Je suis prêt. • AKA

Le mâle gris sombre posa ses prunelles vert feuille dans lesquelles dansaient des éclats d'ocre et de vermillon sur le paysage encore endormi qui s'étendait là, sous lui. Il faisait froid, et encore nuit. De son corps transpirant émanait de la vapeur. Il avait chaud. Pour l'instant. Leemoncello savait que cela ne durerait pas, surtout dans ces hauteurs. Alors il se remit en mouvement, afin de progresser encore vers son ultime but de ce jour. La fontaine était encore encore à une bonne distance. Du moins le pensait-il, parce qu'aucune lumière rougeyante et chaleureuse ne venait titiller sa vision. Reprenant un trot léger, il s'élança dans l'escalade d'un pont de roc pas plus gros que lui. Chacun des cailloux étaient relliés par quelques lianes très tendues apparemment solides. Dans un souffle déterminée, il bondit sur la première roche, attendit de reprendre son équilibre et posa ses pattes sur la corde végétal avec précaution. Toute la nuit déjà, il avait joué à Tarzan, pour gravir l'Ecueil. Ses muscles le tiraient agréablement. La fatigue l'empoignait et son souffle rauque devenait de plus en plus rapide. Mais il tint bon. Il s'était entraîné pour ça. Pendant de très longs mois. Ne lâchant que très rarement ces séances orchestrée avec le plus grand soin. Sa vie avait été réglé par ces heures d'archarnement à toujours faire mieux, plus vite, plus loin, plus fort. Toujours mieux.

Après les échecs cuisants de sa vie à peine commencée, il avait eu trop honte de lui et de ses faiblesses pour oser affronter l'épreuve du Grizzly. Mais le jeune mâle avait tout fait pour retrouver son honneur perdu. Il n'avait pas su venger la mort de son frère, il n'avait pas su protéger sa mère de la haine de Rengar, il n'avait pas su se battre avec courage. Mais tout cela était dépassé. Il avait désormais cette force qu'on les soldats surentraîné, celle de l'obéissance parfaite. Celle de l'esprit apaisé de tout doute. Il était une machine, faite pour se battre et défendre. Faite pour obéir et protéger les siens. Leemoncello était donc prêt, grandis de ses erreurs, et rompus à l'exercice physique. Ces derniers mois, il s'était effrocé de reprendre l'entraînement de base de Fireheart, sa mentor, qu'il avait tant aimé, malgré sa traîtrise. Elle avait été comme une seconde mère, cette louve muette mais pleine d'affection. Alors, même s'il était en colère contre elle, pour cet abandon, pour sa fuite chez les Brethens, il avait repris ses enseignements à la lettre, pour les pousser plus loin. Ses muscles s'étaient affinés, gagnant ainsi en endurance et agilité. La force brute animait aussi sa nouvelle musculature de mâle aguerris. Ne lui manquait que l'expérience des vieux guerriers qu'il ne doutait pas obtenir à grand renfort de lutte.

Enfin, il franchit la dernière étape, grondant contre lui-même de se sentir aussi vulnérable et épuisé. L'scension était fastidieuse et longue, il était normal de voir ses muscles trembler sous l'effort. Le repos était nécessaire. Il soupira avant de s'assoir et de donner quelques coups de langue dans son pelage en désordre. S'il avait bien appris quelque chose de sa génitrice, c'était d'être toujours propre et bien présenté. Surtout qu'il n'allait pas voir n'importe qui. Il ne rendait pas une viste de courtoisie à un camarade Séide. Non. Il venait quérir le dieu rouge carmin pour obtenir la chance de prétendre à son épreuve. Il savait qu'il avait bien plus que l'âge requis habituel et espérait que cela ne freine pas le Seigneur Grizzly. Leemoncello avait mis le temps, mais désormais, il était prêt. Il avait confiance, et surtout, il voulait en découdre avec le monde. Il était prêt à tout. Il avait bien changé, il n'était plus le couard qu'il avait pu être, il n'était plus le docile qui acquieçait en silence. Il était le soldat qui rendait fier ses pairs. La tête haute, mais le souffle encore saccadé, il s'approcha de la fontaine, et s'assit très proche de celle-ci. Puis, il baissa la tête, avec plus de déférence qu'il n'en avait jamais eu pour ses parents.


