Au centre du cimetière [feat. Joaquin]

Il avait suivi la piste d'un chevreuil depuis la Côte, jusque dans les Bois.

Plus par jeu que par véritable désir de se nourrir : il avait mangé récemment et était encore largement capable de tenir avant d'avoir à chasser de nouveau. C'était juste que l'occasion était trop belle — il longeait la plage et l'odeur de l'animal passé par là quelques heures plus tôt avait croisé son chemin –et qu'il ne savait pas trop quoi faire de sa journée : à défaut de déambuler au hasard, il pouvait se laisser porter par les pas d'un autre. Peut-être trouverait-il ce faisant quelque chose de nouveau, quelque chose d'incongru, quelque chose d'intéressant, même.

Pour l'instant ça n'avait pas donné grand chose. Il se rapprochait clairement mais n'avait croisé jusque là que des arbres morts ou moribonds, des plantes mortes ou moribondes, des cailloux définitivement morts, et des ossements dans la même situation. Pas trace d'âme qui vivre. Pas de Lazulis non plus. C'était sans doute une mauvaise idée d'essayer de buter ce chevreuil, finalement. Peut-être était-il le premier à revenir s'aventurer ici : s'en faire un casse-croûte aurait fortement nuit au repeuplement de l'endroit. Eh merde.
Il venait de s'arrêter, pensif, et s'interrogeait désormais sur la marche à suivre : que faire, alors ? Il restait bien un territoire sur les Terres Désolées qu'il n'avait pas encore exploré mais celui-ci était tout à l'Est, bien trop loin pour qu'il s'y rende aujourd'hui. Il retournerait certainement passer la nuit à la Passe Ventue et s'y rendrait le lendemain. Mais la journée n'était pas encore assez avancée pour qu'il envisage de rentrer dès maintenant. Il était donc paumé au milieu de ce bois creepy, la seule trace de vie autre que lui et son oiseau en était une qu'il souhaitait finalement ne pas croiser, et...
... et voilà qu'une brise fraiche venant de derrière lui apporta à son nez l'odeur d'une louve. Nakhu. Qui semblait se diriger droit vers lui.
Il fit demi-tour et décida d'aller également dans sa direction, voyant là un excellent moyen de ne pas perdre sa journée.

Et finit par la croiser au détour d'un énième arbre mort, quelques minutes plus tard.
La première chose qu'il remarqua fut l'énorme aile repliée sur son dos. Et le moignon peu avenant qui devait autrefois lui servir de partenaire. Une louve ailée et estropiée qui n'était cependant pas une aviaire, à en juger par l'absence de serres à ses pattes avant et sa queue relativement normale. Ce pays. Etait. Un zoo.

— Mieux que toi apparemment, fit-il en haussant un sourcil.

Ca avait dû faire un mal de chien, songea-t-il en observant avec plus d'attention ce qu'il restait de l'aile de la louve. A savoir pas grand chose.

— Je vais toujours mieux que celle qui me l’a arraché.

