Côtes de Nacre — Eveil de Limule & Oxomo

Tu ne faisais pas dans la dentelle, Serpent, toi qui assenais des coups sans en mesurer la force. Ne trouvais-tu pas tout ceci amusant ? Ne voyais-tu pas le large sourire qui étirait les babines de la solitaire ? Elle qui, n’attendait que cela, tu frappes encore plus fort, que tu ailles toujours plus loin.

L’esquive aurait probablement été plus pertinente, toutefois la louve encaisse la claque de la bête, son corps allant s’écraser plus loin. Un moment est nécessaire à Oxomo pour qu’elle parvienne à reprendre appuie sur ses pattes, sentant le sang venir brouiller sa vue. Tout tournait, non ? La solitaire secoue doucement sa tête, passant sa patte sur ses yeux pour mieux percevoir la silhouette noire, encerclée par les autres loups présents dans l’assistance. Tous semblèrent enfin se lancer dans le combat, mis à part le pirate mollasson. Quel boulet ! La queue féline de la louve remua sous l’agacement de voir que de telles plaies pouvaient exister en ce monde. À quoi servaient-ils mis à part mourir l’ambiance du véritable combat ?

(Lancé de dé)

L’assassin se relève, probablement trop brusquement, élançant d’anciennes blessures, des fractures infligées par les Etelkrus. Ses côtes l’étirent, lui arrachant une grimace, alors qu’elle peine à retrouver son souffle. Le Serpent avait bien dû lui repriser une côte ou deux… si ce n’est trois. Oxomo demeure à bonne distance, plongeant ses griffes profondément dans le sol pour se maintenir debout. Hors de question de tomber face à l’adversaire quand bien même cela étirait ses blessures. Un grognement s’échappa de ses babines. Fichu serpent, fichu monde pourri par la populace. Qu’ils meurent tous, qu’ils profitent de leurs derniers instants de bonheur avant qu’Oxomo ne vienne le leur arracher, avant qu’elle ne vienne récupérer sa Tempête.

Serpent, Serpent. Que penais-tu accomplir ? Tu pensais incarner la mort, quand bien même la Corneille face à toi poursuivait le même dessein. Espérais-tu qu'elle n'esquive point encore une fois ? Qu'elle contre-attaque à nouveau en sacrifiant sa vie ? Oxomo est égoïste, sa vie est importante, ce n'est pas contre toi qu'elle a l'intention de la gâcher, mais contre la Bleue.

Une gerbe de sang s'échappe de la gueule d'Oxomo, alors qu'elle se redresse une énième fois. Les autres avaient-ils l'intention se battre réellement ? La louve serra les crocs, en tentant de garder ses pensées aussi lucides que possible. Ce n'était qu'un petit combat, rien qu'un adversaire de plus. Mourras-tu bientôt Serpent, que je puisse faire de tes dents un énième collier ? Oh ou, quelle trophée majestueux cela serait... Un manteau de sa peau aussi... Que d'idées. Mais voilà qu'il revenait à la charge, ses dents dévoilées en un sourire qui en aura fait fuir plus d'un, mais auquel Oxomo réponds, cette lueur de détermination dans ses yeux rouges.

(Lancé de dé)

Le serpent attaque, mais la louve l'attend, l'esquivant. Étais-ce ses gènes félins qui l'aidaient dans cette tâche ? Qu'importe, voilà qu'elle conservait le peu de force, attendant le moment opportun pour contre-attaquer, étudiant sn adversaire du regard.

