Hurricanes - Anita

Finalement, elle ne passerait pas toute la nuit à s'épuiser en chassant à la Rougelande. Ce n'était pas une solution, il lui fallait agir.
Lorsque le petit groupe de loups qui s'étaient rejoins, pour une raison étrange, dans les vastes plaines s'était enfin dispersé, Holly avait pris le chemin du Castel. Par ce qu'elle le savait, par ce qu'elle l'avait toujours su, que ce n'était pas ces étoiles filantes qui la poussaient à espérer, si fort, que ses vœux se voient réalisés qui régleraient ses problèmes.
Elle était adulte, maintenant, et devait agir comme telle.

Même si c'était compliqué.
Même si tout n'était toujours pas très clair et qu'elle redoutait, un peu, les retrouvailles avec Alexandrine.
Et si Alex ne voulait même plus d'elle comme amie, en plus du rejet ? Non. Ça ne se passerait pas comme cela. Elle devait faire confiance à son amie, se faire confiance aussi. Au pire, ses sentiments ne seront pas partagés et y aura comme un léger malaise entre elles deux, un moment.
Puis tout redeviendrait comme avant.

Mais elle ne voulait pas se prendre un râteau, elle.
Forcément, personne n'avait envie de se voir son cœur brisé. Si tel était le cas, parviendrait-elle à s'en remettre facilement ? A laisser ça de côté pour se consacrer essentiellement à une relation qui resterait amicale ?
Était-ce défaitiste de songer au rejet avant le reste ? Se pourrait-il que... ?

Elle s'arrêta au beau milieu du chemin, le regard flou et le cœur battant.
Pouvait-elle espérer, même un peu ?

Oui, un peu. Jusqu'à ce que le jour se lève et que ses yeux se posent sur sa silhouette. Elle s'en donnait le droit.
Après tout, l'amour n'était-il pas censé être un beau sentiment ?

Holly reprit sa marche, plus rapidement, cette fois.
Elle inspira profondément, profitant en même temps de ce ciel encore étoilé, de cette tranquillité qui lui permettait de penser, une fois la tempête passée. De penser à l'après, plus calmement. De ce qu'elle allait faire maintenant.
Demeurait pourtant beaucoup de questions pour lesquelles elle ne trouvait pas encore de réponses. Mais cela devrait s'arranger, si elle avait l'occasion d'en discuter avec Alexandrine. Ou quelqu'un d'autre, en qui elle aurait suffisamment confiance pour s'ouvrir un peu.
Tant qu'ils n'étaient pas rejoints par d'autres loups. Elle rit, seule, à cette pensée.

Ça allait mieux, quand même, un peu. Elle se sentait plus apaisée.

Au Castel, tout était si calme.
Holly passa discrètement près des tanières, afin de ne réveiller personne et éviter, si possible éviter de recevoir les foudres de ses congénères.
Jusqu'à ce qu'une odeur familière lui parvienne. Son cœur s'emballa. Alex ? Non, c'était différent, un peu. Son regard bleu se posa sur la propriétaire de cette fragrance. Elle hésita, avant de s'avancer.

- Bonsoir, Anita !

Elle remua la queue, plutôt joviale. Elle l'aimait bien, Anita.
D'un mouvement d'épaule, elle fit tomber l'un des lapins qu'elle portait comme chargement, fruit de ces dernières heures passées à chasser.

- Tu en veux ?

Elle sonda sa congénère du regard.
Était-elle au courant, de ce qu'il s'était passé cet après-midi ? Alex en avait-elle parlé ?

Il n'était pas rare qu'Anita se réveille au beau milieu de la nuit, allumant ses yeux violets sur l'obscurité qui à ces heures-ci régnait en maître.
Peut-être était-ce la faute à son patrimoine de chauve-souris qui n'étant pas en reste sur son apparence se manifestait également dans ses horaires d'activité, peut-être avait-elle simplement de moins grand besoins en sommeil ou peut-être était-ce autre chose encore ; dans tous les cas, elle était désormais bien alerte malgré la quiétude qui enveloppait les tanières dont les habitants, saisis par la torpeur du sommeil, n'étaient eux pas décidés à s'éveiller avant l'aube.
Il y avait bien quelques loups de sortie nocturne bien-sûr, parmi ceux notamment dont le devoir de patrouille les amenait à rôder au clair de lune, mais la majorité de la meute était paisiblement endormie.

Enfin, pas tout le monde non plus.