Il eut une moue vaguement amusée. Sans avoir la moindre idée de ce qui avait pu déclencher la bataille dont elle parlait — il n'en avait pour être honnête pas grand chose à faire –, il se doutait que l'ensemble n'avait guère dû être joli. On parlait souvent des combats entre mâles, on parlait également du désavantage des femelles en combat singulier contre la plupart des mâles — une sombre histoire de supériorité physique –, mais on mentionnait rarement les affrontements entre filles, qui étaient de très loin les plus violents, pour la simple et bonne raison qu'ils n'avaient ni règle, ni limite. Pas d'honneur ni de fierté. Juste de la rage et un besoin de violence qui pouvait parfois se manifester de la plus inattendue des manières.
On était bien loin des petites choses graciles et fragiles avec leurs courbes en arabesques et leurs longs cils qui papillonnaient sous le soleil.
Ce n'était après tout pas pour rien que selon ce qu'on lui avait raconté, Daniel lui-même n'en menait pas large et courbait son gros museau face à la bien plus petite mais également bien plus teigneuse Carmen. Selon Arabella, la montagne de muscle ne faisait clairement pas le poids face au courroux de la rouquine, pour peu qu'il ait eu le malheur de l'attirer sur lui. Dépassé par une vague de violence tant physique que verbale qui transformaient sa compagne en une véritable harpie, il repartait bien vite la queue entre les jambes, et s'il avait le malheur de bougonner quelque chose dans sa retraite, il risquait fortement de se manger une bouteille, un verre, une cruche ou plus généralement n'importe quel élément de mobilier qui passait par là dans la gueule. Ca le calmait direct et il mettait alors un certain temps à revenir, généralement avec des fleurs. Fleurs plutôt miteuses ramassées sans la moindre délicatesse avec ses grosses pattes malhabiles sur le bord des routes, généralement — Daniel avait toujours été ce qu'on pouvait appeler un homme simple, et le romantisme n'avait jamais fait partie de ses qualités –, mais fleurs qui avaient le mérite d'attendrir la dame et de lui servir de passe-droit pour avoir de nouveau accès au bar qui était supposément le sien.
Au final, le véritable leader du Canyon, à l'époque où les deux tourtereaux étaient encore de ce monde et où Miguel était mort, c'était elle. Daniel n'était bien qu'un homme de main particulièrement balèze, avec une certaine autonomie supplémentaire.
Pas une fois il ne s'était permis d'entreprendre quelque chose sans lui demander son avis au préalable.
Ca avait plutôt bien marché. Tout s'était passé pour le mieux, jusqu'à ce que les deux ne s'éteignent, curieusement la même nuit, dans leur sommeil.
Heureuse coïncidence, qui n'avait pas manqué de dévaster Arabella à l'époque.

Il arrivait à Joaquín de se demander ce qui pourrait arriver au monde, si les hommes cessaient de brimer les femmes. Celles de son Canyon natal, en tout cas. Qui bénéficiaient toutes d'un caractère bien trempé. Peut-être, justement, parce qu'elles partaient avec un sérieux désavantage dans la vie, et se voyaient ainsi opprimées très tôt. Il n'était pas impossible que les mâles tentent ainsi de garder les femelles sous contrôle parce qu'ils avaient peur de ce qu'elles pourraient le faire, pour peu qu'elles réalisent qu'elles en étaient tout à fait capables.

— Pas Lazuli, non, fit-il sobrement.

Il n'en avait à vrai dire pas croisé un seul, depuis que le Dôme était tombé. A croire qu'ils avaient tout bonnement disparu de la carte, c'était même à se demander s'ils avaient jamais existé. Peut-être s'étaient-ils tout simplement empressés de fuir ces terres qui les avaient retenu prisonniers si longtemps. Dans des conditions visiblement plus que précaires, au vu du foutoir qu'étaient désormais ces terres. Lui-même, qui venait d'un coin plutôt peu avenant, surtout pour quiconque n'y était pas né, avait l'impression de débarquer tout droit de Neuilly, quand il voyait à quel point le coin était mort.
Il réalisa alors que ce qu'il avait pris d'abord pour une certaine forme de timidité — depuis tout à l'heure, elle ne l'avait pas regardé une seule fois dans les yeux – était en fait une cécité. Les yeux clairs de la louve étaient trop clairs. Elle semblait aveugle.
Aveugle et estropiée, elle se baladait tranquillement au milieu de ce bois des Enfers, en dépit de ce qui pouvait lui tomber dessus. Pas qu'il ait croisé grand monde. Mais il supposait qu'il devait bien y avoir quelques prédateurs affamés dans le coin. Prédateurs autre que lui, en l'occurrence.

— Qu'est-ce que Nakhu vient faire ici ?

Peut-être y avait-il une raison à ce qu'elle soit là, autre qu'un besoin de voir du pays — façon de parler, bien sûr.

