Rock jumping l Citron

Eva avait choisi de s'entrainer un peu, ce jour là. Pas trop, quand même : sa peau la tiraillait encore et ses muscles la faisaient toujours souffrir de sa rencontre avec le majestueux cerf Roi de la Forêt. Mais en quelques jours elle avait retrouvé une bonne mobilité et elle ne tenait plus en place d'être restée tant de tant immobilisée.

Mais il fallait qu'elle bouge, c'était primordial.

Encore meurtrie au niveau de ses épaules et de ses ailes, elle avait choisi de tirer profit de ce handicap en s'entrainant sans quitter terre. Les Monts Célestes, si bien nommés, avaient attiré son attention. Proches des terres Nakhus, mais moins fréquentées et plus challenge aussi, elle s'y dirigea de ce trot qui porte les loups vers l'horizon sans jamais faillir.

Il lui fallut plusieurs heures pour arriver, mais une fois au pied des premières roches son poil était à peine humide. Elle sourit et s'ébroua, grimaçant instinctivement sous le pincement de ses muscles. Ankylosée, mais pas assez pour reculer devant l'exercice. Elle piétina doucement, et se lança à l'aventure.

Les règles du défi qu'elle s'était fixé étaient simple : elle devait bondir. Elle choisissait un lieu du regard, et devait l'atteindre du moins de bonds possible. Ce qui l'obligeait parfois à passer par des endroits ou des positions non conventionnels et même, à quelques reprises mais chut, de donner un coup d'aile. Elle gloussa quand ses pattes roulèrent sur des cailloux et manquèrent la projeter au sol. C'était bête, mais elle s'amusait.

Il ne lui fallut pas longtemps pour ressentir la fatigue, surtout dans ses pattes arrières, énormément sollicitées par l'exercice. Et puis ses épaules, malgré l'habitude qu'elles avaient de porter ses ailes, fatiguaient. Elle s'arrêta un instant entre deux grosses pierres, s'appuyant sur la roche fraîche d'avoir vécu la journée à l'ombre.

[Dé]

Après t’être échappée des terres dangereuses, tu cherchais le loup aux yeux d’or. Cela faisait bien longtemps que tu ne l’avais pas vu et pour être franc une boule d’angoisse s’était formée dans ton estomac. C’est si étrange, il n’y avait pourtant aucune raison de s’inquiéter, il était aussi libre que les oiseaux qui te narguent… c’est si étrange.

En ces terres que tu connais à peine tu t’aventures, regard perdu vers les hauteurs rocheuses tes pas sont indécis. L’air frais glisse entre ton pelage et tu frémis. Il fait froid, l’hiver ne t’apporte jamais rien de bon, tu as hâte que le printemps revienne, que le paysage redevienne doux et accueillant, pleins de couleurs. Tu en as assez du manteau glacial.

Et c’est en t’égarant un peu plus que tu tombas sur un oiseau.. ou plutôt une louve aux ailes de pie. Ton attention s’enfuit, comme un enfant tombant sur des trésors merveilleux et tu ne peux t’empêcher de t’approcher légèrement.

-... B..onjour ?

Ta voix qui peine à s’exprimer pleinement n’est qu’un faible soupir dans l’ombre des roches. Ton coeur bats bien trop vite, cet état tu ne le connais qu’à peine en présence d’un certain loup venu d’ailleurs. Là c’est différent.

Une énième fois, elle bondit. Et une énième fois, elle donna un petit coup d'aile pour se rééquilibrer au dernier moment, cassant tout l'intérêt de l'exercice mais un large sourire aux babines, sa queue comme un drapeau derrière son corps bichrome. Quand soudain, une voix l'interpelle.

Un simple bonjour d'une voix fluette qu'elle aurait pu manquer si elle n'avait été aussi chantante, hors du temps. Son attention épinglée, Eva tourna la tête et manqua perdre l'équilibre, se jetant au sol pour ne pas risquer la chute. Ses oreilles étaient droites et tendues vers l'avant, ses yeux dorés curieux, et ses ailes maintenant repliées sur son corps. Elle frémissait légèrement.

Bonjour !

Sa voix était enjouée, comme toujours, et elle ne put se retenir de caracoler un peu sur place. Elle s'astreint à se calmer et, surtout, à arrêter de bouger. C'était si difficile ! Elle avait envie de- bondir ! Non, courir, non non ! Mieux, voler, raser la terre, frôler les nuages.