Justice : 12 PV

Ses crocs trouvèrent un point d'ancrage, sa mâchoire s'enfonça dans la cible, la sensation familière d'avoir ouvert la chair et provoqué la douleur coula de ses lèvres jusqu'à sa gorge -même si c'était légèrement différent, cette fois.
Les ressentis n'étaient pas les mêmes que d'habitude, la chair n'avait pas le goût de celle d'un loup, la réaction ne fut pas celle d'un être se pliant de douleur sous le coup asséné à la base du crâne. Il n'avait pas la moindre certitude qu'il pouvait d'ailleurs provoquer le moindre sentiment chez cette bestiole singulière tout droit sortie des entrailles de la terre, mais désormais qu’il s'était engagé dans ce combat, il n'y aurait qu'un seul moyen de le découvrir. Que l'un d'entre eux finisse par tomber.
Il vit venir du coin de l'œil le coup qui lui fut dirigé, et banda ses muscles pour préparer le choc.
La large patte qui s'abattit sur lui le décrocha de son perchoir, l'envoyant traverser les quelques mètres le séparant du sol. Il s'écrasa sur le sable rouge et humide, roulant sur lui-même après l'impact pour amoindrir le choc et prendre un peu de distance avec son adversaire au cas où celui-ci aurait pour idée de s'acharner sur lui.
Mais de sous la paupière qu'il ouvrit, secouant la tête pour en chasser le sable, il vit que la créature s'était donnée pour mission d'écraser également les autres canidés, s'en prenant désormais à la petite louve agile qui ne cessait de lui échapper.
Justice se releva rapidement, légèrement sonné mais bondissant sur ses pattes. L'épaule sur laquelle il s'était réceptionné lui envoya un pincement lancinant. Le membre droit. Toujours le même à encaisser les blessures.
Il s'ébroua vivement, électrisé par le combat, s'apprêtant à relancer son corps dans la mêlée après avoir choisi son nouvel angle d'attaque.
Mais un mouvement fugace à plusieurs mètres de lui retint son attention, dirigeant son regard vers la lueur blanche qui avait ouvert une porte sur leur monde. Des filaments qui semblaient se créer depuis l'atmosphère rougeoyante qui les entourait se formaient et joignaient leurs longs doigts, panseurs soignant une plaie saignante pour la pousser à coaguler.
Cette brèche sur le monde normal était une blessure dans la peau de cet univers décalé et il essayait de s'en débarrasser et d'en guérir.
Ses pupilles s'étrécirent légèrement à l'idée de se retrouver coincé dans ce souterrain glauque pour le restant de ses jours –il ne voulait pas avoir quitté un tunnel pour en retrouver un autre. Le désespoir poussa son corps à se détourner du combat et à pivoter vers la brèche, esquissant le début d'une foulée.
Puis le loup brun qui s'était extirpé de la mer entra dans son champ de vision, clopinant en direction de l'ouverture menacée.
Et il pénétra dans la lumière.
Les pensées du mâle noir firent plusieurs allers retours, trop rapides pour qu'il ne les saisisse. Ce fut son corps embrasé de colère et de vengeance qui fit un choix pour lui, prenant les commandes et tirant violemment sur les rênes. Retenu en arrière par une force qu'il reconnut comme étant sienne mais n'obéissant nullement à sa propre volonté, Justice pivota de nouveau, faisant face à une autre direction. À l'horizon où s'étalait la ligne rouge et sombre de ce monde sans espoir et sans vie. Sur cet horizon la silhouette difforme du monstre s'imprégnait et catalysait sa haine.

