Chemin de Paix [Yurai]

Elle avait commencé son long voyage par un silence. Marcher avec un Dieu à ses côtés était une expérience inédite. D'abord intimidante puis peu à peu rassurante. Elle n'était pas seule pour affronter les souvenirs cauchemardesques. Yurai avait foi en elle, elle ne pouvait que réussir. Les mots avaient fini par se bousculer dans sa tête. Elle ne voulait pas les lâcher comme çà. Il fallait mettre un peu d'ordre dans ses pensées. Sinon, elle risquait de faire du hors-sujet. Elle se concentra sur la première question. Parler de sa mère. Vaste et difficile sujet.

"Maman s'appelle Hanna. Je ne sais pas pourquoi mais les gens pensent toujours qu'il y a un h à la fin de son nom. Avant de rencontrer Papa, elle était une Solitaire. Elle a vécu beaucoup d'aventures. Malgré tous les dangers, elle a toujours su se débrouiller toute seule. Elle connait même quelques secrets des plantes. Elle me les a tous appris pour que je puisse moi aussi être indépendante. C'est mon héroïne !"

Son visage retrouva momentanément toute l’admiration enfantine qu'elle avait pour sa génitrice.

"C'est aussi la louve qui m'a mise au monde. C'est elle qui s'est occupée tous les jours de moi. C'est contre elle que je dormais chaque nuit. Elle chassait toutes mes peurs et mes cauchemars. Papa n'était pas souvent là. Il était occupé avec son rôle d'Oracle. Il n'habitait pas avec nous. J'ai toujours était plus proche de Maman que de lui. Mais je l'aime quand même. C'est juste deux amours différents."

Elle ne renierait jamais son père pour son absence pendant son enfance. Chaque instant passé avec lui était une petite fête. Elle ne lui en voulait pas, car elle comprenait ce qui le poussait loin de chez elles. La Foi. La même Foi qui la poussait aujourd'hui à se confier à la Déesse.

"Maman est douce mais blessée à l'intérieur. C'est une enfant kidnappée, comme moi avec le Monstre... Elle n'a pas beaucoup d'amis. Même si elle apprécie Ajani, Raison et Azkaban. Il lui manque la confiance. C'est pour çà que je n'ai jamais vraiment pû avoir de liens avec les autres. Elle avait trop peur pour moi. Elle ne voulait pas que je souffre comme elle a pû souffrir... Pourtant, elle a essayé de combattre cette partie d'elle-même. Elle a mis sa vie en jeu pour venir au secours de meutes qui se faisaient attaquer. Elle n'avait rien à y gagner, mais elle l'a quand même fait."

Elle se rappela des récits sur un Cerf et deux Pumas devenus fous de rage. Quel acte courageux d'oser se dresser devant eux.

"Elle ne croit pas en vous. Ni en aucun autre Dieu. Pourtant, dans sa générosité, elle a accepté de partager le cœur de Papa avec vous. Elle m'a également laissée croire en vous et développer ma foi. Elle est ouverte d'esprit et laisse à chacun le choix de sa vie. Elle a tout fait pour que je puisse devenir qui je voulais être. Elle partait loin cueillir des fleurs pour m'apprendre leurs vertus médicinales. Ces voyages ne lui étaient pas faciles ni agréables. Elle avait mal avec la vieillesse qui attaquait son corps. Mais çà, je ne l'ai appris que récemment... L'amour peut faire faire des choses insensées. Comme des sacrifices..."

Là, au loin se dressait l'Île Fantôme. Il ne restait plus que la mer à traverser. Sans attendre, Kerguelen se jeta à l'eau. Laissant ses larmes se mélanger aux vagues. Elle ne pouvait nier l'évidence. Il ne fallait plus parler d'Hanna au présent, mais au passé. Elle effectua la traversée sans émettre un bruit si ce n'était celui de ses sanglots.

Ses pattes touchèrent le sol maudit. La mer avait lavé ses accessoires qui illuminaient de nouveau les environs. Mais ce bain n'aurait pas également touché son âme ? La louve tourna la tête pour vérifier que son interlocutrice était toujours là. Elle plongea son regard doré dans celui de Yurai. Elle y puisa tout le courage dont elle avait besoin pour parcourir le dernier bout de chemin. Elle alla même plus loin, osant frôler le pelage violet de la Déesse. Elle avait toujours fonctionné au contact physique. C'était bien plus concret et rassurant. Une fois ressourcée, elle se remit en marche. Direction le Cimetière. Sa parole se délivra de nouveau.