Tu vis dans ces coins ? Je ne t'ai jamais vue ici...

Elle en était sûre, ça, oui ! Elle s'en serait rappelé. Elle avait une très bonne mémoire. Mais ça n'était pas que ça. La jeune louve aux odeurs de Solitaire la fixait de cet air innocent et doux qu'avaient Sobieski et Starset, et son regard clair était un lac insondable dans lequel elle pourrait se noyer. Ou était-ce son pelage crème piqueté de bois, avec sa queue de panda roux, ces créatures mystiques décrites et peintes par les loups aviaires les plus aventureux, qui la faisaient rêver de récits fabuleux ? Ou peut-être encore était-ce la façon dont elle s'emmitouflait dans cet écharpe d'ébène qui semblait si douce et épaisse, piquetée de soleils miniatures qui apportaient une touche de couleur bienvenue.

Ou tout ça à la fois.

C’est comme si tu venais de tomber sur un secret, quelque chose d’interdit qu’on t’offre timidement. Ces immenses ailes ne font que capturer ton attention, le vent faisant frémir ses plumes, lui donnant l’impression de fixer un immense champ de blés valsant. Tu en as le souffle coupé et la question qu’elle te posa prit son temps à percuter ton esprit. Lentement Misiek tu lèves un peu la gueule. Si tu viens d’ici ? Dans ce coin de terre dangereux ? Sûrement pas. Tu ne viens même pas de ces terres, tu viens de bien loin, tu viens de là où l’océan est roi.

“ Non non… “

Ton timbre de voix tremble légèrement mais cela va mieux, depuis que tu t’entraînes, caché du regard des autres, à prendre la parole plus aisément , tes cordes vocales te font un peu moins de mauvais tours.

“ Misiek “

Un léger sourire illumine ton visage l’espace d’un instant alors que tu te présentes. C’est bien ton principal défaut, tu pourrais donner ton prénom à n’importe qui, tu ne juges pas sous le premier coup d’oeil, tu ne juges ni sur le second, tu apprends à aimer avant même d’avoir cet avant goût de haine dans le fond de la gorge.

La louve incline légèrement la tête sur le côté, attendant une réponse, une réaction. Est-elle un oiseau ? Va t-elle s’envoler et ne plus jamais s’approcher ? Toutes ces questions l’intrigue.

Mais Eva n'est pas prête à partir non, pas non plus à ôter son attention de cette boule de poil qui se tenait timidement devant elle. Et elle avait toute la patience du monde. Plus encore, s'il fallait. Elle s'avança de quelques pas, sortant de l'ombre des rochers. La curiosité intense qu'elle ressentait à l'égard de son interlocutrice palliait totalement les douleurs qui tiraient ses muscles en tout sens.

La grande louve bicolore lui offrit son plus beau sourire.

Elle avait envie de lui parler, de découvrir qui elle était, de devenir amie avec elle. Elle avait toujours ces envies là lorsqu'elle découvrait quelqu'un qu'elle ne connaissait pas, mais cette fois-ci le besoin se faisait plus impérieux encore.

Bienvenue en ces terres, Misiek ! Si tu montes encore un peu plus au Nord-Ouest d'ici, tu arriveras aux Champs Mystiques, sur les territoires Nakhus. Tu y seras toujours bien accueillie !

C'était important, que les loups se sentent bienvenus chez eux. En tout cas, elle le mentionnait à chaque fois. A Octavia, à Starset, à tout ceux qui semblaient chercher un coin où dormir. Peut-être cela intéresserait-il aussi ce faon perdu dans son écharpe ? Et puis Misiek, c'était un si joli prénom. Ca roulait sous la langue, comme un bonbon juste ce qu'il faut acidulé. Eva agita en fanion sa longue queue argentée.

Mais je ne me suis même pas présenté ! Je m'appelle Eva, je fais partie de la meute Nakhu, disciples de la Corneille Yurai.

Si elle était solitaire, peut-être ne connaissait-elle pas bien le coin. Devait-elle la mettre en garde contre les autres meutes ? L'informer sur les dieux ?

Ou... La laisser tranquille, pour ne pas l'effrayer ?

Ah, que faire ! Elle était si nerveuse !