La traque - Alexandrine, Désastre, Tawana, Meshret.

Le spectacle de sa transformation était un évènement qu’elle n’avait jamais pu admirer d’aussi près.
Anita s’était éloignée de quelques foulées des autres en direction du chemin à suivre puis avait fait halte, une patte encore levée et prête à reprendre la route, le temps de retourner son regard lumineux vers la scène.
Serpent à plumes envahit l’espace, sifflant et glissant, si imposant s’il en venait à déployer ses ailes qu’elle eut peur un instant qu’il se retrouve prisonnier des boyaux irréguliers - mais son ami connaissait bien son don, désormais ; savait évaluer l’envergure de sa forme reptilienne. Et grâce à ce corps bien plus long que large, grâce aux ailes qui n’avaient pas besoin de s’étendre au maximum car le vol en ces souterrains se ferait à altitude très restreinte, il trouva place en l’environnement de glace.

Le glowstick à son cou se mit à luire un peu plus fort, rien qu’un instant, diffusant une douce chaleur. Comme réagissant à la démonstration de pouvoir d’un confrère puisant sa force dans la même couleur.
Anita sourit, ferma les paupières un bref instant en inclinant le museau.

Kiro, je peux sentir ta force et ton soutien même jusqu’ici. Grâce à toi nous irons jusqu’au bout.

Seulement la victoire, oui, comme l’avait dit le loup gris.

Le temps de rouvrir les yeux, Meshret et Tawana avaient pris place sur le dos longiligne, trouvant prise là où ils le pouvaient. Bien. Ils ménageraient ainsi leurs blessures, récupérant quelques minutes supplémentaires de repos avant de devoir à nouveau mettre leurs corps à l’épreuve.
Les iris violets croisèrent la longue pupille fendue auréolée de l’étoile jaune.

Il était prêt, elle l’était aussi.

Alors ils s’élancèrent pour de bon, cette fois.
Le serpent de légende dont les plumes écarlates tranchaient sur le décor bleuté, apportant les couleurs Etelkrus aussi bien que les multiples lueurs de leurs glowstick brillant à l’unisson. Ils étaient un étendard, annonçant qu’ils n’étaient là que pour triompher.
Et elle, louve chauve-souris, reprenant la même allure que lors de son premier passage en se propulsant sur les pattes longues et solides, touchant à peine le sol de glace quand les ailes anthracites prenaient le relais pour gagner encore en vitesse et en virtuosité.

Tantôt l’un devant, tantôt côtes à côtes, s’adaptant avec instinct et fluidité aux reliefs du terrain changeant, aux courbes des boyaux qui se modulaient et se déroulaient sans s’arrêter.

Si loin de la Moere, si loin de la demeure de l’Anaconda, ils apportaient pourtant ici ses valeurs en se faisant créatures volantes, en transformant ces terres hostiles en terrain de jeu à leur convenance.

Car sa lumière brillait plus puissamment en leurs coeurs que partout ailleurs, car leur foi inébranlable réchauffait le sang dans leurs veines, leur donnerait la force de cavaler jusqu’au bout de ces terres s’il le fallait.

Et jamais, jamais Anita n’abandonnerait sa soeur.

• 3 ans •
F A E I

Elle était habituée maintenant, elle était alerte dans ce terrain analysé assez de fois pour y connaître tous les dangers  pour savoir determiner quand il revenait. Le gros lézard beaucoup trop gros. Solelio avait appris à être attentive, a l'entendre arriver. Alors forcément, elle délaissa son gibier en cours de dépeçage, lacha son silex et bondit dit se mettre à couvert pour attendre que passe la tempête. Et pourtant ce jour-là se produisit ce en quoi elle ne croyait plus depuis des lunes : un visage presque familié était là où l'Allosaure l'avait déposée si longtemps auparavant... Alexandrine était là. Devant elle. Et malgré la surprise et l'incomprehension, la rouquine avait également appris à réagir vite pour ne pas être une proie facile, aussi ne resta t-elle pas bloquée a fixer la scène. Observatrice, elle devina que le cri de la louve ailée ne s'adressait pas à elle mais à des compagnons... Alors ils étaient venus à sa recherche finalement ? Qui était la ? Son frère ? Son père ? Ortie ? Anita ? Léo ? Qui d'autres avaient bien voulu venir pour elle ? Brutalement, Alexandrine la bouscula et elle roulèrent jusqu'à l'eau. Pourquoi l'eau ? A cause du dinosaure ? Elle gronde, mais sa réaction cessa quand elle chuta et qu'il fallu, bien sur, nager pour retrouver son air. Elle n'eut pas le temps non plus de poser des questions, car déjà la fille de l'Alpha était comme happée vers le fond, engloutie sous la surface... Ni une, ni deux, Solelio plongea.

