Au clair de lune (Toute la meute et 18+)

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« Creek & Tatch & Kéran & Grand'Pa & Karigan & Cendrillon & Saitan & Koellya & Neït

[ ... ]

Les trois frères avaient fait un premier voyage pour déposer leur premier butin. Ils étaient arrivés avec chacun un paquet sur le dos. Leur première expédition, en territoires Lazulis avaient été un franc succès, même si l'épaule du boiteux pulsait encore du baiser salé de la mer, à l'exacte place où la louve brune qu'il portait sur son dos avait planté ses crocs dans un espoir de survie. Sayuri, devenue belle louve hybride depuis sa métamorphose, les attendait avec un rictus complice sur la plage. Creek remarqua l'eau dégoulinant de son pelage et sourit à son tour. Il n'y avait presque rien qui égalait la sensation de liberté et de légèreté qu'apportait l'océan aux Pirates. Il laissa son paquetage tombé lourdement dans le sable, aux pattes de la Raeder sans se soucier de ses cris d’indignation sous le bâillon. Il fallait croire que la fraîcheur de l'eau salée était vivifiante, car tous les captifs sortirent de leurs torpeurs. Ils étaient trop tard, cependant, pour eux. Creek attendit que ses frangins l’imitent avant de lancer un clin d'oeil à la femelle qu'il avait traîné jusque là, celle qui portait un glowstick bleu sur la langue.

« Sayuri, commence à préparer ceux-là. Une bonne douche au Rhum le fera du bien. Méfie toi de celle-là, la vieille carne, elle semble sournoise. »

Ligotés et muselés comme ils étaient, Sayuri n'aurait aucun mal à préparer les trois là pour le rituel. Ils laissaient donc leur proie dans de très bonnes pattes. Puis ils s'en retournèrent, cette fois direction des terres Etelkrus, d'une de leur île plus particulièrement où le mâle à la patte de bois savait trouver plus de gibier. Avec délice, le Raeder se glissa dans l'eau et commença à battre des pattes pour rejoindre rapidement leur objectif. Il fallait revenir avant le levé du soleil...

[ ... ]

Lorsque le Capitaine, son Garde et le Maître des Rituels revinrent de leur pêche, ce fût avec trois nouvelles victimes. Creek tirait derrière lui la masse claire et ailé du vieil ivrogne. Il était lourd maintenant que son pelage et ses espèces de plumes étaient gorgés d'eau. Le boiteux pourtant, tirait avec la conviction et la détermination du fanatique. Le soleil pointait derrière l'horizon. Ils étaient pile dans les temps pour encore préparer les trois nouveaux arrivants avant de commencer la cérémonie. Creek aboya afin de prévenir Sayuri qu'ils arrivaient avec le prochain chargement. Il espérait, et ne doutait pas d'ailleurs, que tout s'était bien passé avec les trois loups Lazulis déjà importés. Il apporta le mâle Etelkru à côtés des deux autres adultes pour le préparer à ce qui allait suivre. Le vieux sembla s'éveiller et râler dans son bâillon sans toutefois trop se débattre. L'anthracite aux yeux de nuit s'en alla chercher un tonneau de Rhum maudit qu'il versa sur le loup ailé, le noyant à moitié. Enfin, il commença à retirer les muselières de fortune afin de laisser les cris s'élever pour Pontos.

« On pourrait peut-être enfermer les deux gamins ? Ils seront utiles plus tard. »

Soit pour subir le même sort que les autres loups de meute, soit pour jouer les larbins et apprendre à devenir de bons petits mousses. Creek imaginait déjà quelques moyens de leur laver le cerveau plutôt que la première option. Il n'avait rien contre la cruauté gratuite, mais à long terme, il pensait que deux jeunes membres d'équipages en plus, ça ne pouvait que être bénéfique. A condition de bien les embrigader bien sûr. Sinon, option numéro un, il ne serait jamais trop tard pour ça. Le loup à la patte de bois attendit l'avis de ses frères, et celui de Sayuri, qui les aiderait à parfaire la cérémonie, avant de tirer les gamins vers une grotte prison. Ou non. Si les autres jugeaient qu'ils ne feraient pas de bons petits captifs... Le regard de Creek rencontra l'aurore. C'était le moment idéal.

« Il est temps de commencer. La grande pierre sur la plage fera l'affaire pour l'autel. Au plus près de notre Roi. »

Un large sourire carnassier fendit le museau du loup gris tandis qu'il allait récupérer un nouveau tonneau de boisson frelatée maudite et un autre, vide. Il rapporta aussi quelques bols, pour mieux transvaser, si jamais. Puis, avec l'aide des autres, ils embarquèrent leurs passagers pour un voyage infini et à sens unique. Au loin, un arc-en-ciel apparut. Signe qu'il pleuvait quelque part, mais aussi dans la croyance des marins, un chemin qui s'ouvrait entre le monde des vivants et le monde des morts. Quoi de plus idéal ? Un signe parfait pour débuter leur rituel. L'arc-en-Ciel était aussi réputé pour créer des tempêtes en aspirant l'eau de la mer par ses deux bouts. Et évidemment, il ne fallait pas le montrer de la patte sans quoi on prenait le risque de se voir subir la colère des tornades et des typhons. Creek inspira profondément, tout était parfait.

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Enfin fut lancé l'appel. Le ballet des Pirates commença au rythme de leurs cœurs battant en résonance avec le ressac. La fièvre s'empara de Creek tandis qu'il rejoignait son frère en tirant sa proie sans ménagement. La vieille louve Lazuli au pelage brun pouvait toujours essayer de résister, mais ses liens étaient biens serrés. Mu par une soudaine envie de l'entendre s'égosiller, le loup sombre à la patte de bois détacha le bâillon d'un coup de crocs sec en soufflant son haleine alcoolisée dans la truffe de la captive. Il l’attrapa au collet pour éviter ses éventuels claquements de dents et la tira dans le sable jusqu'à l'autel improvisé. Tatch s'activait sur l'Etelkru qu'ils avaient attrapés en premier. Il plaça la femelle sur le rocher, s'assurant qu’elle ne pourrait pas tomber même en se tortillant comme un ver. Puis il attrapa un bol fait d'une demi noix de coco, l'emplit de Rhum maudit dans un des tonneaux apportés non loin de leur table sacrificielle et versa le contenu sur la tête de sa proie.

