L'histoire d'une vie [Défi - Libre]

La nuit tombe, elle tombe lentement désormais, très lentement, alors les louveteaux dorment moins tôt. Momon observait la grotte depuis son trou, ils venaient tous de manger, l’odeur du lait se faisait bien présente sur toutes les truffes, surtout celle de sa sœur, cette goinfre. Maigre comme un clou mais goulue comme pas deux. Ce soir ressemblait à tous les autres, un de plus dans le sanctuaire, les cris et les pépiements de sa fratrie résonnait autant que la grande famille à côté. Lui, avait décidé de siéger dans l’ombre, flanqué de Siem, une petite louve ailée bien calme. Il la tolérait à ses côtés parce qu’elle parlait peu et n’hurlait pas contrairement à Ruine. Cette dernière faisait montre de force et d’agilité pour se bagarrer avec les autres. Un trait de caractère qu’il lui enviait presque.

L’heure de dormir s’en vient alors, après des séances de jeu brutales, et chacun se colle à ses parents pour dormir. Maman Via les cajole tous les trois comme elle peut, les étouffe à moitié de câlins, les nettoie un peu puis les pousse entre ses pattes pour les tenir au chaud. Sa fourrure n’est pas bien épaisse, du coup le petit mâle a un peu froid et les meilleurs places sont prises. Le sommeil ne vient pas le cueillir, pas maintenant. Les autres par contre s’en vont dans les bras de Morphée, alors le petit loup s’ennuie. Il tourne et retourne pour essayer mais rien n’y fait, l’insomnie le guette. Il a l’habitude alors il sort de la grotte. Son petit corps grandit doucement et ses muscles le portent de plus en plus loin, loin des grottes, loin du brouhaha, loin de ceux qui dorment facilement.

Sa promenade, Momo la connaît presque par cœur, un tour dans le sanctuaire, son œil observe le peu d’habitants. Puis le dédale s’offre à lui paisible, la mousse lumineuse pour seul repère. Il chemine, de longue minutes, quand enfin il voit le ciel. Un ciel aussi sombre que de l’encre, constellée de point blancs. C’est joli et il aime ça. Alors chaque soir, il s’assoit à l’entrée. Et puis il regarde les étoiles, parfois la lune quand elle se montre. Le petit loup sombre se plaque le dos contre la roche, s’affale à moitié, les pattes arrières en avant, les antérieures sur son bidon bien rempli et son imagination s’active pour l’occuper.

Cette nuit, il s’imagine grand, très grand, courant sans complexe dans les champs mystiques. Ses pattes sont hautes, il voit au dessus des cultures, il chasse un petit lièvre. Mais il n’est pas seul. Momon regarde en arrière et voit son père imaginaire. Il aimerait tant en avoir un vrai, car il sait qu’il en a un, le petit mâle avait entendu maman Eva en parler à maman Via. Alors le louveteau regarde les astres, priant pour que sa vision s’éclaircisse. Son père restait flou, une vague ombre bleutée qui s’éloignait encore plus de lui. Il avait beau courir, jamais il ne gagnait de terrain et ce loup semblait s’en ficher royalement de sa pomme. Alors le louveteau arrêta son corps, regardant la silhouette se réduire à un point sur l’horizon. Cette triste histoire, c’était la sienne, elle existait, et jamais elle ne semblait vouloir le quitter. Ses mamans semblaient toujours distantes, les grands le regardaient bizarre lui et sa sœur. Surtout le loup à crinière et la louve rose, comme si ils avaient fait une bêtise.

Momon sanglotait, seul face à la toile nocturne. La lune se réduisait à une peau de chagrin. Le petit loup laissait les larmes couler de son seul œil vivant. Personne ne le dérangerait après tout à cette heure si tardive. Il espérait en tout cas. Son petit corps se recroquevilla sur le sol froid et il laissa aller sa tristesse sans un bruit, fixant un caillou plus loin.

Le museau calé entre ses pattes potelés, Momon ne pouvait pas se retenir. Ça coulait à grand flot et ses idées s’assombrissaient dans sa solitude. Puis, un bruit, un souffle chaud lui bougea les cheveux ondulés. Puis le corps fin et tout chaud d’Eva se colla à lui. Ce qui eut au moins le mérite de le rassurer, car une fois planqué sous son aile, personne ne pouvait plus le voir. Momo se serra alors contre les côtes de sa mère, humant son odeur apaisante. Ce n’était radicalement pas la même chose que le lait de son autre mère mais ça le rassurait. Sans rien dire, il essayait de calmer ses petites rivières qui sillonnaient son visage bouffi de désespoir. Quand il put enfin hoqueter quelque chose, il dit à sa mère :

« Bah bah j-je vous ai entendu m’man et toi… v-vous parliez qu’on a-a-a-avait un papa… mais i-i-il est pas là… »

Et de plus bel, son œil ouvrit les vannes et se blottit plus fort sous l’aile.

« Pis pis… je sais qu-que je suis pas très joli, j-j-j-j’y vois pas bien et et et mes dents sont pas jolis… alors que Cend’ et Rui, ils sont beaux ! Moi je suis tout moche et tout cassé… *sniff*… c’est pour ça qu’on a pas de papa ? C’est parce qu’il nous aime pas ? »

Inquiet, il regarda de son œil doré, ceux de sa mère. Cherchant le réconfort, où au moins plus de câlin pour réchauffer son petit cœur. Mais l’espoir, il l’avait oublié.