Il n'y eut qu'une brève pensée plaintive, faible et sans écho, qui fusa de la part raisonnée de son esprit qui ne voulait pas se retrouver emprisonné ici-bas.
Mais il fut avalé par une urgence plus sombre, celle de détruire ceux qui s'en prenaient encore à lui malgré tous ses efforts pour se sortir de ce cycle de violence.
La créature s'était encore une fois décalée à une vitesse anormale, décidée à en finir avec le corps de la louve qui gisait au bord de l'écume. Il la vit esquiver d'un geste félin, se jouant de la créature malgré son état critique. Justice sentait l'air filer à ses oreilles et le sang battre à ses tympans, couvrant d'un vacarme mécanique toute pensée contraire tandis que ses muscles lançaient son corps à la poursuite de la créature, parcourant rapidement la distance qui les séparait.
Ses crocs claquèrent sur la queue longue et dégarnie avec un grondement sourd, il pilla dans le sable humide, propulsa son énergie dans un bond en arrière puissant –et tira violemment sur cette queue qu’il tenait solidement dans sa gueule.
Il ne connaissait pas cette louve noire, mais comme eux tous elle s’était retrouvée coincée dans un monde auquel elle n’appartenait pas. Bien qu’il ne soit pas particulièrement centré sur l’idée d’aider les inconnus étranges et indénombrables qui peuplaient ces terres, il en avait eu assez de regarder, dans ce lointain ailleurs qui fut un jour chez lui, les corps plus ou moins innocents se faire mutiler et tomber sans qu’il n’agisse.
Avec sa participation, même.
Car il avait toujours eu peur des conséquences. Ses camarades et ses gradés incarnaient toute la noirceur du monde qu’il avait alors connu, et dans ses cauchemars c’était leurs silhouettes qu’il voyait se mouvoir et se tordre dans les ténèbres, pas celles de monstres fantasmagoriques. Ils étaient les bourreaux, ils étaient les cages, ils étaient la douleur, ils étaient ses cauchemars d’enfant et demeuraient des ombres hantant l’adulte.

Justice aurait dû être effrayé de se jeter sur la Bête à plusieurs reprises, effrayé comme il l’avait été quand il l’avait regardé dans les yeux la première fois et avait compris qu’il s’agissait-là de quelque chose qu’il ne pouvait pas appréhender, quelque chose qui ne partirait pas, quelque chose qui finirait par s’en prendre à lui. Il avait eu raison, et on l’avait traîné par la violence dans ce monde rouge.
Pourtant, la contre-attaque que venait d’asséner l’abomination n’avait rien eu à voir avec la puissance de la première qu’il lui avait infligée, celle qui avait fait résonner le grincement de ses os jusqu’à son crâne. Alors cette bête était peut-être bien faillible, finalement. Comme les monstres qui se cachent dans le noir, il suffisait de les affronter au grand jour pour finalement les transpercer.

Alors de la même manière qu’il avait fait face à ses cauchemars en filant entre leurs longues griffes, s’arrachant à leur emprise, Justice pouvait vaincre cette nouvelle mascarade. Il ne comprenait pas comment, ni pourquoi ce genre d’évènements pouvait exister –pourtant il n’avait pas le choix de jouer le jeu. Un jeu mortel qui lui permettrait d’égorger cette menace avant qu’elle ne tente de l’emprisonner, elle aussi. Cette fois, il ne fuirait pas.

Il espéra que son agression détournerait l’attention du Cauchemar suffisamment longtemps pour l’empêcher de s’acharner sur la louve blessée. Lui se sentait parfaitement d’attaque. L’énergie coulait avec fluidité dans son corps, prête à se déchaîner. Il se sentait profondément vivant.
Semblant venir à lui depuis des kilomètres en arrière, étouffé et réverbéré, un aboiement rauque et étrangement familier sans pour autant l’être lui parvint.

Mais Justice n’eut pas le temps de se retourner, car il était trop tard pour celui qui avait déjà lancé la masse de son corps à l’assaut de la créature. Déjà il avait bondi sur la colonne vertébrale de l’ennemi, déjà d’une foulée supplémentaire il sautait à nouveau en direction de sa nuque si longue, si fine, si attirante, babines retroussées sur des crocs avides.

La chose avait tenté de le décrocher de son cou vulnérable, lui interdisant de s’en prendre à la base de son crâne, et pourtant une fois encore elle lui tournait le dos en une invitation grotesque.

