Wild North l P.V. Himi

Tel un petit oiseau, perchée sur son rocher, Siem observait les champs. Bien qu’une brume épaisse ce jour là lui masquait la vue, ce n’en était pas moins appréciable que de poser ses yeux de glace sur le monde alentour. L’air humide, qui lui parcourait les poumons, la vivifiait en cette morne journée sombre déprimante. Du moins la météo l’était, pas un brin de soleil dans le coin mais qu’importait alors, elle adorait cette ambiance glauque. Depuis sa rencontre avec Famine, la glauquerie lui seyait à merveille. Bien qu’il fallait avouer, qu’à part son père, il n’y avait rien de très surprenant par ici. Enfin si peut être les inconnus qui se baladaient par là. Et la déesse aux corneilles lui en était témoin, il y avait régulièrement des âmes errantes céans.

Dans les volutes brumeuses, une ombre gigantesque manqua de faire frétiller ce qui servait de queue à la demoiselle. Un dragon ? Un monstre terrifiant ? Son séant, lui, ne manqua pas de se relever face à la silhouette. De vagues odeurs du sud lui remontait dans le museau, la sécheresse, les fruits d’été et l’humus des forêt giboyeuse. Sa truffe tortillait frénétiquement pour inhaler ce que le vent lui portait alors. Siem piaffa d’impatience de savoir si, oui ou non, c’était un de ces dragons dont parlent certaines histoires à dormir debout.

D’un bond majestueux, le petit moineau s’envola gauchement, prenant à peine le pli des effets du vent dans ses plumes. Que c’était agréable de ne plus marcher, de voleter au dessus des autres sans réfléchir à comment se sauver sans bruit. Il lui fallut plus d’un battement d’aile pour rejoindre cette âme esseulée. Un premier passage au dessus de cette étrange silhouette, haut, ne se laissant apparaître que sous la forme sans détails. Puis un deuxième tour plus bas, et elle put entrapercevoir qu’en réalité c’était une de ces grandes louves. Un brin de déception manqua de la faire repartir plus loin. Cependant, des loups du sud, elle n’en avait jamais réellement croisé alors, à son troisième passage, le petit corps gracile entreprit une descente douce en planant. Quand ses pattes touchèrent terre, sans se vautrer, une première ! La louvette releva son museau pour se rendre compte que finalement, il s’en fallut de peu avant qu’elle ne rentre dans le réfrigérateur.

« Bonjour ! »

Lança-t-elle comme si de rien n’était. Elle achevait tout de même de laisser un peu d’espace entre son corps chétifs et cette montagne de muscle. Curieuse avant tout, Siem reprit de plus belle :

« T’es pas d’ici toi, et t’es pas un dragon dommage… Bon tant pis, tu as au moins pour toi de m’être totalement inconnue ! Je me nomme Siem ! Enchantée ! »

Battant de ses ailes de moineau, elle dévisagea celles toutes lisses de l’inconnue beige. Comment faisait elle pour pouvoir voler sans plume ? Sans trop se formaliser, le petit volume trottina tout autour pour admirer la bête, tout en marmonnant :

« Fascinant… des ailes, pas de plumes, plein de muscles… hinhin je note je note ! »

Un sourire carnassier, quoi de plus normal, mais fallait qu’elle s’en prenne à elle même car, de toutes évidences, Siem n’avait cure d’une mâchoire menaçante. La menace d’une taille raisonnable avait suffit à faire taire cet étrange grondement qui s’échappait de la gueule du dragon. L’animal ne semblait pourtant pas très enclin à laisser son arrière train en défaut et un manège stupide prit les deux louves. L’une cherchant à faire le tour, l’autre tentant de l’éviter. Le moineau s’arrêta cependant, fixa la louve intensément avant de tenter quelque chose de stupide. Reculant à petit pas, elle jaugea de la distance qu’elle prenait sur la grande beige. Quand les longueurs de queues lui paraissaient assez grandes, les petites ailes se déployèrent et sans attendre de réponse à son affirmation, s’élança d’un bond magistrale.

