Abysse et marais | Sakura

La nuit s'annonçait, fraîche, peut-être trop en comparaison avec le soleil qui trônait dans le ciel, étouffant l'air des marais et créant une légère vapeur. La petite avait froid, terriblement froid et la boue qui s'était collé à son pelage pourtant court ne séchait qu'à moitié, conservant avec elle encore un peu plus de cette fraîcheur mal reçu.
Sous une souche morte, dans un trou fangeux, la petite attendait.

Mère ne revenait pas, ni elle, ni les bêtes qui lui avaient sauter dessus. Peut-être était-elle partie trop loin, en s'enfuyant, peut-être ne retrouvait-elle pas sa trace. Toujours est-il que la petite n'avait pas le cœur à penser qu'elle ait put être tuée, ou pire. Non. Il lui fallait croire, encore un peu, qu'elle reviendrait. Qu'elle se souciait d'elle. Même un peu.

La petite n'osait pas non plus sortir de là. Elle avait vu, au loin, dans les remous de la brume, une sorte de tour de guet. Elle savait qu'elle pouvait éventuellement être secouru - ne se doutant pas que les habitants de cette tour puisse être éventuellement agressifs - mais elle n'en avait pas envie. Les étrangers, tout ça, elle ne voulait pas. Elle voulait sa mère, seulement elle.

Après avoir attendu presque toute la journée, elle commençait à avoir faim. Et si la boue n'était pas aussi humide, elle aurait put avoir soif, aussi. Alors, fatiguée, la terreur passée depuis déjà quelques heures, elle posa mollement son museau sur la terre meuble. Assise dans son trou, la tête dans la boue, elle souffla légèrement, créant une vague qui se figea dans cette position, toute petite. Minuscule.

Et puis, elle attendit.

Encore.

L'odeur des marécages avait beau être particulièrement désagréable, au départ, la petite s'y était faite. Elle avait du mal, cependant, à discerner la trace d'autres présence et son petit museau d'enfant n'était guère tout à fait entraîné à ça. Alors, elle resta immobile et même lorsque la louve au pelage clair commença à s'approcher de sa souche, elle ne la vit pas tout de suite. Il fallut attendre qu'elle apparaisse dans son champ de vision, du coin de l'oeil et, enfin, l'odeur de cette dernière embauma la truffe de l'enfant.
Elle écarquilla les yeux, cru une seconde voir sa mère avant de se rendre compte non sans un léger pincement au coeur qu'il s'agissait là d'une étrangère. Aussitôt, elle se recula dans son trou, enfonçant un peu plus ses pattes arrières et ses cuisses dans la boue qui ne contrastait pas beaucoup avec son pelage vert. Elle plaqua ses longues oreilles le long de son crâne et vit au travers de l'interstice lumineux qui lui servait de fenêtre sur l'extérieur, des pattes qui s'arrêtèrent juste devant son abris. Elle était vu, découverte. S'en était finit d'elle, elle le savait. Alors elle serra les crocs pour retenir un couinement angoissé.

Vivement, la souche fut dégagée à l'aide d'un museau robuste. Cette dernière roula un peu dans la fange, sur le côté et puis, la lumière agressa un instant les yeux de la petite. Elle les plissa, serra les crocs et détourna le museau. Mais son regard à elle, il se glissa sur la louve qui affichait un air surpris.

« Hein ??? » Elle se redressa, les oreilles droites. Et puis, après un vague regard autours, approcha son museau de la petite pour la renifler. Cette dernière n'avait croiser que peu d'étrangers, aussi, elle ne comprit pas forcément se comportement et elle se figea de crainte. L'adulte lui voulait-elle du mal ? La petite n'allait pas tarder à le savoir.

« Dis moi... tu... sais parler ? »

Ce fut au tour de la petite d'afficher des yeux ronds comme des billes. Elle l'observa un instant, comme si elle ne comprenait pas la question. Ce n'était pas totalement faux, après tout, elle avait du mal à saisir l'utilité puisqu'évidement, elle savait parler.
Elle pencha la tête sur le côté, pas tout à fait détendue et puis, avec un sourire peu assuré, naissant, elle répliqua de sa voix d'enfant, tout de même grave pour son âge :

« C'est idiot, si je ne savais pas, je pourrais pas répondre. » Elle se redressa légèrement, un peu plus confiante. L'étrangère ne cherchait pas à lui faire du mal, c'était déjà une bonne chose, elle pouvait se détendre. Avec un peu de chance, celle-ci l'aiderait peut-être même à trouver sa mère !
La petite glissa un regard un peu tendu sur le côté, là où elle était partie, plus tôt.

