Double jeux — Gloriel

« Double jeux »
Ft. Gloriel

Le soleil pointait tout juste le bout de son nez à l'horizon, une légère brise l'encourageait dans sa progression. Il était très tôt et tout était encore calme, les oiseaux dormaient encore et seule le fracas des vagues contre les rochers résonnait à ses oreilles, doux son dans ce décors paisible. Anianka était allongée sur le bord de l'un de ces rochers, ses deux pattes avant retombant par dessus. Son poil mouvementé par le vent marin se reflétait à merveille avec les premières lueurs orangées, ses iris n'en étaient que plus scintillantes. Sa poitrine était fièrement relevée, valorisant un magnifique glowstick aux couleur de la Tigresse. L'île de la déesse se trouvait juste en face d'elle, de l'autre côté de la rive.

Elle n'avait pas fermé l'oeil de la nuit, elle était à la fois pensive et soulagée suite à la réussite de son épreuve. Pourtant, aucune fatigue ne venait flétrir son radieux visage, elle restait belle et toujours soignée.
Ce nouveau rôle de Prêtresse était à double tranchant et elle devait l'utiliser avec précaution. Elle contrôlait toujours toutes les situations à merveille, voilà que ce nouveau don de Moiro lui facilitait la tâche. D'ailleurs, quelle pouvoir pouvait bien détenir ce glowstick ? Elle se languissait déjà de pouvoir l'utiliser. Et Sorrow, avait-elle eu autant de succès avec Ao ? Depuis leur adhésion à la meute, elle ne s'étaient pas encore croisées. Anie avait ses propres occupations mais suivait tout d'un oeil distant. Aussi, elle savait très bien que leur arrivée avait posé quelques conflits au sein de la meute. Elle espérait cependant ne pas être confronté au même regard que chez les Etelkrus.

Elle détourna son regard sur le flanc Est et aperçut du coin de l'oeil une silhouette approcher.
Ce n'était qu'une question de temps avant que le chevalier ne vienne finalement la voir.

Bonjour, Sir Gloriel. Salua-t-elle en fixant l'écume moussante qui bordait le bord de mer.

Sa visite n'avait rien d'étonnant, Anie n'avait pas eu besoin d'utiliser les yeux de Moiro pour le voir, elle avait les siens. A vrai dire, elle avait des yeux un peu partout.

Que me vaut une visite aussi matinale ? L'interrogea-t-elle en levant sur lui ses iris ambrés.

Le sérieux et la droiture du chevalier lui arracha un sourire, elle croisa l'une de ses pattes sur l'autre et le remercia d'un ravissant signe du museau.

Elle savait parfaitement qui était Gloriel. La jeune inquisitrice s'était renseignée sur ce chevalier protecteur des Lazulis, et son comportement ne l'étonna guerre. Tout aussi méfiant que son frère Alys, il semblait cependant un peu plus mature et ouvert. Elle devait manier les pincettes pour cerner ce mâle là, il pouvait se montrer redoutable lui aussi. Elle espérait qu'il ne la jugerait pas trop vite comme l'avait fait son aîné, elle n'avait aucune envie de se faire rejetée de nouveau.

Ne le lâchant pas de ses grandes prunelles, elle lui répondit d'une voix presque mélodieuse :

Ma mère me manque oui, mais les autres non.

Une réponse courte et efficace. Sincère peut-être, ou peut-être pas, elle seule pouvait le savoir. Elle n'était pas du genre à s'étaler sur sa vie, et encore moins sur son ressentie. Elle était réservée et ne se confiait pas au premier venu. Une petite ride se forma entre ses arcades, signe de contrariété. Anianka n'avait aucun bon souvenir de son ancienne meute, ils l'avaient emprisonnée et derrière leurs regards se reflétaient que dégoût et sévérité.

Ses oreilles frétillèrent un instant lorsqu'une légère bourrasque vint agiter sa mèche devant ses yeux, douce caresse sur son pelage tricolore. Elle battit calmement des cils avant de répondre le plus aimablement possible :

Oui, c'est bien elle.

On ne peut rien vous cacher, chevalier. Rajouta-t-elle sans le quitter du feu de son regard insistant.

Alors qu'il regardait ailleurs, elle entreprit quelques coups de langues sur le dessus de sa patte. Elle était soignée et si raffinées dans ses gestes, que certains l'accusaient d'être maniaque. Elle releva le museau quant il posa enfin la question qu'elle attendait. Ils échangèrent alors un long regard et sans ciller, elle haussa naturellement des épaules.

Je suppose qu'elle n'en a pas eu le temps. Les responsabilités d'alpha doivent être lourdes à porter et puis je ne lui en veux pas, je ne la connais presque pas.

Sa langue passa doucement sur sa babine.

Je suis assez grande pour me présenter, si quelqu'un s'interesse à moi.

