Fuhrer s’était levé de bon pied ce matin, et à son habitude, il courut. Bien mal lui en prit lorsqu’il se perdit.
Parti de bon matin en voulant une fois de plus faire la fierté de son père, il se leva le premier et sortit avant quiconque. Il s’élança sur le parcours habituel, avec une détermination sans faille. Celle-ci, fidèle à elle-même, se révélera comme toujours fatale. Car vouloir se surpasser implique des initiatives. Seulement, il n’était qu’un petit louveteau… qui ne savait en aucun cas évaluer la juste mesure de ses actes. Certes il était sage, intelligent et rusé mais cela ne l’empêchait pas d’être un loup de 6 mois, et de faire toutes les choses inintelligentes correspondantes à cet âge.
C’est dans cet état d’esprit de surpassement de soi qu’il innova un parcours. A mi-chemin, il bifurqua à droite et courut encore plus vite. Il ne rendit pas compte de son chemin, de l’épaississent progressif de la forêt, du silence régnant en roi. Puis, lorsqu’il sentit cette atmosphère pesante et commença à s’inquiéter, il était trop tard. Il venait d’attendre la lisière de la forêt et déboucha à l’air libre. Toutes ses angoisses naissantes s’envolèrent. Soulagé, il prit note de l’environnement l’entourant.
C’était un tout autre paysage qui l’attendait. Une vallée. Encadrée par des montagnes touchant les cieux, des doux murmures s’élevaient perpétuellement. Tantôt envoutants, tantôt effrayants. Il lui semblait que c’était l’au-delà qui lui parlait, que les défunts retrouvaient leur liberté d’expression en cette vallée. Curieux comme un jeune loup, il s’avança doucement.
L’herbe grassouillette lui semblait tellement douce sous ses pieds, l’air frais lui paraissait tellement pur dans ses poumons. Il sourit. Ici il se sentait pour la première fois heureux, loin de cette famille, de son père surtout, car il aimait ses frères et soeurs. C’était son père, ce monstre qui retenait sa mere, depuis qu’il avait compris la situation familiale, ses sentiments face à la figure paternel était plus qu’ambivalent. D’abord de la colère contre l’individu séquestrant l’être qu’il aimait le plus, qu’il voulait absolument faire sourire. Ensuite de l’admiration envers l’individu incarnant à ses yeux toute la force et la puissance du monde. Il voulait à tout prix faire la fierté de son père. En ce sens, il donnait tout ce qu’il avait dans son maigre ventre de louveteau à chaque fois que son père le mettait au défie, c’est-à-dire à chaque instant de sa courte existence.
Mais ici, dans la vallée, il était bien pour la première fois, hors de portée de son père. Et il ressentait l’appel des murmures, ou tout du moins il sa plaisait à l’imaginer ainsi, trouvant par là un prétexte pour s’enfoncer dans cette vallée paradisiaque.
Il aimait ces voix défuntes, qui vibraient au plus profond de son être. Elles semblaient résonner en son âme, provoquant des émotions déroutantes pour un jeune loup tel que lui. Alors il décida alors de les suivre, trop curieux pour faire marche arrière. Il marcha, ne courant plus, n’avançant plus pour son père. Simplement, il progressait aux grés de la vallée, aux sons des murmures envoûtant. Il se sentait léger. Il se sentait libre.
Apres un temps indéfini, qui passa trop vite à son goût, Fuhrer retrouva d’un seul coup ses esprits. Dérouté, il ne sut dire où il était, comment il était arrivé ici et ce qu’il faisait au bord de ce ruisseau d’une eau si claire qu’il se vit dedans. Perplexe, il s’admira. Ce qu’il paraissait fort, pour un louveteau. Plus tard, il serait un grand guerrier, comme son père. Cette pensée enfantine le ramena définitivement à la réalité lugubre de sa vie. Son père. Mais qu’avait-il fait ? Un seul mot s’ancra dans sa tête : décevoir.
Alors il paniqua. Totalement. Sa respiration s’accéléra, les battements de son coeur s’envolèrent et il tourna sur lui-même, trop vite pour percevoir mais pas assez pour enrayer cette peur que l’inconnu pouvait procurer à un louveteau, même aussi brave et malin que lui. Il ne savait que faire. Perdu était un bien trop faible mot pour le qualifier.
Sa panique réquisitionnait tout son esprit, sur l’instant il n’arriva pas à se concentrer suffisamment pour réfléchir. Il ne vit donc pas qu’il n’était pas seul, qu’une présence réelle occupait les environs. Enfin, après un moment de folie juvénile, il prit conscience de l’existence d’une petite créature non loin de lui. Et il se tourna dans sa direction.