A world without danger | Katherine

Elle n'avait jamais été si loin seule.

Cette pensée avait de quoi alimenter le courage et la soif d'aventure dans les jeunes esprits. Celui de Romance ne faisait pas exception. Fluette silhouette argentée, elle s'était aventurée un peu plus loin que les terres Séides ne le lui permettaient d'ordinaire. Les odeurs étaient différentes. Les paysages aussi. Il semblait quasiment y avoir non loin un tout autre univers, qu'elle n'avait encore jamais frôlé de ses pattes. Aucun de ses camardes ne l'avait accompagnée et elle n'avait pas eu l'impression d'être suivie - depuis qu'elle même avait réussi à suivre plus ou moins discrètement ce loup gris, le Bad Boy, elle vérifiait dès qu'elle se déplaçait que l'on ne ferait pas de même avec elle. C'en était presque devenu une sorte de jeu solitaire.

Parce que malgré son tempérament sympathique, elle n'avait pas beaucoup beaucoup d'amis. Des connaissances, des sourires échangés, des figures amicales, mais pas de proche réel. Pas de famille non plus, mais cela, elle y était habituée. Son regard clair s'était accroché à une haute silhouette que l'on apercevait de loin ; quelque-chose comme elle n'en avait jamais vu encore. Quelque-chose de grand, d'immense, de colossal. Etrangement, c'était à la fois attirant et effrayant, par la puissance et la majesté qui semblait en émaner. Ces nouveaux lieux étaient si fascinants pour son regard qui ne les avait encore vus. Mais il n'y avait pas que cela. Quelque part dans son esprit, demeurait le souvenir de quelqu'un. Elle se souvenait sa voix. Elle se souvenait son odeur. Et cette odeur semblait porter le parfum de ses terres. L'odeur de cette louve qui l'avait recueillie, quelques instants seulement, lorsqu'elle était petite et malade, et que Lui état parti.

Romance se percha sur un monticule de terre et observa la chose qui se dressait devant elle. Personne ne semblait être dans les parages. Avec prudence, elle prit un pas mesuré, en direction de l'édifice.

Finalement, Romance parvint sur le seuil de l'imposante construction. Hérissée de tours, entourées de multiples niveaux de murs couleur neige, l'entrée était majestueuse, haute, froide. Elle s'y arrêta, presque intimidée par cette imposante porte. Si tant était que l'on pouvait appeler cela une porte, en soit rien ne fermait l'entrée du grand bâtiment. Si de loin la pierre lui avait semblé lisse et parfaitement régulière, maintenant qu'elle se trouvait plus proche, elle pouvait distinguer des dizaines de petits symboles, comme des coups légers de griffes artistiquement déposés sur les murs, qui luisaient doucement à la lumière changeante du dehors.
Fascinant.

Finalement, elle entra dans le Palais. Les yeux papillonnant autour d'elle pour tenter de saisir chaque détail de l'immense hall dans lequel elle se trouvait, elle obliqua dans une salle latérale, qui elle-même donnait sur une série de couloirs lumineux, aussi blancs que le reste de la bâtisse. De fil en aiguille, il fallait bien se l'avouer, elle finit par ne plus exactement savoir où elle était. A chaque intersection, à chaque escalier, à chaque nouvelle salle, elle avait repoussé l'idée qu'elle était perdue en se laissant souffler par son esprit aventureux qu'elle retrouverait forcément d'où elle viendrait en faisant marche arrière. Qu'elle se souviendrait en voyant tel cadre, tel bas-relief, telle imperfection sur le sol de marbre.
Ce mignon esprit d'aventure avait donc simplement omis de préciser que le sens de l'orientation était une qualité quasi absente chez la jeune louve, et rapidement, lorsqu'elle décida de faire marche arrière, légèrement tendue par le silence qui régnait entre les murs, elle se retrouva à emprunter des chemins qu'elle ne reconnaissait pas du tout.

