L'étranger de l'étrangère [feat. Joaquin]

Meshret rêvait d’aventure, encore, et encore de l’aventure. Toujours plus de nouveauté et de territoires à découvrir. Saqqarah avait beau être chiant, il avait raison quand il disait que le vaste monde était attirant. C’était devenu une véritable obsession pour Meshret. Elle en oubliait même de s’entraîner. Mais y pensait quand elle se disait qu’elle devait faire quelques heures de courses, s’entraîner à chasser les oiseaux, principalement les corbeaux. Et qu’elle s’entraînait à être furtive lorsqu’elle cherchait à attraper des rongeurs. Parfois aussi elle essayait de chopper un papillon. Grande tentative souvent vaines pour la jeune femelle. Elle avait admit depuis longtemps qu’elle n’attraperait pas ces beaux insectes mais elle repartait en enfance dès qu’elle tentait d’attraper ces petites bêtes.

Elle secoua la tête à cette pensé, traversant un territoire quelle connaissait déjà. Le marais aux lianes était devenu un territoire de jeu pour elle. Et aussi un lieu de défi. Elle s’y était plusieurs fois perdu mais alors qu’elle oubliait le territoire en rêvant un peu à son avenir, la jeune louve glissa sur de la vase et vint s’étaler dans de la bouillasque. Elle se redressa en crachant un peu de terre avant de se frotter les yeux d’une patte. Renvoyant sa mèche en arrière et secouant son pelage pour essayer d’en faire partir un maximum.

« Et bah bravo Mesh… Tu ressembles à un tas de merde maintenant »

Râla-t-elle en cherchant à s’extirper de la vase. Elle retomba plusieurs fois dedans avant d’entendre ses pattes faire des sons terribles à chaque pas. Elle roula plusieurs fois des yeux, se secouant et s’ébouriffant avant de chercher un coin ensoleiller pour s’y asseoir. Elle se trouva ce fameux coin, attendant de sécher un peu pour enlever la terre, tout en observant le territoire mort plein de moustique et de libellule, et parsemé de plantes mortes.

« Et bah… »

Elle soupira, se roula sur le dos, couru le long de la vase. Elle voulait sécher plus vite, et aussi trouver un coin sans vase pour repasser du côté de son territoire. Elle s’arrêta cependant quand elle en eut marre de sentir de la terre contre sa peau et commença à l’enlever à petit coup de dents avant de sentir un regard. Elle dressa les oreilles leva la tête, et vis un loup à quelques mètres qui la dévisageait.

« Quoi ? T’as un problème ? T’as jamais vu une louve qui s’enlève de la terre du pelage après être tombée comme une merde dans de la vase ? »

Demanda-t-elle un peu renfrognée n’appréciant pas tellement de se faire dévisageait comme ça alors qu’elle n’était mais alors pas du tout sous son plus beau jour, ni même présentable.

Nouvelle journée, nouveau rendez-vous en terre inconnue.

De la disparition du Dôme qui bloquait les terres Lazulis, Joaquín ne tirait que du positif. Tombant à point nommé dans une période d'ennui des plus redoutables, il avait permis au solitaire d'étendre ses horizons au sens le plus strict du terme : de nouvelles terres à explorer, de nouvelles pistes à suivre, et peut-être même de nouvelles rencontres à faire. Certes, pour lui, les rencontres avaient généralement de grandes chances de virer à l'altercation, mais il ne voyait pas ça comme un mal : bien au contraire, c'étaient peut-être là celles qu'il chérissait le plus, quand bien même il refusait de se l'avouer.