Les Nakhus, toujours à essayer de jouer les bonnes âmes. Joaquín leva les yeux au ciel en secouant légèrement la tête, un sourire en coin étirant ses babines, sachant qu'il pouvait se permettre d'être un poil plus expressif que d'habitude dans la mesure où la femelle n'était pas en mesure de le voir. Plus le temps passait, et plus il en venait à se dire que c'était un miracle que cette meute existe toujours, surtout dans la mesure où l'une des trois résidentes du coin venait visiblement d'éclater.
Il ne savait pas grand chose des Lazulis. N'ayant jamais croisé qu'une seule d'entre eux de mémoire. Pas la moindre idée de si quelque trait spécifique pouvait être associé à cette meute. Perdue entre les extrêmes Etelkrus et les idéalistes Nakhus, elle semblait pâle figure.
Au final, elle n'était plus.
Et il ne savait même pas pourquoi. Les autres savaient-ils ? Les autres meutards ? Les autres solitaires, peut-être, aussi ?

Il fut coupé dans sa réflexion par la louve, qui lui demandait son aide. Soufflant lentement, il balada son regard alentours. Ce n'était pas comme s'il avait autre chose à faire. Il leva le museau, cherchant du regard l'oiseau qui l'accompagnait depuis désormais quelques semaines. Ce dernier était posé sur une branche, une dizaine de mètres au-dessus de leurs têtes, et semblait les observer également. Il songea que ce dernier pourrait s'avérer utile pour quadriller le secteur, enfin, dans d'autres circonstances. Si la plupart des arbres de ce bois étaient morts, la topologie n'était quand même pas idéale pour qu'un observateur venu du ciel puisse avoir une vue claire des environs. Un espace dégagé aurait été plus à-propos. Peut-être pourrait-il trouver moyen d'utiliser son ami à plumes à son avantage, à l'avenir. Il faudrait qu'il y réfléchisse dans les jours à venir.

— D'accord, fit-il en baissant le nez vers la louve. Il y a au moins un... mh... corzo ici. Je suivais sa piste avant de te croiser.

Il battit des cils, toujours immobile, attendant qu'elle ouvre la marche. C'était après tout sa quête à elle. Lui n'était que le sidekick surprise et pas forcément très investi.[/justify]

Spoiler:

[ Ca marche :) ]

Il l'observa depuis sa place, acquiesçant en silence, puis lui emboîta le pas.

A vrai dire, il doutait de pouvoir être vraiment utile à la femelle. Il y avait toujours eu ces rumeurs, bien trop générales pour se limiter aux frontières des territoires, qui avaient toujours circulé. Comme quoi la perte d'un sens chez quelqu'un entraînait un plus grand développement des autres. Il n'avait jamais trop su si c'était là quelque chose à quoi on pouvait véritablement se fier : d'un naturel sceptique, Joaquín était peu enclin à considérer des vérités générales relayées de bouche en bouche et d'esprit en esprit comme acquises. Ca se tenait quand même vaguement dans son esprit : s'il prenait lui-même le temps d'y réfléchir, il trouvait l'hypothèse valable. Même si ce monde était bien plus pacifique que le sien, ils demeuraient des loups, et en mesure de survivre ils devaient être capables de s'adapter à tout. Leur vie n'était pas facile : certes, à l'inverse de ceux qui leur servaient de proies ils n'avaient pas à vivre dans la crainte constante d'être attaqués par des prédateurs, mais ils devaient en revanche compter sur leur capacité à chasser pour survivre. Les loups ne pouvaient pas brouter l'herbe. Ni se nourrir exclusivement de fruits qui seraient tombés d'un arbre.
Et puis il y avait les rivalités. Avec des congénères d'autres clans, avec d'autres grands prédateurs. Et puis il y avait aussi toutes ces bizarreries qui infestaient ce monde et le rendaient si peu fiable à ses yeux. Incontrôlable et surtout imprévisible.
En somme, même avec l'appui d'une meute, il valait mieux pouvoir se débrouiller seul. Compenser la perte d'un sens par le développement des autres devenait nécessaire.
A en croire les dires de cette femelle la personne qui l'avait blessée avait fini dans un état encore pire que le sien. A moins qu'elle n'ait eu à ses côtés une ribambelle de preux chevaliers pour lui venir en aide, cela laissait suggérer qu'elle avait elle-même réglé son compte à son assaillant. Ce qui laissait supposer qu'elle savait se débrouiller. Preuve additionnelle était qu'elle s'aventurait elle-même hors de ses terres, dans un lieu dévasté ou des carnivores affamés pouvaient toujours subsister.

