardé pour le lui rendre ensuite. N'avait-il pas retrouvé ses affaires en s'extirpant de ce cauchemar ? Ou était-ce lié à un événement bien différent ?

« Tu fais moins peur maintenant. Un peu. »

Lâcha t-il tout de blanc, en désignant du bout de la patte les doigts dépourvus de leur armure d'argent finement travaillée. Avec tact, bravo.

« Enfin si !! Quand même hein ! »

Horus, tais-toi donc.

Quelque part, Justice ne se lassait pas de cette façon qu’avait le loup beige, alors qu’il avait désormais bel et bien quitté l’adolescence, d’être si plein et entier dans ses émotions. N’importe laquelle d’entre elles.
Comme s’il ne craignait rien à ainsi exprimer à peu près tout ce qui lui passe par la tête, fut-ce en acte ou en paroles. Le mâle noir avait beau s’être allongé, démontrant ainsi clairement une attitude suffisamment décontractée à son égard pour qu’il n’ait à le craindre... Horus s’était tout de même empressé de se reculer alors même qu’il avait été celui qui s’était la dernière fois rapproché.
Jusqu’à lui tomber dessus.
Et le voilà désormais qui s’allongeait, toujours en le guettant d’un regard presque fébrile.

Et là seulement, en s’abaissant au sol, sembla-t-il s’autoriser à se détendre, sous les yeux légèrement plissés, la tête légèrement penchée du solitaire noir.

Quels étranges manèges avaient développé ces loups qui parfois n’en étaient plus. Ces loups qui parfois bravaient les avertissements les plus élémentaires, qui parfois allaient à l’encontre même de leujr langage le plus primitif.

Bref. Horus parlait à nouveau et d’une patte aux griffes colorées désigna les siennes. Les deux manquantes, plus précisément. Il haussa un sourcil.
Deux griffes en moins faisaient-elles vraiment une différence ?
Justice demeura interdit quelques instants avant de regarder de nouveau ses propres pattes. Puis de revenir sur les iris limpides du loup beige.

— Si tu as peur, pourquoi tu restes ?

Et pourquoi l’avoir en quelque sorte invité ? Pourquoi l’accueillir avec le sourire, le mener sur des chemins près des siens au lieu de partir à toutes pattes - comme le faisaient ceux qui avaient véritablement peur, quand sur leurs territoires calcinés ils débusquaient des intrus ?
Encore tant de signaux contradictoires que pour l’instant le solitaire ne comprenait pas. Sur ce point au moins, Horus n’avait pas tellement changé de l’adolescent efflanqué qu’il avait rencontré, complètement empêtré entre crainte, fascination et curiosité.

Et puis, maintenant, il avait une de ces lumières. Il avait donc prêté allégeance à l’un de ces dieux.
Il se demanda quel pouvoir lui avait été donné. Ils semblaient tous tellement... Différents, du peu qu’il en avait vu.

Sa question posée, Justice ne le lâcha cependant pas du regard, verrouillant droit son port de tête et n’affichant sur son visage aucune expression lisible.
Presque prêt à reprendre leur petit jeu d’antan, si lui y tenait tant.

• 4 ans •
F A E I

Une bouffée de chaleur venait hérisser le cou du mâle beige. Entre inquiétude et honte. Quel idiot il faisait. Il se ridiculisait tant à craindre et à porter de l'intérêt au solitaire noir en même temps. Quel déception devait-il être pour son père à ne savoir sur quelle patte danser face à son congénère loup. Quelque chose les rapprochait, ce monde rouge apparemment. Mais plus encore, et l'apprenti Croquemort ne parvenait à le définir clairement. Ce devait être l'écrasant soleil qui le rendait aussi fébrile, sans doute. Il se trouvait balancé entre la curiosité et l'envie d'observer encore celui dont les prunelles étaient si étonnantes, si hypnotisantes, et la gêne inculquée d'ainsi fixer autrui. Il ne désirait pas lui être désagréable, ni intrusif. Il aurait tant voulu en savoir plus sur son compte, mais on lui avait appris à ne pas se laisser dépasser la ligne tacite de l'intimité. Il ne le pouvait pas. Ou peut-être que si, mais il en n'en avait pas le droit. Ses pérégrinations mentales prirent fin lorsque l'autre lui répondit. Ou plutôt le questionna. Etrange question. Judicieuse question.

Le sans-meute sous-entendait-il que sa présence était déplaisante ? Devait-il le laisser alors ? Rien dans son attitude pourtant n'évoquait l'inconfort. Pourquoi Horus restait-il alors ? Il se rendit compte que l'aveu était un peu fort, surpris lui même de constater qu'il ne ressentait pas de la frousse de celle qu'on se fait en imaginant un monstre surgir du noir la nuit -il l'avait littéralement vécu donc question horreur il en connaissait un rayon-. C'était... Différent. Ce n'était pas de la peur, mais la sensation du ventre creux et des frissons dans le dos en était similaire pourtant. Cette impression le galvanisait en fait, lui donnait un peu d'audace, de la confiance en lui. Chose qui lui manquait depuis toujours, mais plus cruellement encore depuis ses cauchemars. Ciel Noir faisait-il aussi des rêves effrayants la nuit venue ? Ou les combattait-il fermement et sans crainte comme le laissait supposer sa carrure ciselée de combattant ? La langue du disciple de l'Anaconda sembla s'assécher alors que s'agrippaient les yeux cobalt cerclé de feu à ses propres iris vert d'eau. Les secondes s'égrenèrent et une de ses oreilles tiqua. Devait-il tenir ce regard inquisiteur ? Devait-il s'imposer face à ce loup qui le perturbait autant ?

Horus n'était pas un conquérant. Il n'était pas dominateur. Il ne cherchait pas à être plus fort que l'autre. Simplement à se dépasser lui même, à être présent pour les autres. Pour les aider, pas pour les écraser. Il cessa donc ce jeu de regard le mettant mal à l'aise pour laper quelques gorgées d'eau. La voix lui revint enfin, comme si boire avait déjoué son incapacité à communiquer.

« La peur nous rappelle que nous sommes bien vivants. »

L'élève du Fossoyeur fixa son reflet, puis regarda la voûte céleste avant de revenir sur un autre ciel. Sur le loup noir.

« Mais... Effectivement. Ce n'est pas de la peur. »

Avant de s'embrouiller plus, avant de dire quelque chose qu'il regretterait sûrement, le jeune mâle se releva. Cette fois-ci, la rencontre serait courte. Et pourtant, elle provoquerait un plus gros séisme que la première. Le beige sourit largement, comme pour s'immuniser de tout ça et retrouver un semblant de légèreté. Il ne savait pas pourquoi, mais le malaise s'installait dans sa poitrine, il devait s'en aller. Une forme de fuite. Finalement, il n'était pas si courageux…

« Prends soin de toi. »

Son sourire s'élargit, son regard s'illumina comme un loup normal qui souhaitait sincèrement à l'autre de passer une bonne journée. C'était dans sa nature, même si l'orage pointait sa truffe entre ses méninges. Et sans plus un mot, il récupéra son sac et s'éloigna à pas rapide. Il trouverait autre chose pour sa pierre tombale… Il verrait bien. Sa seule certitude était qu'il ne devait pas rester là.



-Fin pour moi !