Enlèvement | Cheza, Eva

Une voix dans son esprit.
"Il faut de la compagnie à l'Atoll, des amis !! Je l'emprunte, elle pourra revenir et on va bien s'amuser promis, vous pouvez passer jouer ! Vous pouvez juste pas la ramener trop tôt !"

Puis un cri.
Le visage d'Hedwige déformé par la peur.
Hedwige avalée par un tourbillon de couleur.
Et le silence.
Le silence dans lequel l'écho de son cri s'étouffa.

Ajani rentrait au Dédale, dans une conversation tranquille avec l'une de ses aînées, lorsque l'événement s'était déroulé. Il l'avait croisée alors que lui revenait du temple, elle de la chasse. Ils n'avaient pas beaucoup parlé - elle était timide et lui peu bavard - mais le retour s'était déroulé dans une ambiance douce. Il lui fallait bien se rendre à l'évidence : désormais les plus grands de ses enfants étaient bel et bien des adultes. Les relations qu'il avait avec eux avaient doucement changé et, même s'il poserait toujours sur eux un regard affectueux et protecteur, ils n'échangeaient plus exactement de la même façon. Il avait été attendri par leurs bouilles de louveteaux, amusé par leurs caprices d'adolescents, maintenant il admirait ce qu'ils devenaient en adultes. Il avait remarqué que depuis quelques temps, Hedwige avait changé. Elle souriait d'avantage, parlait d'avantage, et il aimait la voir ainsi. Il avait l'impression qu'elle était plus heureuse, et cela éveillait en lui l'espoir de pouvoir renouer quelque-chose de ce lien avec Cheza à l'avenir. Il était patient. Ils avaient encore le temps, non ?

Mais alors que se dessinait devant eux, baignées dans les lueurs du crépuscule, les deux statues entourant l'entrée du dédale, il avait été saisi d'une drôle d'impression. Une voix avait soudain parlé dans son esprit. Il avait beau y être habitué, pour souvent entendre celle de Yurai, pour avoir entendu celle de Mido également, celle-ci lui faisait l'effet d'un grincement de dents. Ses oreilles tressaillirent, et soudain il fut pris d'un terrible pressentiment. Son regard était encore posé sur Hedwige lorsqu'un tourbillon se dessina autour d'elle, lorsque ses babines commencèrent à se contracter pour laisser échapper un hurlement, lorsque ses grands yeux s'emplirent de terreur.
Prends garde à ta-

Les teintes du tourbillon, la silhouette de sa fille qui semblait se tordre et se désincarner.
L'avertissement de Mido.
Prends garde à ta fille-

"Hedwige !"

Mais le temps qu'il se jette en avant, elle avait disparu. La trace de ses pas s'arrêtait tout net à l'endroit où elle avait été emmenée. le ciel était dégagée, le monde paisible. Comme si rien ne s'était passé.

Ajani laissa échapper u hurlement rauque, douloureux, et s'arrêta à l'endroit où elle se trouvait un instant plus tôt. L'air avait encore son odeur. Le coeur de l'Oracle accéléra alors qu'il se figeait. Il fut pris d'un doute terrible. Cela faisait plusieurs fois que les siens parlaient d'une créature qu'ils appelaient l'Autre, et que les dieux abhorraient. Venait-il d'être témoin de l'un de se sméfaits ? Il eut l'impression d'avoir avalé un bloc de glace, et finit par bondir vers l'entrée du dédale en hurlant à nouveau, dans l'espoir que quelqu'un l'entende.
Une pensée seule occupait son esprit.
La voix avait parlé de l'Atoll. Ils devaient s'y rendre.

Alors qu'il atteignait l'entrée du Dédale, une silhouette attira son attention, dans un coin de son champ de vision. Il vit atterrir non loin la massive silhouette de Cheza, qui avait visiblement répondu à son appel. En d'autres circonstances, ils auraient sans doute eu une longue conversation pour essayer de comprendre le froid qu'il y avait entre eux, mais l'urgence de la situation ne leur laissait pas ce luxe. L'Oracle s'immobilisa alors que son fils s'approchait et lui demandait d'une voix un peu hâchée - comme essoufflée, sans doute venait-il de venir aussi vite que possible - ce qu'il se passait. Le lion blanc répondit d'une voix rendue rauque par l'inquiétude :

"Quelque-chose a enlevé Hedwige." Il planta son regard dans celui de son fil et laissa se répandre autour de lui un peu de la fébrilité et de la crainte qui l'habitait. "Une voix a parlé de l'Atoll et elle a disparu."
Elle avait peur.
Elle avait si peur.
Le visage déformé par la terreur de sa fille était encore imprimé sur ses rétines.

"Mon fils, je ne peux pas me rendre aussi vite que toi là-bas." Lança-t-il ensuite. "S'il-te-plaît, peux-tu aller voir ce qu'il se passe ?"

Ses phrases étaient rapides. Pour la première fois de sa vie, il comprit cette liberté qu'avaient les loups pourvus d'ailes. S'il en avait eu, il aurait pu se jeter à corps perdu dans les cieux pour filer à la recherche de sa fille. Mais il était cloué au sol, lui et sa massive statue, incapable de parcourir en moins de longues heures la distance qu'il y avait entre lui et cet endroit lointain. Il y avait de quoi grogner de frustration. Mais il ne le fit pas, parce qu'il n'avait pas de temps à perdre à exprimer sa contrariété. Il devait faire vite, il devait trouver Eva pour la prévenir, peut-être trouver quelqu'un d'autre pour partir à la suite de Cheza.

Il s'approcha d'un pas du loup ailé et posa le museau sur son front en un geste un peu solennel, comme pour affirmer la mission qu'il lui confiait. Puis il recula d'un pas et, après lui avoir lancé un dernier regard, s'engouffra dans le labyrinthe à la recherche de sa compagne.