( Dé Réussite sur FOR - Réussite )

Elle attrapa la louve dragon par le collet et battit des pattes et de la queue avec toute l'énergie dont elle disposait pour tirer vers le haut l'Etelkru et nager jusqu'aux caillasses les plus proches afin d'avoir des appuis pour sortir de là.

Aucun obstacle ne fut en mesure de les arrêter alors qu’ils avalaient la distance.

Les boyaux succédaient parfois à des zones plus ouvertes, permettant de prendre de la hauteur ; avant de devoir replonger dans des grottes et autres passages étroits.
Sans jamais ralentir, sans jamais laisser la fatigue les gagner.

Quand l’air devint tiède, son corps était déjà tellement échauffé par l’effort de leur progression qu’Anita le remarqua à peine. Sa concentration était de toute manière focalisée sur un seul et même point : celui de s’assurer qu’ils remontaient la bonne piste sans jamais dévier. Si l’urine avait fini par se tarir en grande partie, ne laissant plus qu’un indice ponctuel et presque effacé à force de l’épuisement de la vessie sur telle distance, quelque chose d’autre semblait les guider.
Guider Dez, plus particulièrement, qui à chaque intersection où elle aurait pu hésiter s’engouffrait sans l’ombre d’un doute - et qu’elle suivait avec la plus entière confiance.

Quand leur chemin redevenait ligne droite ou tunnel longiligne, elle avait tendance à reprendre la tête ; plus fine à manoeuvrer, un peu plus rapide quand elle portait son seul poids là où l’ami devait prendre soin de deux corps, plus apte donc à assumer le rôle d’avant-garde pour pouvoir prévenir et réagir en minimisant les risques pour le reste du groupe.

La fille de Kiro avait l’impression de ne jamais voir le bout de cette cavalcade, et pourtant.
La zone s’était peu à peu ouverte à nouveau, dans cet endroit au climat plus clément. Le paysage semblait ici se construire différemment, rendait la zone presque accueillante quand bien même elle n’avait pas le temps de s’attarder sur les détails.
La louve continuait de se jeter vers l’avant.
Mais son regard vif n’avait de cesse de chercher et de sonder car leur but n’était pas de gagner une course aveugle.

Alors quand elle la vit, son coeur s’arrêta pratiquement de battre pour un court instant.

Anita planta ses quatre pattes dans le sol pour se freiner, ouvrant les ailes dans un angle contraire à celui qui lui permettait de filer comme le vent pour au contraire venir s’arrêter au plus vite.
La joie la subjugua ; elle aurait pu crier pour signaler leur position à sa soeur et lui permettre de les rejoindre si tous ses autres sens n’avaient pas fonctionné de concert pour l’avertir.
Que le monstre n’était pas loin, même si elle ne parvenait pas à le voir.
Son odeur empestait.
Puis le regard d’Axie croisa le sien - et elle fut soulagée de se dire qu’elle n’aurait nullement besoin de divulguer leur présence au monde entier, qu’elle les rejoindrait dans l’instant.

Naturellement, sa gueule s’était fendue d’un sourire.

La suite fut une succession rapide et incontrôlée, une séquence d’images et de sons qu’il fallait encore une fois subir sans pouvoir réagir.
Axie qui se tourna vers ce qu’elle comprit être la position du dinosaure pour hurler des mots qui étaient davantage destinés à eux qu’à la bête. Axie qui ensuite se jeta dans une direction tout à fait autre que la leur, emportant un morceau de son coeur qui alla sombrer dans sa poitrine, percé d’incompréhension et de désespoir à l’idée de la revoir disparaître.