« Seigneur Aka, je voudrais defenir votre disciple et porter haut vos couleurs. »

Le mâle gris releva le museau et fixa la fontaine, contemplant avec une admiration certaine la couleur sanguine du liquide magique qui coulait à flot. Aussi fascinant que la cascade de flux vital s'échappant du cou déchirée du petit chevreuil qu'il avait tué la veille.

Aka était très distrait.

Il détestait être empoisonné par des questions et des pensées, mais il ne parvenait pas à s'en débarrasser. Pour les mortels, le retour de Yurai et la reconstruction de son temple avaient marqué une ère de paix, mais pour lui, il n'en était pas allé ainsi. Dans le cercle des divinités, il y avait beaucoup d'argumentation, beaucoup d'incompréhension mutuelle, beaucoup de conflits. Une meute évoluait pour laisser l'autre dans l'ombre - et pas n'importe laquelle. Celle qui avait marqué la renaissance de l'île et la reconstruction d'un ordre véritable. Que devaient les Séides ? Que devenaient les Glowsticks ? A qui fallait-il les offrir, comment, pourquoi ? Et les Solitaires ? Et les Brethens ? Comment s'annonçait la suite, pour eux ? Trop de sujets si vastes et trop d'avis contraires, c'était à en perdre la tête.

Ainsi, le Grizzly s'exilait beaucoup. Dairo avait tendance à le suivre de loin, et il faisait semblant de ne pas le remarquer, même si cela avait une forte tendance à énormément l'agacer. Il ne s'y retrouvait plus, et les problèmes auxquels ils faisaient face ne pouvaient pas se régler en un tour de force. Il se retrouvait dans un milieu où il était faible - et il détestait ça.

Lorsque Leemoncello était entré dans l'Ecueil, Aka l'avait tout de suite observé, et n'avait rien manqué de sa progression jusqu'à ce qu'il n'entre dans son temple. Il ne l'avait pas fait attendre longtemps et s'était manifesté dès qu'il eut fini de parler. Le dieu rouge le considéra avec un grand intérêt. Il était le fils des Alphas Séides actuels. Il n'avait pas eu la vie la plus paisible, ces derniers temps. Son existence en particulier avait été très profondément marquée par les Precursors. Il sentait, voyait absolument tout ce qui glissait dans son esprit : ses souvenirs, ses craintes, ses regrets et ses ambitions. Ce fut sur celles-ci qu'il s'attarda, avant de pousser un grognement bref.

- Salutations. Bienvenue dans mon temple.

Il le considéra encore un instant, puis matérialisa une créature qui gronda rageusement en retombant sur ses quatre pattes.

Ce n'était rien d'autre qu'un ours. Un Grizzly au pelage rouge flamboyant qui luisait de mille feux. Ses yeux blancs et vides rappelaient son créateur. La bête ouvrit grand la gueule et rugit, dévoilant ses crocs gigantesques, avant de s'ébrouer et de trépigner sur place.

- Tu sais ce qu'il te reste à faire.

Aka le fixa encore une fois. Il s'anima pour esquisser l'ombre d'un sourire et disparut du champ de vision du mâle. Il n'était toutefois pas parti, mais s'était simplement glissé sous la peau de l'ours, pour pouvoir l'évaluer lui-même et observer chacun de ses gestes.

Il en avait presque totalement oublié ses tourments.

Le Grizzly sanglant lui fit l'honneur de répondre. Mieux, sans tergiverser, il lança l'épreuve. Leemoncello se confort dans son idée. Un Dieu puissant, musculeux, et surtout, qui ne perdait pas son temps. Un Dieu de la force physique, de la guerre et de la chasse. Oui. Le jeune mâle gris était tout à fait sûr de vouloir porter l'étendard rougeoyant d'Aka. D'un regard habitué, il jaugea l'animal qui lui faitsait face. Un mastodonte de muscles et de poil. Leemoncello visualisait le cuir épais de l'ursidé, il visualisait les points les plus vulnérables : le ventre, l'intérieur des cuisses, la gorge. D'autres points stratégiques à toucher étaient la nuque, évidemment, les tempes, l'arrière du crâne, et les pattes pour le déstabiliser. Les avantages du combattant était la force, les griffes, les dents. Leemoncello se devinait plus vif, plus souple. Mais la vitesse ne faisait pas tout. Il devrait retourner la puissace de frappe de son adversaire contre lui-même. A l'instar de l'ours flamboyant, il sautillait, leste, autour de la bête. Le rugissement lui fit baisser les oreilles contre le crâne. Une décgarge d'adrénaline se derversa dans ses veines. Tout en s'efforçant de voir tout les mouvements de l'animal, il bondit sur le côté, pour le contourner et bondir sur son dos. Mal lui en prit, car l'ours envoya sa patte avec plus de rapidité que n'aurait pensé le jeune mâle orgueilleux.