« C'était tes amies ? » Demanda-t-elle, parlant des odeurs de hyènes qui persistaient autours d'elles.

La petite ne remarqua pas ce micro geste de la part de l'adulte. Elle aurait put, en d'autre circonstances, y prêter attention, mais le soir qui se profilait à l'horizon n'était pas comme les autres. Si la petite n'en montrait rien, ne s'en rendait même pas compte, la peur continuait de vivre en elle. Présente, pressante.

« Ces hyènes ? Non ! Je ne marche pas aux côtés de ces débiles ! » C'était donc des hyènes. La petite n'affiche qu'un regard égal, ne sachant pas vraiment s'il s'agissait d'une bonne ou d'une mauvaise chose. Et puis, au fond, elle s'en foutait pas mal.

« Ton odeur, je ne la connais pas ! Tu n'es pas de ma meute ! Du coup, dis moi petite chose, ou es ta mère ? Ou ton père ! Ou ta sœur que sais-je ! S'ils sont cacher, tu peux me dire où ils sont ? Que je puisse...leur parler ? » La femelle avait approcher un peu la truffe du chiot assit dans la merde et la boue. La petite fronça légèrement les sourcils, ne cachant pas vraiment sa perplexité. Pourtant, elle n'eut pas le temps de répondre que l'autre enchaîna :

« Pourquoi te cachait tu la dessous ? Pour te cacher de ces vilaines choses ?
- Bah oui ! » S'écria-t-elle, soudainement. Et puis, se levant, elle s'approcha un peu plus de l'autre louve. Sans que sa truffe ne heurte la sienne, cependant, elle se glisse un peu sur le côté, comme pour l'observer sous tous ses angles. Et ce fut à elle, de la sentir.

« C'est quoi un père ? Ca se mange ? Je pense pas, sinon tu m'aurais pas demandé où c'est. » Levant les yeux dans les siens, elle dit d'un ton indifférent : « J'ai eut des frères et des sœurs, je crois, mais ils sont morts. » Et puis, l'air parfaitement détendu, ce fut à son tour de remuer la queue. Nerveusement, frénétiquement, elle était tendu, stressée.

« Ma maman elle a fuit. Je sais pas où elle est, mais elle va pas tarder ! » Elle bougea alors subitement la tête, légèrement sur le côté. Son regard se posa derrière la louve grisâtre. Elle passa devant elle, dans un bond maladroit et puis, rejoignant un petit point reflétant la lueur jaunit du soleil mourant, elle colla son museau au bout de métal qui s'était enfoncé dans la terre.
Le grelot de maman.

La louve plus âgée parlait. Elle parlait beaucoup, à vrai dire, même pour la petite, c'était quelque chose. Elle ne l'écoutait pas, d'ailleurs, piégée dans ses propres questionnements. Elle observait le grelot, le fixant comme s'il eut été capable de lui dire où était sa mère. Au fond d'elle, elle le voyait peut-être comme le signe que ce qu'elle n'arrivait même pas à verbaliser c'était produit.
L'autre louve arriva, s'assit derrière elle. Son reflet déformé et vague apparu aux yeux de la plus jeune par le biais du grelot. Elle ne releva pourtant pas les yeux.

« Les Hyènes ne sont pas revenue te voir ! Aucun des miens ne semble crier l'alerte aux intrus ! Comprends bien que si ta mère avait réussi à fuir, les bêtes seraient revenues pour te manger, ou qu'elle serait déjà la pour t'emmener loin d'ici !! Mais elles ne sont pas là, ni les bêtes, ni ta maman! Je pense que... ta maman n'as pas survécu ! Tu comprends ? » Et alors que la plus claire s'allongea le ventre dans la fange, la petite releva doucement son regard d'or et d'ambre sur elle. Un instant, elle la fixa comme si non, elle ne comprenait pas. C'était une idée tellement inadmissible, interdite pour elle, impensable, qu'elle ne parvenait même pas à la saisir clairement.

Car oui, ses frères et sœurs étaient morts, et elle s'en moquait. Ils n'avaient pas d'importance, elle ne les avait pas connu. Son père, peut-être l'était-il aussi, à n'en point douté. Mais que sa mère puisse la quitter, c'était inconcevable.