A l'exception d'un rapide passage sur l'Île aux Roses, il n'avait jamais mis les pattes en territoire Lazuli du temps où la meute existait toujours, aussi n'avait-il pas vraiment moyen de constater l'ampleur des dégâts. Néanmoins, ce petit côté dévasté et agonisant, pour une raison qui lui échappait, ne lui apparaissait pas comme dépourvu de charmes. Peut-être était-ce parce qu'il venait lui-même d'un endroit où la désolation était le terreau de base sur lequel chacun devait cimenter sa vie — si vie il y avait : souvent, elle était très vite écourtée, parfois même avant que les fondations aient fini d'être posées. Peut-être aussi parce que ça signifiait que personne n'était à l'abri du malheur, pas même une fière meute placée sous la protection de tout aussi fières divinités.
Il n'avait pas de glowstick, pas de Dieu pour lui montrer la voie, mais il était toujours là, lui.
Seul petit regret, la meute déchue n'était pas celle qu'il aurait souhaité voir tomber. Il espérait seulement qu'il y avait quelque part en ce monde une forme de justice qui finirait par s'abattre sur ces demeurés d'Etelkru.
Peut-être que leur territoire si farouchement revendiqué se transformerait à son tour en geôle. Un enfer les coupant du monde et peut-être même de certains de leurs proches dont ils ne pourraient s'échapper.
Histoire de les remettre à leur place.
De leur rappeler que bénis des Dieux ou pas, on naissait tous égaux. Et qu'à partir de là, on était tout seul.

Seul, il réalisa qu'il ne l'était pas complètement lorsque l'odeur d'une congénère vint lui chatouiller les narines. Il était jusque là occupé à longer pensivement cet infect et déprimant tas de boue qu'était devenu le fleuve qui passait encore par là, quelques mois auparavant. Secouant machinalement la tête pour faire fuir les quelques moustiques qui osaient s'approcher de ses oreilles, il leva la tête, intrigué. Il semblait que les Etelkrus étaient moins disposés à rester à l'intérieur de leurs frontières qu'à empêcher les autres de les traverser.
Balayant les alentours du regard, Joaquín aperçut quelque chose qui bougeait fébrilement, à une centaine de mètres de là, et décida de s'approcher.

Il s'agissait d'une jeune femelle, presque entièrement couverte de boue — vision qui ne manqua pas de le faire sourire. Elle tentait visiblement de se débarrasser de l'épaisse couche de fange qui emprisonnait ses poils. Poils dont il peinait à distinguer la couleur véritable, mais dont les teintes visiblement brunâtres et parfois même vertes n'étaient pas sans lui rappeler les membres d'une certaine famille qu'il avait déjà eu l'occasion de croiser par le passé. Il commençait à envisager sérieusement l'éventualité que cette meute ne soit en vérité composée que des membres d'une seule et même famille, ce qui aurait peut-être justifié qu'ils soient tous aussi tarés les uns que les autres.
Tarés, effrontés et insupportables. Voilà que la femelle l'avait vu et venait de lui baragouiner quelque chose dont il n'avait saisi que des bribes. De cette farandole de mots déclamés avec hargne, il ne retint qu'une chose : elle était sur les nerfs, ce qui semblait être un quatrième trait de personnalité commun à tous les membres de cette putain de meute de nazis.

— Pas vraiment, non, répondit-il sans tenter le moindre instant de dompter son fort accent hispanique. Puis d'ajouter d'un ton moqueur : Les louves de mon pays savent marcher sans tomber.

Un rictus narquois étira ses babines, dévoilant le blanc de ses crocs.
Ah, comme les femmes de chez lui pouvaient lui manquer. Elles avaient du caractère, certes, mais ce n'était pas pour autant qu'on avait envie de leur arracher la langue dès qu'elles ouvraient la bouche.

Meshret était râleuse, surtout avec de la boue sur la face, c’était comme une insulte pour elle. Elle n’était tellement pas présentable. Elle observa le mâle, qui semblait sourire, sans doute moqueur. Cela ne la dérangeait pas plus que ça. Elle se savait ridicule, elle n’allait donc pas s’en offusquer. Juste que de se faire dévisager par un étranger était fortement gênant. Elle remua nerveusement la queue, le fixant une seconde de haut en bas. Il avait de la gueule celui là. Si elle avait été plus âgé, elle aurait même pu dire que c’était son type. Elle agita les oreilles à sa réponse. A sa réponse elle roula des yeux.

« Elles en ont de la chance. »

Répondit-elle avant de s’ébrouer à nouveau, des morceaux de terres sécher tombant autour d’elle. Elle lança un regard à son corps. Ah enfin elle ressemblait un peu plus à quelque chose et on voyait bien mieux le poil même s’il était poussiéreux et un peu grisé. Elle étira un sourire avant de tourner la tête vers le loup.

