La traque - Alexandrine, Désastre, Tawana, Meshret.

Le moment était venu.

Ce jour avait semblé venir bien trop lentement tout comme il s’était imposé bien trop vite.
La nuit et la matinée avaient été mouvementés, mais il avait fallu se ressaisir, oublier et avancer. L’importance de la mission qui se profilait était bien trop grande pour qu’elle autorise la moindre pensée parasite à venir la déstabiliser en cet instant.
Anita n’allait pas que chercher le dénouement de deux vies, après tout. Comme le lui avait rappelé Eva, c’était cinq autres qui s’aventuraient aujourd’hui dans un terrain inconnu et hostile – et l’objectif premier était de ne perdre aucun d’entre eux.
Autrement pareille mission serait vaine et vide de sens.

Chacun avait eu le temps de quelques jours pour faire les derniers préparatifs et ils étaient désormais prêts. Outre les attirails de premier soin et les ressources nécessaire à ce que chacun puisse survivre quelques jours au cas où la traque s’étalerait, ils étaient forts du soutien de nombreuses stratégies mises en place. Il y avait Pepper, prête à assurer leurs arrières avec l’aide de son pouvoir ; mais il y avait surtout eux-mêmes, eux cinq. Unis dans le même objectif de retrouver Solelio – et Evan aussi, désormais, en espérant qu’ils se trouvent au même endroit.
Si ce n’était pas le cas, Anita ne pouvait être sûre à l’avance des ressources qu’ils pourraient allouer à la poursuite immédiate d’une deuxième traque.
D’un geste de la tête, elle chassa ces pensées. Il ne fallait garder en tête que les prioritaires pour le moment – le reste serait avisé selon les besoins.

Toute sa troupe s’était désormais rassemblée à l’extérieur du camp, à la frontière de celui-ci avec l’étendue infinie des plaines gelées. Et de là, il y avait encore une certaine distance avant d’atteindre ce que les autres avaient appelé la brèche. Là où tout deviendrait plus compliqué et imprévisible.
Tournant les yeux vers ses partenaires, elle commença par leur offrir un sourire chaleureux et un signe de tête.
Elle n’avait pas réellement l’habitude de se placer en tant que meneuse, mais elle n’en était pas mal à l’aise pour autant. Après tout, elle s’y était préparée depuis le temps que cette expédition tournait désormais dans sa tête, jour après jour. Elle était soulagée de pouvoir enfin s’y attaquer, et derrière la pression commençait à poindre une touche d’adrénaline et d’exaltation – un bouillonnement qui se préparait et qu’elle reconnaissait.
Cette envie de se jeter corps et âme dans sa tâche et de réussir, quoi qu’il en coûte.

— Merci encore à vous d’être présents pour mener à bien cette mission. Comme convenu, nous allons partir dès maintenant et à un bon rythme. Notre objectif, outre celui de retrouver Solelio, sera de passer le moins de temps possible dans cet endroit méconnu et hostile.

Après plusieurs mois d’absence, ce n’était plus tant quelques jours de plus qui inquiétaient Anita vis-à-vis du sort de l’Etelkru disparue.
C’était plutôt pour eux, qu’il faudrait faire au plus vite pour ne prendre aucun risque vis-à-vis des ravages du froid et des potentielles créatures qu’ils pourraient rencontrer.

— Allons-y.

La louve prit une longue inspiration, jeta un dernier regard à ses partenaires puis au camp un peu plus loin – et d’un trot soutenu elle commença à tracer la ligne qui les emmènerait au plus froid des terres.
Pour le moment, tant qu’ils n’avaient pas atteint la limite avec les lieux hostiles, ils resteraient groupés et soudés.

Détails et déroulé de l’expédition:

Les mots de Pepper dansaient toujours dans son esprit, ancrant un léger sourire sur ses lèvres, alors qu’ils avalaient la distance à bon rythme.
Sa tante avait confiance, tout comme Anita avait confiance en les loups qu’elle avait choisi. Et se déroulait sous leurs pas vigoureux la longue et glacée étendue blanche, alors que se faisaient de plus en plus diffuses les odeurs des autres loups et du camp, désormais loin derrière eux.
Et à mesure qu’ils s’enfonçaient dans cet univers inconnu la concentration les gagnait davantage et le devoir calibrait leurs pas.
Le froid se faisait également plus pressant, s’infiltrant sous leurs vêtements chauds pour venir agiter leur peau de frisson.

Jetant de réguliers coups d’oeil à ses camarades, elle remarqua bien, l’inflexion de la trajectoire que prenaient Dez et Tawana, dont le flair et les sens aiguisés semblaient être capables d’attraper les maigres fragments de piste dans ce monde glacé. Alors Anita accorda la direction, suivant leurs trouvailles. Toujours plus en avant ils iraient, motivés par ce désir commun de retrouver trace de l’une des leurs.
Bientôt l’environnement changea, alors qu’ils s’engouffrèrent dans un monde plus refermé. Les falaises de glaces se transformèrent en tunnel, le tapis de neige immaculée devint plus chaotique. Pas étonnant, au vu des évènements qui avaient ici eu lieu.
Les premiers restes sur lesquels ils trébuchèrent furent ceux de l’immense créature laineuse, désormais gelés et démantelés, ruines de chair de ce qui fut autrefois créature vivante.
Anita jeta un regard à sa soeur. N’était-ce pas cette même créature dont elle avait déjà vu le cadavre, lorsqu’elle avait suivi un peu illégalement leur mère partie voir de ses propres yeux les prédictions offertes par Kiro ?
La louve marqua une brève halte, pointant le museau vers le triste spectacle du carnage, observant l’environnement souillé et marqué de traces de griffes et de lutte, vestiges de l’agitation qui avait eu lieu en ce lieu lugubre et froid, si froid.
Puis elle s’en détourna, reprenant la marche plus en avant, suivant les multiples et profonds sillons qui continuaient. Comme si plusieurs créatures avaient été ici, de tailles différentes, à différents moments.
Et c’est une tâche de couleur qui attire son regard, quelques mètres plus loin dans la brume gelée.
Anita pressa le pas, accélérant sur un trot soutenu, son coeur se serrant d’anticipation alors même qu’elle ne savait pas de quoi il s’agissait. Voir couleur gisant au sol en cet univers monochrome était simplement si inattendu.