Il valsa et glissa sur la roche poussièreuse. A peine sonné, il bondit à nouveau, revint à la charge. Il devait travailler la bête au corps, la fatiguer pour mieux l'atteindre. Mais l'adversaire n'était pas conciliant. Le mâle aux yeux dépourvu de pupilles se douta qu'il s'agissait là des conditions de l'épreuve : le mettre en difficulté. Mais il était déterminé à battre l'ours, et évidemment, encore un peu tête brûlée. La jeunesse n'a pas la sagesse et l'expérience des grands guerriers. Mais la jeunesse avait la volonté et la rage de gagner à tout prix. Leemoncello s'élança directement face à l'ours, bourrant le ventre de ses pattes arrières alors qu'il s'effrorçait de grimper sur l'épaule poilue où ses crocs s'enfoncèrent. une touffe de poil rouge et brillant lui restèrent dans la gueule avant qu'il ne soit rejeté au sol avec fracas, sur le flanc droit. Le choc lui coupa le souffle une seconde. La bête charga alors, et le mâle eut à peine le temps de se retourner sur le dos pour griffer de toutes ses forces avec les postérieures. Le guerrier d'Aka recula d'un pas, des sillons sanguinolents tracés sur l'abdomen. Le loup en profita pour se glisser loin de l'ours et tenter de se redresser. Son épaule droite le faisait souffrir. Il grimaça et tituba sur quelques pas. L'ours revint à la charge. Prenant son appui sur les pattes arrières, Leemoncello détendit ces dernières quand l'ours fût tout près pour atterir sur son dos. Evidemment, la stabilité n'était pas au rendez-vous, et il roula au sol aussi vite qu'il était monté. Grondant de rage, il s'efforça de revenir au combat, sur trois pattes.

Raide, il bondit encore, atteignit le flanc de l'ours qu'il griffa encore et encore. Arrachant touffes de poils sur touffes de poils avec colère, il fit un pas de côté pour éviter un coup de croc qui claqua contre son oreille. Il sentit l'un des crocs du champion du Grizzly divin lui transpercer la peau et le cartilage. Il aboya de douleur et se retourna vivement pour mordre le museau de son asaillant. L'ours recula. Leemoncello bondit encore, survolté par l'adrénaline et la rage d'être blessé, la douleur à son épaule s'aménuisa un peu, lui permettant de reprendre un appui plus stable. Il atteignit une nouvelle fois le garrot de l'ours et se démena pour atteindre la tête. il chercha à griffer les yeux tandis qu'il mordait l'oreille avec force. Oeil pour oeil, dent pour dent. L'animal bourru se secoua avec violence, décrochant le loup de son dos. Le Séide anthracite ne lâcha pas l'oreille qui se déchira entre ses dents. Il valsa à nouveau mais reprit vite ses esprits et évita la patte aux longues griffes qui voulait s'abbatre sur sa tête. Feintant sur la gauche, il se glissa sous le ventre de la bête et mordit la peau de toute ses forces. L"ours d'Aka se contorsionna pour atteindre son adversaire, mais déjà le fils des Alphas s'était retiré, hors d'atteinte. L'ours hurla sa colère et courut vers le loup qui profita de l'élan du mastodonte pour l'esquiver encore et se jeter sur son cou. Il mordit encore, sentit le sang chaud et gluant contre son palais, crachotta le liquide poisseux et se rejeta en arrière pour sauver sa tête d'un coup de patte fatal.