« Bon désolé j’suis pas présentable. Mais je ferais avec. Moi c’est Mesh, et vous ? »

Demanda-t-elle au mâle tout en continua d’épousseter sa pelisse principalement clair. Ouf elle n’en avait pas dans les cheveux. C’était tellement dur de se laver les cheveux, et puis elle n’arrivait jamais à brosser correctement sa crête à certains endroits. Elle secoua quand même son pelage de manière frénétique. Elle n’avait pas envie de sentir la vase et la gadou. Observant le paysage, la jeune louve se demandait si le mâle en face d’elle vivait dans le coin. Si oui, comment faisait-il pour avoir l’air si en forme ? L’endroit était pourtant presque… mort.

Elle n’avait pas trouvé d’autre mot. C’était plein d’insectes, pas qu’ils soient dérangeant, mais en plus d’eux, la gadoue, les arbres morts, les cadavres qu’elle avait vu en venant. Cet endroit était désertique. C’était ce qu’elle pourrait qualifier de cimetière. Elle n’en avait jamais visiter, mais en avait lu la définition, à moins que l’on lui a expliqué. Elle ne savait plus, c’était un peu vague de toute façon. Et elle pourquoi était-elle venue ici à part pour un peu d’aventure ? Pour rien. Peut être qu’il venait d’ailleurs, de beaucoup plus loin comme elle.

Contre toute attente, surtout au vu de ce qu'il avait pu observer chez d'autres membres de sa meute — qui plus est des membres de sa meute dont il soupçonnait qu'ils aient un très clair lien de parenté avec elle –, la femelle accueillit sa pique avec un certain calme. Tout au plus un regard vers le ciel.

Constatant qu'elle ne semblait pas spécialement disposée à lui sauter à la gorge pour tenter de le mettre en pièces, il se déraidit, l'observant tandis qu'elle reprenait son manège, tentant d'arracher la base de son poil. Il songea qu'elle aurait plus vite fait d'aller barboter dans de l'eau, voire même de l'eau de mer. Le sel aurait remplacé la vase, certes, mais elle aurait ensuite pu se tremper dans de l'eau douce, et le tour aurait été joué.
Lui n'aurait jamais rien fait de tel, peu disposé qu'il était à aller se foutre à la flotte. Il aurait probablement attendu la mort. Ou au moins de se transformer en statue de boue.
Il songea qu'il lui faudrait faire preuve de prudence en repartant. Si le terrain était si glissant, il vaudrait mieux qu'il fasse attention à où il mettait les pattes. Pas envie de se viander lui aussi. Son poil était suffisamment crasseux comme ça.
Dans tous les cas, à mesure que la femelle continuait son oeuvre, la ressemblance avec la petite femelle qu'il avait blessé chez les Etelkru quelques années auparavant et avec son enragé de père se confirmait.

— Bon désolé j’suis pas présentable. Mais je ferais avec. Moi c’est Mesh, et vous ?

Il haussa les épaules à la première partie de sa phrase. Elle parlait à un mec qui n'avait pas pris de bain depuis de très nombreux mois et dont le poil déjà particulièrement dru était rendu encore plus sec par une bonne couche de poussière. Il n'était pas vraiment pointilleux sur ce genre de détail.
Dans tous les cas elle ne semblait pas spécialement méfiante, ce qui :
A. Etait assez surprenant : devait-il mal le prendre ? Avait-il mal vieilli ? Devait-il envisager de faire attention à se montrer plus effrayant pour correspondre au standard du solitaire de base ? Sa fierté mâle devait-elle en être brusquée ?
B. Signifiait qu'elle n'avait probablement pas entendu parler de la litige qui l'opposait à certains membres de sa meute / famille. Par conséquent on ne se transmettait peut-être pas l'info de génération en génération : par conséquent, il n'était peut-être pas si indésirable que ça, contrairement à ce qu'il avait pu croire lorsque ce mec à moitié crocodile l'avait attaqué par surprise, juste avant que cette histoire d'Upside Down ne soit enfin démêlée.
Là encore il ne savait pas trop s'il devait s'en réjouir ou non.