"Je voulais être comme elle. Vivre au jour le jour, sans aucune contrainte. Mais j'ai très vite compris que cela ne m'était pas possible. Je suis bien trop faible pour une vie de Solitaire. Je suis incapable de chasser avec mes griffes défaillantes. Et j'ai du mal à cerner certains sons. La vie en meute me correspond mieux. Je sais que je m'épanouirai, entourée de mes semblables. Choisir la même voie que Papa est donc devenue une évidence. Pourquoi aurai-je quitté les Nakhus qui m'avaient acceptée sous leurs ailes ? Au contraire, je leur devais beaucoup. Papa m'a alors enseigné tous les mœurs et valeurs du clan. Mes envies et ma personnalité étaient en harmonie avec ces apprentissage. J'ai sû quel serait mon rôle : Sortcelière. J'avais déjà acquis les bases grâce à Maman. Il ne me restait plus qu'à m'améliorer. Dans ce but, je continue à prendre soin du jardin médicinal imaginé par Maman. Lorsqu'il sera terminé, la meute ne manquera plus de plantes essentielles aux soins. Et plus tard, ce jardin pourra même servir d'enseignement aux futurs guérisseurs. J'imagine même créer quelques ruches car les produits des abeilles sont bons pour la santé."

Tant d'ambitions qui furent douchées par l'apparition du portail forgé du Cimetière. Elles étaient arrivées à destination. L'angoisse s'insinua sournoisement en Kerguelen. Son rythme cardiaque s'accéléra. Du bout du museau, elle poussa l'une des grilles. Elle avait peur de ce qu'elle allait trouver. Mais elle n'était pas seule. On avait confiance en elle. Oubliant toute retenue, elle s'adressa directement à Dame Yurai.

"Ne m'abandonne pas, s'il te plait..."

Le corps tremblant, elle fit son premier pas dans ce lieu si redouté. S'immergeant dans le passé. Revivant son pire cauchemar par la pensée. Malgré tout, elle continua. Elle avait promis à sa guide de lui rendre son Orbe. Il fallait s'accrocher à cette promesse.

Chemin de Paix

Ce fut en silence que la déesse suivit, un peu en retrait, ne faisant que se calquer sur l'allure prise par Kerguelen. Ses oreilles toujours tournées vers la jeune qu'importe leur position, indiquaient qu'elle écoutait. Elle disparut et l'attendit de l'autre côté de la traversée, l’accueillant sur l'île et reprenant route avec elle.

Et puis elles arrivèrent au cimetière.
Quand elle s'adressa à elle, Yurai répondit d'une voix douce et s'avança pour être dans le champs de vision de la jeune louve, un instant, avant que celle-ci ne s'avance pour aller chercher l'orbe.

"Je suis là, je ne pars pas."

Elle continua de la laisser accomplir sa quête, et son chemin, se tenant à ses côtés tout simplement.

Les doux mots de la Déesse pénétrèrent jusqu'à son âme. Ils la portèrent devant l'impossible. Son impossible à elle. Après un dernier regard jeté à Dame Yurai, Kerguelen prit une longue inspiration et franchit le portail. Ses tous premiers petits pas dans le Cimetière. Son premier geste vers l'affrontement. Son propre combat pouvait commencer.

Son traumatisme ne perdit pas de temps pour s'imposer dans son esprit. Le Cimetière qui devait être un simple lieu de recueillement se transforma en sombre cachette au Monstre. Toutes les ombres près des tombes lui paraissaient être des menaces. Elle avait l'impression d'être épiée et attendue. Que la Chose était de nouveau là, parée à l'attraper avec sa dégoutante patte sans poils. Parée à la dévorer une seconde fois. Mais pour un voyage sans retour. Définitif.

Le cœur battant à toute vitesse, la Disciple se stoppa. La terreur de revivre cette cauchemardesque aventure la cloua sur place. Elle ne voulait pas trembler de peur. Elle ne voulait pas souffrir. Elle ne voulait pas hurler le nom de sa mère pour qu'elle vienne à son secours. Elle ne voulait pas être abandonnée. Elle n'y résisterait pas. Tout mental avait ses limites.

Une lueur améthyste finit par se faire une place dans son monde rouge et noir. Trois yeux brillants de douceur. Une chaude lumière qu'il lui rappela qu'elle avait tort. Elle n'était pas seule. Personne ne mourait aujourd'hui. Ce brusque rappel débloqua ses membres. Vite vite, elle en profita pour reprendre sa respiration qu'elle avait oublié sans s'en apercevoir.