Les griffes l'ateignirent néammoins à l'épaule déjà blessée plus tôt, arrachant au fils des Alphas un grognement sourd. Il tituba une nouvelle fois et l'ours faiblissant se jeta encore sur le loup gris. Il roula au sol, lourdement percuté par le champion d'Aka. Leemoncello grondait, essayant de faire peur à l'ennemi en lui montrant qu'il restait prêt à se battre. L'ours ne sembla même pas l'entendre et revint à la charge sans la moindre hésitation. Le mâle s'arc-bouta contre le ventre de la bête rougeoyante pour planter ses dents dans la gorge de l'animal qui s'effrondra sur lui. Leemoncello ne sût pas tout de suite s'il avait atteint l'artère ou non, mais le flot de sang qui innonda ves yeux et troubla sa vision d'écarlate lui apprit qu'il avait finalement, et après un dur labeur, vaincût son adversaire. Non sans mal. Bloqué sous l'immense bête poilue dont les râles s'amenuisait à chaque seconde, il se demena comme un beau diable en jappant tant la douleur à son épaule lui vrillait les nerfs. Lorsqu'il s'extirpa enfin, il était couvert de d'hémoglobine, et tout ses muscles tremblaient. Ses trois pattes valides flageolaient. L'une de ses oreilles pendait contre sa tempe. Et sa patte avant droite n'était qu'un déferlement brûlant de douleur vive au moindre mouvement. Mais il était vivant, et gagnant. Son souffle, court et saccadé, soufflait dans les poils maculé de liquide carmin de l'ours. Leemoncello recula d'un pas, s'assit et observa le corps encore chaud du combattant du Grizzly en inspirant profondément.

Tapi dans le corps de l'ours, Aka observait.

Le regard de Leemoncello était très particulier. Il n'exprimait pas grand-chose en dehors d'une intense concentration dont le dieu avait du mal à déceler les limites. Il analysait son ennemi avec la plus grande précision. Il n'attaquait pas de front, comme bien des jeunes loups le faisaient, au risque de se faire charger par une bête bien plus lourde et bien plus puissante qu'eux. C'était là toute la difficulté de l'épreuve d'Aka. La force seule ne menait strictement à rien.

Le fils de l'Alpha l'avait comprit, et c'était déjà un bon point. Maintenant, restait à savoir ce qu'il allait donner tout au long du combat. Le loup bondit, sauta sur le côté et tenta une approche par l'arrière. L'ours s'était déjà retourné et avait anticipé le mouvement, envoyant sa patte à l'impact. Aka eut un rire sec. Non, décidément, ils se surestimaient tous. Il revînt immédiatement à la charge, sans faillir, du moins pour l'instant. Il compensait son manque d'expérience avec une rage bouillonnante. Le dieu ne savait pas s'il devait s'en réjouir ou s'en inquiéter. Le reste du combat se déroula de manière assez équitable jusqu'à ce que le jeune mâle gris ne triomphe de la bête. Alors, Aka réapparut, son visage ne manifestant qu'une profonde réflexion.

Comme tous les dieux, il avait accès au futur proche. Il savait ce que l'avenir réservait à Leemoncello, et il voulait qu'il soit prêt. Le plus près possible. Silencieux, impassible, il le considérait les yeux dans les yeux. Sans cesser de le regarder, il fit disparaître le corps de l'ours et redressa le menton. Les muscles de ses épaules et de sa puissante encolure roulèrent sous sa peau lumineuse.

- Je souhaite t'imposer une seconde épreuve.

Il ne pouvait pas se contenter d'une victoire sur un ours. Certains chasseurs en tuaient de temps à autre pour nourrir la meute : c'était à la portée de trop de loups pour qu'il ne se permette de le juger que là-dessus. En y pensant, il se sentait idiot. Il aurait dû commencer par là.

- Je vais refermer tes blessures.