Sa truffe frémissait dans une respiration forte, elle gardait la gueule fermée, ses yeux clairs sur le monstre mais il fallait bien avouer qu'elle commençait à fatiguer, la petite pirate à l'esprit parasité et le démon lui, ne se faisait plus suffisamment fort pour véritablement les porter à lui seul. Elle la sentait la victoire proche au bout de ses griffes, au bout de leurs griffes, elle n'était pas seul, ça elle l'avait bien remarqué bien qu'elle ne voyait pas tout. Trois loups qui se battaient pour leurs survies, les deux autres plus férocement qu'elle, Limule n'était pas de ces combattants, elle était de ceux qui dansaient entre les coups et les crocs avant de mordre elle même, comme savait si bien le faire toute les créatures qui appartenait à son très cher Océan.
Elle ne voyait plus le Capitaine, elle avait un peu de mal à comprendre ce qu'il faisait mais la louve blanche avait confiance en lui, le démon moins mais il préférait de toute façon se battre contre cette créature qui l'avait mis de mauvaise humeur. En arrière, quelque part comme en parallèle à cette dimension, elle avait l'impression d'entendre des voix, comme celle de Lewis plus tôt peut-être ? Echo échappé de cette faille qu'elle ne voyait qu'en périphérique de sa vision ?
Pas le temps de s'en occupé, pas le moment, il fallait rester concentrer sur le monstre, avant qu'il ne blesse, qu'il ne tue d'un revers de ses grosses pattes pleines de doigts. Oh elle l'ignorait bien, à cet instant, que les secondes étaient précieuses, tout comme était ignoré cette ouverture vers son monde qu'elle voulait tant revoir. Limule était une louve simple qui agissait par l'instinct. Celui-ci hurlait de faire attention au danger, le démon hurlait que c'était eux le véritable danger.

Trop de flou, trop d'élément à prendre en compte, peut-être, sans doute. La louve blanche vit une énorme ombre s'élever au dessus d'elle et d'un bout, d'une glissade dans ce sable trop poudreux pour en être réellement, elle esquiva de justesse l'attaque. Elle reçut cependant cette giclée de grain au choc qui lui retomba dans le visage, l'obligeant à un mouvement de recul de la tête au lieu de rendre une morsure comme précédemment. A côté d'elle, les griffes et les longs doigts qu'elle avait abîmé, armes mortelles de la trop dangereuse créature, l'adrénaline parcourant les veines de la petites pirates, soulevant trop rapidement ses côtes, faisant battre trop vite son cœur. Pourtant... pourtant ils gagnaient n'est-ce pas ? Ça semblait si évident lorsqu'on voyait cet éclair allié gris sauter avec tant de rage sur le monstre.

[Utilisation d'un lot "Chance du petit joueur" sur un des dés esquive, qui provoque 1 Pv de dégât contre Chatouille]
Justice : 12 PV

Il le sentit une fois encore se répandre sur sa langue, le goût de la douleur issu de sa chair, le goût d'un sang pas tout à fait sain qui explose dans sa gueule. Les crocs s'enfoncèrent davantage, luttant pour transpercer et déchirer les tissus malgré cette sensation immonde et répugnante de pourriture qui coule le long de ses lèvres. Et les griffes d'argent, pareilles à des poignards incurvés, s'arîment également dans la peau et les muscles de son cou.
Son clan disait toujours que l'argent dont elles étaient constitué purifiait les corps et les âmes en en faisant couler le sang vicié.

Dans cet effort conjugué de faire du mal à ce grand démon, par la combinaison de tout ce qu'il y avait de pointu et d'agressif en lui s'acharnant à retourner sa chair, il sentit qu'il avait enfin atteint quelque chose.
Au moment même où sa mâchoire s'arrêta sur quelque chose de solide qui fit grincer ses crocs, où ses griffes s'immobilisèrent dans un cartilage rigide, le monstre se mit à hurler.
C'était un hurlement strident, un hurlement glacial, qui envoya une vague de froid retourner ses entrailles et un frisson hérisser son échine. Il se sentit prendre de la hauteur, lui qui culminait déjà si haut au-dessus du sol, perché sur la nuque de la créature dont il tenait fermement les cervicales entre ses crocs. La bête se cabrait de douleur.
Et les membres antérieurs avaient quitté le sol, ne supportant plus son poids mais s'envolant dans les airs -vers lui. Pour se débarasser de cette agression, encore.