« J’ai pas envie que m’man parte aussi ! Je sais qu’elle fait pas partie de la meute, j’ai entendu une grande dame le dire, ils vont la faire partir c’est ça ? »

Toutes ses inquiétudes à un si jeune âge, Momon se voyait déjà triste pour l’éternité.

Maman Eva était rassurante et malgré sa maigreur et ses plumes en moins, Momon sentait toute la chaleur possible qu’elle pouvait lui donner. C’était un sentiment doux et agréable qui envahissait son esprit et sa langue chaude ne cessait de lui assécher l’œil coulant. Il écoutait sagement les paroles de sa mère, se posant d’autant plus de question.

« Mais moi j’comprends pas, on lui fait peur ? On est tout petit pourtant non ? »

Il regarda perplexe les yeux dorés d’Eva. Cherchant à comprendre l’histoire, mais il n’était pas assez mature lui même pour décrypter la situation bien étrange. Quand le nom de ses mères résonnait sous l’aile protectrice, le louveteau sombre ne put s’empêcher d’esquisser un sourire et se frotta la tête dans la fourrure d’ébène. Puis se demanda bêtement :

« C’est qui Ajani ? »

Il ne l’avait jamais rencontré et de mémoire les adultes qui pouponnaient n’en parlaient guère. Quand la voix doucereuse lui murmura qu’il était beau, il rougit. Ce n’était pas souvent qu’il entendait ses mots. Faut dire que Ruine piaillait toujours si fort qu’il était dur d’exister à côté.

« Ah bon ? Je serai fort ? Comment tu sais ça maman ?... »

Il marqua un silence et enchaîna presque de façon guillerette :

« Oh ça veut dire que je pourrai te protéger toi, m’man et Cend’ et Rui aussi ? Cette idée me plaît ! »

Oh que oui ça lui plaisait, il n’aimait pas les voir souffrir ou se faire mal déjà, alors que quelqu’un puisse faire du mal à sa famille, c’était insupportable. Il n’était peut être pas premier prix de beauté ou d’intelligence mais, de son petit corps, il essayait d’imaginer son futur rôle de protecteur. Sa queue tressaillait à son derrière, ce n’était pas euphorique mais au moins le flot avait cessé.

« J’aurai bien voulu savoir voler aussi… comme toi ou Ruine quand elle aura toutes ses plumes ! Héhé t'es belle quand tu virevoltes là haut!»

Il se fit l’image des moignon duveteux de sa sœur qui batifolait, les enfants de Raison et Judas avaient déjà, pour la plupart, des débuts de rémiges et le duvet s’en allait. Sa soeurette devait être verte de les voir si avancer.

« Elle partira pas loin alors ? Oh c’est bien, comme ça on pourra surveiller qu’elle fasse pas de bêtises alors ! Mais je pense pas que je voyagerai… J’ai peur… qu’on me juge trop sévèrement… si je suis grand, on pourrait me prendre pour le grand méchant loup ! »

Sa mine passa d’un sourire franc à un air complètement offusqué de cette réalisation. Et si on se méprenait de ses pensées et de ses actions ? Que se passerait-il ? Non, il préférait rester auprès des siens, c’était bien moins problématique.

« Ah non je resterai ici, je veux pas partir si je fais peur aux gens… »

Il replia ses pattes contre son petit torse velu, avec un sentiment de culpabilité sur son physique. Son regard détaillait le sol tant ça le tourmentait.

Peut être qu’il viendra, peut être pas, Momon ne se laissa même pas aller à espérer autant. Et que lui dirait-il après tout ? Il se remit à fixer ses pattes potelets. Puis le ciel étoilé, il ne réfléchissait pas vraiment à tout ça, il écoutait sagement comme à son habitude. Ce n’était pas un louveteau très expansif après tout. Les mots allaient dans ses oreilles comme si elle chantait une berceuse. Eva n’était sans doute pas aussi bonne chanteuse qu’Octavia, mais son timbre le rassurait. La louve avait quelque chose en elle de doux et chaud, le petit se blottissait encore plus.

« Ajani… Il me fait un peu peur... »

Il se sentait presque coupable de ses peurs. Puis, de ses petites pensées, le mâle essayait de s’imaginer plus grand. Il voyait bien sa différence de louveteau, il avait une bonne dizaine d’exemples sous la patte. Et des plus petits qu’il connaissait, Siem était un peu plus âgée et déjà plus petite que lui. Elle était bizarre mais attachante à ses yeux, gentille mais surtout calme. Il pouffa de rire et répondit en se plongeant dans l’or maternel.

« C’est vrai que je suis grand, je dépasse déjà Cendres et Ruine, et même les enfants de Raison et Judas sont pas bien plus grands voire même très petits pour certaines. Et pour maman, J'espère qu'elle fera pas trop de bêtises si on la laisse seule!»

L’image lui paraissait bien drôle, puis il bailla, la mâchoire grand ouvert laissant ses défenses apparaître entières. Il les trouvait un peu bizarres mais face à sa mère, il n’avait pas honte.

« Oui ça va mieux... »

Et la phrase à peine finit, le petit loupiot s’endormit comme une souche.