Une fois son corps plus ou moins calmé, elle reprit doucement sa route. Elle traça son chemin à travers les stèles. Elle fit du mieux qu'elle put pour ne pas donner de l'importance à ces yeux de Bête qui lui promettait tant de misère. Elle n'échapperait sans doute jamais à ce regard si troublant. Mais elle pouvait faire mine de l'ignorer. Et avancer.

Enfin, elle arriva là où tout s'était terminé. Des morceaux de marbre et des tombes brisées attestaient de la violence du combat. Tout était resté comme dans ses cauchemars. Revenir sur cette scène brisa la carapace de déni qu'elle s'était créée. Tout avait été réel. Maman n'était plus. Le flot de souvenirs inconsciemment enfermé à double tours se retrouva soudainement libéré. Ils la submergèrent. Tout lui fut rendu, sans qu'elle ait son mot à dire. Sans filtre ni censure.

Kerg' sortit de cette expérience éreintée. A pas lents, elle marcha dans le champs de bataille. Là, il y avait encore quelques morceaux des liens qui avaient servi à entraver la Créature. Ici, des traces de griffures dans le sol. Cette tombe, quand à elle, portait encore les coups de tête que lui avaient infligés Gloria. Moineau ... Elle ne l'avait jamais remerciée pour son soutien. Ni même Papa et Ajani. Ni les autres. Pourtant, ils le méritaient. Elle se rappelait maintenant qu'ils avaient été là. Qu'ils avaient fait preuve de tact, de réconfort et de tendresse après... Après la mort de Maman.

Ses yeux dorés tout embués se relevèrent et cherchèrent un point précis dans la dévastation. L'endroit de son retour. L'endroit de l'offensive. L'endroit du sacrifice. Elle le retrouva rapidement et le rejoignit. L'émotion d'être là où sa chère mère avait expiré la rattrapa et la força à s'asseoir. Elle fixa ce carré de terre. Si dénué de vie. Des larmes de chagrin jaillirent de ses paupières et coulèrent le long de son museau. Elle les fit tomber à l'endroit exact où le sang d'Hanna avait été offert au sol. Une façon d'être liée avec elle, qu'importe là où elle était maintenant.

"Maman est vraiment partie, n'est-ce pas ? Elle ne reviendra plus..."

C'était une certitude plus qu'une question. Avec tendresse, Kerguelen caressa la terre qui avait vu s'effondrer son héroïne. Sous son coussinet, elle sentit quelque chose de dur. Baissant le museau, elle poussa précautionneusement la terre du bout de son nez. Elle mit à jour non pas une, mais deux boules brillantes. Les Orbes tant recherchés. Elle attrapa celui qu'elle avait nommé Amour et le cala dans son écharpe. Celui-ci appartenait à Papa. Elle ira le lui rendre plus tard. Quand au deuxième, appelé Foi, son propriétaire était juste à côté d'elle. Elle fit délicatement rouler l'objet rond jusqu'aux pattes de la Déesse.

"Promesse tenue, Dame Yurai."

La quête était terminée. Tout comme son combat intérieur. Ses yeux étaient de nouveau ancrés dans le monde réel. D'autres doutes étaient nés. Beaucoup plus insidieux. Mais au lieu de se laisser glisser sur cette nouvelle pente glissante, elle se confia à son interlocutrice.

"Sais-tu si elle a eu mal en partant ? Suis-je la fautive de son départ ?"

Chemin de Paix

Yurai ne bougea pas tant, mais finalement, accepta l'orbe qui se retrouva aspirée dans un volute de fumée violette. Elle posa ensuite ses yeux violets sur la grise.

"Tu n'est pas fautive. Elle n'était faite que d'amour, c'est ce qui l'a poussé à ce geste." Une pause. "La douleur sera là, il se pourra même qu'elle revienne de temps à autres, mais le deuil est comme un chemin : il faut l'arpenter avec ménagement, le vivre et le ressentir. Mais il y a un secret pour le traverser."

De là, une lumière violette se glissa au creux de la broche de la louve

"Il est éclairé des milles lumières de ta famille, des amis, de ta meute et tes actions. La sagesse et l'humilité prennent tant de formes, et tu possèdes la tienne. Tu es unique, et irremplaçable. Tout comme elle."