(Dés d’Agilité)

D’une élégance propre à celle du cerf bondissant dans les plaines, la petite louve violette se trouva juste au dessus de la sudiste. Délicate et légère comme une plume, se posa sans mal sur le dos bien charpenté. Non sans quelques ruades bien sûr, Siem se contentait de tenir l’équilibre pour observer. A en juger par la musculature, elle ne craignait guère de lui peser tant. Et dans son investigation, elle entreprit de répondre :

« Je ne suis pas sa fille, non, je connais bien ses fils et sa fille mais non je ne fais pas partie de sa famille… Même si Eva reste une mère des plus exemplaires, je suis la fille de Raison et Judas ! Je m’appelle Siem, enchantée ! »

Ses yeux bleus ne cessèrent d’observer les grands pans de chair fine. Si le soleil avait pu taper dedans, les veines auraient pu être davantage visibles mais on allait se contenter de ça. Ne voulant pas trop s’attarder, Siem se glissa le long de la croupe musclée, histoire de ne pas se prendre un retour de bâton. Les crocs, c’était le plus à craindre dans tous les cas. Une fois à terre, la gène ne fut pas de la partie et, dans sa curiosité, elle fourra sa tête comme elle put sous l’aile. Là haut moins, elle pouvait admirer les chemins tracés à un rythme régulier. Et de sa cachette de tête, elle lança :

« Mais comment peut-on voler sans plumes ?! »

Le bruit devait être bien étouffé dans son inspection générale. Pourtant, elle resta béate d’admiration face à ce sujet des plus intéressants. Lui arrivant à peine à l’épaule, la louvette appuya sa tête sur le flan. Ses cheveux se mêlant à cette étrange fourrure courte. Et toujours de son point d’observation, demanda :

« Et dans le sud, il y fait aussi chaud qu’on le dit ? Tu viens bien du sud non ? En tout cas tu sens le soleil... »

Ce qu’elle aurait aimé voir ça, les plaines asséchées, l’océan rageux, tout, tout ce qui se faisait en ces terres. Mais pour l’instant, la demoiselle profitait de cette tente improvisé. Jusque là, elle n’avait pas remarqué la chaleur que dégageait ce corps. C’était agréable. Elle s’y serait volontiers endormie si ce n’avait été une parfaite inconnue.

Tout dans le ton, les accents, la sécheresse, tout indiquait un caractère bien trempé. La petite demoiselle n’était pas très au fait des comportements sociaux corrects mais elle n’en demeurait, pour ce qu’elle savait, pas stupide au point de louper les maisons qui s’affichait sur son chemin. Quand l’aile quitta son chef dans un mouvement élégant pour une telle envergure, la louvette entreprit de détailler la chose encore plus. De l’attache, qui allait de l’épaule à l’arrière train, jusqu’à la pointe. Son silence pesait sur la conversation qui semblait bien terne. Quand l’extrémité fut atteinte, Siem étendit les siennes juste en dessous. Pas à dire, cette Alexandrine avait de vrais engins de guerre. Raison de plus pour rester à l’écart des crocs, bien qu’elle fut des plus cordiales cette grande baraquée.

« Par ici, on est plus dans les spectres que dans les chauves souris je suppose ? Peut être que le manoir en possède et certainement dans les grottes des monts. »

Répondit-elle d’un ton détaché tout en pointant le sud de son museau. Bien qu’il ne perçait pas sous la nappe grise, la violette pouvait se targuer d’avoir un bon sens de l’orientation quand il s’agissait des terres de sa naissance.