Les pas légers qui s'approchaient lui firent tourner la tête en direction de la louve qui se dirigeait désormais vers elle. Elle répondit à la salutation d'Holly par une brève inclinaison de la tête et un éternel sourire figé sur les babines, ses pupilles cherchant un instant quelque chose dans son sillage - une haute silhouette autrement plus imposante avec les ailes qui la surmontait, une silhouette que l'on voyait désormais assez rarement se détacher de celle de la louve bleue.
Mais Axie n'était pas là, et bien que cela alluma une lueur d'interrogation au fond de son regard - après tout, elle avait vu Alexandrine partir à ses côtés dans l'après-midi et ne l'avait pas recroisée depuis - elle ne dit rien et se contenta d'observer l'Epée se décharger d'une des nombreuses proies qu'elle portait pour lui en proposer.
Nombreuses, très nombreuses proies.

Cette observation lui fit redresser les oreilles et couler un regard curieux et quelque peu amusé sur Holly, sa longue queue ondulant doucement dans son dos.

— Oh, pourquoi pas ! Tu en as chassé beaucoup, dis donc. Tu avais très faim ?

Son sourire s'élargit sur l'un des côtés, taquin.
La jeune louve laissa ses pattes avant glisser sur le sol jusqu'à s'allonger confortablement, étirant tout son corps et plongeant le museau dans le corps du lapin généreusement offert.

Non, Anita ne semblait pas être au courant.
Ou alors, elle le cachait très bien. Ce qui était plutôt arrangeant, finalement.
Sa congénère se montrait joviale, comme à son habitude, se permettant une petite taquinerie qui tira un sourire amusé à la louve bleue. Elle se coucha à ses côtés, finalement peu décidée à bouger tout de suite. Surtout tant qu'Alexandrine ne montrait pas signe de vie.
Où était-elle, d'ailleurs ? Sommeillait-elle quelque part ? Allait-elle... bien ? Pinçant les babines, elle tâcha de chasser ses inquiétudes.

- Il faut croire.

En vérité, elle ne se sentait, actuellement, pas capable d'avaler quoi que ce soit.
Laissant donc Anita se restaurer seule, elle ramena ses pattes et sa queue contre son corps, songeuse.

- En vérité, je ne parvenais pas à trouver le sommeil. Alors autant faire quelque chose de ces heures perdues.

Son regard retomba sur le bout de ses doigts, passionnante observation.
Il s'était passé beaucoup de choses, ces derniers temps. Il y avait d'abord eu le lion, ses propres blessures importantes, la rémission qui avait suivie... Puis le viol de l'un de leurs panseurs, la mise à mort du traître, à laquelle elle avait participé avec Narcisse, les questionnements qui allaient avec... Puis ça, ces sentiments déclarés à sa meilleure amie.
Autant dire qu'elle n'avait dernièrement pas beaucoup dormi, elle qui, de base, avait toujours connu un sommeil quelque peu agité, et son corps savait le lui faire ressentir, à sa façon : elle s'était un peu amaigrie, elle s'épuisait. Il lui faudrait davantage se ménager, à l'avenir, si elle voulait tenir sur la durée.

Holly redressa la tête pour la tourner vers Anita.

- Et toi, ça va ?

Les événements récents l'avaient plus ou moins frôlée, également. Il n'avait pas du être facile de voir revenir sa propre sœur blessée et Holly savait également, grâce à Alex, que les choses n'allaient pas si bien que cela, de leur côté aussi, quand bien même elle n'en connaissait pas la raison puisque son amie avait préféré garder le silence à ce sujet.

Attentives, ses oreilles restèrent tournées vers Holly qui apparemment ne trouvait pas le sommeil, elle non plus.
Pour des raisons probablement différentes de la louve hybride qui elle se réveillait naturellement sans souffrir d'un quelconque manque. Un simple regard un tant soi peu attentionné à l'égard de la Conseillère suffisait pour noter des traits un peu plus tirés qu'à l'accoutumée, un poil plus désordonné malgré le soin qu'elle accordait à son apparence et une silhouette visiblement plus efflanquée. Cela lui rappelait sa mère - déjà fatiguée par ses devoirs d'Alpha et de parent, plus encore ces derniers temps quand des deux côtés le collier se resserrait durement sur les inquiétudes, ces inquiétudes rongeantes qui pouvaient éveiller les pires cauchemars et les sombres scénarios.
Ces derniers temps n'avaient été aisés pour personne.

— Et toi, ça va ?

Elle réalisa que ses yeux s'étaient probablement un peu égarés dans le vide de la nuit et elle les ramena vivement sur Holly, laissant un grand sourire revenir sur ses babines.

— Bien-sûr que ça va ! Il ne faut pas se laisser abattre.