L'urgence de la situation fusa dans ses muscles et son cerveau, fluidifée et propulsée par l'adrénaline qui le maintenant dans cette lutte de corps à corps.
Il avait vécu cela quelques minutes plus tôt. Les mains allaient le saisir, l'arracher, le propulser au sol. Et toute cette rage et cette douleur qu'il sentait pulser dans les veines ouvertes de l'abomination lui criaient que la violence du choc allait être bien plus similaire à cette toute première fois, cette toute première rencontre où il avait pu connaître le son que faisaient ses propres côtes lorsqu'elles grinçaient, menaçant de céder.
L'équation se fit d'elle-même, ordonnant son corps avec la force de l'habitude. Il était un loup qui avait toujours dû danser de près avec ses adversaires. Puisqu'il n'avait pas la carrure la plus solide de tous, il avait appris à se dérober pour frapper là où ils ne s'y attendaient pas. Encaissant les coups au besoin, mais évitant ceux qu'il savait bien trop puissants.
Au moment où l'ombre noir des deux bras dégarnis se dessina à son niveau, prêts à s'abattre sur lui, Justice dévérouilla son emprise sur les cervicales mises à nu. Ses antérieurs se serrèrent autour de la gorge vibrante de la créature qui hurlait toujours en une étreine finale, et il se laissa glisser sous la jugulaire, ses griffes toujours solidement ancrées dans cet épiderme qu'il massacrait, faisant voler poils et sang en paquet.

Il sentit le courant d'air provoqué par les longues mains qui filèrent à quelques centimètres de sa nouvelle position, le frôlant presque et claquant puissamment au-dessus de lui.
D'une violence dévastatrice.
Justice n'avait que quelques fractions de secondes tout au plus avant que dans sa furie et dans sa rage de l'avoir manqué, le monstre ne trouve sa nouvelle position et l'en arrache comme une vermine agaçante. Et cette fois-ci il n'avait plus d'endroit où fuir son courroux, à part en se laissant tomber au sol - juste devant cette énorme mâchoire qui déchirait grossièrement son poitrail.
Resserrant son étreinte musclée autour du cou qui s'agitait comme un puissant serpent, Justice crispa le moindre de ses muscles autour de sa prise.

En cet instant il aurait souhaité, comme les êtres qui peuplaient ses cauchemars, être dôté des mâchoires d'argent. Il aurait déchiré sa peau et brisé ses os avec tant de facilité.
Un spasme agita ses muscles, et avec une poussée ultime il jeta sa tête vers la gorge exposée de la Bête, enfonçant ses crocs dans le poil gorgé de sang noir et puant.

Elle se fige quand Il hurle, elle trésaille quand les mains claquent entre elles et elle ne comprend pas toute de suite ce que signifie ce corps qui tombe lourdement dans ce sable gris. Ses yeux suivent le mouvement, ses muscles se tendent, la petite pirate blanche s’attend à une nouvelle attaque, elle se prépare à échapper encore une fois mais rien de vient, rien dans sa direction et trônant au dessus du monstre effondré, la silhouette grise de ce loup qui avait vaincu, les crocs salis par le sang de l'ennemi. Comme si c'était les siens, comme si c'était elle qui avait tué en dernier, Limule passa une langue rose sur ses babines blanches avant de soudainement montrer les crocs, juste avant de se retourner dans la direction où elle sentait venir d'autres monstres.
Son pelage se hérissa, elle était fatiguée, son souffle était court, la douleur de ses muscles devenait dérangeante et le démon lui se faisait moins agressif, moins enthousiaste, lui qui avait trop dépassé son temps. Elle tremblait un peu, alors qu'elle voulait rester bien droite sur ses quatre pattes, sa queue relevé dans une volonté de tenir. Parce qu'elle ne voulait pas mourir, elle était prête à faire face à ce qui arrivait. Elle savait déjà qu'elle n'y survivrait probablement pas cependant, ce monde qui l'avait avalé, qui était prêt à la digérer sans laisser l'espoir de pouvoir vivre.