Les oreilles rabattues, elle força l'allure en regardant autour d'elle. Impossible de savoir si elle était déjà passée par ici. Génial

Soudain, un bruit léger résonna dans l'un des couloirs qu'elle venait de quitter. Surprise, elle s'arrêta et pivota. Ses prunelles dorées parcoururent les profondeurs du corridor. Il n'y avait personne.
Ou du moins pas encore.
Car à peine une seconde plus tard, une silhouette auréolée d'une longue chevelure blonde faisait irruption non loin, visiblement entrain de s'amuser bine plus que l'argentée, à virevolter sur le sol froid et glissant. Surprise, Romance fit un pas en arrière et la considéra d'un oeil étonné.

"He, bonjour !" Lança-t-elle pour attirer son attention, avant qu'elle ne reparte dans sa folle promenade.

L'inconnue s'arrêta à un souffle d'elle et la salua brièvement, avant de se reculer. Romance redressa les oreilles et la considéra rapidement du regard. Elle avait un pelage d'une couleur singulière, une sorte de brun-rosé, rehaussé par sa chevelure claire, blonde, et les différents tatouages qui marquaient son corps. Ces quelques secondes d'observations firent naître chez l'argentée un étrange sentiment de... familiarité. Impression qui fut encore accentuée par la remarque de l'inconnue.
Non, pourtant, elles ne se connaissaient pas.

Quoique cette certitude vacillait à mesure de l'écoulement de ses battements de coeur. Comme si cette inconnue était le personnage d'un rêve dont elle ne parvenait pas à se souvenir, qui glissait entre ses pattes comme de l'eau sans qu'elle ne puisse exactement s'en saisir. Elle fronça légèrement le museau, troublée par ce sentiment des plus étranges, puis répondit d'un air presque désolé :

"Je ne sais pas du tout."

Elle inclina légèrement la tête sur le côté, alors que ses méninges passaient la cinquième. Peu à peu, alors qu'elle fourrageait dans ses souvenirs, elle tenta de raccrocher ce museau à un lieu, à une situation, à un instant. L'odeur qu'elle portait sur son pelage était celle des solitaires ; impossible qu'elles se soient croisées au clan - à moins qu'il ne s'agisse d'une exilée. Elle avait croisé le chemin de plusieurs lupins lors de ses quelques expéditions solitaires, mais elle était persuadée que ce n'était pas dans ce contexte qu'elles s'étaient "rencontrées". Une petite voix lui murmurait que c'était plus ancien encore. Dans cette catégorie de souvenirs flous de prime jeunesse desquels il est ardu d'extirper quoi que ce soit.

"Tu étais Séide ?" Demanda-t-elle franchement.

Peut-être s'étaient-elles connues enfants, après tout.

Romance rit en retour à la remarque de l'inconnue, et ce rire sembla lui enlever comme un poids du coeur. Cela faisait un moment qu'elle n'avait pas ri de bon coeur - les circonstances actuelles s'y prêtaient peu, aussi, il fallait l'avouer.

"J'y réfléchirais." Répondit-elle avec un éclair malicieux dans le regard.

Puis l'autre lui posa elle aussi une question. Question fort intéressante d'ailleurs, qui confirmait bien que la solitaire n'était pas dut out venue mettre les pattes sur une longue durée au clan. Son arrivée n'avait pas franchement été la plus discrète qu'il soit. Elle baissa le regard un instant ; elle avait toujours été légèrement gênée de cette différence d'origine - sans parler de l'absence de glowstick, qui certes ne se remarquait pas forcément grâce aux marquages fluorescents sur son pelage, mais qui demeurait là - et évitait généralement le sujet. Mais là, il était impossible d'éviter de l'évoquer en demeurant subtil, et elle n'avait pas envie de stopper brutalement la conversation. Après tout,il avait cette impression qu'elle connaissait déjà son interlocutrice qui lui chatouillait toujours l'esprit et la curiosité.

"Hm, pas vraiment." Répondit-elle en relevant les yeux. "Mon... père avait quitté les Séides quand il a rencontré ma mère et... il y est revenu pour me sauver la vie."

Ca faisait très héroïque dit comme cela, et pourtant Il ne s'était jamais comporté vraiment comme un père ou un héros. Enfin, c'était surtout flou. Elle précisa hâtivement :

"J'étais malade et il ne savait pas comment me guérir. Donc il est revenu... Je ne me souviens pas très bien, j'étais très jeune."