« Connaît pas l’île Abysse, mais Octavia m’a parlé des côtes de Nacre une fois, je crois… Enfin avec elle c’est pas simple de savoir où commence et où termine l’information. »

D’un geste mou, elle haussa les épaules tout en repliant ses petites ailes plumeuses sur ses flans. Un bond en avant et elle se trouva de nouveau en face de la louve dragon. Puis se mettant à faire le beau devant elle, la petite Nakhu étendit ses ailes et d’un hochement de tête, invita à l’observation.

« Un prêté pour un rendu, si tu veux les voir de plus prêt c’est le moment ! Je sais que c’était pas poli de te sauter sur le poil, mais je pense que tu as assez de jugeote pour savoir que je suis un moucheron et que niveau force… Bah je dois pas rivaliser avec grand-chose… Un peu comme Maman quoi ! »

Tanguant d’avant en arrière pour équilibrer la chose au mieux, ses longues rémiges s’étendait pour moins des 3/4 de l’envergure de la beige.

« J’avoue que j’ai abusé sur le coup, mais t’es la première étrangère que je croise, et de surcroît, la première à avoir des ailes pareilles ! Et pourtant on a un lot de bizarreries par ici ! »

Sa voix restait étrangement monocorde. Si une chose n’était pas de son ressort, c’était de s’exprimer correctement, ou du reste, Siem n’usait pas vraiment des tonalités adéquates. Seul son corps pouvait encore trahir son humeur et encore, c’était assez subtile. Un frétillement ou un frissonnement, il fallait connaître le sujet. Ses yeux en croix fixèrent intensément Alexandrine. De longues secondes d'un silence glacial se posait entre l'équilibriste et la grande chauve souris, mais c'était sans compter sur la curiosité maladive de celle qui continuait de tenir sa pose étrange.

« Sinon tu venais pour une chose en particulier? Se perdre par ici quand on y est jamais venu, c'est dangereux. »

Cette demoiselle beige avait décidément un côté si expressif. Ses muscles trahissaient beaucoup de choses que Siem ne loupait pas. Non pas une miette ne s’échappait de son radar. Si elle avait su sourire, la petite l’aurait fait mais bizarrement, elle se sentait bien incapable de tendre le moindre rictus jovial naturellement. Alors sa face pâle resterait de marbre.

Tout en se laissant inspecter, les mots furent notés dans un coin. Quel étrange personnage que cette Alexandrine, on ne savait ce qui la dérangeait le plus. Le contact, la parole ou bien encore autre chose. Sans se rendre compte, un petit air musicale trottait dans la caboche du moineau. Et de sa gorge, un son, un fredonnement tout doux s’échappait. Elle faisait ça souvent quand elle était seule, un moyen de s’occuper l’esprit en attendant de pouvoir reposer ses pattes avant au sol.

« Hmm Je sais pas, ça reste à découvrir... »

Les ailes se refermèrent sur le petit corps qui ne put s’empêcher de lâcher comme une évidence :


« Quelque chose te tracasse Alexandrine ! Tes yeux te trahissent… mais tu fais bien ce que tu veux après tout, je suis mal placée pour juger les autres. »

Une sorte d’apathie générale empreignait la louve du sud. Mais ce qui interloqua la violette, c’était qu’elle avait fait tout ce chemin pour du trèfle. Arquant un sourcil interrogateur, Siem prit le temps de quelques secondes pour réfléchir. Tapotant son menton, la Nakhu cherchait la dernière fois qu’elle en avait croisé de ces trucs. Quand une illumination la prit. D’une voix monocorde et tout en dépassant le niveau de l’etelkru, elle lança :

« Je pense que tu pourrais en trouver à la lisière de la forêt qui borde les monts, ou bien je t’accompagne à travers champs vers le jardin de mon père, des fois il y en a des plaques entières. Même si je vois pas pourquoi voler si loin pour une si petite chose, tu peux me suivre ou te perdre dans la brume, c’est à toi de voir. »

Sans attendre, le corps fin et svelte s’enfonça dans les champs tout en reprenant sa chansonnette.