Une voix fit dresser ses oreilles, la détournant de ce qui arrivait. Une voix qui la rendait attentive, qui la faisait écouter et obéir depuis toute petite. Kéran... il n'était pas plus là, réellement plus là. Quand était-il parti ? Limule avait eu les yeux rivés sur le monstre tout du long, il ne pouvait l'avoir mangé. Et elle l'a remarqué réellement que maintenant, cette faille lumineuse qui rappelait les rayons de soleil se reflétant sur la mer pour vous brûler les yeux. C'était de là, qu'elle sentait ce sel familier, c'était de là qu'elle entendait maintenant cette voix de Capitaine. Alors ni une ni deux, elle bondit, pas agile sur le sable pour passer entre ces loups qu'elle ne connaissait pas, entre le brun foncé derrière lequel elle glissa pour s’engouffrer dans la faille...

Tu tombes, Serpent, ta tête d’abord, puis ton long cou, avant que finalement ton corps ne vienne aussi s’écrouler.

Le mâle noir s’était finalement décidé à lui aussi intervenir dans le combat, achevant finalement ce qui restait du Serpent. Ce dernier qui s’écroule en ricanant, de ce rire aussi agaçant que les hyènes. Oxomo reprend son souffle, s’efforçant de ne pas laisser ses blessures ressortir. Toujours une question de fierté avec elle… La brèche est agrandi, la porte de sortie est grande ouverte. La louve-aztèque ne détache ses yeux rougeoyants du corps du Serpent, avant de finalement s’en approcher, tandis qu’au loin de nouveaux rires se font entendre. Ils arrivent. Mais qu’importe, Oxomo devait récupérer quelque chose avant.

Les crocs de la solitaire viennent déchiqueter la peau fine du Serpent, cherchant un accès direct à son estomac. Lui qui avait pris un objet auquel elle tenait, dont-elle ne repartirait sans l’avoir en sa possession. Les crocs aiguisés d’Oxomo finirent finalement par faire une ouverture, dégageant alors une odeur nauséabonde. Immondice. Au moins n’était-elle pas seule retardataire, le loup noir qui avait achevé le Serpent n’était encore parti. Alors la louve en profite pour glisser sa patte dans l’ouverture, ses griffes tâtonnant, avant de se refermer sur la poigne de sa dague. Une étrange matière gluante l’en recouvre, mais qu’importe. La solitaire glisse l’arme dans son fourreau, avant de se lécher les babines, s’évertuant à retirer ce sang au goût amer.

« — C’est du gâchis… »

La louve noire secoua doucement sa tête en songeant aux nombreux accessoires qu’aurait permis le corps du Serpent, avant de finalement s’engager dans la brèche.

Le sang noir gicla entre ses corps, dégoulinant le long de son menton jusqu'à son poitrail. Le cri du monstre se poursuivit, sifflant, et Justice, solidement ancré au cou de son adversaire, se sentit perdre de l'altitude. Des cris lui parvenaient mais il n'en comprenait pas les mots, qui étaient comme flous, déformés et réverbérés, comme provenant d'une autre dimension trop lointain par rapport à sa tâche présente pour qu'il ne s'en préoccupe.
Il heurta rapidement le sol en une explosion de sable et de cendres. Dans sa gueule la gorge de l'abomination vibrait encore, pulsait, luttant pour propulser ce sang pourri. Mais rapidement le battement s'amenuisait, et alors que sa respiration s'éteint en sifflement sa lourde main s'abattit une dernière fois sur son dos -mais sans la puissance et la violence qu'il connaissait à ses membres roses.
Justice resta quelques instants immobiles, ne desserrant aucun muscle, sans réellement comprendre. Le silence s'était installé à la place du vacarme de l'affrontement.

La Bête était morte.