Ses propres pattes s’étaient remises en mouvement pour la rapprocher de quelques foulées, voulant mécaniquement la rattraper et la retenir ; au moins voir où elle allait.

C’est là qu’elle les vit ensemble, qu’elle comprit. Elle pila à nouveau ; gardant en tête la position du prédateur révélée par sa soeur, la nécessité de ne pas pour l’instant se faire repérer tant qu’elle pouvait rester dissimulée par les énormes rocs qui quadrillaient la zone.
Les deux louves éclatèrent la surface de l’eau, y disparaissant.
Solelio ressurgit. Axie aussi.
Mais quelque chose ne va pas, elle le voit. Sa soeur sembla se débattre contre les éléments, sa soeur n’était plus dragon mais redevenue louve. Sa soeur fut engloutie par le torrent et elle avait vu la panique dans ses yeux.

Sa soeur se noyait.

La peur et l’adrénaline se mêlèrent dans son sang pour déverser un shot qui l’électrisa. Elle devait agir. Elle devait la sauver.
Avant cela, un éclair de lucidité.
Sa tête fit un rapide aller-retour vers Serpent à Plumes, qui était tout sauf discret, qui n’était pas non plus en mesure de se battre ou de se défendre avec deux loups sur son dos - ils ne devaient de toute façon pas s’engager contre le monstre.
Pas cette fois.

Elle jappa, impérative.

— Demi-tour, hors de portée !

Disparaissez d’ici avant qu’il ne resurgisse, avant que son cerveau primitif ne comprenne, Dez ne le laisse pas vous attraper, ne le laisse pas leur faire du mal.

Je m’occupe du reste.

Anita fusa vers l’avant, se refaisant vif éclair pour couvrir la distance qui la séparait encore des deux prisonnières en un battement de cils. Entre temps Solelio avait réussi à remonter sa soeur ; mais elle se débattait dans l’eau, Alexandrine était un poids mort qu’elle ne parviendrait pas toute seule à ramener sur le rivage. Avec la menace qui rôdait et savait désormais qu’elles étaient là, elle n’en aurait pas le temps.

Si elle ne les aidait pas à s’extraire de là au plus vite, le monstre reviendrait s’emparer d’elles.

Il en était hors de question.

Ses ailes noires s’ouvrirent et elle plongea vers elles, prenant appui sur la berge et attrapant sans ménagement le poil de l’encolure de Solelio entre ses mâchoires avant de tirer, tirer, le plus fort possible.

Et si elle entendait le pas lourd du monstre se rapprocher trop tôt, trop vite avant qu’elles n’aient toutes pu s’enfuir...
Eh bien, elle lui offrirait la courtoisie d’une petite course, rien que tous les deux.
Il avait pu attraper sa soeur, mais elle, disciple de l’Anaconda ?
Qu’il essaye.

[Utilisation d’une béné « PC For supplémentaire sur un lancer », que je convertis donc en lancer réussite pour extraire Solelio et Alexandrine de l’eau plus vite.]

Les pas lourds de la créature faisaient vibrer le sol sous ses pattes, le hurlement qu’il poussa fit vriller ses tympans et aplatit ses oreilles.
Anita continuait de tirer de toutes ses forces, aidant Solelio et Alexandrine à rejoindre le bord, mètre après mètre. Elles y étaient presque. Mais ce n’était pas encore assez rapide, malgré ses muscles bandés et tendus à l’extrême, malgré toute sa force et son énergie entièrement déployées à la tâche...
Il ne lui manquerait que quelques secondes, trois ou quatre, peut-être. Mais face à un prédateur, face au danger, c’était déjà beaucoup trop.
Elle les avait au moins bien aidées, Sol’ serait capable de finir toute seule, maintenant, elle en aurait le temps puisqu’Anita entraînerait le monstre loin d’elles.

Elle était sur le point de s’envoler, ailes frémissantes qui commençaient à se gonfler comme voiles au vent en accueillant l’air tiède qui montait de l’eau.

D’ici un instant, elle les lâcherait pour filer sous la gueule aux crocs démesurés.