Ce n’était pas la discrétion qui la tuerait, la dragonne taillait la route là où le moineau peinait à voir au dessus des herbes. Si elle avait connu le chemin, la petite aurait volontiers suivi plutôt que mener. Et tout ça pour trouver du trèfle, drôle de lubie. Mais les commentaires restèrent dans sa petite bouche et tournèrent sept fois avant d’oser pointer le bout de leur nez.

« Du trèfle à quatre feuille… Hm chose rare faut l’avouer. »

Marmonna-t-elle en bifurquant sur une des routes que les siens avaient tracés il y a des lunes de cela. Chemin étriqué et malmené par les allers et venues, c’était toujours mieux que de se faire fouetter le visage en permanence. Quoique ses ailes, postées devant son visage, formaient un bouclier assez efficace.

Une fois sur la route de la forêt, elle les souleva au dessus d’elle, divisant son volume par deux voire même encore davantage. Alexandrine devait sûrement avoir ses astuces ou sa taille pour aider, pensa t-elle en silence. Elle ne brisa la brume de sa voix que pour annoncer mollement :

« Nous y sommes. Les bois du coin sont pas mal fournies en toutes choses, on y trouvera peut être ton bonheur. »

Alors que le champs s’écartait et diminuait, Siem rentra les ailes, repliant délicatement l’engrenage de rémiges longues le long de son corps.

« On devrait essayer à la lisière ? »

Proposition logique, les épines des pins avaient une certaine tendance à étouffer la vie aux pied de ces grandes tiges brunes. Des arbres rabougris par dizaines et une odeur de pin venait enfler l’ambiance glaciale de la brume. Pays pas très accueillant, mais peut être que sa population compensait, du moins l’espérait-elle.

« Alors ? Pourquoi 4 feuilles plutôt que 3?»

Lança le moineau par dessus son épaule. Cela devait revêtir une certaine importances pour la louve du sud et l'envie de savoir de celle du nord restait grande malgré cette distance qu'elle laissait de plus en plus.

Si elle, offrait des cailloux à sa sœur, alors il devait être commun d’offrir une chose aussi sordide et sans intérêt qu’un trèfle. Siem haussa les épaules, la superstition pouvait même lui promettre la richesse et la vie éternelle que ça ne valait pas grand-chose. Pourtant elle ne jugea pas la croyance d’Alexandrine et garda la chose pour elle même.

« Une amie qui demande de la chance, ce doit être quelqu’un que tu apprécies… Un peu comme mes frères et sœurs qui offrent des cailloux à notre sœur quoi, c’est une sacré marque d’affection que d’offrir des choses positives aux autres ! »

Son bout de queue s’agita comme si elle était contente, pourtant elle ne vivait pas de joie particulière. La louvette violette examina les touffes alentours comme si la chose allait lui sauter au visage comme une évidence. Malheureusement, ce genre de rareté, elle n’en avait jamais vu. La voix hésitante de la dragonne lui fit tourner le museau. Que faisait-elle chez les nakhus ? Était-ce une question de surface ou bien plus profonde ? Siem tourna de nouveau son regard sur les plantes et s’allongea. Tout en commençant son tri, elle répondit, concentrée sur son œuvre d’arrachage.

« Et bien… Hummmmmmm… »

C’était pourtant simple de dire les choses mais la jeune demoiselle se retenait de tout cracher aussi vite.

« Disons qu’en tant que disciple, je dois m’occuper d’un peu de tout, j’apprends à réfléchir, à parler aux autres, à communiquer, à soigner aussi, beaucoup. Je m’occupe aussi des jardins de mon père, toutes sortes de choses pas forcément très intéressantes pour tout le monde je pense. Et toi ? Que fais-tu chez toi d’habitude ? »

Rien ne servait de demander ce qu’elle faisait par ici, puisque visiblement, elle aimait se perdre dans des coins reculés. Enfin Siem pensait plutôt à une fuite en avant, quelque chose dans le ton, une fugue peut être ? Tout en arrachant les trèfles l’un après l’autre, elle s’amusait à imaginer les circonstances de cette venue dans les terres du nord.