Il n'y avait plus aucune réaction dans ce grand corps étalé, plus aucune contre-attaque de cet adversaire qui semblait ne jamais s'affaiblir.
Justice finit par déverrouiller sa mâchoire, se détachant de cette fourrure putride et collante qui lui laissa un goût plus que désagréable en bouche. Se hissant sur ses muscles courbaturés qui lui semblaient déjà si froids comparé à leur vigueur brûlante lors du combat, il observa en silence le cadavre de cet être de cauchemar, juché sur la nuque rigide. Ses yeux étaient de nouveau ouverts mais ne reflétaient plus cette terreur paralysante, son sang peignait d'un peu plus de rouge le sable carmin.
Il y eut du mouvement autour de lui. La petite louve blanche qui avait esquivé avec agilité la fureur de la bête montra les crocs, échine dressée, ses yeux clairs fixés sur l'horizon derrière Justice.
Il se retourna à son tour, le souffle court et vidé de son énergie. Déformant l'horizon, de hautes silhouettes noires ondulaient d'un air hypnotisant et semblaient se rapprocher, à la fois lentement et bien trop vite. En mourant, cette abomination avait attiré ses pairs. Ils seraient bientôt là.

Il faut partir.

Il crut avoir prononcé ces mots à voix haute, mais seul un souffle rauque s'était échappé de sa gueule entre-ouverte.
De toute façon, il put constater en se retournant de nouveau que les autres s'étaient déjà mis en mouvement, tous ayant remarqué la menace grandissante et n'étant pas prêts à s'y confronter. La petite louve avait bondi souplement vers la faille. Faille devant laquelle se tenaient deux nouvelles silhouettes sombres, plantées à l'entrée et semblant attendre avec angoisse leur retour dans le monde réel.
Il pointa les oreilles dans leur direction, se rappelant les cris, se demandant si cela venait d'eux. Un autre mouvement lui fit tourner la tête. La louve noire, celle qui avait échoué près de l'écume, s'était à son tour redressée et sans hésitation s'était mise à éventrer la Bête, semblant chercher furieusement à atteindre ses tripes. Justice fronça le nez sous l'odeur abominable qui s'éleva, observant la scène macabre d'un œil presque fasciné, ne bougeant toujours pas. Tout cela lui paraissait presque irréel. Comme cette vibration qui bourdonnait en lui, à ses oreilles, comme ce monstre mort, comme ce sang, comme cet univers rouge et ses sbires qui galopaient vers eux. Ils étaient encore loin mais il les sentait se rapprocher sans avoir à se retourner. Leur présence se faisait plus... Vivante. Comme s'ils étaient liés.

La louve noire recouvrit son bien, sa dague avalée, et en quelques foulées elle s'éloigna à son tour de la scène pour disparaître par la brèche lumineuse.
Il était seul, désormais.
Un vent froid souffla dans son dos, le poussant de l'avant et remontant un frisson glacé le long de ses os. Ils étaient presque là. Il pouvait entendre leur souffle porté par les courants.

Alors il se mit enfin en branle, bondissant par-dessus les membres entremêlés du cadavre et courant à petites foulées vers la porte de sortie. La plaie lumineuse qui déchirait ce monde si sombre.
Devant celle-ci, les deux silhouettes se précisèrent. Le corps assez chétif et fin d'un petit loup bleuté et borgne. Et celui plus massif d'un être seulement légèrement plus familier, le pelage sombre orné de rouge du solitaire qui s'était retrouvé avec lui juste avant tout cela. Son regard croisa les yeux jaunes et électriques, des pensées nombreuses se bousculant dans sa tête et aucune ne sortant vainqueur. Alors il laissa tomber ses questionnements -avait-il été amené quelque part dans ce monde, finalement ? Pourquoi était-il là ? Pourquoi n'était-il pas à l'extérieur ?
Est-ce qu'il... l'attendait ?