« In Rum Veritas. »

Il décala un peu la louve brune sans se soucier de ce qu'elle avait à dire pour attraper à son tour entre ses crocs un long couteau effilé et jaunit par le sel et le temps, fait probablement à base d'une dent de grand requin ou d'un quelconque autre monstre marin qui peuplaient sans doute le monde des abysses.

« Que le breuvage sacré de notre Roi noie ton âme et la rapporte à l'océan. »

D'un geste sûr, il approcha rapidement sa gueule de sa proie et susurra d'un ton langoureux, animé par la foi diabolique et fanatique qu'il vouait à leur Seigneur des Océans.

« Puisse la puissance de Pontos illuminer notre périple au delà des mers. »

Et il trancha la gorge dans un sourire cruel. Ses prunelles de nuit semblèrent s'allumer d'étoiles filantes alors qu'il observait le liquide grenat s'écouler en flot le long de la roche, puis dans le sable, et enfin couler en larges sillons jusqu'à l'écume où l'eau l'engloutissait, avide et insatiable. Des gouttes perlèrent à la truffe et aux babines de la sacrifiée, fascinant le pirate quelques instants. Peu à peu la lumière du glowstick de la louve faiblit et s'éteignit alors que son âme rejoignait l'océan. Si seulement il avait su qu'il venait de voler la vie de la Prêtresse d'Ao. Il en aurait été si heureux et si fier ! Puis, il ouvrit l'abdomen de la louve dont la vie s'était échappé et récolta avec soin le myocarde, puis les reins et la foie. Ces organes pourraient se trouver fort utiles plus tard, il les réserva donc dans un grand bol d'écorce. Creek lécha le couteau pour en goûter le sang et le nettoyer un peu. Evidemment, il s'entailla la langue au passage, mais la douleur piquante que cela lui causa le fit sourire. Il entreprit ensuite de retirer ses bijoux au cadavre, récupérer les bracelets à piques d'or et la jolie plume bleue qui ornait ses cheveux. D'ailleurs, il en coupa une mèche, parce la couleur lui plaisait bien. Un noir de jais avec des touches de bleu et de blanc. Cela lui rappelait sa mère. Dans la tignasse il découvrit quelques fioles aux couleurs surprenantes et une fléchette. Il récupéra tout ça. Le loup à la patte de bois délogea ensuite quelques griffes qu'il plaça dans un autre bol en bois de coco. Ses méfaits accomplit, il recula pour se satisfaire de la vue de son oeuvre et rejoignit son frère, Maître des Rituels depuis le départ d'Heever pour un monde d'obscurité et de profondeurs. C'était au tour de Sayuri de prendre une vie et de l'offrir à leur Seigneur et Maître, Pontos. Un large sourire fendait la poire du Raeder. Tout se passait à la perfection ! Pontos ne pouvait qu'être satisfait !

Il restait un vieux mâle Lazuli à tuer, et la brune Etelkru. Et les deux gosses, peut-être. Ou peut-être pas, ils feraient sûrement de bons petits pirates, une fois leur esprit " ré-équilibré ".

En vérité, il restait une proie en moins à sacrifier.
Et cela, les pirates s'en rendraient très rapidement compte, la louve grise en était tout à fait consciente. C'était d'ailleurs la seule pensée logique qui habitait son esprit à l'heure actuelle, un esprit de nouveau noyé dans la terreur, comme des ses primes années de jeunesse. Les choses étaient allées très vite et bien différemment de ce qu'elle avait prévu. Il lui semblait que celui faisait des lunes qu'elle avait quitté le camp des Etelkrus, le coeur un peu lourd mais encore sous l'effet de sa dernière conversation avec Boite à Clou. C'était la seule chose importante qu'elle avait désiré faire avant de s'en aller, et c'était chose faite. Mais alors qu'elle se rendait au temple de Dairo dans l'intention d'y rendre son glowstick à la Renarde, elle était tombée sur une scène des plus douteuses. La piste de Grand'Pa, mêlée à l'odeur de nombreux solitaires à la provenance très reconnaissable. Des pirates.
Et ensuite ça avait été un grand flou, un coup à l'arrière de son crâne et l'inconscience. Le noir.

Quand elle s'était réveillée, l'odeur de la peur et de la mer empoissaient l'air. Ses pattes étaient liées et elle se trouvait contre le corps d'un autre loup à l'odeur... Lazuli ? Elle n'avait pas tout de suite compris ce de quoi il s'agissait. Les odeurs de trois groupes mêlées et le fait qu'elle soit attachée ne lui inspiraient rien de bon. Elle était parvenue à se redresser, certains de ses liens étant un peu plus lâches, suffisamment pour comprendre ce qui se passait. A la lueur de la lune, les loups qui devisaient eurent des mots qui qui glacèrent le sang.
Autel. Offrande. Sacrifice.