« Si tu veux, on peux aller la cherchée quand même.. mais la nuit tombe, ça devient dangereux ! » Le ton qu'employait la louve lui semblait trop joyeux pour la situation, pourtant, la petite ne le releva pas. Elle soupira légèrement, plus comme un vague soufflement de nez et elle posa les yeux sur les marais qui ne semblaient pas avoir de fin. Elle redressa ses oreilles trop lourdes pour être correctement portées.

« Et si jamais on la cherche pas, tu me laisse ici ? » Elle glissa un regard vers l'autre louve. « Si tu m'emmène quelque par, il faut qu'elle puisse me retrouver. »

« Si je devais te laisser ici, et laisser les hyènes te bouffer, je préfère te bouffer moi même maintenant ! » Quelle drôle d'idée, songea la petite alors qu'elle observa la louve dont elle ignorait toujours le nom. Elle haussant les sourcils. Elle aurait put en sourire si elle n'était pas aussi désespérée. « Je t'emmène dans ma tanière. Le Castel est le royaume ou loge les loups ! Demain j'irais la cherchée moi même avec une troupe si besoin ! Si un garde la trouve pendant la nuit, ou même demain, elle sera directe amenée à la salle des trônes. Toi même, tu ne risques pas de la ratée! Au coucher du soleil prochain, je regrette de le dire, mais tu devras accepter l'impensable ma petite ! » Et la jeune ne put retenir une grimace. Elle n'était pas convaincu, car même s'ils ne retrouvaient pas sa mère, cela ne voulait pas forcément dire qu'elle était morte. Elle aurait put se cacher, s'enfuir loin.
Mais elle ne contesta pas pour autant, se contentant d'un visage troublé. Aller dans cet endroit dont elle ne connaissait rien ne lui faisait pas peur, voyageuse de naissance, elle en avait plutôt l'habitude. C'était d'y aller sans sa mère qui l'inquiétait sans qu'elle ne le veille.

« Permet moi de te porter ! Tu dois être fatiguée ! Je te donnerais mon lit, j'irais te chercher une couverture si besoin ! A boire et à manger, tu dois mourir de faim ! » La porter ? Sa mère ne la portait jamais. Elle coula sur elle un regard un peu perdu, mais elle hocha la tête. Qu'elle la porte, si cela lui chantait. De toute façon, la gamine n'était plus à ça près. Et elle devait reconnaitre que la fatigue l'assommait plutôt.

« Attends. » Dit-elle en se levant. Bien sûr, oui, elle avait faim, hâte d'être en sécurité. Mais elle ne partirait pas sans le grelot. Il était le seul vestige de sa mère et, au fond, elle était persuadée que cette dernière la reconnaitrait bien plus facilement si elle portait son grelot. Alors, enfouissant un instant son museau dans la vase, elle tenta de le saisir. Ce fut fastidieux, elle dû mettre plusieurs coups de crocs pour le déloger entièrement sans avaler cette boue verdâtre. Et puis, finalement, elle l'extrait du sol, le posa entre ses pattes et leva le nez vers l'autre louve.

« C'est bon. Tu peux me porter... Mais n'en profite pas pour me goûter ! J'suis pas bonne à bouffer. » Plaisanta-t-elle, surprenament disposée à rire au vue de la situation. Reprenant le grelot entre ses crocs, elle se laissa faire.

« Parfait... Ne t'inquiète pas, je gobe, je ne goute pas ! Si je te fais mal à un moment, hésite pas à me le dire... » Levant les yeux sur cette louve qui prenait la peine de s'intéresser à elle et d'entrer dans son jeu, la petite louve osa un sourire amusé. Elle plongea son museau vers le bas, saisissant entre ses crocs juvéniles cet espèce de grelot salit et puis, senti la mâchoire sur son corps. Elle se laissa faire, assez peu habituée à ce que l'on prenne la peine de la porter.

Sa mère n'avait pas cette délicatesse. Généralement, elle la laissait marcher. La petite savait que si elle ne suivait pas... Eh bien. Elle ne suivait pas. Que sa mère disparaitrait.

C'était peut-être ça, au final. Elle n'avait pas suivit, alors pouf. C'était sûrement de sa faute, oui. Mais la petite était incapable d'être vraiment triste. Elle n'avait pas envie de pleurer et son regard se contenta de voguer vers l'arrière. Tant pis.
Tant pis, oui.
Sa mère, elle reviendrait. Ou pas. Mais si elle lui avait apprit une chose c'est bien que pleurer n'est pas utile.