— Joaquín, répondit-il en s'asseyant.

Il lorgna la femelle de haut en bas, un peu plus attentivement cette fois. Pas la moindre trace de glowstick. Si elle était jeune, elle devait être très proche de l'âge adulte, aussi aurait-elle pu être en possession de l'un des petits artefacts. Surprenant de voir l'un de ces meutards s'aventurer ainsi en terrain inconnu sans la protection de l'une de leurs divinités, ni même de l'un de ses co-meutards.
Il huma l'air, cherchant trace d'un autre loup qui aurait pu l'accompagner. Rien. Tout au plus les vestiges de la vie passée des Lazuli et de la faune locale, et encore : tout était presque éteint. Cette terre était morte.
Vidée de sa substance.

— Pourquoi tu es si loin de chez toi ?

A présent que ces terres semblaient redevenues vacantes, il n'était pas impossible que les gens se mettent à prospecter, dans l'intention de s'y établir. Lui-même faisait partie de ces personnes : certes, il avait son oasis, bien planquée au milieu du désert, mais ici il y avait un canyon. Quoi de mieux qu'un canyon.
Les Etelkrus envisageaient-ils d'étendre un peu plus leurs frontières ? Autant investiguer un peu. Cette louve semblait bien plus ouverte à la conversation que ses frères de meute. La conversation avec un solitaire, en prime.
Avec lui, qui plus est.
Qui l'eut cru.

Meshret était satisfaite, elle se sentait enfin un peu plus propre. Il fallait sans doute qu’elle finisse son nettoyage dans l’eau. Mais il n’y en avait pas à proximité, et elle n’avait pas du tout envie de chercher seule dans ce territoire froid et hostile. Et puis elle avait une occupation maintenant, le mâle en face d’elle. C’était intéressant une nouvelle rencontre, Meshret était curieuse, et intéressée par l’inconnu. Elle voulait de l’aventure, du nouveau, tout ce qui pouvait être agréable…

Elle remuait doucement la queue, enfin plus tranquille, détaillant le mâle. Comment avait-il fait pour avoir un pelage aussi rude et sec ? Elle le contourna calmement, ne se méfiant pas. Elle aimait le combat en plus. Alors si il désirait en découdre, ce n’était pas elle qui allait avoir peur et prendre la fuite. Peut importe son jeune âge et sa petite taille. En plus elle se rappelait des conseils d’Annette, et elle les appliquait. Elle était entrain d’analyser le mâle. Sa musculature, son pelage, son odeur, son apparence. Il n’était pas de chez elle, mais il n’avait pas l’odeur de la mer, d’où était-il alors ?

Il se présenta, un nom, qui aurait pu paraître anodin, mais elle eut la sensation de l’avoir déjà entendu. Mais où ? Elle pencha la tête en le dévisageant. Comme ça ne lui revenait pas, elle décida que ce n’était pas très important. Et puis au pire, elle demandera à Maman Joy. De toute façon, Joy, c’est sa référence, et ça ne date pas d’hier. Elle étira un sourire au loup.

« Enchanté »

A la question du mâle, elle recula avant de s’asseoir calmement devant le loup. Rabattant sa queue contre ses pattes, les oreilles pointées vers le loup. Pourquoi elle voulait être là, et pas dans le territoire Etelkrus qui était si protéger ? Elle remua doucement sa courte queue, agitant les oreilles. Elle avait si bien joué à éviter le regard de ceux qui surveille. Elle en était en fait presque fière. Elle haussa les épaules.

« Je suis loin de chez moi par amour pour l’aventure et l’adrénaline. »

Répondit-elle calmement mais très sincèrement tout de même. Elle avait joué de cela, de son gout pour l’adrénaline, ne pas se faire prendre, observer, sentir, comprendre. Même si elle était différente de Saqqarah, elle aimait apprendre aussi. Mais des choses beaucoup plus pratique, Annette avait raison, la théorie est barbante. C’était cependant quelque chose par quoi il fallait passer, mais ça lui demandait tellement d’effort de ne pas bouger. De ne rien faire, de juste écouter et réfléchir. Elle tenait cela dit à faire les choses bien, et ne perdait pas espoir à l’idée de parvenir à se canaliser.