Et c’est un tapis de plumes et de sang, qui les attendait, désormais en partie incrusté à la glace.
Des plumes multicolores, éparpillées et ensanglantées, formant une route irrégulière vers ce qui était les restes plus explicites du loup qui avait été porteur de ces plumes.
Pas tout à fait loup, ni tout à fait oiseau. Un loup qui portait les deux attributs. Un loup qui ne pouvait être autre que le frère disparu de Eva, ce frère qu’elle ne reverrait pas. Il n’était peut-être pas plus mal que la Nakhu n’ait pu les rejoindre pour cette expédition, pour ne pas s’accabler de cette vue funeste.
Quel effet ça lui ferait, de tomber sur les restes déchiquetés de Narcy, Axie ou Floyd ?
Elle préférait ne pas y penser.
La louve baissa légèrement l’encolure avant de se détourner de quelques pas, vaguement nauséeuse.
Et juste un peu plus loin, une autre ligne colorée. Un accessoire de laine aux couleurs flamboyantes, entourant une mèche de cheveux qui n’attiraient pas moins le regard. Solelio.
Une vue elle aussi sordide que de voir cette petite partie d’elle qui gisait au sol, mais qui apportait un brin d’espoir, peut-être passager, à constater que le cadavre de la louve n’était pas dans les environs.
Elle se retourna vers les autres, prenant une inspiration ferme et profonde.

— L’ambassadrice Nakhu ne retrouvera pas son frère... Mais pour Solelio, il reste de l’espoir. Restons sur nos gardes. Ce qui a massacré le loup oiseau n’est peut-être pas qu’un souvenir.

Elle ne croyait pas si bien dire, la meneuse du jour qui après un sourire d’encouragement pour les autres et elle-même se remit en marche, suivant prudemment la trace qui s’éloignait du spectacle meurtrier figé par le froid, les sens aux aguets. L’odeur qui émanait de ces traces était forte, suffisamment pour écraser les autres ; et elle ne lui inspirait pas confiance.
Ils n’avaient pourtant pas le choix de la remonter pour espérer savoir où Solelio était et ce qu’elle était devenue, car aucune autre piste ne s’éloignait de la scène.
Elle songea un instant à la stratégie initiale qu’elle avait établi - se demanda s’il serait maintenant le bon moment de se diviser pour que Dez, Axie et elle s’adonnent à remonter la piste au plus vite.
Elle était pourtant réticente à l’idée de laisser Meshret et Tawana ici. Là où danger avait laissé ses marques et son odeur, où il pouvait revenir.
Et elle voyait bien que ses amis étaient également tendus.

Et elle n’eut pas le temps de mener sa conclusion à bien, que déjà il venait les frapper.
L’odeur qui entourait la piste se fit soudainement plus forte, alerta la louve dont les oreilles se dressèrent, un grondement roulant dans sa gorge.
La suite se fit enchaînement rapide et malvenu.
Une ombre qui glissa sur eux et la pénombre, une queue lourde et écailleuse qui s’abattit dans leur direction.

Anita n’eut le temps que d’aboyer une prévention avant d’étendre ses ailes par réflexe pour s’arracher temporairement au danger cinglant.

Mais ce n’était pas suffisant.
Comme pour le Monstre des Glaces, l’adversaire dans l’ombre est saisissant, vif et puissant. Il était menace inhabituelle qui avait été capable d’amener au sol une immense créature.
Et malgré le bond en arrière qu’elle exécuta, malgré le sang de l’Anaconda qui coulait dans ses veines de plus d’une manière, le bout de la longue queue la fouetta et la propulsa sur le sol de glace.
Elle ne put retenir un jappement de douleur, sentit la brûlure sur son épaule et sur son encolure, là où l’appendice l’avait frappé - mais elle préféra ne pas regarder.
Sur des pattes tremblantes elle se releva, les yeux légèrement exorbités, observant ceux qui étaient ses amis mais aussi les camarades sous sa responsabilité.
Elle recula, par prévention; face à cet ennemi qui était trop puissant pour eux et qu’ils ne connaissaient pas. Elle n’était prête à risquer la vie d’aucun d’entre eux, c’était inutile. Ils avaient quelqu’un d’autre à retrouver, ils étaient plus rapides, plus agiles. Ils pourraient le semer.
Sur des crocs retroussés, elle aboya à leur intention.

— Ne répliquez pas ! Remontons la piste, nous le sèmerons !

Et elle même continua à reculer vers les recoins du tunnel où la piste les mènerait, ailes étendues dans cette posture qu’elle avait souvent vue chez sa soeur, sans pour autant tourner le dos à l’ennemi pour l’instant.
Tant que les autres ne seraient pas en sécurité, elle ne se détournerait pas.