Un éclair de lucidité lui fit comprendre sans mal qu'elle ne faisait sans doute pas partie des loups qui allaient présider à ce sacrifice, mais plutôt de ceux choisis pour en être les éléments centraux. Autrement dit, les sacrifiés. Autour d'elle, elle sentait de nombreuses odeurs, de sa meute et de leurs adversaire, mâles et femelle, jeunes et plus âgés. Les Raeders, qui s'étaient toujours montrés plutôt discrets, préparaient-ils cet assaut depuis longtemps ? Ils étaient précédés par une réputation qui ne s'étendait pas au delà de leur île, mais visiblement les choses avaient radicalement changé. Et quel était le but de ce sacrifice ? Le nom de Pontos fut prononcé, celui qui d'après les légendes, était à l'origine même de la malédiction et avait fait émerger Morne-Oeil des eaux. Présenté ainsi, il semblait presque l'égal des dieux. C'était donc un dieu qu'il souhaitaient invoquer par le sang ? Un dieu à qui on donnerait l’appétit des loups porteurs de glowstick ? Ses pensées allèrent à Dairo, mais elle savait que les dieux ne descendaient pas sur terre pour aider les mortels dans leurs affaires quotidiennes. Cela ne l'empêcha pas d'envoyer une prière hâchée et sans grande cohérence à la Renarde. Tu as voulu l'abandonner il y a quelques heures, Karigan. Pourquoi t'aiderait-elle ?

Il se passa pourtant quelque-chose. Peut-être la déesse n'y était-elle pour rien, ou peut-être était-ce un signe de sa profonde bonté. Mais il s'avéra que les liens qui liaient ses pattes avant n'étaient pas si bien attachés que cela - ils n'avaient peut-être pas pris au sérieux une vieille louve effrayée et qui s'était si facilement laissée assommer. Elle finit à force de gestes et de force à les écarter suffisamment pour parvenir à s'en défaire. L'action la laissa immobile un instant, habitée par la crainte que quelqu'un s'en aperçoive. Mais les trois autres étaient bien trop occupés à discuter du sort de leurs proies pour lui prêter une quelconque attention. Elle s'échina donc à abîmer à coup de griffes le reste de ses liens. Et par un miracle qu'elle n'attendait pas, elle fut libre.
Et sut qu'elle n'aurait qu'un instant pour réagir quand l'occasion se présenterait.

Et elle se présenta alors que la première louve lazuli était traînée plus loin de l'endroit où se trouvaient les captifs, vers une large pierre. La gorge de Karigan se serra, envahie par une vague de culpabilité. Mais Karigan n'était pas un héros de la sorte, ne pouvait l'être. Si au lieu de s'enfuir, elle se jetait pour sauver la louve, elle serait aussitôt maîtrisée par les présents dont les regards étaient focalisés sur elle. Et elles mourraient toutes les deux.
Il lui fallait accepter qu'elle ne pouvait pas la sauver.
Alors que les yeux et les attentions étaient sur cette pauvre louve, Karigan en profita pour se glisser entre les corps des prisonniers présents, ventre à=contre terre, dans l'ombre des hautes herbes et des fourrés. Une fois à quelque distance, elle s'élança sans regarder en arrière, les oreilles plaquées contre le crâne et les yeux grands ouverts. Ses muscles oublièrent un instant durant son âge avancé et sa condition physique pour aller puiser dans ses plus profondes réserves. Le vent siffla à ses oreilles alors qu'elle descendait une plage, le regard rivé sur les contours familiers du continent. Elle se jeta à l'eau, ignora le froid qui s'empara d'elle et nagea aussi vite qu'elle le pouvait. Elle avait conscience que sa vie ne dépendait que de l'échec ou de la victoire de cette fuite.
Elle n'avait plus qu'un seul objectif.
Partir aussi loin que possible de cette île maudite.

Spoiler:

Rien n'était volontairement laissé au hasard, il y aurait toujours un esprit vif pour remplacer ceux qui jubilaient trop en attendant que ceux-ci se calment un peu. Safran ne s'était pas mêlés aux festivités sur la plage, ce n'était pas pour cela qu'elle était absente. Assise sur un début de falaise, elle les avaient observés ramener les loups du continent, gardant un œil juge sur Sayuri qui s'occupait à les réceptionner. La louve brune n'avait disparu que quelques instants pour revenir le visage marqué d'une vilaine griffure, après tout, il y avait toute sorte de monstre sur Morne-oeil. Elle observait en contrebas la scène des sacrifices, restant dans l'ombre de la nuit, son regard prenant une couleur sombre de sang avec le reflet des torches qui embrasaient le sable. Elle laissait les trois frères s'amuser, l'un jouer son rôle de Capitaine, les deux autres improvisant un rituel, c'était probablement comme ça qu'on commençait à les inventer. Ombre froide au regard impassible, elle n'aurait pas été la lueur d'espoir si un des continentaux tentait d'accrocher son regard au-delà de la scène, non, au delà de la folie des trois mâles, elle aurait été celle qui le dévore, l'espoir.
Elle prit une profonde aspiration lorsque coula le premier sang. Rapidement, l'odeur écœurante du massacre se mélangea à celle du celle, de la marée, de l'alcool et du brûlé. Il n'y avait probablement rien de jouissif dans ce mélange, rien pour des continentaux mais c'était la senteur de Morne-oeil dans sa supériorité. L'Océan les dévorait tous ces loups de la terre, via ses divinités, via ses monstrueux serviteurs. Les vagues claquèrent en réponse à la scène, en accord avec le vent qui se levait, laissant ondulé les torches dont les flammes projetaient des formes rouges sur le pelages des pirates de la plage et leur macabre activité. Et dans l'ombre se découpa la forme canine de celle qui s'échappait. Safran la suivit du regard jusqu'à la mer avant de se lever pour rejoindre les autres. Quittant les ombres, elle rejoignit festivités et flamme, allant s'asseoir à côté de Kéran, le Capitaine, prenant sa place de Second. En face d'elle, la fraîcheur de la nuit saisissait les corps éventrés des victime.

