Chaud bouillant {Rorschach}

Chaud bouillant

Meta Rorschach
Vekah Vulkain

Rorschach, au contraire, détestait la chaleur estivale. Il lui préférait largement les pluies de l'automne et le vent de l'hiver, qui lui étaient moins pénibles à supporter que le soleil martelant. En effet ce n'était pas un grand fana de la bronzette, il passait le plus clair de son temps à se trouver un coin ombragé ou à retourner la terre pour se rouler dedans dans l'espoir d'y trouver un semblant de fraîcheur, pendant que la grande majorité de ses congénères en profitaient pour aller vadrouiller allégrement tout le long de la journée. L'intersaison tirait sur sa fin et avec elle, elle emportait une partie de la joie de vivre du grand loup blanc, aujourd'hui déjà il semblait anormalement morose, contrairement à ses habitudes. D'autant plus que sa quête de tranquilité l'empêchait de favoriser le développement de sa vie sociale, or le molosse appréciait taper la discute. Etant un nomade, ses échanges avec les autres étaient plutôt sporadiques. C'est donc avec la fervante volonté de renouveller un peu son éventail de connaissances qu'il s'enfonça assez hasardement dans les terres libres. Il avait beau avoir l'âme d'un explorateur, il avait gardé l'habitude de cheminer le long des frontières des vastes territoires tous au paysage varié - une habitude inculquée par ses parents adoptifs - notamment les territoires où la température restait élevée plus ou moins toute l'année, comme les Plaines Savannes ici à l'occurence. Son poil court qui lui assurait une certaine impérméabilité et sa crinière généreusement fournie étaient idéals pour les excursions en pays humide et froid, alors en revanche ici tout cela ne lui servait à rien, si ce n'est empirer son calvaire. Toutefois, l'idée de s'écarter de ses habitudes lui semblait judicieuse pour trouver du monde, puisque peu d'individus de son espèce élisaient domicile dans des lieux comme la Grève gelée ou la Lande des Brumes.

Il lui semblait pouvoir percevoir pas si loin que ça du mouvement, au milieu de quelques rochers qui émergaient de cette mer dorée aux houles traînantes et paresseuses. Une silouhette semblait-il canine s'en détachait vaguement, et visiblement l'énergumène profitait d'un repas copieux et peut-être savoureux puisqu'il ne relevait quasiment jamais le museau. En général, Rorschach évitait de déranger les autres loups lors de moments pareils, mais il devait bien admettre, maintenant qu'il y pensait, qu'il n'aurait pas craché sur un morceau de viande à côté d'un brin de causette. Le soleil était à son zénith depuis un petit moment déjà et son dernier en-cas datait de la soirée dernière. Il n'était peut-être pas dans l'urgence, d'un autre côté la tentation de se premettre un déjeuner plus tôt que d'ordinaire était trop forte, il s'élança donc avec un peu plus d'entrain en direction de son second d'un trot léger.

« Hoy camarade- »

L'autre loup s'avérait être un mâle aux cheveux aux teintes enflammées, plutôt jeune mais déjà bien campé sur des pattes solides, c'était un bon petit keupon qui arborait, accroché à son keffieh, un glowstick vert, vraisemblablement. Toutefois ce n'était pas le fait qu'il s'agisse d'un clanique qui le contrariait plus que le voudrait la norme, mais plutôt les gravats qu'il engloutait à coeur joie afin de taire sa faim. Wait. Où était donc passé le pavé de gazelle ? Qu'était-il advenu du bon gros cuissot de zèbre ?
Il entrouvrit la gueule... pour finalement la refermait sans piper le moindre mot. Son sourcil droit, inconsciemment, se haussa à mesure que ses songes et espoirs s'évaporaient lentement, alors que la faim se faisait toujours plus pressante.

