La Harde [Epreuve de vie][SOLO]

consignes:

La Sylve … Si mystérieuse, si étrange et pleine de secrets ! Ted y semble attiré ces derniers temps, comme une mouche est attirée par les cadavres, ou un papillon de nuit par la lumière. La besace au flanc, ses parchemins griffonnés sagement rangés dedans, le loup au regard orangé se prépare, une fois encore, à y pénétrer. Seul, il se sent bien, et c'est même plus que cela : il se sent comme si enfin, il prenait sa vie en patte et allait faire quelque chose qui lui tenait à cœur, à lui.

Son objectif était simple : la licorne. Il avait entendu des rumeurs comme quoi cet animal mythique y habiterait, et immédiatement, son attention avait été retenue. Et pour cause ! La moitié de sa famille l'était, licorne, et il voulait en apprendre plus sur cet animal fantastique. Que mangeait-il, ou habitait-il, avait-il des pouvoirs spécifiques … Tout ça était important pour Ted, et il n'avait trouvé que très peu de documentation à la bibliothèque pour ça. Alors, il s'était décidé à partir sur le terrain, comme un vrai aventurier.

Alors que ses pattes franchissaient l'entrée un peu cachée de la sylve, et que ses yeux s'habituaient à la lumière plus feutrée et intimiste du lieu, un sourire léger fit frémir ses babines. Il partait à l'aventure, pour un de ses propres projets, et cela le faisait frémir d'une énergie toute nouvelle. Lui qui était habitué à rester chez lui, dans sa tanière, la truffe dans des livres à apprendre et recopier des informations, il se sentait soudainement pionnier de la connaissance, piliers de la recherche. Il allait apporter sa contribution aux vastes connaissances de ce monde, et il en était légèrement fier. Mais ses pattes ne tremblaient pas, son souffle restait calme : pour le moment, il ne fallait pas s'emballer. Car les licornes étaient difficiles à trouver, et pour le moment, malgré tous ses efforts, il n'y était pas arrivé.

Il était déjà passé plusieurs fois par cette entrée, et abordait méthodiquement le lieu. Cependant, la brume ambiante et les odeurs changeantes rendait l'orientation dans la sylve difficile. La dernière fois, il se souvenait être parti à droite, alors cette fois-ci il continuerai tout droit. La tête basse, la truffe au sol et le pas feutré, Ted s'avançait comme une ombre dans le brouillard, les sens en alerte pour ne rien rater. Ici, une tache de vesses-de-loup trop vieilles pour être mangées, là, un buisson dont les fleurs fanées annonçaient des baies prochainement. Mais rien, pas une trace de sabots à l'horizon.

Soudain, un bruit. Ted se fige. Il a rencontré quelques créatures étranges dans la sylve, des créatures dangereuses parfois. Il tend l'oreille, capte des bruissements : plusieurs animaux semblent se trouver sur sa gauche, fourrageant le sol lentement. Est-ce que cela pourrait être ce qu'il cherche ? Un frissonnement d'excitation le parcours, et il fait un pas dans la direction du bruit, puis un autre. Il veut juste … Jeter un œil.

Et un œil il jeta : dès qu'il tendit la tête vers le bruit, il se retrouva truffe à groin avec un épais, musclé, plein de cicatrices … Sanglier ! Ted recule, les oreilles couchées en arrière, alors qu'autour de lui, une, deux, cinq paires d'yeux jaunes se tournent. Les groins grognent, les dents claquent, les sabots raclent, et avant qu'il n'ait pu faire quelque chose, le groupe d'animaux dérangé chargent droit sur le pauvre loup, qui fait demi-tour maladroitement.

Le loup cendré se met à galoper, paniqué, à travers la Sylve. Finit la prudence, finit les pas feutrés et le silence, Ted court pour sauver sa vie, toutes ses connaissances défilant à vitesse grand V dans son esprit beaucoup trop focalisé sur ses livres : qu'a-t-il lu sur ces animaux là ? Qu'ils détestaient être dérangés ! Période de reproduction pendant le printemps, omnivores et fouisseurs, pas connus pour chasser les loups … Mais ceux là ont l'air tenaces, est-ce que c'est vraiment ceux qu'il a vu dans ses livres ? Et si c'était une nouvelle espèce ! Qui n'a jamais été étudiée ! Oh lala, l'envie de Ted d'être un pionnier de la recherche a fuit en même temps que lui devant la première nouveauté.

Mais la course-poursuite continue. Derrière ses talons, les couinements courroucés des animaux dérangés, et Ted qui réfléchit à tout allure en traversant buissons et tas de feuilles mortes de toute la puissance de ses longues pattes. Il faut qu'il arrive à les calmer, soit en les épuisant à force de courir -mais il commence à souffrir- soit en les perdant … Ou bien ne trouvant plus gros qu'eux. Mais il n'a pas vraiment envie de ça, Ted. Alors, il commence par essayer de les semer : il zig-zag, comme un lièvre (enfin, du mieux qu'il peut), saute par dessus un rocher, passe en dessous de branches.
Mais ils sont encore derrière lui.
Il grogne, l'effort rendant son souffle plus rauque. Mais il persévère. Il passe à travers un buisson, change brutalement sa course pour dévaler une pente, gagner du terrain, avise un petit ruisseau humide qu'il saute, la gueule ouverte, haletant.
Mais ils sont encore derrière lui.
Il gémit à présent, la fatigue commençant à paralyser ses muscles et à lui enlever de la vitesse. Il devra s'arrêter bientôt, et il n'a fait que gagner quelques mètres comparés à ses poursuivants qui ne semblent pas s'épuiser, seulement devenir de plus en plus en colère. Alors, il court, donne tout en une pointe de vitesse digne des plus grands coureurs, espérant grâce à ses longues pattes distancer ses poursuivants. Épuisé après quelques minutes de sprint échevelé, il s'arrête. Tend l'oreille, espérant n'entendre que le silence regagnant sa place bien méritée.