Elle lui sourit et les petites fossettes qui se formèrent aux coins de ses babines lui rajoutèrent encore plus de charme. Il est vrai qu'avec l'attaque du Cerf, Morrow avait été davantage préoccupée par les blessés et les morts que par ses filles. Un gêne s'était installé entre la mère et les deux filles depuis leur rencontre. Morrow avait envie de les connaître, mais la honte de son absence la décourageait dans ses tentatives.

De toute façon, les rumeurs et les potins ont déjà fait le travail sinon tu ne serais pas ici, n'est-ce pas ? Railla-t-elle en haussant un sourcil.

Au loin, quelques goélands se disputaient un poisson sur la rive dans un concert de railleries. Le combat n'avait rien de bien divertissant mais cela suffisait aux yeux d'Anie qui se montrait indifférente aux paroles du guerrier. Elle le laissa déballer son sac pendant un long moment, ses iris ambrés fixées sur cette scène absurde, silencieuse. Un des goélands parvint à arracher le plus gros morceau et s'envola plus loin avec son butin. Deux autres le suivirent, en laissant les restes au petit troisième qui le dégusta sans peine. En pleins vol, les trois volatiles se bagarrèrent pour le morceau arraché et il finit par tomber à la mer. L'un d'eux piqua vers la mer pour le récupérer mais c'était trop tard, le morceau était perdu.
Quelle espèce idiote n'est-ce pas ? Ils ne servent qu'à nourrir les plus forts. La vie était faite ainsi, les plus forts dominaient et les plus faibles devaient se soumettre.

Lorsqu'il eut fini, elle tourna son regard coquet sur le chevalier, une expression neutre sur le visage. Ses paroles sonnaient comme des menaces et pourtant, Anie ne montra aucune réaction.

Je ne suis pas cachée, Gloriel. Répondit-elle simplement.
Peut importe si certains croient que j'ai eu les grâces des alphas ou non pour être recrutée, cela m'indiffère. Je n'ai rien demandé et pourtant je suis là, et je porte les couleurs de Moiro. Tu peux contester mon intégration autant que tu le veux, cela n'y changera rien. Moiro m'a choisi, et si certains sont jaloux, tant pis.

Je trouve vraiment dommage que tu me juges si vite, chevalier, parce que j'ai eu plus d'aisance que certains autres. J'ai pourtant fait mes preuves chez les Nakhus contre le Cerf, je pensais que cela suffirait. Je n'ai pas quitté les Etelkrus pour me retrouver avec d'autres personnes qui me jugent sur l'origine de mon sang.

Elle détourna son regard sur la mer qui s'écrasait sur la berge, toujours aussi neutre, presque peinée. Sa voix était grave et démontrait une pointe de déception.

Elle marqua un silence, avant de reprendre en levant légèrement la tête :

Soit, je suivrais ton conseil Gloriel, je me présenterai à la prochaine réunion.

Puis elle tourna ses prunelles intenses pour les plonger dans ceux du mâle, assurant sa sincérité.

Bien que son regard était perdu ailleurs et lui donnait un air lassé, elle écoutait très bien les paroles du guerrier qui ne cessait de la mettre en garde. Anie n'avait pas de quoi s'inquiéter avec son nouveau grade de prêtresse, elle avoir beaucoup de cartes en jeu et des atouts redoutables. En tout cas, c'est ce qu'elle pensait. Elle ne craignait personne à part peut-être son ancien alpha, l'ours noir mal léché. Et encore.. la vieillesse le rendait fragile et gras, bientôt il ne sera plus capable de se défendre et il perdra la partie.  A cette idée, l'excitation emballait le coeur de la jeune inquisitrice. Ce surnom sonnait plutôt bien à ses oreilles, c'est ainsi que certains commençaient déjà à l'appeler depuis ses nouveaux pouvoirs.

Elle tourna son regard vers lui, un peu plus ardent que depuis le début de leur conversation. Il piquait son attention à vif en proclament qu'elle n'avait pas sa place dans les Lazulis. Pour qui se prenait-il pour dire une telle chose ? Son visage était beaucoup moins jovial, son sourire avait disparu.

Je trouve que tu t'obstines beaucoup à croire que tout se résume à mon sang. Lorsque Moiro m'a jugée pour son épreuve, ce n'est pas mon sang qu'elle a jugé.

Elle plissa légèrement les yeux avec sévérité. Elle n'avait pas quitté une meute qui la rejetait pour se faire rejeter de nouveau, tout ça à cause de son " sang ". Pourquoi se faisait-elle tant jugée pour cela ? Peut-être que Gloriel était tout simplement comme son frère, fermé d'esprit, rejetant tout ce qui était nouveau ou un peu différent.

Elle soupira par les narines et ferma les paupières quelques secondes.

Bizarrement, je suis un peu plus concernée que les autres dans ton histoire de preuves. Que faut-il que je fasse pour être acceptée au juste ? Dit-elle en les rouvrant vers la mer, le visage plus détendu, mais aussi plus déconcerté.