La petite louve se laissa porter. En dépit de la vitesse de celle qui la portait, le voyage lui parut infiniment long. Ballottant légèrement de droite à gauche, au rythme de sa course, elle gardait elle-même coincé entre ses mâchoires le grelot de sa mère qui, rempli de boue, ne teintait guère plus.
Elle se sentit somnoler, par moment, si bien qu'une bonne partie de leur course lui échappa. Ce n'est  que lorsqu'elles arrivèrent au niveau de ce qui lui sembla être une falaise immense et rouge qu'elle sorti de sa torpeur. Les paupières lourdes, elle papillonna alors qu'elles s'engouffrèrent dans un dédale de couloirs.

Elle ne retint par le chemin, ici non plus, désorientée par toutes les odeurs qui venaient à ses narines. D'autres loups, mais aussi la roche, le fer, la vie qui bourdonnait dans les veines de ces murs, comme un arbre infesté de parasites.
Elle y trouva quelque chose de romantique.

Et elles passèrent une sorte de porte. Arrivèrent, finalement, dans la tanière de la louve. La petite n'eut guère l'occasion de beaucoup observer la tanière qui, du reste, était particulièrement austère. Elle fut posée sur un lit rembourré de plumes, de feuilles et autre bourre. Assise maladroitement, elle poussa un léger hoquet, surprise par la mollesse de son fauteuil de fortune.
La louve se leva, passa à côté d'une carcasse entamé. La petite qui la suivit du regard posa les yeux sur des monceaux d'os, de chair et de peau. Elle sentit son cœur papillonner, garda des yeux grands ouverts de fascination.

La louve revint à elle, déposa un crâne empli d'eau et un morceau de viande. L'enfant fut d'abord surpris, et puis, lâchant son grelot avec désinvolte, elle se jeta sur la nourriture.

« Alors, ici, c'est ma tanière, il fait froid, je sais, mais... si besoin tu me dis je te trouve quelque chose ! Tu as à boire, puis à manger ! JE te laisse mon lit, je dormirais par terre ! » Elle s'allongea. « Ecoute petite... je ne veux pas être un poids pour toi ! Je sais que tu veux ta maman.. Je ne te toucherais pas, mais, si tu veux, je peux te laver, et dormir avec toi si tu sens le froid ou le besoin de contact... Ce soir est une soirée étrange sans doute pour toi! Mais promis demain, je t'emmène pour aller la chercher ! Si tu sens que quelque chose ne va pas, nous avons des soigneurs! Tu me le dis et je vais en chercher un! Je ne dormirais pas, ainsi si j'entends quelque chose je peux aller voir, on sais jamais qu'elle viendrait ici te chercher ! Ou si un membre de la meute te sens, je peux intervenir et expliquer ! »

Face à tous ces mots, la petite cessa son repas. La bouche encore pleine, elle mâcha nerveusement un morceau généreux avant de l'avaler. Elle posa ces yeux sur la louve. Il lui sembla qu'elle se faisait très honnête, franche, c'était quelque chose qui rassurait un peu la gamine. Cela étant, elle ne comprit pas tout et se contenta d'un hochement de tête. Que voulait-elle expliquer à sa meute ? Et pourquoi aurait-elle froid ? Sa mère ne lui tenait pas chaud la nuit, et les soirées à la belle étoile n'était pas rare. D'autant plus qu'elles ne venaient pas tout à fait de ces terres chaudes.
Non, la gosse ne comprenait pas, mais elle ne dit rien, pas pour l'instant.

« Ou alors je peux te ramener dans le marais ? » Et elle rit. Ce ne fut pas long, mais elle souffla du nez, doucement. Là, à cet instant, elle éprouva le besoin de répondre. L'humour, la farce, c'était quelque chose qu'elle aimait énormément.

« Ce serait dommage parce que je crois pas que les monstres verts me prendront pour un bébé à eux ! » Elle secoua la tête, finit même par s'ébrouer. C'est vrai qu'elle était sale, la boue avait changer son vert profond en un vert kaki brun qui, selon elle, était particulièrement dégueulasse.

« Mais je veux bien que tu me lave, oui. Et puis, on peut se partager la couchette. » Et elle se leva, s'écarta légèrement pour lui laisser le loisir de s'avancer un peu.