Meilleure amie, un drôle de concept à ses oreilles pendantes. Mais quelque chose, un rien de joie semblait pointer dans le regard de braise de la louve dragon. Cette petite étincelle qui rendait le regard pétillant, Siem fixa Alexandrine, perplexe tout en agitant son bout de queue.

« Drôle d’idée que de qualifier de meilleure une amie. Je dois avouer que je ne mets pas d’échelles de valeurs à l’amitié personnellement mais bon... »

Le moineau haussa les épaules tout en se remettant à l’arrachage méticuleux des trèfles à 3 feuilles. De temps à autres, ses pupilles en croix se posaient sur la louve beigeâtre. Les mimiques qu’elle avait était d’un intérêt tout particulier. Devait-elle pousser plus avant ses investigations sur les comportements lupins du sud ? Siem se posait la question, comme si quelque chose lui ferait comprendre les différences d’esprits de chacun. Quant Alexandrine fit mention de kidnapping, la violette quitta sa tâche et lui lança une moue interloquée.

« Mais… comment vous arrivez à perdre des gosses ? On était 10 gamins dans ma famille, on a perdu personne comme ça. Vous devriez revoir votre nurseries, ce doit être une sacrée passoire ! »

Elle peinait bien à s’imaginer quelqu’un entrer dans le dédale pour piquer un mouflet. Drôle d’idée, la nakhu se demandait si elle ne devrait pas se concentrer sur les Raeders et les solitaires aussi dans ses études. Dans un éclair de lucidité, elle remit cette question dans un coin de son crâne farfelu pour pouvoir en parler avec Nocera un jour.

« Mais sinon, oui on a des prédateurs, tout le pays en est pourvu… c’est à peu prêt logique. Et on a aussi ce qui pourrait s’apparenter à des ‘guerriers’ mais je dirai plus des protecteurs. Ceux qui chassent, défendent, enfin le genre de trucs que tu fais… mais on est pas aussi nombreux, et notre religion nous pousse plus à la réflexion et à la tempérance qu’à la guerre. Ce serait trop de morts inutiles après tout... »

Elle laissa sa phrase en suspend, remit son museau au dessus des plantes.

(Dé PC Ing pour chopper des trèfles à quatre feuilles)

Son œil fut alors prit par 4 petites feuilles rondelettes. Délicatement, la louve dégagea la tige pour mieux voir. C’était bien le trophée tant attendu. Si son expression ne changea pas, elle était bien contente d’avoir trouvé une nouveauté dans son palmarès. Laissant l’autre ailée se répandre en mauvais augures, elle ne laissa pas paraître sa trouvaille et la rangea discrètement dans son collier.

Quelques gouttes commencèrent à assombrir le sol, une grosse pluie arrivait. Rien ne leur servait désormais de rester couchée là. Siem prit toutefois le temps de répondre froide et impassible :

« Le propre même de la vie, c’est qu’il y a des hauts et des bas. Le malheur finit toujours par se faire une place quelque part, dans le cœur de chacun, on en veut aux malheurs parce qu’ils arrivent mais c’est se battre contre un concept tout naturel. On peut retarder les choses, mais on n’empêche pas l’inévitable. La seule chose que l’on maîtrise, c’est notre faculté d’adaptation aux évènements. Le futur est imprévisible, rien ne sert de se faire du mal à imaginer le pire. Après tu peux faire de ton mieux dans le sens que tu choisis mais alors que fais-tu ici loin des tiens ? Je doute qu’un simple trèfle soit la raison de ta venue mais ça ne me regarde pas. En attendant, avant qu’on ne finisse trempée, je suggérerais d’aller à l’abri le temps que l’averse passe. Manquerait plus que tu tombes malade avec une fourrure si courte ! »

Sans attendre, Siem poussa sur ses membres pour se trouver debout. Une aile en guise de parapluie car les gouttes semblaient vouloir toutes tomber plus vite. D’un geste, elle montra une cavité modeste d’un coup de museau. En imaginant bien, même serrée, ce serait toujours mieux que d’être trempée.