Son sourire était sincère, le léger coup de museau contre sa truffe bleue soutenu d'un regard appuyé l'était tout autant.
Bien-sûr que les récents évènements avaient pu la plonger dans le désarroi, elle aussi ; elle avait eu tant de questions, s'était retrouvée face à l'inconnu et l'incompréhension, avait du se confronter aux premières difficultés familiales qui ces derniers mois ne semblaient que monter crescendo.
Ils grandissaient, tous. Et avec la transition de l'enfance vers l'adolescence puis doucement l'âge adulte venait le lot d'évènements nouveaux et de problèmes à surmonter.
Mais ils y arriveraient tous ensemble - unis, car c'est ce qui faisait d'eux une meute ; quand un membre était affaibli c'était dans les autres qu'il pouvait puiser sa force.

Une de ses pattes aux longues griffes alla se poser doucement sur celle d'Holly.

— Il nous faut avoir confiance les uns dans les autres, et tu sais bien que si quelque chose te tracasse tu peux te reposer sur de nombreuses épaules.

Même si ce n'est plus si facile d'avoir confiance quand l'on découvre avec horreur que certaines âmes traitres et mauvaises se cachent parfois au cœur même de notre propre meute, même si tu as déjà la présence d'Alexandrine en guise d'épaule solide.
A ce sujet, la question se ralluma tout de même dans son esprit - et Anita n'était pas du genre à ignorer trop longtemps une pensée qui s'installait, aussi décida-t-elle de finalement s'y intéresser.

— Je pensais qu'Axie était avec toi, aujourd'hui. Vous n'êtes pas rentrées ensemble ?

Le ton était léger et curieux sans être pressant. Elle avait simplement été surprise de ne pas revoir sa soeur pour finalement retrouver son amie si seule sous le clair de lune.

Elle semblait baigner dans l'optimisme, Anita.
Comme si il n'y avait jamais eu de violeur dans leurs rangs, comme si sa sœur ne s'était pas retrouvée blessée... Comme si il ne régnait pas au Castel, actuellement, une atmosphère étrange, un peu pesante. Ou alors, elle avait bien conscience de toutes cas choses mais faisait avec. Ce qui était très probable. Elle n'était pas stupide, Anita.
Holly lui sourit, sincèrement.

- Merci.

Elle avait conscience, à son plus grand regret, d'être un peu plus fragile psychologiquement que certains de ses comparses. Lorsque quelque chose ne se passait pas bien -Et l'on pouvait comprendre le fait de participer à la mise à mort de l'un de ses anciens collègues de travail, dans cette catégorie-, ses nuits se retrouvaient perturbées, coupées par des réveils en panique et des réminiscences de ces moments qui l'avaient plus ou moins marquée.
Cela passerait, avec le temps. Elle le savait, pour en avoir vu d'autres.
En moins de deux ans d'existence, elle traînait derrière elle un passé bien chargé de drames en tous genres.

L'évocation d'Alexandrine lui fit redresser la tête.

- Elle n'est pas rentrée ?

Ce qui ne répondait pas vraiment à la question d'Anita.
Holly fronça les sourcils. Pouvait-elle, cependant, réellement s'inquiéter de cette situation ? N'avait-elle pas, elle même, passé sa fin de journée et une bonne partie de la nuit à la Rougelande en espérant se décharger de ses émotions ? Elle y serait sûrement encore, d'ailleurs, si ce petit groupe n'était pas venu troubler sa tranquillité.
La Conseillère haussa les épaules.

- Non. Nous nous sommes séparées aux dents de roc, cet après-midi.

Elle eut un sourire crispé, tentant de sauver les apparences.

- Elle reviendra. Plus tard.

Mais quand ? Et dans quel état ?

Holly sembla troublée, ne serait-ce qu’un peu.
Sans pour autant aller jusqu’à soulever une inquiétude, les oreilles d’Anita se relevèrent davantage et elle pencha la tête sur le côté pour mieux observer la louve bleue et son délicat visage, détouré d’un délicat contour d’argent bleu, reluisant sous l’éclat de la lune.
Elle patienta et attendit la suite sans la presser.

Ainsi donc les deux amies avaient emprunté chemins séparés pour conclure leur journée. Cela ne leur ressemblait pas, elle le pensa sans détour mais n’interrompit pas Holly et attendit simplement qu’elle achève.
Son sourire n’échappa pas à ses yeux vifs mais eut bien du mal à lui paraître sincère, faisait naître sur ses babines l’ombre amusée d’un sourire en coin. Holly elle-même ne serait pas au courant des pérégrinations de sa sœur ? Vraiment ?
Sa queue s’agita et s’entortilla en quelques gestes rappelant ceux d’un serpent, l’adolescente faisant mine de passer la Conseillère sous son regard inquisiteur alors que la situation lui paraissait bien plus cocasse que troublante d’une quelconque manière.

— Je vois. C’est juste que d’habitude, vous ne vous lâchez pas !