Ses griffes crissèrent légèrement sur le marbre. Voilà, c'était dit. Sa dernière phrase lui semblait presque pitoyable - comme si le fait qu'elle soit arrivée jeune changeait celui qu'au fond, elle n'était pas originaire de cette partie du continent.

"Et toi, d'où viens-tu ?" Finit-elle par renchérir.

Les quelques mots que prononça Romance eurent le même effet que si elle avait crié au visage de l'inconnue. Celle-ci se figea soudain, comme perdue dans ses pensées, et ne put laisser difficilement tomber que quelques mots. La gris rabattit les oreilles, sans être certaine de la manière dont elle devait réagir. L'autre la fixait comme si elle venait de se transformer en fantôme. Elle laissa s'écouler quelques secondes, mais la solitaire ne semblait pas prête à dire quoi que ce soit d'autre. Elle toussota.

"La... quoi ?" Lança-t-elle finalement, sans comprendre.

En même temps, ses méninges avaient passé la cinquième pour tenter de comprendre ce qui se passait, et surtout d'où venait cette impression de familiarité qu'elle avait en voyant la solitaire. Elle plissa légèrement les yeux - inconsciemment - tout en réfléchissant. Alors qu'elle remontait le cours de ses souvenirs, de façon plus ou moins ordonnée, il lui semblait parfois qu'elle touchait du doigt la solution, mais s'en éloignait avant d'en avoir découvert vraiment la teneur. En revanche, quelque-chose demeurait récurrent : son père. La silhouette du grand loup gris lui semblait forcément liée à celle de la louve - il faudrait vraiment qu'elle songe à lui demander son nom.

"Je crois que mon... mon père te connaît." Tenta-t-elle hasardeusement. "Il s'appelle Anthem."

Elle attendit une réaction qui sortirait son interlocutrice de son espèce de transe de surprise.

Étonnement, la réponse de l'autre eut plus ou moins l'effet désiré, mais en empruntant une voie totalement autre dans l'esprit de Romance. En effet, la masse de poils clairs fit resurgir sous son crâne la pensée fugace qu'elle avait eue lorsqu'elle était arrivée devant le Palais ; le souvenir de cette louve qui était venue la réchauffer alors qu'elle avait été malade, petite, si faible dans ce monde si grand et si hostile. Elle se souvenait l'odeur de cette louve ; c'était l'odeur des Brethens. Il lui avait fallu quelques instants pour faire le lien, mais rien n'était plus clair désormais. Et des images lui revenaient, floues, comme des braises à peine brûlantes sous la cendre des moments passés depuis. Elle se souvenait d'autres silhouettes - la Sienne surtout, puisqu'avec Hylda, ils l'avaient ramenée au camp.Mais il y en avait une autre, qu'elle avait seulement entraperçue. Une forme tatouée, avec une tignasse de cheveux blonds, plus petite que le reste de l'assemblée lupine qui l'entourait. Ellene se souvenait pas sa voix. Mais elle se rappelait soudain ette chevelure dorée, cette couleur du pelage si particulière, et cette paire 'yeux noisette qui étaient venue l'observer presque à la volée. Cela n'était pas net dans son esprit, et ne suivait aucune chronologie. Elle se rappelait des formes mouvantes, des paire d'yeux, des éclats de voix, quelque-chose d'immonde à manger - étonnement, ça restait véritablement gravé dans sa mémoire, simplement en y repensant, elle avait encore les échos de ce goût amer et horrible sur la langue.

Ses yeux s'agrandirent de surprise, alors qu'elle comprenait enfin.

"Oh... Oui, je crois que je me souviens... C'était donc toi."

Elle fut surprise de constater qu'elle était heureuse de voir cette figure familière, qui avait partagé déjà quelque-chose avec elle, et qui se rapprochait sans doute le plus de ce qui deviendrait une amie. Un sourire naquit sur ses babines claires.

"Quel drôle de hasard." Lança-t-elle avec amusement, le sourire fiché sur le visage et les yeux légèrement plissés, comme s'ils souriaient eux aussi.

En effet, la territoire était grand et les lupins nombreux ; il y avait peu de chances qu'après quelques années et tous les bouleversements qui étaient arrivés, elles se recroisent. Et pourtant.