« Y a de quoi s’abriter là bas si tu veux. »

La proposition lancée, la petite partit à bon train vers le trou qu’elle visait plus tôt. Elle se taillerait une place de choix ainsi.

Elle marquait un point cette grande demoiselle. Son attention se portait sur ce que la grande beige disait. Oui la famille revêtait une importance encore différente, mais elle, la petite louve ne comprenait pas forcément la différence, pas encore, un jour peut être viendrait une certaine compréhension.

« Sûrement… mais je doute qu’on puisse mettre la famille sur l’échelle de valeur de l’amitié ou de la connaissance, si ? Enfin je comprendrais bien un jour ce que tu entends par meilleure... »

Bien que ses paroles paraissaient rudes à tout un chacun. D’une petite voix, elle lança :

« La grosse Bamboo ? Drôle de nom et drôle d’idée que de larguer ses petits loin de chez soi… »

Elle marqua une pause, admirant deux oiseaux qui voletait entre les arbres pendant qu’elles rejoignait l’abri. Elle étira un piètre sourire, mais cette image lui semblait vaguement familière. Siem reprit :

« Était… Est-elle morte ? »

La violette tourna le museau vers le dragon, pencha la tête. Une expression triste semblait ridée le visage juvénile de cette dernière. Siem regarda ses pattes et murmura une demie excuse :

« Oh désolé, cette histoire a l’air de te toucher. »

Siem se cala dans la grotte, laissant les gouttes glisser le long de sa fourrure. Elle ne se baissa pas à lécher si peu d’eau, elle le tolérait encore mais en silence, un silence respectueux qu’elle prit. La louve aux ailes de cuir se mit dans le coin opposé. Alexandrine prenait presque deux fois l’espace que la nakhu prenait seule mais quelque part, elle trouvait cette différence drôle. Des grands, elle en connaissait beaucoup, mais pas de femelles avec une carrure aussi imposante. Elle se redit alors, en observant le paysage, qu’il valait mieux ne pas chercher des noises à celle là.

« Jamais dit que vous étiez des monstres… Puis quand on vient d’une meute deux fois plus grande, je doute que l’éradication soit aussi vive. Y a qu’à voir les lazulis, beaucoup vivent encore malgré la fin de la meute. Je pense que tout ne tient pas du définitif… à l’exception de la mort… »

Pensive, le silence reprit place entre elles. Siem n’était pas du genre facile à supporter, elle même le savait bien. Mais elle n’allait pas contre sa nature et ses questions. Elle allait encore moins à l’encontre des enseignements de ses pères. A chacun son lot de bizarrerie se disait la louvette violacée, comme pour se rassurer. Le froid s’établit entre les deux, comme le feu et la glace, elles n’étaient pas faites de la même matière. Pourtant, la nakhu tenta une approche pour apaiser un peu la situation. D’une patte délicate, elle tâtonna son collier et en sortit le sujet de recherche de sa comparse. Elle lui tendit tout en la fixant.

« Tiens, je crois que c’est ce que tu cherchais au fait... »

Elle prendrait le temps de faire ses études sociologiques un autre jour, visiblement, la situation resterait sur une note bien morose, à l’instar de la météo.