La déesse lui offrit un sourire léger, qui tira les traits de sa forme de chaire dans une expression brute de compassion.

"C'est un au-revoir difficile, n'oublie pas que tu n'es jamais seule et que tu as les ressources en toi. Ainsi, elle n'aura pas souffert et son âme sera en paix."

Elle souffla doucement par le museau, un souffle chaud qui traversa les poils de la joue de Kerguelen, comme une douce caresse.

"Rentrons."

Et la sentence tomba, affirmée comme le couperet d'une guillotine. Elle trancha net les tentacules juvéniles de la culpabilité. Ce n'était pas de sa faute. Le fautif n'était autre que l'Amour. Parce que l'Amour était à la fois Bon et Mauvais. Il fallait seulement trouver le juste milieu et ne pas se noyer dans l'un des deux extrêmes. Kerguelen n'avait jusqu'à là connu qu'une seule des facettes. Aujourd'hui, elle découvrait son opposée. La plus dure à accepter et à surmonter. Mais elle n'avait pas le choix. On n'échappait pas à la Vie. Elle gagnait toujours. Nulle ne pouvait définitivement l'effacer. Et cette flamme éternelle était présente chez la Colombe Grise.

Yurai le comprit parfaitement et elle fit de la mortelle l'une de ses véritables Disciples. Liée à jamais par cette douce lumière améthyste nichée dans l'aile en cristal. Un choix de Glowstick extrêmement fort en symbole. Par ce geste, Hanna, Volstein et la Déesse furent unis. Tous ensemble pour apporter tout le courage et l'affection dont Kerg' avait besoin. Elle n'aurait plus jamais le sentiment d'être esseulée. La Nuit Noire était chassée. L'avenir lui apparut sous un meilleur jour, beaucoup plus prometteur.

Puis, un secret lui fut révélé. Chacun des doux mots touchèrent son cœur avant d'aller se graver dans sa mémoire. Sa candeur s'abreuva de ses paroles et y puisa la force nécessaire pour se relever. Pour oser réellement regarder ce qui l'entourait et s'imprégner des émotions du lieu. Elle attrapa au vol le sourire de compassion de la Corneille. Oui, le chemin sera long. Mais avec tous ses encouragements divins et la confiance que l'on plaçait en elle, elle ne pourra qu'en ressortir victorieuse. Son regard doré et mouillé se fixa sur le sol qu'elle avait tendrement caressé. Sa voix s'éleva, laissant le Vent guider ses mots jusqu'à sa destinatrice.

"Merci Maman. Tu seras toujours mon héroïne. Je vais tout faire pour que tu puisses dormir en paix. C'est promis."

Avec délicatesse, elle traça un cœur sur la terre. C'était peut être un dessin enfantin, mais il voulait dire tant de choses. Ici était tombé un cœur rempli d'amour. Mais un autre ne l'oubliera pas.

"Je t'aime fort. Toi aussi, Dame Yurai."

Parce que la Déesse avait aussi droit à des mots doux. Parce que sans elle, elle n'aurait pas franchi cette douloureuse étape. Et parce que Kerguelen était comme çà, spontanée et sincère. Elle frissonna sous le souffle chaud et caressant de l'Immortelle. Sa peau nue avait apprécié cette chaleur qui avait temporairement chassé le froid du Cimetière. Emportée par la gratitude, elle posa son coussinet sur la patte de son interlocutrice. Le contact ne dura guère longtemps. Avait-on le droit de toucher un Dieu ? Elle ne s'était jamais posée cette question. Le doute suffit à ramener son coussinet à sa place. Depuis qu'elle était en âge de quitter la Grotte aux Cristaux, elle avait appris qu'il existait des loups qui n'aimaient pas les marques d'affection. Elle ne comprenait pas ce rejet, mais acceptait cette différence.

La grise recula et essuya ses larmes sur ses épaules. Oui, il était temps de rentrer. Elle reviendra ici avec Papa. Maintenant qu'elle possédait la force, ils pourront se recueillir ensemble. Puisque l'Amour et la Mort ne faisait qu'un. Et il ne fallait pas en avoir peur.

[Je propose que l'on conclue sur le 1er topic (Résilience ?). Pour le familier, vu que Yurai a déjà fait beaucoup pour Kerg', je peux me débrouiller pour qu'elle le trouve elle-même si tu préfères :3 ]

Suite de retour au RP initial.

[Le familier sera peut-être plus judicieusement trouvé autrement, oui, si possible !]

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