Ce fut au tour du clanique de tirer une drôle de gueule. Il était vrai que Rorschach avait une apparence qui trahissait des origines peu ordinaires aux canidés qui sillonnaient le territoire de Punk Wolf. Souvent beaucoup plus grand et volumineux que la population locale, il n'était pas étranger au solitaire de croiser des regards ahuris et des moues ambigues. Tout en muscle et taillé cubique, avec des oreilles anormalement tombantes et des yeux de couleurs différentes, il ne pouvait que comprendre le malaise qui s'installait parfois entre lui et ses interlocuteurs, mais étant plutôt adaptatif il s'était fait au sentiment de surprise qu'il suscitait souvent et au final il ne tenait plus compte que des grimacements qui tiraient vers la désaprobation, parce qu'en plus d'être pour la plupart assez peu tolérants étant donné leur appartenance à une meute, certains étaient également racistes, et il serait stupide de nier que le brun possédait autre chose que du simple loup lambda dans les gènes comme on peut pourtant en trouver à la pelle dans les terres environnantes. En réalité, il n'en avait pas grand chose à faire à ce niveau-là; il n'avait jamais essayé de retrouver ses parents biologiques et probablement il ne le ferait jamais. En paix avec lui-même, il n'y voyait pas un grand intérêt et ne pensait pas que cela l'aiderait à y voir plus clair. D'après lui, il n'avait pas à connaître forcément ses géniteurs pour savoir qui il était et qui il devrait ou voudrait devenir. Adhérant de la pensée existentialiste, il attachait beaucoup plus de valeur aux exploits et divers actes que chacun accomplissait durant son existence qu'à la naissance. Son père ou sa mère aurait pu être des grands monarques que ça ne lui donnerait pas plus envie d'aller les saluer, et ça ne le rendrait pas plus arrogant, altier ou autoritaire. Il s'en fichait complètement. Il avait vécu une enfance idéale, qui dépassait selon lui le strict nécessaire, avec des parents attentionés et pragmatiques qui convenaient tout à fait bien qu'ils aient été de substitution, et désormais il vivait sa propre vie de nomade, ne faisant que ce qui lui plaisait et n'allant que où bon lui semble et à son gré. Il n'avait rien à reprocher ni à envier aux autres. Evidemment, au cours de ces deux dernières années il avait été mis au courant de l'existence de deux meutes importantes qui vouaient un culte à des Dieux présentuement réels, qui cédaient à leurs sujets des pouvoirs surnaturels par le biais de sources magiques dans lesquelles ils y puisaient un peu de ces liquides pour remplir des glowsticks. Ca lui paraissait bien étrange, mais il n'était jamais allé vérifier et à vrai dire la perspective de se faire crâmer le postérieur ou de se prendre une mandale monumentale par des types à la force extraordinaire - en admettant que leurs grigis leurs conféraient réellement des pouvoirs - ne rendait pas l'idée très alléchante. Ca ne lui avait pas empêché néanmoins d'aller usurper deux ou trois fois un morceau de viande lorsqu'il en avait eu la rare occasion. Mais que voulez-vous, était-il mieux de se résoudre à se nourrir de cailloux comme le faisait à l'occurence le gars qui lui faisait face le jour présent ?

« Plus ou moins... J'ai encore du pays à voir. »

Rorschach ne pouvait s'empêcher de le dévisager. Il avait ouïe dire que certaines espèces avalaient parfois des pierres pour faciliter la digestion, du moins quelque chose dans ce style, autant le voir de ses propres yeux le faisait subitement oublier que c'était pourtant possible. Il ignorait surtout que c'était une coutume lupine, toujours si cela en était une. A priori le jeune loup avait apprécié ce repas, exotique aux yeux du plus âgé, et rien ne trahissait une quelconque douleur à l'estomac ou ailleurs, pourtant il aurait juré l'avoir vu engloutir une pierre aux dimensions plutôt dissuasives. Vraiment il n'arrivait pas à comprendre qu'est-ce qui le poussait à s'adonner à pareille activité, à moins qu'il ait sérieusement besoin de consommer quelque chose mais, de l'idée qu'il se faisait d'une vie grégaire, ses déjeuners devaient être nettement plus copieux que ce qu'arrivait à s'offrir un solitaire, donc il y avait peu de chances que le clanique soit dans l'urgence. Il n'avait pas non plus les côtes saillantes ni un tour de poignet horriblement serré. Il s'éclaircit la voix au bout de quelques instants de réflexion vaine.

« Et euh... Vous avez pour habitude de vous nourrir de gravier dans le coin ? »

Malgré la tentative de l'autre de s'écarter du sujet, le mâle tricolore, lui, avait besoin d'explications. Aucune forme de moquerie n'avait émergée lorsqu'il avait posé sa question. Au fond il ne traînait jamais sur des territoires de ce type alors il se pouvait bien que ça soit le cas. A sa plus grande surprise malgré tout.