eat my lungs . grimalk

Ils craquent tes os dans ton corps, sous ta peau qui se tord qui s'étire et se déchire. Il craque le cartilage dans tes ailes qui s'étendent au dessus de ton dos, elle claque ta mâchoire sur l'air toujours cet air sans saveur en attendant que la viande arrive.

Devant les statues tu observes. T'attends qu'elles prennent vie, t'attends qu'elles viennent te planter sur le sol, outrage aux dieux, t'attends qu'elles montrent les crocs ; hybrides en pierre. Mais elles sont comme les loups de ces terres ; plongées dans un sommeil profond. Dédale dans ton âme dédale sera ton repère, on dit que certaines âmes n'y reviennent pas.

Tu veux trouver leur carcasses, leurs restes, tu veux trouver les corps en décompositions tu veux trouver les parasites qui bouffent les tissus et les muscles , là, abandonnés dans leur flaques de sang.  Les asticots sont plus actifs que ceux qui dorment ici. Ils trouvent les morts et les dévorent.

Et toi ?
(toi le dragon)

Toi tu veux trouver âmes en peines toi tu veux trouver âmes en larmes pour briser et tordre le cou. Pour y planter tes crocs et y faire couler ton venin. Une impatience qui te gagne, tu stagnes ici dans l'eau croupie des familles et des lignées. Tu sens tes muscles devenir tendres tu sens ton corps perdre en force et ça t'agace, Abanddon tu veux pas devenir comme eux. Tu veux les regarder danser autour du feu, autour de ton incendie.

Odeur qui fait frémir ton pelage. Tu l'as déjà sentit plus d'une fois, il semble posséder cette chose qui te fait trembler, cette rage qui tord les boyaux, cette colère qui fait saliver qui fait saigner.

Claquement de tes ailes dans l'air
(froid, il fait froid, il fait toujours froid ici)

« Ton nom ? »

Tu ne te tournes pas, s'il veut te poignarder s'il veut te piéger qu'il le fasse, s'il veut allumer la vengeance dans le fond de ton âme qu'il commence.

Les mois passent et personne ne lui dit de partir.
Il ne sait pas vraiment si une année est passée, il est de ceux qui se perdent dans les échelles trop vastes et concentrent plutôt leur minutie sur ce qu'il y a de plus palpable autour - sur les secondes, les minutes, les heures et les jours, qui s'accumulent pour former des années qu'il ne compte pas. Le changement des saisons est le seul indicateur vraiment significatif de ce temps qui s'est écoulé, des saisons suffisamment longues pour que Grimalk considère que oui, une année complète est bel et bien passée .
Et personne ne l'a chassé des Nakhus.

Il est donc l'un des leurs, n'est-ce pas ?

Et il est presque adulte.
Il la sent s'achever et poindre vers sa fin, cette croissance longue qui bâtit le corps de ceux de son peuple. C'est plus lent, c'est plus appliqué que chez ceux d'ici.
À Arabahos, aucune tâche précipitée n'est une tâche réussie.

La silhouette sombre assise plus loin en bas des statues est de celles qui marquent l'esprit.
Pour ces ailes décharnées, cette longue queue irrégulière, ces écailles dont l'éclat capte longtemps le regard, ces yeux contrastés, ces tissus portés d'une manière proche de celle qu'il connut pour le début de sa vie, cette teinte de suie qui l'étouffe entièrement sans aucun répit.
Grimalk sait qu'il n'est pas ici depuis très longtemps non plus, et même en ne lui ayant jamais adressé la parole il a mémorisé assez de lui pour pouvoir le reconstituer les yeux clos.
Il est de ces yeux qui observent longtemps et sans gêne, souvent et avec application.

Aujourd'hui tous deux sont seuls et il est inévitable que leurs trajectoires s'interceptent enfin.

La voix qui s'élève à son égard est délicate et fait se dresser ses oreilles alors qu'il s'immobilise dans son dos, les regard planté dans cette échine couverte d'écailles.

— Grimalk.

La sienne est assez grave et profonde, de voix, tout en restant claire.

Il n'a aucun problème à donner son nom tout comme il n'en eut pas particulièrement à apprendre celui de chaque membre de son clan, plus ou moins rapidement pour chacun - mais cela finissait toujours par se savoir. Il suffit d'écouter les lèvres se mouvoir.
Un temps passe et seul résonne le tintement de ses chaînes quand Grimalk redresse la tête pour la sortir de l'alignement bas de son échine dans lequel elle se verrouille le plus souvent.

— Et toi tu es Abaddon, un zar-iyïsh.

Chaque langue possédait ces mots qui ne trouvaient jamais de pure équivalence dans les autres.
Ce qualificatif était l'un de ces mots. Un terme dont la signification et la portée étaient propres à la vision du peuple qui le créa et dont la traduction exacte ne pouvait se faire sans préciser le contexte ou multiplier les mots et les nuances.

Il ne s'agissait pas tout à fait d'un étranger, ni vraiment d'un bâtard. Le plus proche qu'il pouvait trouver était peut-être traître de sang, pour désigner tous ces individus qui avaient enfreint les lois de la nature ou de la morale, ceux qui étaient le produit inattendu d'un scénario improbable - sans que cela ne soit nécessairement un mal.

Pour lui, il avait été décidé que cela en serait un.

Grimalk veut savoir si c'est pour la même raison que Abaddon n'est plus là où il est né mais ici à la place.
S'ils sont pareils.