Il s'exécuta. Les plaies se refermèrent, mais ne disparurent pas complètement. Un coup de griffe bien senti aurait suffit à les ouvrir à nouveau. Sans se justifier, Aka ferma les yeux et invoqua une seconde créature. Elle était bien plus petite que l'ours, bien plus frêle aussi, quoique très haute sur pattes. Elle dépassait légèrement le loup gris en taille, mais il était moins large. Son poil était miteux, sale, couvert de puces et de plaies mal soignées. Ses dents étaient jaunes, son regard torve, l'une de ses oreilles ne tenait pas tout à fait droite. Ses pattes étaient pourvues de griffes incroyablement épaisses et aiguisées. Son corps portait à chaque endroit les marques d'une vie cruelle. Lorsque la créature posa les yeux sur son adversaire, un rictus immonde tordit sa face laide. Lorsque l'aura d'Aka disparut, la couleur brune de son pelage permit de l'identifier une bonne fois pour toutes. Mais il n'y avait plus aucun doute sur celle-ci, lorsqu'il se mit à rire, de ce rire sourd et profond qui ressemblait à s'y méprendre à un grondement.

Rengar.

Voilà qui déterminerait si Leemoncello était de taille à affronter son destin. Aka plonga son regard dans le sien, une ultime fois, et hocha une fois la tête. Il disparut, mais cette fois, l'horizon tout autour des combattants fut plongé dans une lumière rouge sang. Le sol fut balayé et remplacé par une terre ocre. Un vent violent soufflait dans leurs fourrures.

La deuxième épreuve, peu orthodoxe, pouvait commencer.

Il reprenait son souffle, oreilles dressées vers le dieu flamboyant. Une seconde épreuve ? Ce n'était pas très conventionnel. Mais Leemoncello était prêt à affronter tout ce que le Grizzly jugerait necessaire. Après tout, il avait tarder à venir, il avait tarder à avoir confiance en lui et en le monde. Sans un mot il fixa la divinité. Attendit, un sourcil arqué. Et là, son regard smaragdon s'arrondit. S'il avait eu des pupilles, nul doute qu'elle se seraient élargit au maximum. Un éclair de peur passa dans ses yeux alors qu'il semblait reconnaître la créature invoquée par Aka. Toutes les fibres de son corps vibrèrent d'émotion. Et le loup tetanisé se bébloqua d'un coup. Comme un coup de fouet, il bondit sur le côté, la colère ayant remplacé la terreur. Leemoncello écumait de rage. Que le loup face à lui soit une simple image en 3D créée par le dieu rouge n'enlevait rien à la haine étouffante qu'il avait pour Rengar. Le rire sardonique du balafré fit frissonner le jeune gris. Il gronda. Autour d'eux, l'Ecueil disparut. Le ciel se teinta d'une couleur sanglante et le vent se leva, balayant une terre abimée par la sécheresse. Il avait une tlele envie de violence là tout de suite. POussée par l'adrénaline et la soif de vengeance, il l'aurait bien égorgé. Froidement, il aurait adoré faire couler son sang lentement, jusqu'à voir la peur s'insinuer dans les yeux torve de Rengar, qu'à son tour, il ressente l'angoisse de voir la fin arriver.

Mais autre chose pointa le bout de sa truffe. Ce quelque chose qui le faisait plus vibrer encore que tuer pour le plaisir et sentir l'odeur capiteuse de l'hémoglobine envahir son palais. Ce quelque chose qui coupait court d'ailleurs à ses excès de violence de plus en plus souvent. Ce quelque chose qui faisait de Leemoncello le guerrier qu'il était devenu. L'entraînement stricte et la discipline qu'il s'était imposé avait chasser les doutes de sa tête, pour les remplacer par un code de conduite idéal : protéger, défendre, secourir. Et ce qui l'animait maintenant, c'était bien plus qu'un simple désir de venger la mort de son frère, de venger l'affront fait à son père et sa mère. Maintenant, tout ce qui le poussait à agir, c'était le besoin irrépréssible de protéger les siens. Protéger Adèle, Skaër, Pumpkeen, Tatsu de ce monstre barbare et sadique. Protéger Père d'un tordu comme lui qui ne souhaitait que mettre à mal la légitimité de Raw et donc son honneur. Protéger Mère d'un Meneur assoifé de pouvoir qui l'incitait à retourner dans la noirceur qu'elle avait eu tant de mal à quitter avant leur naissance et à la mort de leur frère. Protéger Valka d'un loup qui l'avait utilisé comme un pantin pour asseoir son droit. Mêle s'il avait de la rancoeur pour ces trois-là, il ne leur voulait pas un tel mal. Et puis... protéger sa meute d'un envahisseur violent qui n'hésitait pas à faire couler le sang pour affoler et diviser, pour mieux regner, était de toute façon la chose à faire.