« La chasse a commencé » Informa-t-elle son Capitaine, le regard toujours rivé sur les corps des premiers sacrifiés.
___
La malédiction la plus connue de l'île n'était pas la seule à exister. A être si proche des enfers, les démons aurait forcément fini par s'enfuir. La lune était haute et pleine, la bête, elle, était éveillée.Lorsque la forme fuyante de la vieille louve se jeta entre les vagues, peut-être se condamnait-elle elle même, après tout, l'Océan n'était-il pas le repère des monstres ? Et pourtant, la forme sombre qui suivit rapidement n'avait de marin peut-être que les parures d'ossement. Elle n'était pas très grande mais visiblement, l'eau était son élément. La nage était quasi parfaite, trahissant la provenance des loups de l'île... si loup elle l'était encore véritablement lors de ce genre de nuit. Elle en avait la forme, effectivement, le pelage sombre de certain individus peut-être mais la lueur du regard était autre, les pensées n'était que volonté de destruction et exaltation de la poursuite. Elle nagea dans le silence des prédateurs jusqu'à atteindre sa proie, fonçant dessus à la puissance de la propulsion que lui fournissait ses pattes dans l'eau, ouvrant la gueule, la lune faisant luire des canines blanches prêtes à percer n'importe quelle peau.
Fuis Louve, fuis. Et prie l'Océan qu'il soit clément avec toi.

[dé]

Et il l'était, les mâchoires se refermèrent sur quelques poils avant que les vagues ne fasse couler la Bête, l'emmenant vers le fond dans une aspiration non préparée. L'eau s'engouffra quelques instants dans les poumons sur un temps d'incertitude. Un léger dont il valait mieux profiter, le monstre ne s'arrêterait sans doutes pas sur un simple échec.

Froid. Neït était frigorifié, son pelage était imbibé d’eau salée et l’inquiétude montait progressivement en elle. Son corps se retrouva sur le sable humide aux côtés d’autres loups attachés et traînés ici de force. L’un des pirates ordonna à un sous-fifre de leur donner une douche de… Wow. Une douche de rhum ? Était-ce seulement possible ça ? Ce n’était qu’un pur cauchemar, la prêtresse allait se réveiller d’un moment à l’autre… Le temps sembla incroyablement long tandis que les pirates disparurent une énième fois et revinrent quelques heures plus tard avec un nouveau butin. Les choses sérieuses semblaient être sur le point de commencer et la suite des évènements risquait d’être fortement déplaisante pour certains…

D’autres loups vinrent se joindre au rassemblement, venant admirer le spectacle. Bien que Neït eut quelques doutes sur les intentions de ses ravisseurs, les pièces du puzzle finirent de s’assembler lorsque le mot « autel » fut prononcé. Non… Non, non non. Ce n’était pas possible. Pas maintenant. Pas… comme ça ! Un des loups près de Neït fut traînée de force auprès du fameux autel. Les pirates entamèrent alors un chant des plus lugubres, qui provoqua une montée de frissons chez la disciple d’Ao. Au fur et à mesure que les mots s’écoulaient de la gueule de ces fanatiques, elle fut certaine d’une chose, elle ne survivrait pas à cette rencontre. Lorsque le poignard trancha la gorge du premier loup sacrifié, la Lazulis détourna le regard, les crocs serrés. Qui pouvaient donc faire preuve d’une telle barbarie ? Pourquoi les Raeders ne se décidaient que maintenant à entamer une ère de terreur ? Tant de questions, si peu de réponses.

Soudain tout se passa très vite, des crocs se refermèrent sur Neït qui fut à son tour traînée, tel un vulgaire objet. Son dos heurta la roche glaciale, tandis qu’impuissante, la louve ne pouvait esquisser un mouvement. C’est en prenant conscience du peu de temps qu’il lui restait à vivre que la louve brune songea à tout ce qu’elle ne connaîtrait pas.

Le temps passait à une vitesse folle. Pourtant… Pourtant, il y avait tant de chose que l’ancienne Séide aurait voulu voir. Serket-Beatriz et Mozarthamès grandiraient sans elle, connaîtrait leurs premiers amours, leurs premières peines de coeurs, leurs épreuves de glowstick avec son absence. Neït aurait tant voulu accompagner sa progéniture auprès des dieux, montrer à Ao à quel point elle était satisfaite de cette vie si longtemps souhaitée, voir ses enfants aborder fièrement leur symbole d’appartenance à une divinité. Quel bonheur cela aurait été de montrer à ces deux petites terreurs comment embêter Gloriel. Dire que ce gamin était devenu alpha, il en avait du chemin depuis leur rencontre et ses drôles de questions. Au fond, ce jeune Gloriel lui rappelait fortement elle à son propre âge. Cette loupiote grincheuse qu’elle était, posant ses questions entre deux trois piques bien placées. Pourtant, cette gamine avait fini par trouver une louve avec qui elle avait eu deux lardons. Certes, toutes deux ne vivaient certes pas un amour passionné, mais cela convenait parfaitement à Neït qui n’avait jamais ressenti un besoin quelconque de vivre une idylle romantique.

Alors Neït ne put s’empêcher à cet instant de regretter. Regretter de ne pas avoir davantage profité des menus plaisirs que lui avaient offert la vie. N’aurait-elle pas pu se rendre compte bien avant que sa place était bel et bien chez les Lazulis ? Pardonner à Ao son silence, ses choix, sa séparation vis-à-vis du peu de famille qui lui restait ? La disciple d’Ao regrettait tant… Notamment d’avoir perdu autant de temps à se consacrer à venger sa mère. Maintenant, elle comprenait, Sekmêt avait fait un choix, n’avait pas su se contenter de qu’elle avait alors, prenant un choix égoïste qui aurait des conséquences sur toute sa famille. Finalement, Neït s’en était rendu compte, bien que sa colère à l’égard de Nout n’ait jamais réellement cessé, son amitié avec Grimm lui avait permis d’apaiser ses pulsions vengeresses. Quoique maintenant, en cette situation précise, la louve regrettait fortement de ne plus avoir assez de colère pour s’opposer à cette situation qui était sienne.