S’allongeant à demi, la grande louve tentait de lui laisser le plus de place. Une attention si grande que Siem ne put retenir l’agitation muette de son bout de queue. Agitation qui se réduisit à la mention des dragons de la montagne. Elle regarda, dubitative, Alexandrine qui sortait ses élucubrations comme si cela allait de soi. La petite violette pencha la tête tout en marmonnant :

« Les dragons de le montagne ? Qu’est-ce que c’est que ça encore ? »

Cette question n’avait pas pour but de trouver une réponse immédiate, mais ce terme la rendait bien curieuse. Les dragons existaient ils vraiment ? Sa queue rebattit une mesure folle alors que son museau rejoignait le plafond. Pensive comme souvent, la louvette fut interrompu dans ses rêveries par l’admiration de l’Etel.

« Je dirais que tu es passablement admirative de cette ‘Grosse Bamboo’… c’est un peu comme moi avec Nocera. »

L’admiration des autres, ou bien l’envie d’apprendre de ces autres, le sentiment était encore difficile à comprendre au final. Quand les lazulis revinrent sur le tapis, inconsciemment, Siem lâchant un grondement sourd. Non pas que l’exemple fut le plus efficace mais elle se sentait en partie insulter des mots de la louve. Sans réflexion, elle lança :

« Les lazulis pas un bon exemple ? Mon père en était un, il n’est ni mort ni à plaindre ! »

Cependant, elle n’eut pas le temps de se mettre en colère que la grande changea d’expression. Elle fut alors plus enfantine que ce qu’elle avait pu voir jusque là. Dans un mouvement de recul, la louve au pelage violet se cogna la caboche sur le roche. Un petit « aïe ! » lui échappa et d’une patte, elle frotta l’arrière de son crâne dans une expression de surprise. Le trèfle s’échappa dans un semblant d’agilité de la grande, Siem ne comprenait pas son envie d’échange. Et toujours aussi surprise, répondit d’un ton bien mou :

« Bah… je fais pas ça pour avoir un truc en échange tu sais… C’est juste que tu le cherchais plus que moi alors... »

Une part étrangement féminine se dénotait dans ce rire ténue, Siem fut plus que surprise de voir cela dans un corps si massif. Elle déglutit en la regardant causer, elle semblait si impulsive, si chaleureuse aussi. Le moineau n’avait guère l’habitude. Les tempéraments de feu n’existait pas trop sous la coupe de la corneille. Peut être la mère des trois autres qui avaient partagés son enfance mais elle n’était pas du coin. Siem se demanda donc ce qu’elle pouvait demander face à ce service, son museau se déroba au visage joyeux d’Alexandrine. Elle lança ceci comme une possibilité :

« Les membres de ta meute ne semblent pas ouverts aux étrangers… est-ce que, en échange, je pourrai un jour venir visiter et observer votre troupe ? J’aimerai bien rédiger un jour quelque chose sur les autres meutes... »

Retournant sur la louve pour appuyer sa demande. Au reste, elle ne fit que hocher vaguement la tête. Tout lui semblait bien peu réel si elle ne le voyait pas de ses yeux. Elle se contenta d’un petit mot sur un ton monocorde :

« Je tâcherai de voir ça par moi même je pense. »

Elle n’en restait pas moins peu convaincu de tout ça. La pluie ne cessait de tomber et l’heure avançait. Ses corvées par contre n’allaient pas se faire seule, enfin elle devrait négocier avec ses frères pour gérer l’affaire surtout, sans quoi elle serait bonne pour doubler sa peine. Son petit corps se leva calmement et dans un geste salua le dragon avant de rejoindre l’entrée pour lui dire :

« J’ai encore à faire aujourd’hui, tu peux rester aussi longtemps que tu veux. Mon clan se trouve plus au nord en suivant les chemins si jamais tu as besoin, si tu souhaites repartir vers ta meute, il suffit de longer les monts célestes pendant quelques heures par là bas. »

Tout en sortant, elle pointa l’ouest avec une de ses ailes. Finissant par dire à la louve beige :

« Même si ça ne paraît pas, c’était un plaisir de te rencontrer Alexandrine. A bientôt. »

Lui adressant un de ses sourires étranges, tordus. Le moineau trottina entre les arbres pour disparaître dans la brume.