En additionnant tout ça, on pouvait en arriver à se dire que l'odorat de la louve était probablement bien plus efficace que le sien.

Mais il avait ses yeux.
Réputé bon traqueur chez lui, il savait trouver des informations dans ce qu'il voyait. Des choses qui parfois n'avaient pas d'odeur. Lorsqu'il traquait, il se fiait aussi bien à sa vue qu'à son odorat, ainsi qu'à son ouïe. Peut-être que cela pourrait s'avérer utile. Sinon ça lui ferait toujours une randonnée et s'ils se faisaient attaquer par il-ne-savait-pas-trop-quoi il pourrait toujours mettre son expertise au combat à contribution. Ca lui décrasserait les muscles. Il en venait presque à l'espérer secrètement.
Il fut tiré de ses pensées par la voix de la louve, qui finit par se présenter à lui.

— Joaquín, répondit-il en laissant son attention courir sur les arbres qui les entouraient, à la recherche de quelque chose qui ait pu dénoter.

Mais pour le moment, rien ne semblait pouvoir venir troubler la quiétude étouffante qui semblait figer ces bois dans un sommeil éternel.

La remarque de la louve lui tira un sourire en coin. Les gens de chez lui n'étaient pas aussi créatifs que ceux du coin en matière de noms : Joaquín y était un prénom modérément commun, aussi sonnait-il comme relativement banal à ses oreilles. Il y avait bien parfois quelques exceptions, des loups dont les noms sortaient du lot — sa grand-mère Arabella par exemple – mais du reste... tout le monde s'appelait un peu pareil. Et tout le monde avait un peu les mêmes surnoms, vu que les diminutifs étaient également les mêmes.
Mais on s'y retrouvait dans l'ensemble. Les réputations aidaient. Et le pool de prénoms d'usage était assez vastes pour qu'on n'ait que des chances assez réduites de tomber sur un homonyme de manière fréquente.
Il y avait aussi les deuxièmes prénoms, au pire.
Ca, dans sa famille, ça n'avait jamais été très populaire.
Il était Joaquín, seulement Joaquín. Descendant de María et Jorge. Descendant d'Arabella. Descendant de Carmen. Descendant de Miguel.

Ses yeux allèrent des arbres alentours aux flancs de la femelle qu'il secondait. Hayndriel. Un prénom dont il n'aurait pour changer jamais envisagé l'existence avant de l'entendre, et qu'il n'était même pas sûr de pouvoir prononcer correctement, en tout cas sans un minimum d'entraînement — cela dit, son prénom était écorché par absolument tout le monde ici, donc il supposait que ce n'était pas bien grave : on s'y habituait.
Pour sa part il n'avait pas la moindre idée des informations que pouvaient porter le nom de la louve. C'était juste une bizarrerie de plus dans un pays où le bizarre était la norme. Ca ne ressemblait pas même un tout petit peu aux prénoms d'usage chez lui.

Il s'arrêta en même temps qu'elle, lui adressant un regard curieux. Visiblement elle avait senti quelque chose.
De l'eau.
Il huma attentivement l'air, avant de parvenir, effectivement et au bout de quelques secondes, à déceler une forme d'humidité latente. Puis se remit à la suivre, silencieux, toujours attentif à ce qui l'entourait.

— La baliser pour qui ? demanda-t-il distraitement, ses yeux ne trouvant pour le moment rien qui n'indique que la vie avait pu commencer à revenir dans les parages.

Il écouta attentivement sa réponse, une légère tension figeant son visage tandis qu'elle énumérait les différentes personnes à qui aurait pu profiter un éventuel balisage du terrain. Ses lèvres se pincèrent légèrement.