Ces pirates… Ces sales ordures de pirates. Pourquoi devaient-ils tous mourir ? Qu’est-ce que leur vie avait donc de si précieux ? Neït se souvenait encore du jour où Paprika avait pris la décision de quitter les séides en entraînant avec elle de bons éléments de la meute. Voilà donc ce qu’elle avait engendré ? Voici donc son héritage empoisonné ? Si les alphas à l’époque avaient pris la décision de l’éliminer, n,’y aurait-il pas eu davantage de vies épargnées ? Ce que faisaient les pirates à l’heure actuelle ne seraient pas sans conséquences, les clans réagiraient en apprenant tout cela… Enfin, ils ne réagissaient pas tant que ça. La louve ne cessait d’espérer au fond d’elle que les Lazulis se rendent comptent de la disparition de plusieurs membres et ne se lancent dans une mission de sauvetage. Pourtant… Pourtant, il n’y avait personne. La mort s’approchait à grands pas, s’apprêtant à abattre sa faux et pourtant, aucun Lazulis ne venait à leur secours, condamnant tous les loups présents à mourir. Mais la disciple de la dragonne se souvint alors à quel point son penchant solitaire était connu de tous, nul ne viendrait la chercher avant plusieurs jours, ils la croiraient probablement à la quête d’ingrédients divers pour un quelconque poison.

Le pelage de Neït fut entièrement souillé par un breuvage à l’odeur forte, tandis que le pirate qui la maintenait, se saisit d’un vieux couteau qui avait dû voir défiler de nombreuses générations de loups. Le souffle putride vint caresser l’oreille de la louve qui serra les crocs en écoutant les viles paroles corrompues par la folie. La lame vint caresser la gorge de la disciple d’Ao qui puisa dans ses forces pour lâcher ses derniers mots.

« — Sois… maudit, pirate. »

Une douleur vive saisit alors la Lazulis à la gorge qui senti instantanément quelque chose s’échapper de son entaille. Un ultime petit nuage de brouillard étoilé s’échappa de sa gueule, tandis que progressivement ses yeux perdaient de leur éclat. Tout semblait avoir perdu de son importance autour d’elle, plus rien ne comptait, d’ailleurs, la prêtresse ne ressentait plus rien. La douleur laissa progressivement place à un grand vide tandis qu’elle se vidait de son sang. Alors, voilà comment tout se termine… Les dernières images du passé de Neït lui revinrent à l’esprit, elle aurait voulu remercier tant de personnes, mais il n’était jamais trop tard. En commençant par son épreuve avec la Dragonne. Merci. Sa réconciliation avec Grimm. Merci. Sa rencontre avec Gloriel. Merci. Une discussion avec Vivladi qui entraîna le plus beau des miracles. Merci. Et enfin, la naissance de ses deux enfants, ceux qui, au bout du compte, comptaient et compteraient le plus à ses yeux. À jamais.

Ce fut avec un sourire aux babines, que le glowstick de Neït s’éteignit. Nul ne sait ce qu’il advient dans l’au-delà, mais l’on peut supposer que la louve retrouva Sekmêt, sa mère tout aussi incapable qu’elle de se satisfaire de ce qu’elle avait sous les yeux à l’époque, de Both, un père qui s’était retrouvé avec une armée de demoiselles sous les pattes, de ses soeurs. Bon sang, que cela faisait du bien de les retrouver, de retrouver sa famille. L’esprit de la prêtresse d’Ao quitte ainsi ce monde en paix, destinant tout son amour à ses enfants, sa force à Vivaldi, sa langue acérée à Gloriel. Ainsi s’achève l’histoire de Neït, fille de Sekmêt et Both, prêtresse d’Ao et empoisonneuse des Lazulis.

Le sang qui ruisselle sur le sol noir de Morne-Oeil y trace de bien sinistres rivières. Après les macabres festivités, le silence est tombé sur l’île. Seul le rugissement régulier de l’océan se fait entendre, alors que ses vagues lèchent le sable et la pierre. La lune brille, haute dans le ciel. Cette nuit, vous le savez, ne sera pas comme les autres.
Vous avez pris le risque de vous attirer l’ire de toutes les meutes, vous, les parias, les maudits qui hantent cet îlot où bien peu osent s’aventurer.
En serez-vous récompensés… ou punis ?

En tout ca, au bout d’un instant qui vous semble bien long mais qui pourtant s’écoule en un battement de coeur, un bouillonnement agite les flots. Les vagues deviennent irrégulières, et l’Océan lui-même semble rouler sur lui-même, crachoter. Des volutes de vapeur s’échappent du creux des vagues, avec des sifflements. Une forme se dessine, sombre, bien différente de celle que vos ancêtres avaient pu découvrir au creux d’une grotte mystérieuse.
Point de titan bleuté cette fois-ci, assis sur un trône d’or.
Point de trident.
Point de regard hautain méprisant d’un souverain des mers.

Une silhouette immense jaillit des vagues en colère, d’un rouge sombre. Son allure est bestiale, et son corps se développe en anneaux tels ceux d’un serpent. Son regard est blanc, et brille d’un éclat malin sous la lune, comme les crocs qui pointent à ses babines épaisses.



La créature jaillit devant vous et son immense tête incline le museau dans votre direction, dardant sur vous ses prunelles au regard acéré. Autour d’elle, les flots dansent et s’agitent, comme si elle sortait tout droit d’un cercle de l’enfer.

"Qui verse le sang pour m’appeler à lui ?" Résonne une voix grave. "Qui invoque le nom de celui qui vous a maudit ?"