C'est ainsi, mu par l'amour qu'il avait pour sa meute et sa famille, par la bravoure d'un guerrier pourfendeur de dragon, par le courage d'un soldat qui sait pourquoi et pour qui il se bat, Leemoncello se jeta contre Rengar. Ses plaies refermées par le Grizzly restaient douloureuses, mais toute fatigue s'était envolée. Une nouvelle vigueur l'aidait à se battre. Le loup gris claqua des dents, ratant l'épaule. Le mâle adverse le poussa à terre et se jeta sur lui, griffe en avant. Un regard à cet attirail de mort que portait Rengar confirma à Leemoncello qu'il devait à tout prix éviter un coup de patte. Comme pour l'ours au final. Sauf que là, il ne protégeait pas seulement sa propre vie, mais celles de tout les Séides. Museau froncé, Leemoncello grogna et roula sur le dos pour repousser l'asaillant. Il se redressa et bondit vers Rengar, allongé sur le flanc. Mais au lieu de chercher à le mordre ainsi, il sauta par dessus et attrappa le colet du combattant bien plus aguerris que lui. Il sentit ses crocs s'enfoncer dans la peau du cou... Mais pas dans la chair. Surpris, il se rejeta en arrière pour éviter un retour de museau. Rengar n'était pas que du muscle et de la viande coriace finalement. Il était aussi un vieux loup maigre à la fourure un peu miteuse. Il pouvait certes se targuer d'être un bon guerrier, mais Leemoncello avait de son côté l'entrainement et le désir de potection alors que le loup beige et marron, vicelard, avait l'expérience et la cruauté.

Cela se valait à peu près. Mais ne dit-on pas que le bien triomphe toujours du mal ? Et le fils des Alphas était convaincu du bien fondé de sa détermination à gagner. Alors, il inspira pronfondément laissa approcher l'autre loup. Il le dépassait de plusieurs centimètres. Leemoncello était plutôt de taille moyenne, et possédait la musculature fine et élancée des descandants de l'Araignée. Il était donc aussi plus léger. Il y avait là un point a exploiter. Si Rengar était plus grand, son centre de gravité était plus haut et donc moins stable. Par ailleurs, s'il était plus lourd, il serait difficile à bousculer. Sauf s'il le prenait par les flancs. Cela lui donna une idée. Avant que l'adversaire ne soit sur lui, il sauta sur sa droite, se jeta sur son dos sans intention de tenir debout. Ses crocs s'encrèrent dans la peau du cou de Rengar comme avant, et ses pattes griffèrent les flancs du mâle borgne. Comme il s'était jeter dans le but de ne pas tenir sur son dos mais de retomber de l'autre côté, il glissa comme prévu à terre en retourna le mâle par dessus lui, l'entraînant dans sa chute. Cela lui permet de le repousser avec ses postérieurs sans toutefois lâcher la prise de ses crocs. Il recommença à griffer tant qu'il pu avant que Rengar ne réplique. Le retour fut brutale, car Leemoncello ne s'attendait pas du tout à ce que le monstre de sadisme qu'était le mâle beige et brun soit aussi leste. Il se prit plusieurs coup de dents dans l'épaule et la patte avant droite, et n'eut d'autre choix que de repousser encore et encore l'asaillant sans plus pouvoir attaquer.