Ce n'est plus leur territoire, manqua-t-il de répondre sèchement — mais il se ravisa lorsqu'elle embraya sur une question.

Car il ne fallait pas se méprendre : Joaquín était avant tout en quête d'informations, quand bien même il ne crachait pas sur un peu de compagnie. Pour savoir ce qui avait bien pu se passer pour que le territoire se retrouve dévasté de la sorte. Et surtout, pour savoir ce qu'il était advenu de la meute qui y résidait auparavant.
Ce qu'il allait advenir de ces terres.
Parce que maintenant que Joaquín avait eu l'occasion de mettre les pattes à la Passe Ventue, d'explorer de long en large le Canyon, de galoper le long des falaises abruptes et de sentir l'assaut brûlant du soleil sur son poil, il n'était plus possible pour lui de revenir en arrière. Cela faisait des jours qu'il n'était plus retourné dans le désert argenté où il s'était établi à la suite de ses mésaventures avec le Monde Rouge : il n'en avait plus guère l'envie, en dépit des efforts qu'il avait pu faire pour s'y dégotter une petite oasis appropriée et y aménager par la suite un terrier plus que décent. L'endroit lui paraissait morne. Fade. Dépourvu du moindre sens.
Il passait ainsi chacune de ses nuits à la Passe Ventue, changeant à chaque fois de grotte, explorant plus en détail les crevasses, les cavernes, quadrillant cette petite zone qui lui rappelait tant son chez lui. Cette zone où il se sentait pleinement maître de la situation. Cette zone qu'il avait peu à peu fait sienne.
Et qu'il n'entendait pas abandonner.
La seule chose qu'il lui restait à faire avant de s'établir définitivement là-bas, c'était trouver la grotte qu'il pourrait considérer comme son nouveau chez lui.
Il n'avait guère envie de voir des loups revenir s'établir sur ces terres. Il ne voulait pas de nouvelle meute. Ou en tout cas, il n'en voulait pas dans la Passe Ventue. Car cet endroit était désormais sien et personne ne pourrait l'en déloger. Qu'importe la conception que certains pouvaient avoir de territoire. C'était désormais le sien.
On pouvait y passer. Y dormir, même. Mais on ne pouvait en aucun cas le clamer comme une propriété privée et chercher à l'en déloger. Il y avait de toute manière l'avantage. Il se savait redoutable sur ce terrain-là, et bien plus dangereux que jamais lorsqu'il s'y trouvait.

— Oui, fit-il avant de lever le nez.

Au-dessus d'eux planait désormais l'oiseau qui lui servait de compagnon. Voletant parfois de branche en branche, ou prenant parfois un peu de retard, un peu d'avance sur eux, il les suivait patiemment. Disparaissait quelques fois durant quelques minutes tout au plus, et revenait toujours.

Il l'écouta, perplexe. Elle n'avait peut-être pas tort. Cela dit, ce n'était pas non plus comme s'il passait sa vie à errer dans ces bois de mort et risquait de s'y retrouver perdu et en état d'extrême déshydratation : il se savait capable de trouver de l'eau si le besoin était véritable, et surtout, il se savait capable de tenir très longtemps sans boire. Et pas dans des conditions très idéales.
Il était mexicain, nom de Dieu.
Son regard se prit de nouveau à chercher l'oiseau qui l'accompagnait depuis maintenant quelques semaines. Ce dernier aurait également pu s'avérer utile pour ce genre de situation, si besoin était. Pour peu qu'il réussisse à en tirer quelque chose, autre que de la simple compagnie. S'il n'avait pas vraiment l'intention de déléguer l'intégralité des tâches vaguement fastidieuses et redondantes de sa vie au petit animal, préférant prendre la peine de chercher les ressources dont il avait besoin lui-même pour ne pas rouiller, une mise à contribution du volatile aurait pu être plus que bienvenue pour peu que la situation ait été... eh bien, compliquée. Autre chose à quoi il devrait réfléchir à l'avenir. La perspective de voir ce qu'il pouvait tirer de son nouveau compagnon et d'occuper ses journées à repousser leurs limites à tous deux s'avérait étrangement excitante. Plus qu'il ne l'aurait cru.