« Et vous, d’où venez vous ? »

Demanda-t-elle calmement, doutant que le loup vive ici au milieu de ce territoire désoler où manger et boire devait être une épreuve de tout les jours. Une épreuve, cela peut être amusant à test. De ne pas revenir avant plusieurs jours, et de voir si elle parviendrait à survivre dans cet environnement hostile. Peut être, qui sait, que ça la rendrait plus forte et sage.

— Enchantée.

Allons bon. Voilà qu'elle était même enchantée de faire sa connaissance.
L'idée était plaisante, à vrai dire. Pas parce que Joaquín était quelqu'un de spécialement désireux de se faire apprécier des autres : si tel avait été le cas, il aurait sans doute essayé de se montrer plus sympa et souriant de base, accessoirement de ne pas aller se balader sur les terres des meutes pour y pisser partout, voire pour s'y battre à mort avec l'une de leurs patrouilles.
Mais parce que la perspective de faire copain-copain avec une Etelkru, qui plus est de la famille de l'autre con de reptile, et toutes les possibilités de rage que cela pouvait engendrer, lui paraissait particulièrement alléchante. Surtout en ces temps bien trop calmes à son goût.

— Je suis loin de chez moi par amour pour l’aventure et l’adrénaline.

Au moins cela supposait-il qu'elle n'était pas envoyée ici en éclaireur par ses chefs. Ordonner à une gamine de se rendre seule en territoire étranger n'était pas la meilleure action qui soit sur le plan stratégique, mais l'intelligence n'avait pas vraiment l'air de faire partie de leur domaine de compétences, donc ça ne l'aurait au final surpris qu'à moitié qu'elle ait été en mission ici sur ordre des Alphas.

— D'un pays très loin d'ici au Sud.

Un pays où on n'aurait jamais laissé une petite louve s'aventurer hors de chez elle, qui plus est sans être accompagnée par un mâle, à moins de souhaiter explicitement sa mort. Laquelle n'aurait clairement pas été douce. Ni immédiate.
Il lui arrivait de se dire que c'était peut-être lui qui venait d'une contrée de sauvages, et non cet endroit qui était particulièrement soft. Le problème venait-il des habitants de son Mexique et non des individus particulièrement laxistes du coin ?
Puis il se rappelait cette histoire d'Upside Down et de créatures monstrueuses à demi-nues qui vous courraient après puis vous attrapaient avec leurs grosses mains pleines de doigts pour ensuite vous fourrer dans la bouche hérissée de dents qu'un hasard grotesque de la vie avait été placer sur leur poitrail et il se rappelait que non, clairement, le problème ne venait pas des siens, mais bel et bien des gens d'ici, qui s'étaient particulièrement ramollis, peut-être parce qu'ils avaient trop tendance à compter sur leur Dieux et non sur eux-même pour les sortir du pétrin.

— Et tu n'as pas peur, toute seule ? C'est... mh... peligroso, je ne suis pas sûr que la gente de ton clan soit très aimée hors de ton territoire.

Après tout, si les Etelkrus faisaient la peau des gens qui pénétraient chez eux, pourquoi n'était-il pas possible de leur faire la peau, dès qu'ils quittaient leurs terres ? Ca n'aurait été qu'un juste retour des choses.

Meshret soulagée d’avoir lavée son pelage agitait lentement les oreilles, elle était agacée par ce pelage qui ne voulait pas se faire propre. Mais elle était tout de même contente de voir un peu plus de ses propres couleurs. C’était tellement agréable de se sentir un peu plus clair et présentable. Elle ne voulait pas être dans une position trop dégradante. Que ça soit pour elle, ou pour autre chose d’ailleurs. Les oreilles pointées vers le loup, elle se demanda pourquoi il semblait si calme et si content qu’elle soit enchantée. Elle aimait les nouvelles rencontres, cela était-il si choquant de la part des Etelkrus d’être content de rencontrer des étrangers ?