Son museau fusa de l’avant, essayant d’attraper l’une des mèches de Holly pour la taquiner.
Au tout début de la relation particulière que les deux louves avaient commencé à nouer elle se souvenait sans mal avoir ressenti une légère réserve – non pas par jalousie, seulement en tant que sœur craignant un peu de perdre sa camarade de jeu et confidente. Passer la majeure partie de son temps à ses côtés depuis sa naissance avait forcément influencé sa perception, et rendu un peu moins lisse la transition vers leurs vies de jeunes adultes – où elles accordaient de plus en plus de temps à d’autres personnes, et fatalement s’éloignaient un peu du giron familial.
Mais cette brève crainte de se retrouver un peu trop loin de l’affection de sa sœur s’était rapidement effacée et elle était surtout et avant tout heureuse de ce lien qui les unissait et les rendait si heureuses.

Pour rien au monde elle n’aurait souhaité que quelque chose ne vienne perturber leur amitié.

— Si vous vous êtes disputées, tu peux me le dire, tu sais. J’ai un mode d’emploi.

Un clin d’œil pour conclure sa phrase, lancée sur le ton de la plaisanterie – mais sincère patte tendue vers sa camarade si elle ressentait le besoin d’une aide extérieure ou d’une épaule pour décharger quelques soucis.

Elle aurait pu remettre en question les paroles d'Anita, lui dire qu'avec sa famille aussi, Alex passait beaucoup de temps. Mais ça aurait été beaucoup de mauvaise foi, alors elle n'en fit rien, préférant le silence. Par ce que l'évidence était là : Il ne se passait pas une journée sans qu'elle ne passe un instant avec son amie, ne serait-ce qu'une heure. Peut-être était-elle même trop présente, volant de ce temps si précieux aux autres... Honnêtement, elle n'y avait jamais songé, plus tôt, prenant la chose comme elle venait, naturellement, appréciant ces heures partagées, à rire, à se battre, à se chamailler pour de faux, à refaire le monde...
Elle lui manquait déjà, Alex. Le cœur d'Holly se serra douloureusement.

- Oh... Je ne sais pas si on peut vraiment appeler cela il dispute. Disons que c'est plutôt... un malentendu ?

Avec le recul, elle ne trouvait pas cela si dramatique.
Même si elle avait aussi conscience de ne pas avoir été super cool. Quelle idée, de s'enfuir, au lieu d'assumer ses actes et obtenir une réponse immédiate... Avait-elle eu peur, à ce point, de se prendre un râteau ? De briser leur amitié, ça, oui, c'était certain.
Ce qui rendait sa fuite plus stupide encore.

Mais soit, ce qui était fait était fait. Alexandrine finirait par revenir, sûrement le lendemain. Le surlendemain au plus tard : Elle n'aurait alors qu'à aller la trouver pour lui demander pardon et... Voir ce qu'il se passait. Après ces heures passées à chasser, Holly était un peu plus optimiste.
Ce qui ne durerait pas, lorsque les jours passeraient sans qu'elle ne puisse croiser la route d'Alexandrine.

En attendant, un sourire timide vint étirer les coins de ses babines.

- Mais je veux bien le mode d'emploi quand même, s'il te plaît !

On ne savait jamais, elle y trouverait peut-être quelque chose qui pourrait l'aider, pour la suite.

Un malentendu…
Un léger spasme étira temporairement le sourire d’Anita et un éclat passa dans ses yeux. Avec Axie, àa ne lui paraissait pas impossible. Sa sœur avait parfois sa propre façon de se faire comprendre ou de comprendre les choses… De quoi potentiellement amener à des situations cocasses. Pour autant, elle était persévérante et intelligente. Alors normalement, la discussion franche permettait de lisser n’importe quel incompris.
Anita leva quelques instants les yeux sur la lune, juste le temps d’écouter les paroles de Holly et d’y songer.
Et la Conseillère accepta volontiers sa proposition.

— Eh bien, première étape… Ne jamais la sous-estimer ! Elle te surprendra toujours.

Et malgré les doutes que parfois le soir tombé elles venaient à se partager… Axie relevait toujours un regard défiant sur le monde et une tête haute.

— Ensuite, lui faire confiance. Ça va de pair, mais elle a sa propre façon de régler ses problèmes – et n’essaye surtout pas de la materner, elle se débrouille très bien toute seule.

Ses yeux brillèrent d’un éclat un peu plus farouche et malicieux. Puisque même pour leur mère Anette il était parfois difficile de trouver les bons mots…
Lâchant un soupir pensif, Anita se lécha les babines et roula sur son flanc puis sur son dos ; laissant le vaste ciel étoilé s’engouffrer dans ses iris.

Quelle belle nuit.