Il ne releva donc pas la première remarque de la louve.
Cela dit il n'était pas opposé à rendre une éventuelle source d'eau plus accessible pour permettre aux proies de s'hydrater plus facilement et donc, de revenir s'établir ici. Ces bois n'étaient pas si loin que ça du canyon. Une réserve de nourriture stable à proximité n'aurait pas été malvenue, pour peu que le Canyon se montre particulièrement cruel avec lui, ce qui pouvait arriver. Surtout au vu de la chaleur qui régnait depuis que ce foutu dôme était tombé.

La deuxième réflexion de la femelle, en revanche, lui arracha un discret rire. C'était une manière plutôt directe de dire les choses.

— Chacun sa spécialité. Tu trouves eau, je me bats.

Il n'eut guère le temps d'ajouter quoi que ce soit car un discret miroitement quelque part sur sa droite attira son attention. Se stoppant, Joaquín tourna la tête vers la direction d'où provenait l'éclat lumineux, oreilles pointées en avant. Il huma attentivement l'air, et un sourire satisfait fleurit sur ses babines.

— Peut-être que je trouve eau aussi, fit-il avant de se détourner du sentier qu'ils suivaient jusque là.

Se frayant un chemin entre les débris, bondissant agilement au-dessus de quelques souches renversées, il finit par déboucher sur une clairière, où une petite mare d'eau miroitait sous le soleil. Ce n'était pas le plus beau point d'eau qu'il ait vu de sa vie, mais c'était un bon début.
Il tourna la tête, cherchant la louve du regard.

Il arqua un sourcil interloqué à la réflexion de la femelle, coulant un regard en coin dans sa direction, mais ne releva pas. Les femmes étaient parfois étranges, et celles de ce pays lui apparaissaient comme encore plus indéchiffrables. Pas tant à cause de la différence de langage mais bien plus dans les moeurs. Il supposa qu'il s'agissait là d'une forme de boutade, à moins qu'il n'ait pas bien compris.
Il préféra ignorer ce dont il n'était pas sûr de comprendre le sens, se concentrant sur ses paroles suivantes, tandis qu'elle trempait le bout de sa queue dans l'eau dans ce qui lui apparut comme une espèce de rituel loufoque dont il peinait une fois de plus à comprendre le sens.
Les locaux et leurs excentricités.
Pis encore, les locales et leurs bizarreries.
Il doutait de jamais comprendre.

— Dans les arbres ? répéta-t-il en fronçant le nez, levant la tête pour observer la cime de ceux qui les entouraient. Ne manquant pas de repérer la petite tache noire et rouge qui l'observait depuis l'un d'entre eux, dardant sur lui ses yeux curieux. Qu'est-ce que tu veux dire ?

Il pouvait pisser sur un arbre. Il pouvait griffer un arbre. Il pouvait en arracher l'écorce pour peu qu'elle ait été suffisamment abimée pour lui offrir une prise correcte. Il pouvait même en tirer une branche accessible. Mais ça se limitait à ça : il n'était ni un chat, ni un singe, ni quelque forme d'ours agile tout droit débarqué des confins de la Malaisie entre deux exploitations d'huile de palme.
Joaquín ne grimpait pas aux arbres. Il n'y en avait de toute manière pas beaucoup dans son désert. Et ils étaient souvent hérissés d'épines.
Baliser les troncs était envisageable, mais qu'elle ne compte pas sur lui pour s'emmerder à jouer au puma à essayer de grimper là-haut, c'était là pour lui une perte tout autant de temps que d'énergie, en plus d'une certaine atteinte à sa dignité. Les doigts de ses pattes remuèrent légèrement, ses griffes fouillant la terre meuble de la rive ; il savourait le contact rassurant du sol sous ses pattes.