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Le fracas de la mer leur répondit. Comme un écho brutal de leurs actes barbares. Le ressac gronda, encore et encore de longues secondes. Et pourtant. Pourtant quelque chose résonna dans le coeur du pirate anthracite. Il était impossible qu'ils ai fait tout ça pour rien. Il allait se passer quelque chose. Il devait se passer quelque chose. Et puis, lorsque le rythme cardiaque de Creek menaçait de faire exploser sa cage thoracique, lorsque ses muscles tendus à l'extrême par l'attente commencèrent à le rappeler à l'ordre, lorsque son souffle se suspendit par le suspens, alors, enfin, un remous inhabituel agita les flots. Les vagues se fracassèrent les unes contre les autres au lieu de venir lécher le rivages, un étrange bouillonnement attira les regards. Fasciné, tétanisé, le Raeder à la patte de bois fixa la mer. Une énorme silhouette, massive, bien plus grosse que ce qu'il imaginait danser un instant sous l'eau tumultueuse avant d'en crever la surface avec force d'éclaboussures et de... Vapeur ? De tout ce qu'il avait entendu concernant le Roi des Océans, rien ici ne correspondit. Une espèce de monstre serpent à l'allure indomptable et sauvage s’éleva bien plus haut que les loups présents. Une murène démesurée à la peau aussi rouge sombre que l'hémoglobine versée cette nuit. Des crocs impressionnants, opalescents sous les rayons de la lune captèrent l'attention de Creek. Puis le regard blanc, roublard, maléfique, peut-être même... Cruel ? de la Bête des profondeurs. Le jeune mâle gris était surpris, inquiet aussi de cette apparition qui ne ressemblait en rien aux histoires des plus anciens forbans. Et surtout sidéré par cette apparition fantasmagorique qui répondait à leur appel.

Pontos pouvait-il changer d'apparence ? Apparaître à ses fidèles sous la forme qui correspondait à leurs âmes damnées ? Après tout, les premiers pirates avaient été faibles, dociles et peu aptes à remplir de simples missions. L'image d'une entité aux couleurs de l'océan, un crabe avec un trident, n'était-ce pas presque un conte ? Finalement, ne devaient-ils pas s'estimer heureux de découvrir un serpent géant, de la teinte du liquide vital versé pour lui. Après tout, il ou elle -une murène non ? Connaissait-elle -il leur mère ?-, de sa voix impérieuse et puissante disait répondre au sang versé. Et il ou elle parlait du Roi de l'océan à la troisième personne... Était-ce pour s'en dissocier ? Faire remarquer qu'il était une entité autre ? Sa connaissance de leur malédiction était-elle un indice quand à la position social de cette bête face à Pontos ? Cela dit... Les puissants avaient tendance à parler d'eux à la troisième personne... La gorge de Creek était sèche, brûlante. Si sa première réaction était la surprise, la seconde fût la gratitude. Qui que puisse être ce Serpent des Mers, il avait répondu aux Raeders. Il était venu. Pour eux. Cette idée suffit à donner assez de courage au loup à la patte folle. Déglutissant avec difficulté, ne sachant s'il devait soutenir ou non le regard écrasant qui les couvrait, il réalisa que c'était à son frère, Capitaine de leur groupuscule, de prendre, peut-être, la parole en premier. Le barbu au yeux de nuit lança un regard en biais à Kéran, piaffant d'impatience. Il voulait répondre qu'ils étaient les fils d'Heever, qu'ils étaient les descendants des premiers Maudits et qu'ils étaient réunis là pour asseoir leur foi envers l'Océan.

Mais c'était au chef de répondre. Et il ne l'était pas. Il n'était pas non plus le Second, puisque son frère lui avait préféré Safran. Creek jeta également un regard au Maître des Rituels, se demandant comment il allait pouvoir récupérer les têtes des sacrifiés si le monstre réclamait leur corps... Puis il fixa à nouveau le Monstre carmin, essayant de le jauger. Allait-il -elle, les bouffer sans plus de cérémonie ? Ce serait dommage... Ils étaient si fervents envers le monde abyssal et sous marins de leur Mer-patrie... Bon sang Kéran. Ouvre ton clapet pour une fois !! Ouvre ta grande gueule et répond grands Seigneurs de l'Océan !

Ils attendaient dans la nuit fraîche balayée par le vent. L'odeur métallique du sang se mélangeait avec celle salée de la mer et aucun loup ne s'exprimait. Il lui semblait presque que même les jeunes capturés retenaient leur souffle ne laissant comme son que celui des vagues et du crépitement du feu. Tout le monde était sous tension, impatient d'avoir une réaction qui tarda un peu. Safran crut un instant que rien ne se passerait, c'était à prévoir mais soudainement la mer se fit violente, d'énormes bulles remontèrent à la surface comme si les profondeurs elles même étaient rentrées en ébullition. De ce chaos jaillit une énorme bête à l'allure de serpent, tête épaisses, crocs immense et expression menaçante. Au fond d'elle même, une voix souffla le nom de Léviathan avant de se raviser, il ne ressemblait pas à ça.
Son père lui avait beaucoup parlé de Pontos, un crabe immense qui avait maudit la meute de joyeux lurons qu'ils étaient pour avoir osé s'appeler pirate sans en être véritablement. Les Raeders actuels ne devaient pas l'être beaucoup plus mais ils n'étaient pas comme leurs ancêtres, ils avaient peut-être légèrement viré au fanatisme, enfants de la frustration de leurs parents, ils invoquaient des monstres bien plus effrayant... et beaucoup excitant. Safran avait son regard de sang braqué sur la créature, le cœur battant et un sourire commençant à s'étirer sur ses babines. La porte des enfers ne devaient pas être si loin de leur île, ça se confirmait avec cette apparition et l'Océan devait encore regorger de bête bien plus affreuse, la louve brune l'aimait d'autant plus, cet Océan qu'elle servait depuis aussi longtemps qu'elle servait les Capitaines.

Assise aux côtés de Kéran, elle le laissa faire son discours, sentant juste à côté, l'excitation difficilement retenue de Creek. Le discours de son Capitaine lui fit naître un frisson d'excitation qui lui parcourut tout le dos. Oui devenir plus fort et aller plus loin. Retrouver le droit de fouler la Terre, pas pour y retourner, pas pour s'enfuir, non.
« ...Pour servir servir l'Océan, pour engloutir le Continent et dévorer ses divinités »
Ses pensées lui échappèrent, elle ne les dit pas à vive voix mais plus dans un murmure, elle ne s'en rendit même pas compte. Les griffes de ses longs doigts se plantèrent profondément dans le sable et elle attendait la suite, les revendications des frères, l'avis du monstre. Il aurait été si simple pour lui, de tous les dévorer, là, maintenant et retourner dans les profondeurs mais l'Océan n'avait-il pas d'autres objectifs pour ses monstres canins ?