La fille de Joy adorait sa meute, cela était indéniable, elle était fière dans faire partie, mais elle ne désirait pas restée coincée dans un amour irrémédiable pour ces loups. Elle se voulait ouverte d’esprit, capable d’accepter autrui. Même si elle n’était pas encore capable d’aider n’importe qui. Au moins d’avoir un échange serein avec un étranger, même si cela pouvait grandement lui apporter des problèmes vis-à-vis des siens. Elle avait demandé calmement d’où il venait, après tout il avait bien de la chance que les louves de chez lui ne tombent pas aussi stupidement dans la vase. Elle agita les oreilles en l’entendant.

Loin vers le Sud, elle ne devait pas être allée aussi loin, et elle n’irait sans doute jamais. Son attachement pour les siens était beaucoup trop fort. Et elle comptait bien rester toujours pour les protéger, les aider, les soutenir, et faire avancer cette grande famille qui était la sienne.

« Comment se passait la vie au Sud ? »

Demanda-t-elle calmement, les oreilles en avant, le fixant longuement. Elle était curieuse, et puis c’était le premier loup vivant qu’elle croisait sur ce territoire, et ce n’était pas plus mal. Au moins elle avait eut le temps de voir quelques petites choses. Agitant doucement les oreilles, la femelle remuait lentement la queue avant de l’entendre.

Peur ? Elle ? Elle étira un sourire amusée. Jamais elle n’avait peur. Elle se contre fichait de mourir. Elle se battait pour vivre, c’était le sens même de l’existence que de se battre chaque jour. Alors si un étranger en voulait à sa vie. Elle se battrait aussi, sans jamais s’arrêter ! Elle était têtue, vive, et tenait absolument à défendre sa vie si on voulait s’en prendre à celle-ci. Elle roula ses épaules sous son pelage en toisant le mâle du regard.

« Je n’ai pas peur, et puis, si j’avais peur, je tuerais ma peur, histoire qu’elle ne me hante pas la nuit et ne me suive pas partout. »

Répondit-elle sur un ton presque supérieure et arrogant avant de se relever et d’étirer lentement ses pattes. Se remettant correctement avant de s’avancer vers le loup, brisant la distance entre eux alors qu’elle l’observait.

« Un seul individu est représentant de la totalité de sa meute ? C’est triste comme pensée… »

Remarqua-t-elle avant de s’asseoir à quelques pas de lui sur son côté. Observant ses flancs, sa musculature, mais aussi la possibilité de sa vitesse. De sa puissance également, et de la douleur qu’il pouvait lui infliger même s’il ne semblait pas forcément vouloir s’en prendre à elle.

Comment se passait la vie au Sud ?
C'était bien la première fois qu'on lui posait la question. Il fronça le nez, perplexe. La vie chez lui — certainement bien plus au Sud qu'elle ne pourrait jamais l'imaginer – était radicalement différente de celle d'ici. Bien plus dure, cruelle, et inégalitaire. Pas de divinités pour vous octroyer leur bienveillance — ce qui n'empêchait pas la religion d'y exister, mais là encore, le culte monothéiste répandu chez lui par les colons bien des générations plus tôt était très différent de ce qui semblait se pratiquer ici – ni de pouvoirs magiques, tout se faisait à la force des muscles, bien plus que de l'esprit. Pas de créatures étranges venues d'un autre monde. Juste la réalité, tangible. Sans la moindre échappatoire.
On s'entretuait pour un regard de travers.
On tuait pour bien moins que ça encore.
Par plaisir, parfois. Souvent.
On humiliait, aussi. Parfois à mort.
Pour les femelles, c'était ce qu'il y avait de pire.
Les gens étaient stupides. Rustres, sans la moindre éducation.
Ceux qui avaient de l'éducation ? Ne faisaient jamais long feu. On y avait jadis amené la civilisation, mais la sauvagerie avait vite fait de reprendre ses droits sur ces terres qui étaient siennes.
On buvait beaucoup d'alcool. On savait faire la fête, aussi.
Il n'était pas rare que les fêtes finissent en bain de sang.
Comment résumer tout ça ? Et surtout, comment exprimer tout ça tout en étant envers et contre tout persuadé que l'existence y était bien plus douce qu'en ces terres de relative paix et d'abondance ?
Avait-il seulement envie de parler de ça ? Ou ne préférait-il pas garder ces souvenirs pour lui, petit trésor qu'il chérissait plus que tout, chimères d'une vie passée et d'un monde connu de lui seul ? Seule chose qui lui appartenait véritablement, au final ?