Il s'attarda une fraction de seconde supplémentaire dans ces yeux jaunes, puis détourna le regard et sans un mot il pivota vers la faille, se détachant de l'autre solitaire. Il exécuta une ou deux foulées supplémentaires, bondit souplement et se propulsa dans la faille.

Les voyages étaient, disait-on, un merveilleux moyen d'en apprendre plus sur soi-même. De se découvrir.
De se rencontrer, tel qu'on l'était vraiment.

Cela faisait maintenant quelques années que Joaquín avait entrepris le sien, et pour être honnête, il n'avait pas l'impression d'avoir appris grand chose de plus. Sans doute peu porté sur l'introspective et les véritables remises en question, il préférait aller comme le vent, voir où la vie le menait, en s'interrogeant vaguement, parfois, sur la tournure que pourraient prendre les évènements lorsqu'il en franchirait la dernière étape.
Il y avait en revanche une chose qu'il avait pu découvrir, depuis qu'il était ici. C'était que sa patience avait des limites, qui délimitaient un territoire remarquablement étroit, et qu'il était fort peu enclin à faire l'effort de les repousser ne serait-ce qu'un peu. Chose qu'il faisait depuis un petit moment, à attendre comme un clampin que ces braves gens, et principalement sieur Edward aux Griffes d'Argent, finissent tranquillement leur petit business tandis qu'il prenait le risque inconsidéré de venir de l'autre côté de cette faille maudite pour tenter de les sortir de là.
La.
Gratitude.
Putain.

Et il était là, à trépigner d'impatience, le poil toujours plus gonflé, les crocs toujours plus prêts à se dévoiler, à serrer toujours plus fort ce pan d'écharpe qui le reliait à son monde, tandis que les loups et louves passaient tous un à un devant lui, franchissant ce portail qu'il rêvait tant de braver à nouveau, et jamais, jamais, il ne voyait arriver l'autre solitaire. Celui-là même qui justifiait sa présence ici. Celui auquel il s'était retrouvé lié comme un connard, celui qui lui filait des migraines depuis qu'il s'était fait bouffer par cette chose, parce qu'il n'avait pas résisté à l'envie absurde d'essayer de le bouffer alors qu'il était clair qu'il n'y avait rien à faire face à un adversaire pareil si ce n'est s'écraser et attendre que ça passe en espérant que ça passe, celui qui, quand bien même il l'avait clairement vu regarder dans sa direction et constater la présence de la faille, n'était pas venu, oh, non, mais avait plutôt décidé de retourner droit vers le monstre pour l'attaquer à nouveau.
Mais qu'avait-il fichu pour tomber sur pareil crétin.
Avec ses croix de partout, à quoi avait-il pu s'attendre, après tout.
Il regarda donc la scène d'où il était, sentant son sang qui bouillonnait dans ses veines, ne sachant trop contre qui il était le plus en colère — lui-même, à prendre des risques inconsidérés pour quelqu'un d'autre alors que ça n'était en aucun cas quelque chose qui entrait d'ordinaire en jeu dans sa ligne de vie, l'autre, pour faire preuve d'aussi peu de reconnaissance, ou cette chose, qui avait fait de sa vie un cauchemar depuis qu'elle s'y était invitée ? –, tanguant sous le désir de plus en plus ardent de se jeter à corps perdu dans la bataille à son tour juste pour faire quelque chose et expulser cette colère qui le bouffait de l'intérieur, mais ne sachant trop ce qu'il pourrait se passer s'il en venait à lâcher l'écharpe.
Lorsque finalement le monstre s'écroula, il eut l'impression qu'il s'était écoulé des heures. Il vit le loup revenir vers lui, précédé de peu par une femelle bien mal en point, et, serrant toujours plus les dents, il attendit, fulminant, que tous aient fini de franchir le portail avant de s'y engouffrer à son tour.

Laissant derrière lui ce monde de malheur, et espérant que ce dernier ne serait bientôt plus qu'un amer souvenir parmi tant d'autres.
Mais que celui-ci serait de ceux dont il savait qu'ils ne le rattraperaient jamais.