La créature darde sur chacun des présents son regard perçant, à mesure qu’ils lui prêtent attention, que leurs yeux ébahis se posent sur cette immense silhouette devant eux. Ses babines semblent s’étirer en un sourire satisfait. Visiblement, ils ne s’attendaient pas à ça. Et c’est exactement ce qu’elle attendait.

La murène gigantesque écouta les mots de celui qui se présenta comme le chef de la bande. Autour de son corps sinueux, la mer continuait de s’agiter, forçant les lupins à hausser la voix pour que le rugissement des flots ne la couvre pas. La plupart des mots qu’elle entendit parurent lui plaire, mais sa tête ne semblait pouvoir exprimer qu’un indéfinissable masque redoutable. Seules ses prunelles acérées pouvaient laisser apercevoir ce qui se tramait dans son esprit - et encore.

Son museau se pencha légèrement vers le chef et celle qui se tenait près de lui. Il s’écoula de nouveau quelques instants de silence, durant lesquels elle sembla jauger les présents. Puis ses crocs se dévoilèrent de nouveau alors que sa voix résonnait :

"Pontos vous a laissé pour minables, il y a de cela longtemps. Vous portez avec vous le poids de l’échec de vos prédécesseurs." Elle ondula légèrement, d’un mouvement massif qui ramena au pied des loups une vague d’eau salée mêlée de sang. "Maintenant qu’il vous a abandonnés, n’allez pas ramper tels des vermines pour implorer sa pitié. Il n’en a pas."

La créature se redressa de toute sa hauteur, et l’eau autour d’elle s’agita encore d’avantage. Dans les vagues hautes et sombres, vous pouvez distinguer les ombres d’êtres marins venus à ses pieds. Parfois, une nageoire, un aileron, une peau écailleuse émerge des flots et reflète la froide lumière de la lune.

"J’ai quelque-chose de plus alléchant à proposer aux pirates que vous semblez enfin être devenus."

Un rire agite son corps ruisselant. L’eau y est rouge, comme si la créature était née du sang sacrificiel lui-même.

"Je suis Céto, la Gardienne des Abysses. Et il se trouve que quelque-chose qui m’appartient s’est égaré par ici."

Sur ces mots, elle baisse la tête jusqu’à frôler le sol ensanglanté. Même ainsi proche du sol, sa tête est plus haute que le plus haut des loups. Mais ses yeux sont quasiment à la hauteur de ceux de Kéran.

"Vous m’avez l’air intéressés. Et intéressants."

Vous avez visiblement réussi à attirer l’attention d’un autre être qui règne sur les mers. Et qui paraît bien différent du premier.

Parmi la foule rassemblée se distinguait une nette silhouette, d'un blanc de neige que la poussière et le sable ne suffisaient pas à atténuer. Cette soirée était une sorte de rite initiatique dans la vie d'Ajani. Depuis sa prime enfance, il était bercé par les histoires de pirates et de forbands, de méfaits, de grandes soirées de beuveries, de voyages à travers les mers toujours plus loin pour découvrir de nouvelles terres. Même à l'âge de l'adolescence qu'il avait désormais, il demeurait fasciné par ces récits et se faufilait souvent en douce - comme il le pouvait avec sa carrure de plus en plus grande - lorsque quelqu'un se lançait dans une histoire certainement inventée de toute pièce mais si passionnante. Ce soir-là, les histoires n'en étaient plus, et quelque-chose de véritable allait se produire. Plusieurs pirates avaient été missionnés pour capturer des loups du continent et les offrir en sacrifice à Pontos. La notion de sacrifice était quelque-chose d'encore très flou pour notre loup blanc. Tout pirate qu'il était ou se prétendait être, il n'avait encore jamais assisté à la mort de l'un de ses congénères. C'était donc avec une sorte de frisson d'excitation qu'il s'était rendu à la cérémonie.

Maintenant qu'il s'y trouvait, ses yeux clairs étaient rivés sur Sayuri et Kéran, qui menaient l'événement de part leurs rangs importants dans la meute. Quand les prisonniers furent amenés, Ajani n'y vit que des visages inconnus, comme des silhouettes de personnages d'histoire pour lesquels il n'avait pas d'attachement. Pis encore, il éprouvait presque à leur égard une sorte de méfiance mêlée de satisfaction. On ne disait pas de bonnes choses des continentaux et, s'il mettait sa mère à l'écart de ces récits chargés de haine et de mépris, Ajani avait grandi en apprenant qu'ils n'étaient que des faibles, protégés par la terre et incapables d'affronter la rudesse de leur vie à eux. En les voyant, il lui sembla que cette impression se confirmait. Leur pelage était ébouriffé par endroit, mais ailleurs il était plus lustré, montrait des formes plus rondes que celles qu'arboraient les Raeders. Des loups bien nourris par des océans de lapins et autres animaux de la terre,alors qu'eux devaient s'échiner à chasser les rares créatures de leur île et les poissons de la mer.

L'adolescent resta silencieux tout au long de la cérémonie, et ses prunelles s'agrandirent légèrement lorsque les prisonniers furent exécutés. Il n'en vit même pas la louve qui parvint à leur échapper, les prunelles rivées sur le liquide écarlate qui coulait à flot, sur le regard des prisonniers qui se faisait vitreux sous la lune. Cette première rencontre avec la Mort lui laissa un souvenir impossible à effacer. Il se trouvait comme tétanisé, l'échine légèrement dressée et incapable de détacher les yeux des flots de sang qui coulaient vers la mer. Ce sang qui vint tâcher ses pattes blanches lorsque la créature dénommée Céto se dressa devant eux et fit rugir les flots.