Il se balança légèrement d'une patte sur l'autre, son regard galopant dans les vastes plaines arides qui bordaient son Canyon, avant de réponde sur un ton évasif :

— C'est... différent.

S'en suivit la tirade sur la peur, qu'il accueillit cette fois-ci avec un haussement de sourcils. Songeant que cette gamine n'aurait pas duré vingt minutes livrée à elle-même chez lui. Quel monde étrange que ce continent où on laissait les louvardes vadrouiller comme bon leur semblait. Ou plutôt, quel monde étrange que ce continent où personne n'agressait les louvardes un peu trop sûres d'elles qui vadrouillaient comme bon leur semblait.
Il lui aurait bien dit que la peur, si elle n'avait rien d'agréable, était nécessaire — cf. Locke & Key – mais elle ne lui en laissa pas le temps, réduisant considérablement la distance qui la séparait de lui. Il la suivit du regard, immobile.

— Un seul individu est représentant de la totalité de sa meute ? C’est triste comme pensée…

Un vague sourire en coin étira ses babines, et il haussa les épaules, penchant légèrement la tête sur le côté.

— Tu choisis ta meute. Choix a conséquences.

Rentrer dans le rang de ce clan de barbares, c'était approuver la barbarie en elle-même. A ses yeux en tout cas.

Meshret l’observait, gardant son silence, prenant son absence de parole pour de la sagesse et de la réflexion. Il avait l’air d’avoir du vécu, il était plus âgé c’était sûr, mais un vieil ermite vivrait toujours moins de choses qu’un loup qui vagabonde et vie au grès de ses envies. Elle remua doucement son épaisse mes courtes queue. Le voyant légèrement piétiner sur place, l’hésitation sans doute. A sa réponse, elle étira un sourire, cette réponse vague, fugace, imprécise, était parfaite. Elle avait quelque chose de mystérieux et d’attirant pour Meshret.

Elle ne savait pas ce qu’elle voulait, elle était indécise au fond de son cœur, elle le savait très bien. Les oreilles vers l’arrière, elle s’était rapprochée pour voir de plus prêt les traces du temps et des aventures sur le mâle. Avant de l’entendre, elle leva la truffe vers lui, son regard croisant le sien avant de pencher doucement la tête.

« Mais je n’ai pas choisi ma meute, j’suis née. Qui sait si j’y resterais ou non ? »

On lui avait imposé les Nakhus, elle aimait sa mère, elle aimait son père. Mais est ce qu’elle aimait le fonctionnement de sa meute ? Est-ce qu’elle appréciait les loups s’y trouvant ? Est-ce qu’elle voulait de cette vie de pacha détendue qui sont surpris qu’on leur vole un louveteau ou qu’un jeune disparaisse ? Elle ne savait pas ce qu’elle voulait, elle se sentait de toute façon étrangère à cette meute, encore plus que Saqqarah. Lui il savait qu’il voulait servir la meute et l’aider.

Mais elle, pourquoi c’était-elle mise en tête de protéger les siens et d’en devenir digne déjà ? Avaient-ils déjà fais quelque chose dans son sens ou pour elle ? Elle ne savait pas vraiment, elle étira ses longues pattes avant. La jeune louve était perplexe. Joaquin venait de remettre en question tout ce qu’elle croyait et penser. Du coup, quand elle le contourna à nouveau, ce fut pour s’asseoir à côté de lui, les fesses dans la terre et fixer l’horizon.

« J’te déteste… Tu viens de remettre toutes mes convictions en question… »

Maronna-t-elle doucement, mais sans aucune méchanceté. Etonnement, le fait qu’il l’est complètement dérangé dans ses choix ne la mettait pas en colère. Elle y avait pourtant réfléchit après cette foutu chasse avec Rafale… Et pourtant, pourtant… Il venait de lui mettre dans la truffe qu’elle ne voulait peut être pas rester là bas. Qu’elle partirait peut être un jour. C’est vrai ça, elle est encore une loupiote, mais qui sait ce que l’avenir lui soufflera à l’oreille ?