Mais ils sont encore derrière lui.
Il les entend arriver, grognant encore et encore, couinant de colère comme s'ils étaient assoiffés de son sang. Ted est épuisé, mais surtout, il ne comprends pas comment ces bestioles peuvent être aussi  tenaces ! Enfin, c'est elles qui sont sensées avoir peur de lui, non ? Grognant, le souffle court et le cœur battant, il regarde autour de lui, désespérément à la recherche d'une solution. Ici, une branche d'arbre, mais en face ils sont sept ou huit, et chargent à toute allure. Là, un tas de feuille où Ted pourrait se cacher … S'il avait fait la moitié de sa taille actuelle. Les yeux écarquillés, il avance, les muscles douloureux alors que les sons se rapprochent dangereusement …

Là ! Soudain, une idée, un éclair dans le brouillard étouffant de la sylve et dans la nuit qui tombe petit à petit sur lui : un arbre aux branches basses, qu'il peut tenter d'escalader ! Les sangliers sont moins habiles, du moins, il l'espère, et s'il monte assez haut, il sera hors de portée ! Sans y réfléchir plus longtemps, le grand loup cendré s'y attelle. Une patte sur une branche solide, l'autre sur le sol, il pousse, bondit pour essayer de se suspendre. Il rate, réessaye alors que l'urgence lui fouette le sang d'adrénaline. Il saute de nouveau, arrive à se jucher maladroitement sur une branche, la moitié d'un côté, l'autre de l'autre. Il dérape, pose une patte avant de se hisser sur la branche suivante ….

Et les voilà. Écartant le brouillard au passage de leurs groins suintants, crissants et grognant, ils déboulent sur lui en une horde cauchemardesque et fantomatique, sans chercher plus loin que le bout de leurs défenses arrondies. Ted se fige, la gorge sèche, essaye de monter plus haut, encore plus haut, mais voit arriver la chose grosse comme un arbre au milieu d'une plaine : il n'y arrivera pas. Il n'y arrivera pas ! La branche ploie sous son poids -assez conséquent- les cochons se rapprochent, et il se sent étouffé par la fatalité du moment, gémit comme une victime, sent le temps qui s'allonge et s'allonge …

Jusqu'à ce que les défense du sanglier viennent cueillir sa patte, violemment. Il glapit, tire surs ses antérieurs, et dans un grand craquement aiguë, son seul allié -la branche- le lâche finalement, l'abandonnant au centre de l'arène aux fauves. Ted tombe au sol, roule sur lui-même en se recroquevillant pour se protéger de la chute, les muscles douloureux. Il ne peux plus fuir, et déjà les sangliers reprennent leurs courses sur lui, s’apprêtant à le piétiner. L'esprit paralysé, Ted reste roulé en boule, la gueule baveuse sous l'effort qui n'a pas abouti. Et soudain …

Une étincelle. Enseveli sous des mois d'inactivité et d'étude, sous des pages et des pages de livres, d'apprentissage. Caché derrière tout ce qu'il sait, ce qu'il a appris et ce à quoi il se raccroche. Enfoui au plus profond de sa conscience, tellement que même lorsqu'il y fait appel, il ne vient qu'en cas de grand danger.

Son instinct.

Il bat, en même temps que son sang dans ses veines. Il remplace les réflexions infertiles, galvanise les muscles immobilisés. Il fouette le corps, se bat alors même que Ted a abandonné le combat. Il se lève, et Ted se lève avec lui. Il rugit, et Ted rugit avec lui. Crocs découverts, corps campé devant ses adversaire, il gonfle son pelage et se redressa de toute sa taille, peut-être pour la première fois. Il est prédateur. Et prédateur ne se couche pas devant proie.

Est-ce que l'intimidation fut la goutte d'eau, après de longues minutes de courses à travers les arbres ? Ou est-ce que Ted a réellement réussi à faire peur à la harde qui le poursuivait ? Il n'en savait rien, mais alors que le groupe d'animaux faisait demi-tour, l’œil à moitié blanc, en couinant, Ted sentit quelque chose. Pas une victoire non -ça, il la sentirait plus tard- mais cet instinct, qui l'avait sauvé de la harde, qui le tenait debout et lui hérissait le poil. Il le sentait, pulsant dans ses veines. Il le sentait, le ressentait, et n'y réfléchissait même plus. Il avait chassé ses ennemis. Il vivrait une journée de plus. C'était tout ce que son corps lui disait, aujourd'hui. Il vivrait une journée de plus. Et cette logique nouvelle, ancestrale, qu'il avait perdu en s'abandonnant lui-même, il s'en souviendrait, et saurait, peut-être, la retrouver. Car il était loup avant d'être chercheur, animal avant d'être scientifique, un corps avant un esprit. Et il s'en souviendrait.