Mais elle ressentit un souffle. Un déplacement d’air qui la caressa, passant vivement derrière elle ; entre leur petite groupe et le monstre approchant.
C’était comme si un corps massif et particulièrement long avait tranché l’air, y glissant avec aisance, empruntant les tunnels aériens comme un serpent se faufilait avec grâce le long des interstices.
Elle n’eut pas besoin de se retourner pour comprendre.

Plusieurs sentiments affluèrent dans son corps pour s’y mélanger ; des sentiments chauds, qu’elle n’avait pas le temps de démêler. Elle aurait du s’en douter, que Dez ne serait pas resté sans rien faire.
C’était presque un sourire qui se dessina, mais il ne pouvait s’épanouir sur la gueule tendue qui avait désormais resserré sa prise au lieu de devoir la lâcher.
Les secondes manquantes furent récupérées, et toutes trois finirent par retomber sur la rive, hors de l’eau qui avait voulu s’emparer de sa soeur. Epuisée, Anita s’octroya un court temps pour souffler, pantelante, en couvant de ses yeux brillants la stature si massive de sa soeur dans une position si inhabituelle - échouée sur le sol, abattue par un élément pourtant inoffensif. Son second coup d’oeil fit pour Solelio, retrouvée après tout ce temps. Changée par les évènements, mais bien vivante. Elle avait survécu ici, elle s’en était tirée comme une reine, et désormais elle pourrait rentrer aux côtés de leur clan et de sa famille.
Il y avait tant de choses à se dire, tant de mots à exprimer ; mais ici n’était l’endroit pour rien de tel, et malgré sa poitrine gonflée par la joie qu’elle aurait voulu laisser éclater elle n’en fit rien, recentrant son esprit sur les besoins immédiats de leur petit groupe.

Fuir, désormais que la mission était accomplie.


A son tour son regard glissa vers Serpent à plumes, qui virevoltait dans les airs et accaparait l’attention du monstre.
Il était si excellent, comme à son habitude.
Mais ce dinosaure était décidément un être sauteur. Comme pour attraper sa soeur, il bondit avec une souplesse bien moindre que la leur, mais une puissance qui lui permettait de décoller suffisamment du sol pour les surprendre.
Un éclair sanglant jaillit, figeant son coeur et son corps un court instant.
Mais Quetzalcoatl ne s’effondra pas, ne vint pas s’écraser dans la poudreuse. Il repartit de plus belle malgré l’écarlate qui ne colorait pas que ses plumes, il se dégagea de la mâchoire pour encore se jouer d’elle.
Le coeur d’Anita battait la chamade et son impulsivité ne lui commandait qu’une chose - bondir, l’aider, ne pas le laisser seul face au prédateur.
Mais la voix de sa soeur et son contact fugace la ramenèrent et elle détacha ses yeux du spectacle dangereux pour la fixer. La mission.

— On y va ! Il nous rejoindra.

Oui, elle en était sûre. Car elle lui faisait confiance. Car il avait toujours appris de ses erreurs et savait manier la guerre comme la danse, car il était plus vif et plus malin, car il était fils de Kiro mais aussi fils de Pepper. Elle savait qu’il ne s’accordait pas le droit à l’échec.

Il triompherait.

Alors ses pattes se remirent en route, et poussant Sol’ et Axie du museau elle s’élança à toute vitesse en sens inverse, vers les tunnels d’où ils étaient sortis. Vers leur liberté prochaine. La louve constata avec soulagement que Meshret et Tawana y étaient restés et ne s’étaient pas éparpillés - elle jappa à leur attention, les prévenant de leur arrivée et de l’urgence de la situation.
Il faudrait repartir du plus vite qu’ils le pouvaient.

Et alors qu’ils allaient s’engouffrer dans les boyaux de glace, Anita laissa sa soeur et la prisonnière la dépasser, ralentissant sa foulée, juste un peu. Pour laisser glisser un regard vers l’arrière, vers l’endroit d’où devait surgir l’ami pour les rejoindre.

Juste assez en retrait pour pouvoir encore faire demi-tour en cas d’urgence.

Personne, personne ne serait laissé derrière.