Elle commençait à s’agacer sur elle-même, contre elle-même également, troublée et perturbée. Ne sachant plus vraiment ce qu’elle devait vouloir et rejeter, ni même qui elle est. Elle n’est pas grand-chose, elle n’est personne en fait. Elle leva la truffe vers Joaquin, finalement, elle était contente de le croiser.

La petite louve tournait autour de lui, somme toute perturbée. Lui demeurait statique, la suivant du regard tandis qu'elle se déplaçait, comme à son habitude. Ses paroles semblaient trouver écho dans l'esprit de la femelle, plus qu'il ne l'aurait escompté. Il n'attendait pas grand chose à vrai dire, il se contentait principalement de faire la conversation. Mais s'il pouvait planter la graine de la discorde familiale dans l'esprit des jeunes Etelkrus, alors il pourrait probablement rentrer chez lui en ce disant qu'il avait passé une journée carrément productive. Extrêmement satisfait de lui. Surtout si ce n'était même pas volontaire.
Ca pouvait le devenir.

— Mais je n’ai pas choisi ma meute, j’suis née. Qui sait si j’y resterai ou non ?

Il haussa de nouveau les épaules. Ce n'était clairement pas à lui de répondre à cette question, dont il devinait par ailleurs qu'elle tenait plus de la rhétorique que d'autre chose.
Le choix n'appartenait qu'à elle. Et un peu au destin, et de ce qu'il déciderait de lui infliger tout au long de sa vie. C'était principalement de ça que tout découlerait. Les grands changements venaient des grands bouleversements. Au final... seul le Hasard déciderait de tout ça.

— J’te déteste… Tu viens de remettre toutes mes convictions en question…

Il en fallait peu, songea-t-il.

— Tes convictions ou celles qu'on t'a appris ? releva-t-il.

Arrivait un moment où l'on réalisait qu'on avait des goûts et des idées qui nous étaient propres, et qui allaient parfois à l'encontre de ce que l'on avait pu nous enseigner. Remise en question qui se faisait plus facilement selon le milieu où l'on avait grandi. Il n'était pas sûr que cette dernière puisse être facile à vivre dans une meute aux idées aussi radicales que celle dont elle venait, cela dit. Mais arrivait un moment où il fallait se prendre en main et tracer son chemin. Faute de quoi on passait à côté de son existence, et c'était là se condamner à vivre une sacrée vie de merde.

— Celles que mon environnement m’a imposé.

Et un mince sourire satisfait d'étirer lentement le coin des babines de Joaquín. Le voilà qui distillait le doute dans l'esprit des plus jeunes. Il y avait dans son contentement une certaine forme de mesquinerie : savoir qu'en discutant ainsi avec cette gamine il mettait potentiellement à mal l'ambiance au sein de sa meute et plus généralement le dogme qui semblait emprisonner cette dernière dans des idées qu'il jugeait totalement absurdes était pour lui source de joie. Mais loin d'être seulement une forme de petite pique adressée à l'ensemble des Etelkrus, il s'agissait d'une réelle question adressée à la louve. De celles qu'on ne pensait pas forcément à se poser quand on était pris dans l'étau d'une famille étouffante ou d'une meute adepte du contrôle de ses membres. Et du lavage de cerveau.

Songeuse, elle se leva et le remercia, puis fit mine de s'en aller.
Il se contenta d'un hochement de tête à son adresse et la regarda s'éloigner.

Etrange journée, songea-t-il finalement en se relevant.
Joaquín regarda autour de lui, s'interrogeant sur la direction à prendre. Il décida qu'il pouvait bien continuer d'explorer le coin : il n'était pas arrivé depuis très longtemps et n'avait pas de meute ni de famille qui l'attendait quelque part. Personne à retrouver, personne pour s'inquiéter pour lui.
C'est avec une vague amertume sur le bout de la langue qu'il reprit donc sa route, trottinant en silence.