Une stèle de plus [Cheza]

± Une stèle de plus

Elle venait, comme à ses habitudes, rendre visite à ses Disparus. Elle commença par Papa et Maman. Puis, elle continua par ceux qui avaient cheminé un instant avec elle. Lewis. Sachiel. Azkaban. Boite à Clou. Et elle termina par ses Amis. Ajani. Junlahdwiin. Hedwige. Ysée.

Et Eva.

Devant cette tombe toute fraiche, ses pattes se mirent à flageoler. La Pie représentait beaucoup pour elle. Une figure maternelle, une confidente, une grande amie. Avec Gloria, elles formaient un trio d'oiseaux. Mais le Moineau, suivi de la Pie, avaient pris leur envol pour une lointaine Contrée. Pour toujours. Il ne restait plus que la Colombe.

Un oiseau blanc esseulé. Qui voyait année après année ses êtres aimés la quitter. Roue du Temps qui lui arrachait des petits morceaux. Encore et encore. Bientôt, il ne lui resterait plus rien. Elle pouvait compter sur les doigts d'une pattes les gens qui lui restait.

Une horrible question s'était insinuée en elle : qui serait le prochain ? Nocera ? Prudence ? Sobieski ? Violette ? Ou Lestat ? Cette peur la privait d'un sommeil serein. Des cauchemars à répétition se gravaient dans ses rétines. La peur grondait et comprimait sa poitrine.

Pour y échapper, elle se plongeait avec acharnement dans le travail. Elle répondait présente à toutes les sollicitations d'aide. Elle recopiait des nuits entières toutes ses découvertes et savoirs. Elle réfléchissait à l'aménagement du Plateau et à sa lutte contre l'Autre. A l'inactivité elle ne pouvait se donner.

Et puis, il fallait aussi donner le change. Garder le sourire et propager son optimisme. Pour ne pas inquiéter les autres. Pour ne pas fragiliser sa Famille. Après tout, ce n'était qu'un état temporaire. Le temps de surmonter le Deuil, n'est-ce pas ?

Ses crocs se resserrèrent sur la anse. Sa tête bascula lentement et l'arrosoir donna à boire aux fleurs. Une pluie bénéfique pour que la stèle resta resplendissante le plus longtemps possible. A l'image de la personnalité joyeuse d'Eva.

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± Une stèle de plus

Une autre âme blessée finit par la rejoindre. Elle annonce sa présence par sa voix douce. Le regard doré se détache de la tombe pour découvrir Cheza. Un ami dont les ailes colorées apportent une étrange gaiété dans ce lieu de recueillement. Beaucoup trop d'opposition dans ces deux mondes. Entre Morts et Vivants. En était-ce absurde ? Ou vulgaire ? Ou n'était-ce qu'une vision biaisée du à son chagrin immense ?

Le museau se courbe un peu plus. L'arrosoir lâche ses dernières larmes sur le Dipladénia. La tête dépourvue d'oreille effectue ensuite une légère rotation. Juste de quoi déposer son ustensile au sol. La gueule de nouveau libre, elle peut saluer comme il se doit le fils de son amie disparue. Un demi-sourire s'affiche sur ses babines. Malgré tout, elle reste heureuse de voir l'un des Siens à ses côtés.

"Bonjour Cheza. C'est un sale temps pour nos Coeurs. Vivement que cette longue averse se termine."

Qu'après tous ces deuils, ils puissent de nouveau connaitre la Joie.

"Souhaites-tu que je te laisse te recueillir ?"

Elle n'ose pas, par pudeur, lui demander son état. Elle est malheureusement bien placée pour savoir la douleur que c'est pour un enfant de perdre sa Mère. Heureusement, elle avait eu Dame Yurai pour l'accompagner dans cette terrible épreuve. Alors, si elle peut à son tour, être une épaule de soutien... Elle arrivera à faire taire ses tremblements intérieurs et à se montrer forte pour lui. Comme se doit de l'être un bon Oracle. Comme se doit de l'être une Amie.

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± Une stèle de plus

De solitude, il n'en a pas besoin. Elle non plus. A son tour, elle s'assoit face à cette tombe. Elle montre par ce geste qu'elle restera là tant qu'il le faudra. Prête à discuter. A faire front à ce chagrin qui les affecte tous les deux.

Ils ne sont dupes ni l'un ni l'autre. Leur état respectif, ils s'en doutent. Alors pourquoi faire semblant ? Une patte s'avance et redresse tendrement une tige. Les pétales orientés vers le ciel. Vers l'avenir.

Son ciel à elle, il est à demi-couvert par une couverture plumée. Elle a beau avoir un joli surnom d'oiseau et voler, des ailes elle n'en a pas. Elle se contente de simples plumes pour remplacer ses oreilles.

Souvenir nostalgique par ce contact physique. Quelques mots s'échappent spontanément.

"Elles ont la douceur de ta mère."

Combien de fois a-t-elle été étreinte par une paire d'ailes blanches et noires ? Un nombre incalculable de fois. L'amitié ne se compte pas. Elle se vit pleinement. Jusqu'à la Fin.

Ces amitiés, elles lui deviennent de plus en plus précieuses au fil des années. Tout ce qui est rare prend de la valeur. Alors, pour lui, pour celui qu'elle considère comme son ami, elle fera l'effort de soulever son masque. D'ouvrir un peu son âme tourmentée.

"C'est mon amour qui me pèse. Ce profond attachement que je ressens pour chacun d'entre vous et qui m'affecte à chaque disparition. Mais il m'est impossible de m'empêcher d'aimer."

Et elle ne le voudrait sûrement pas. Que serait la Vie sans sentiment et sans attache ? Elle n'était pas faite pour être une coquille vide ou un cœur de glace. Trop bonne, trop sensible. Tellement Colombe.

"Je me dois d'accueillir toutes mes émotions. Si je renie cette douleur, ce serait comme renier l'amour que je porte à Eva. Je ne peux pas lui faire çà."

Phrases dites d'une voix douce et qui se terminent en murmures.

Regard doré qui se perd sur les épitaphes. Avant de revenir sur son cadet.

"Effaceur de peine. Un don entièrement tourné vers autrui. Typiquement Nakhu."

Comme celui de Sobi'. L'exécuteur d'envies. Des pouvoirs qui ne sont pas simples à porter. Mais qui sont offerts en toute connaissances de cause par Dame Yurai à des loups d'exception.

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