Il s'essouflait, se fatiguait, et toutes ses blessures saignaient. Son corps devint poisseux de sueur et dd'hémoglobine mêlées. A son soulagement, il en était de même pour Rengar, quoi qu'il n'ai pas le poil autant rougit. Le combat était rude. Leemoncello avait du mal à se montrer plus rusé que le cruel Rengar. Ne lui restait cette fois, que la force pure. Il devait fatiguer l'ennemi, et le frapper au corps. Le souffle rauque du jeune gris soulevait son thorax avec régularité tout de même. Il n'était pas si essouflé. Il pouvait encore tenir. Il s'était entraîné dur pour ça. A nouveau, il se jeta sur l'autre loup. Et il mordit tout ce qui passait à sa portée. Une patte, un bout d'épaule, un bout de queue. Rengar grondait autaut que lui. Tout deux roulaient à terre dans un amalgame de poil anthracite et marron. Des touffes de ces-dits poils volaient en tout sens. Leemoncello s'extirpa des crocs de Rengar pour se ruer sur lui encore, bondissant sur son dos sans ménagement. Il attrapa la peau de son cou et tira, tira, tira, tout en essayant de se laisser tomber en arrière pour, comme avant l'entraîner dans sa chute. Sauf que là, il essayait de le faire voler au dessus de lui et plus simplement le faire tomber. Il y parvint avec un beaucoup d'effort : les muscles de sa cou et de son dos le brûlait. Il se releva sans s'ébrouer et planta ses crocs dans l'abdomen offert de la bête sonnée par la chute. Le douleur lui fit retrouver ses epsrits car il balança au jeune loup un coup de griffe rageur sur la tempe de Leemoncello, qui tituba en arrière.

Sa vision s'assombrit, se teinta plus encore de grenat. Comme si l'atmosphère lugubre et écarlate ne suffisait pas à rendre les deux combattants au summum de leur rage. Rengar se jeta sur le fils des Alphas qui trébucha sous l'impact. Il se retrouvèrent encore une fois cul par dessus tête. Le douleur vrillait la tête du mâle anthracite. L'instinct de survie remit en marche ses neurones. Il devait tuer Rengar, pour l'empêcher de faire plus de mal que ce qu'il avait déjà commis. Il devait l'empêcher de nuire. Il devait surtout ne pas prendre le risque qu'il s'en prenne encore aux siens, à la fragile Pumpkeen, la douce Adèle, la brisée Tatsu, ou le téméraire Skaër. Non Leemoncello ne pouvait pas permettre cela. Il se redressa a demi, pour éviter un nouvel assaut, puis il se leva, et plongea sous le borgne pour lui lacérer le ventre de ses griffes. Le Precursor chercha à se retourner, mordit le cou du Séide, proche de la jugulaire. Trop proche d'ailleurs. Le gris s'était décalé à temps, profitant que l'attention de l'autre loup soit fixé sur sa gorge pour lui assené un coup de griffe dans le museau, le repousser, le renverser et le mordre à son tour sous la mâchoire. Lui aussi rata le point vital de peu. Ils s'écartèrent tout deux. Haletants, saignants abondemment. La tête du jeune loup tournait, il avait la nausée tant le goût métallique du sang imbibait ses papilles et sa truffe. Ce le révulsait presque. Il jeta un oeil à son épaule meurtrie, à son antérieure droite maculée de sang, à ses flancs griffés.

Mais Rengar était autant abîmé que lui. Peut-être un peu plus. Il soufflait lui fort lui. Sa respiration était irrégulière et son regard fou et vague. Leemoncello aurait juré être sur le point de remporter la victoire, quand la créature d'Aka se jeta encore sur lui, plus férocement encore. Le choc frontal lui coupa net le souffle. Ils mordirent la poussière, tout les deux, roulant sur cette terre aride que des gliclées de ang zébraient. Leemoncello se demanda s'il était prêt à aller jusqu'au bout, à mourir, si cela permettait de mettre Rengar dans la tombe. Il ne se posa pas la question longtemps. L'image de ses parents en deuil, des blessures infligées à ses compagnons d'armes dans la Mine... Toute l'horreur lui revint en mémoire. Et il se décida. S'il devait mourir pour protéger les siens, il ne perdrait même pas son temps à savoir si cela en valait la peine. Bien sûr. Cela en valait toujours la peine. Alors, les yeux assassins et le coeur prêt à exploser hors de sa cage thoracique, écumant de sueur et de sang, le poil dressé et gonflé pour effrayer l'ennemi, il bondit sur Rengar. Il mit tout ce qu'il lui restait de force dans l'avant du corps pour le boucsuler à terre et chercha à plonger les crocs dans les tripes du Precursor. Mettre fin à la vie du borgne, c'était mettre fins au cauchemar de ses frères Séides.

Aka avait conscience qu'il en demandait beaucoup.