Ce n'était pas à lui de parler, bien-sûr, et de toute manière il n'était pas très loquace. Mais à l'instar des jeunes continentaux qui rencontraient pour la première fois leur dieu, Ajani venait de faire pour la première fois face à une créature qui dépassait l'entendement des mortels. Une créature gigantesque, bestiale, et qui visiblement s'intéressait à eux.
C'était dément.

« Au clair de lune

« Creek & Tatch & Kéran & Grand'Pa & Karigan & Cendrillon & Saitan & Koellya & Neït & Safran & BIGMONSTERCHOUCHOU - Céto


Creek laissa parler ses frères et les autres. Pour une fois, il ne se précipitait pas pour se mettre en avant, il n'accourait pas pour les devancer. Il écouta avec un nouvel espoir, une espèce de lueur fanatique embrasant ses prunelles sombres, la réponse de la murène géante. Il attendit patiemment que sa tribu de forban s'exprime, laissant aux autres le soin de trop parler. Fasciné par l'apparition de la Gardienne des Abysses, il réalisa soudain qu'elle leur offrait là leur premier privilège : la connaissance de son nom, de son statut et par extension une infime idée d'une multitude de Seigneurs des Océans dont la hiérarchie restait cependant floue. Pontos s'était proclamé Roi auprès de leurs mères et de leurs pères. Qu'en était-il aujourd'hui ? L'un de ses vassaux l'avait-il expédier en enfer ? Renversé ? Ou bien chaque mer comptait son lot de gratin et son souverain ? Un large sourire carnassier effleura les babines du jeune loup anthracite. A bien y réfléchir, un pirate ne se posait pas sous le joug d'un quelconque roi, bien au contraire. Céto l'avait souligné : leurs prédécesseurs avaient été faibles et lâches et s'étaient rangés sous l'avis d'un être semblant supérieur. Peut-être l'était-il en effet. Lui n'était pas apte à en juger, pour ne l'avoir jamais rencontré qu'au travers des récits de sa génitrice. Par ailleurs s’accoquiner avec un monstre des profondeurs ressemblait déjà fort plus à l'esprit de franche fourberie d'un pilleur des mers. Dernier point important : le serpent à la peau couleur sang ne s'imposait pas en dieu mais semblait proposer un marché. Un échange de bons procédés. Or cela résonnait avec puissance dans les entrailles du loup à la patte folle. L'avidité rongea ses orbes de nuit.

« Nous ne sommes pas nos pères. Nous sommes des conquérants, nous sommes des soudards de la mer. Nous prenons ce que nous désirons. »

Creek jeta un regard à ses frères de sang et ceux, d'armes.

« Nous voulons gagner notre liberté et faire de cette île une maison où rentrer après nos périples et non plus une prison. »

Son regard revint se river sur la Bête sanglante. Un service pour un service. Elle inspirait la crainte, elle semblait irradier d'une aura malsaine et diablement puissante. Il n'en fallait pas plus au Raeder pour achever ses paroles :

« Ce qui a été perdu sera rendu. »

Il en faisait une affaire personnelle. Serait-il le seul à avoir le cran de se lancer dans une telle quête sans en connaître la teneur qu'il l'aurait fait avec autant de conviction. A cet instant, il était prêt à mourir en se battant pour briser les barreaux invisibles de leur cage maudite. Savoir que ses frères seraient avec lui ne faisait qu'accroître sa confiance en lui, en eux, en leur groupe de forban qui ne désirait qu'une chose : en découdre et montrer qu'ils étaient bien supérieurs a leurs parents.

Les yeux de la créature se dardent tour à tour sur les deux autres mâles qui prennent la parole. Le premier est le Maître des Rituels, qui lui demande comme faveur de laisser l'océan accueillir la dépouille de leur ancien meneur. Une manière peut-être de tirer définitivement un trait sur le passé, sur cette génération qui avait connu Pontos et provoqué sa colère. Céto ne répond pas, mais les vagues autour du corps du loup se font cercles, et il disparaît dans un tourbillon qui ne semble rien avoir de naturel. Le regard opalescent de la créature croise celui de Tatch, comme en une promesse muette.

Puis un autre mâle prend la parole, exprimant clairement son désir d'aider la Gardienne des Abysses. Un rictus étire les babines de la murène, comme une sorte de sourire monstrueux.

"Vous avez su verser le sang sans vergogne." Gronde-t-elle finalement. "Ce qui dément votre prétendue faiblesse. Et ça me plaît."

La mer amène de nouveau une vague d'eau sanglante éclabousser le pelage des présents. Les êtres marins s'agitent autour de la créature rouge sang avec plus d'ardeur encore.

"Un navire est perdu, au fin fond des flots, ici, près de votre continent. Pour le faire renaître, les coeurs de trois Îles doivent être trouvés, et l'un d'entre vous aller les déposer à sa barre."

Elle tourna légèrement la tête pour toiser le groupe.

"Il n'est pas en mon pouvoir d'effacer la malédiction qui brûle votre sang. Mais il y a dans ce navire de quoi alléger considérablement ce fardeau... et vous rendre une partie de votre liberté."

Elle paraît sourire de nouveau, et sa tête bouge légèrement, comme ses yeux. Après un instant d'attente, elle se redresse soudain et ajoute :

"Si vous trouvez les trois coeurs, présentez les ici et payez le prix du sang. Et je reviendrai."

Quelque impératif empêche-t-il la créature de rester. En tout cas, sur ces mots elle recule, dressée de toute sa hauteur. Puis elle s'enfonce dans la mer, engloutie par une vague immense qui trempe tous ceux qui se trouvent sur la berge. La mer reste agitée, mais il n'y a plus trace de Céto.
Seul reste l'écho de ses mots, et la promesse qu'ils portent.