Mais ce n'était pas la première fois qu'il imposait une double épreuve à un prétendant au Glowstick rouge. Ca avait été le cas pour Blair, mais ses motivations avaient été différentes. Ou pas ? Car au final, ce qu'il cherchait à évaluer chez elle comme chez Leemoncello, c'étaient bel et bien les capacités à défendre sa meute, la volonté de se surpasser, de se mettre constamment à l'épreuve, et d'être aussi robuste dans son corps que dans sa tête. Après tout, c'était le mental qui faisait la différence sur le champ de bataille. N'importe quel loup se valait à la force. L'entraînement pouvait faire une différence notable. Mais c'était bien le contenu de sa boîte crânienne qui lui permettait de se distinguer des autres.

Il n'avait pas façonné Rengar à la légère : il lui ressemblait parfaitement, il était aussi fort et intelligent que l'original. S'il n'était pas devenu complètement fou, il aurait pu être l'incarnation parfaite d'Aka parmi les mortels. Leemoncello s'avéra être un adversaire de taille, qui mit l'avatar du chef des Precursors en grande difficulté, et ce à plusieurs reprises, sous le regard satisfait du dieu rouge. Il observa le combat sans bouger, invisible, mais présent partout à la fois, alors que les deux adversaires combattaient dans un monde de lumière rouge sang. Ce ne fut que lorsque le jeune Séide parvînt à maintenir son ennemi au sol, sans qu'il ne puisse se relever, qu'Aka se matérialisa de nouveau face à lui.

Il était dans un sale état, couvert de blessures, épuisé, essoufflé. Le dieu patienta, jusqu'à ce qu'il ne relève le menton vers lui. Ce fut ce qu'il vit, à cet instant-là, qui combla son coeur. De la détermination, de l'entêtement même. Du sérieux, de la rigueur. De la persévérance, de la fierté, de l'intégrité. Et une certaine retenue à mettre un terme à l'existence d'un être de sang-froid. Aka ferma les yeux à demi et dissipa l'illusion de Rengar, qui fondit comme neige au soleil sous les griffes de Leemoncello. Il s'écoula quelques instants, puis Aka pencha la tête vers le loup gris, le visage empreint de fierté.

- Il y avait longtemps que je n'avais pas vu un combat de cette qualité.

Et il était encore plus rare d'entendre Aka formuler un compliment sincère. C'était peut-être la première fois depuis la reconstruction orchestrée par Cronos. Il se leva, soulevant de tous les côtés des vents chauds et virulents, alors que petit à petit, le monde retrouvait ses couleurs normales. Il se détourna, et fit signe à Leemoncello de le suivre jusqu'à l'autel. Il plongea un Glowstick dans les eaux sacrées, sous le regard attentif de son cadet, et le déposa à ses pattes. Il resta assis à ses côtés un moment, contemplant leurs reflets dans le liquide magique, avant de pousser un bref soupir.

- Une destinée toute particulière t'attend. Je devais m'assurer que tu étais prêt à l'affronter. Je suis désormais convaincu que tu es à la hauteur, mais ne crois pas que tout est gagné d'avance. Tu vas apporter un second souffle à ta meute, mais cela aura un prix. Ne considères pas ce Glowstick comme un laisser-passer vers une victoire inconditionnelle. Ce n'est que la clé qui déverrouille la porte vers le commencement d'un tout beaucoup plus grand, et sur lequel je ne peux que très difficilement mettre des mots.

Il ne pouvait de toutes façons pas en dire plus. Il lui fit face, baissa les yeux vers lui, et effleura le sommet de son crâne du bout de sa truffe, aussi près qu'il n'y était autorisé. C'était avec une espèce de mélancolie et de regret que le dieu se remit d'aplomb sur ses quatre pattes et recula de deux pas.

- Te voilà désormais Disciple de la Force. Rends honneur à ce Glowstick, à ses principes, et à ta meute : c'est la seule façon de mener à bien tout ce que tu souhaiteras entreprendre. Bien des fois, tu seras tenté de tourner le dos à ce lien qui nous unit, car il implique de grandes responsabilités. A toi de prouver que tu es plus fort que cette tentation, et qu'aucun honneur ne dépasse celui d'être un bon Alpha pour les Séides.

Il hocha une fois la tête, puis disparut dans un éclat de lumière rouge. Peu de temps après, le calme plat était retombé dans l’Écueil Magnétique.